Chronique d'Evariste
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Refusons le débat interne au Medef sur le « choc de compétitivité »

par Évariste
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Tout se passe comme si le débat interne du Medef devenait par excellence le débat de toute la France. La mise en scène est caricaturale : à Gallois la défense de la position dure du Medef , à Moscovici le porte-parolat de la fraction molle du Medef . Où est la souveraineté populaire là-dedans ? Une fois de plus, nous avons devant nous la « société du spectacle »(Guy Debord) qui montre bien que nous sommes en pleine bataille culturelle.Gallois, l’ancien responsable de la commission économique du Céres, bras droit de Jean-Pierre Chevènement, aujourd’hui bras armé du Medef … Moscovici, ancien vice-président du Cercle de l’industrie (le principal lobby des patrons du CAC 40 ) avec Alain Lamassoure (UMP)…

Rappelons tout d’abord l’outrecuidance, largement accepté par l’ordolibéralisme, d’utiliser un terme de la microéconomie directement dans la macroéconomie sans réflexion théorique préalable. Cela paraît à peu près aussi scientifique que d’estimer que la circulation sanguine permet d’expliquer les flux de biens et de services.
Puis disons tout net que la France a déjà connu une politique d’austérité déflationniste en 1935 avec Pierre Laval qui avait diminué toutes les dépenses de l’Etat, y compris les salaires des fonctionnaires, avec comme but la relance de l’économie par l’exportation. Le taux de change du franc était surévalué par rapport aux autres monnaies, comme l’est actuellement l’euro. Cette politique a eu pour effet que la France a été le seul pays dont le revenu par habitant à la fin de la décennie ne dépassât pas celui du début de la décennie.
Comme toujours dans ce cas-là la baisse des “coûts salariaux” accroît les marges des entreprises, donc le profit sans accroître l’investissement productif. Tout simplement parce que les entreprises capitalistes n’investissent que si il y a augmentation de la demande. Sans augmentation de la demande, les entreprises capitalistes ont tendance à engranger le profit pour les actionnaires.
Par ailleurs, aujourd’hui, comme tous les pays européens font la même politique austéritaire ordolibérale, les « gains éventuels » à l’exportation ne joueraient donc que pour l’exportation hors Europe et là, même madame Michu sait très bien que cette exportation est minoritaire.
En dernier lieu, sachons que les entreprises exportatrices françaises n’emploient que du personnel qualifié et qu’elles ont déjà et depuis longtemps délocalisé la main d’œuvre peu qualifié à l’extérieur et qu’une baisse des cotisations sociales n’avantagera que les patrons des entreprises de main d’œuvre qui ne sont pas exportatrices.
Cassons aussi l’idée du miracle allemand avec des inégalités sociales et une pauvreté bien supérieures à la France. Cette situation doublée du fait que l’indice conjoncturel de fécondité de l’Allemagne est de 1,4 (au lieu de 2,1 pour la France) ne peut entraîner que de la crise sociale en Allemagne.
Cassons aussi l’idée que la baisse des cotisations sociales (ce nesont pas des charges mais un bienfait pour l’humanité avec le financement de la protection sociale !) rendra la France plus compétitive. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Il y a longtemps que le patronat de l’industrie française a abandonné le haut de gamme à forte valeur ajoutée. Donc, la France n’est pas principalement en concurrence avec les pays développés, notamment pour ses importations. Le patronat français a spécialisé ce qui reste de l’industrie française dans la moyenne gamme et de ce fait, ses principaux concurrents sont les pays émergents des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Là, même madame Michu sait très bien que le rapport salarial est alors de 1 à 10 environ et qu’une baisse des charges est insuffisante pour rattraper le rapport salarial. Donc une fois de plus, la baisse des cotisations sociales aura comme conséquence d’augmenter le profit des actionnaires.
Une autre idée simple à défendre est que le pourcentage de la recherche développement (R&D) par rapport au PIB en France est inférieur à la moyenne de l’OCDE ce qui montre que la France, deuxième pays de la zone euro, fait un effort de recherche industrielle inférieur à la majorité des pays européens!
Alors me direz-vous « que faire »?
Arrêtons de sur-réagir au débat interne du Medef même si ce dernier utilise comme porte-parole d’une part un ancien chevènementiste pour son aile prétendument la plus excessive et le gouvernement socialiste pour son aile prétendument modérée. Il faut changer de paradigme. Il faut penser un monde nouveau.
Un monde nouveau avec des changements institutionnels y compris dans l’Union européenne où il faut rompre avec la dérive des traités, une relance de la demande et donc du salaire global (salaire direct et cotisations sociales), un accroissement important de la recherche développement industrielle (multiplier par trois au moins son pourcentage par rapport au PIB) pour développer le haut de gamme industriel à forte valeur ajoutée dans une transition énergétique et écologique, un libre-échange uniquement avec des pays en convergence économique, un néo-protectionnisme écologique et social pour les autres lié à un développement des protections sociales et écologiques des travailleurs des BRICS et des pays de délocalisation.
Tout cela ne sera possible que si nous donnons la priorité au débat, à la formation, à l’armement intellectuel du peuple, à l’éducation populaire sur les 4 ruptures nécessaires pour changer de paradigme, sur les 4 exigences fondamentales pour penser le monde nouveau, sur les 10 principes constitutifs du nouveau monde et enfin reprendre une stratégie conforme aux politiques de temps long et de temps court garantes du changement possible et nécessaire. Nous reviendrons sur ce point si vous organisez des débats locaux en faisant appel à Respublica et au Réseau Education Populaire. Nous faisons déjà 200 initiatives et conférences par an. Il ne tient qu’à vous d’augmenter ce chiffre si vous rentrez dans la danse et nous invitez lors des réunions que vous organisez !

