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“La Mission”, de Heiner Müller, au Théâtre national de la Colline

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Ecrite en 1979, la pièce dont le sous-titre est Souvenir d’une Révolution, traite d’un épisode avorté de la Révolution française. L’auteur pourtant ne la situe pas dans le temps mais brouille les pistes, superposant les lieux, les personnages et les époques, et travaille sur la remémoration.

Trois émissaires de la Convention : Sasportas (Jean-Baptiste Anoumon), Galloudec (Claude Duparfait) et Debuisson (Charlie Nelson) sont envoyés à la Jamaïque pour organiser le soulèvement des esclaves et porter les idéaux définis par la France, à savoir l’abolition de l’esclavage. Par la voix de Debuisson décidé à changer le monde, puis par sa relecture des événements, se profilent la Révolution trahie et l’échec annoncé. La traîtrise de l’un d’eux, la duplicité et la désagrégation des deux autres, accompagnent l’arrivée de Napoléon et le retour de l’esclavage.

L’auteur, Heiner Müller, est originaire de RDA et avait fait le choix d’y rester pour des raisons politiques et personnelles même si ses parents avaient émigré assez tôt à l’Ouest. Dès le début des années 60 ses écrits furent soumis à la censure et il fut exclu de l’Union des écrivains. Sa reconnaissance s’est ainsi faite à partir des pays d’Europe de l’Ouest et ce n’est qu’en 1980 que la RDA cessa de l’ignorer et le réhabilita. Heiner Müller a travaillé avec le Berliner Ensemble pour lequel il a signé des mises en scène, dont La Résistible ascension d’Arturo Ui. Souvent jouées en France, ses pièces – Quartett, Hamlet-Machine, Médée Matériau, Œdipe-tyran entre autres – puisent dans les mythes et établissent ce qu’il appelle « un dialogue avec les morts ».

Avec La Mission, c’est l’Histoire qu’il pétrit. Elle est présentée ici dans une mise en scène sobre, conduite par une sorte d’imposante machine à remonter le temps (signée d’Olafrer Altmanune, scénographe). Comme les ailes d’un moulin qui ne s’arrête jamais et pourrait tout broyer, ou comme une roue à eau qui ramasse tout sur son passage, la machinerie fait surgir des entrailles de la terre les personnages, ces héros du passé, et les y renvoie. Le travail se présente par séquences jusqu’à ce qu’un long monologue coupe la pièce et mette en scène un homme bloqué dans un ascenseur entre le second et le huitième étage, qu’il n’atteindra jamais. L’homme s’épuise et philosophe jusqu’à ce qu’il lâche prise, l’entretien d’embauche auquel il était convié et tous ses espoirs, s’éloignent, il se prend alors à rêver et à voyager, sorte d’homme-oiseau, jusqu’à se retrouver au Pérou. L’acteur, Stefan Konarske, de langue allemande – judicieusement surtitrée – est excellent, figure emblématique qui fait ressurgir certains fantômes. Le moment nous éloigne de la logique historique vers laquelle l’auteur s’engageait et du parcours de Debuisson, il est de grande intensité, comme une « coupure dans le temps, dans la topographie et dans le rêve » dit le metteur en scène.

Michael Thalheimer, un des metteurs en scène les plus marquants de la scène allemande actuelle, s’interroge ici sur l’Histoire française : « Ce qui me paraît certain c’est que dans notre réalité sociale, nous avons échoué face à toute pensée révolutionnaire » dit-il. Il avait présenté en 2010, sur ce même plateau du Théâtre National de la Colline, Combat de nègres et de chien de Bernard-Marie Koltès qui traitait métaphoriquement du passé colonial et prépare Légendes de la forêt viennoise du dramaturge autrichien Odön von Horváth (Geschichten aus dem Wiener Wald).

Créée en France en 1982 par Philippe Adrien, la pièce n’est pas facile à piloter car la mission en elle-même reste floue et nous perdons par moments les personnages. Mais l’essentiel de la métaphore sur le désenchantement politique et sur un monde qui se délite sont bien là, et la portée politique du message nous place exactement face aux questionnements d’aujourd’hui.

Vu au Théâtre National de La Colline, surtitré en français
Le texte de la pièce est publié aux Editions de Minuit

 

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