Lutter contre le néo-libéralisme
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Dépassements d’honoraires médicaux : Sarkozy en a rêvé, le gouvernement Hollande-Ayrault-Touraine veut le faire !

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

La crise de 2007 a marqué la fin de la fuite en avant financière devant l’incapacité du capitalisme développé à créer de la richesse réelle. On arrive maintenant à l’os : seule une baisse drastique des salaires peut encore permettre de continuer. Là où le salaire socialisé est important, comme en France, les coupes commencent dans cette composante, c’est moins directement visible et politiquement plus gérable. Les services publics sont de plus en plus ouvertement la cible des gérants du capital, qu’ils soient de droite ou de gauche.

Ainsi, Nicolas Sarkozy et Xavier Bertrand, son ministre d’alors, projetaient d’encadrer, dans un projet qui s’appelait alors le « secteur optionnel », les dépassements d’honoraires avec un dépassement autorisé de 50 % du tarif opposable pour 70 % des patients, les 30 % restant devant être pratiqué au tarif conventionné. Ce projet n’a pas vu le jour.

Arrive alors un nouveau président, François Hollande, qui annonce que « le changement, c’est maintenant ». Sa ministre, Marisol Touraine, ainsi que Frédéric Van Roekeghem, le tout puissant directeur de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance-Maladie (UNCAM), ancien directeur d’une entreprise du CAC 40(AXA), qui continue la même politique que sous Sarkozy de privatisation des profits et de socialisation des pertes dans le système de santé, tous deux gagnés à l’ordolibéralisme destructeur des principes de la République sociale, sont sur le point de faire pire que dans le projet du secteur optionnel.

Cette fois-ci l’accord réactionnaire autorise non pas 50 % de dépassement, mais 150 %, ce qui veut dire 2,5 fois le tarif opposable, excusez du peu ! Et cette fois l’accord de l’Union nationale des organismes complémentaires à l’assurance-maladie (UNOCAM, dont l’un des membres, la Fédération française des sociétés d’assurance FFSA, est l’une des principales branches du MEDEF), dont le but est de dépecer la Sécurité sociale, soutient ce projet. Voilà ce que souhaitent les représentants de l’oligarchie pour les 5 ans qui viennent avec cette proposition d’avenant à la dernière convention médicale.

Mais vous ne savez pas tout. Car pour l’instant, aucun mécanisme de sanction n’est prévu et la discussion est renvoyée à plus tard pour application en 2013. Donc pour l’instant, nous avons une obligation de limitation sans sanction : elle n’est pas belle l’histoire pour les prédateurs ! Mais pire encore, l’oligarque qui dirige la Sécurité sociale est prêt, avec le soutien du MEDEF et de la ministre, à prendre en charge les cotisations sociales des médecins du secteur 2 à dépassements, contre une vague promesse de diminuer les dépassements pour les patients pauvres et de faire bénéficier des tarifs opposables les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) ! Rappelons que l’ACS est une subvention des caisses de sécurité sociale via les commissions sociales pour aider les pauvres à souscrire une complémentaire santé d’un organisme de l’UNOCAM. Et puis bien, sûr, rien n’est fait pour dissuader les nombreux médecins de « repousser de leurs cabinets » les titulaires de la CMU et des bénéficiaires de l’ACS. De même que rien n’est fait pour lutter contre les dépassements sauvages y compris dans l’hôpital public lorsque le quota du secteur privé de l’hôpital public est dépassé!

Il va sans dire que l’application de cet accord aura comme conséquence de maintenir le niveau global des dépassements tout en augmentant le nombre de médecins qui feront des dépassements. Il n’y aura donc aucune amélioration quant à l’accès aux soins ni dans la lutte contre les inégalités sociales de santé. Aujourd’hui, nous sommes dans une seringue avec 6,3 milliards (dont 2,1 pour la médecine et 4,2 pour les dentistes) de dépassements en consultation auxquels il faut rajouter 5,5 milliards pour les actes techniques

Rendez-vous est donc pris pour la suite de l’histoire. Pour notre part, nous allons continuer à promouvoir dans nos campagnes d’éducation populaire, avec le Réseau Éducation Populaire (REP) et en prolongement des thèses que nous avons défendues dans le livre « Contre les prédateurs de la santé », les positions suivantes:

  • application du principe de solidarité, à savoir « à chacun selon ses besoins et chacun doit y contribuer selon ses moyens »
  • suppression de tout dépassement d’honoraires tant pour les consultations que pour les actes techniques
  • augmentation des certains tarifs opposables des consultations et de certains actes techniques ainsi que des salaires des médecins salariés
  • développement à côté du secteur « libéral », d’une médecine ambulatoire publique organisée autour des centres de santé qui seront partout et pour tous des centres de premier recours bénéficiant comme les hôpitaux d’une enveloppe des Missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC), dont le montant sera substantiellement renforcé grâce à une reformation du partage de la valeur ajoutée.
  • engagement dans un processus visant à terme que le financement public ne finance plus le privé lucratif pour les actionnaires.
  • financement des hôpitaux et des centres de santé et de prévention de premier recours non à l’acte ou à la tarification à l’activité (T2A), mais selon une tarification du parcours de soins liée à la pathologie.

Hasta la victoria siempre,

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La grande paresse du capitalisme français (suite)

par Jacques Duplessis

 

Pour lire la première partie de ce texte, c’est ici.
« Créer de la valeur », le mot d’ordre est général et générique au sein du patronat français, parfois même hystérique tant il est insistant. Il est constamment repris, tel un leitmotiv, par le gratin du Medef quand il passe à la télé, il est martelé par tous les chefs d’entreprise en mal de chiffre d’affaires ou de marges à la hausse quand ils présentent leurs résultats ou morigènent leurs forces de vente, ou psalmodié par tous les chefs, grands et petits, qui n’ont que ce vocable à la bouche pour appeler à l’effort et secouer les troupes en panne de résultats. Créer de la valeur certes, mais qu’est-ce à dire exactement ? Et pour en faire quoi, ou pour incriminer qui ? Est-on bien sûr de ne pas se tromper de cible ou de débat ? Et de ne pas céder à la facilité, une fois encore ?
Créer de la valeur, c’est à bon droit un discours de patron. La valeur se mesure en effet à l’aune du compte d’exploitation dont le chef d’entreprise est le gardien. Créer de la valeur, c’est donc être capable de générer du résultat, mesuré à divers niveaux, et pas seulement en termes de bénéfice.
C’est déjà générer des marges (revendre plus cher qu’acheter) ou enregistrer un EBE (excédent brut d’exploitation), c’est-à-dire exercer son métier (menuisier, plâtrier, sidérurgiste, constructeur auto ou boulanger) en étant capable de dégager un surplus une fois payés les fournisseurs et la main d’œuvre. C’est la base. Si on n’est pas bénéficiaire à ce niveau, autant plier les gaules et aller exercer ses talents ailleurs. Sinon, la valeur générée, c’est très exactement le cumul des salaires payés et de l’excédent dégagé. Elle n’est toutefois concrétisée qu’une fois opérée la vente des biens, fabriqués ou simplement commercialisés, et sa réalisation reste liée à la possibilité de valoriser, via la mise sur le marché, les produits de l’usine, du magasin, de l’exploitation agricole ou de l’artisanat.
La valeur ajoutée peut aussi s’analyser de façon plus fine, par différence entre valeur des biens créés et des matières premières mises en jeu au départ du processus de production. C’est dire qu’au-delà du coût du travail incorporé dans le processus de production, valorisé au niveau des rémunérations versées, et du surplus dégagé une fois tous les facteurs de production payés, elle fait aussi la part des consommations intermédiaires de prestations extérieures concourant également au résultat (prestataires divers, sous-traitants, intervenants non salariés, ..). Mais là encore, la création de valeur n’est effective et concrète (ou « parfaite ») que si les produits qui en sont issus, trouvent acquéreur sur le marché pour un montant au moins égal ou supérieur à la somme des facteurs mis en jeu.
D’aucuns estiment d’ailleurs que la plus-value qui en résulte une fois ces facteurs rémunérés, est la marque de fabrique du capitalisme, en ce qu’il confisque pour son seul profit le reliquat de la montée en valeur en ne restituant pas au facteur travail, en particulier, l’intégralité de ce qui reste, à concurrence du prix de vente. C’est oublier que cette « plus-value », c’est d’abord un marqueur d’efficacité, celui de la viabilité de l’entreprise sur son marché, mesurée par sa capacité à vendre une production à un niveau de prix suffisant pour rémunérer tous les facteurs qui y concourent et dégager en outre le fameux surplus. Sans cette condition sine qua non, point de part patronale ni de redistribution à qui que ce soit.
On peut donc penser que ce surplus – outre le fait qu’il a vocation à rémunérer d’autres facteurs de production non encore évoqués, dont l’argent prêté par les banques et, à travers l’impôt, les services publics dont bénéficie l’entreprise – est la marque du talent de celui qui la dirige et qui a su agencer les processus de création de telle sorte qu’ils trouvent non seulement preneurs, mais en outre au prix qu’ambitionne l’entreprise pour être en mesure de pérenniser son activité. Ce qui relève d’une authentique performance mais ne justifie pas pour autant que son auteur en reçoive le bénéfice intégral et de façon automatique, même s’il mérite sa part d’entrepreneur en récompense d’une mise de fonds et donc d’une prise de risque ; D’autant qu’un reliquat substantiel doit rester dans l’entreprise et alimenter ses réserves, afin qu’elle puisse poursuivre sa vie d’organisation économique autonome, compétitive et performante, reconnue par le marché.
Pourquoi entend-on dès lors ces objurgations de toutes parts à produire et à produire de la valeur, sachant qu’on ne produit sainement et durablement que lorsque la valeur est au rendez-vous et que lorsqu’elle est, de fait, ratifiée par le consommateur, public ou privé, individu ou entreprise ?
Eh bien tout simplement parce que la création de valeur relève plus de l’incantation que de la réalité vraie ou du métier d’entrepreneur bien compris. Créer de la valeur aujourd’hui, n’est pas donné à tout le monde et moins encore aux nouveaux convertis. Il ne suffit pas en effet de se déclarer chef d’entreprise pour détenir ou comprendre le secret du modèle économique gagnant, ni même être capable de reproduire cette alchimie qui fait le succès, quand d’autres l’ont déjà prouvé comme possible. Les temps sont durs et les exigences des actionnaires ou prêteurs de capitaux en tout genre très élevées, on le sait. Et la pression d’une concurrence exacerbée tire les prix vers le bas et s’ingénie à rogner les marges, au nom d’un principe purement théorique de meilleur service rendu au client. Vouloir recréer de la valeur, c’est donc chercher à redonner régulièrement de l’air à l’entreprise en rétablissant une profitabilité supérieure à ce que la vie au quotidien induit naturellement, au point de devoir susciter périodiquement remises en cause drastiques ou réveils brutaux indispensables à toute survie en écosystème ultra libéral. Or cette capacité de résilience là, qui n’avait jamais été aussi nécessaire par le passé, est loin d’être inscrite dans les gênes ou le tempérament de tous les impétrants. Et les industriels français ne font pas exception à la règle. Ainsi, d’après le Figaro du 23 février 2012, « la France est le pays de la zone euro dont la part de valeur ajoutée de l’industrie manufacturière est la plus faible, soit 9,3% du total en 2010 ».
Trois attitudes prédominent : ceux qui se contentent de lifter leur offre et de repeindre la devanture. C’est l’opération qui a conduit les hypermarchés à perdre régulièrement de leur attractivité depuis une bonne dizaine d’années, sous la conduite coupable de managers mercenaires et de fonds d’investissement préoccupés de se payer au plus vite sur la bête. Ceux qui ont compris que tout se passait désormais en centre ville parce que la clientèle avait changé, affichent aujourd’hui de meilleurs résultats que les autres.
D’autres ne raisonnent que productivité accrue en jetant par-dessus bord, tel le ballon en perte d’altitude, tout ce qui n’est pas indispensable à court terme, afin de sauver provisoirement la baraque. C’est la grande majorité de nos industriels en peine de stratégie à moyen ou long terme ou incapables de trouver le modèle économique et les marchés extérieurs ou porteurs vers lesquels réorienter l’entreprise de façon durable. Et qui de Fralib à Continental, en passant par Gandrange ou le groupe Doux, préfèrent euthanasier et sabrer, que transformer et s’efforcer à une plus grande exigence vis-à-vis d’eux même.
D’autres enfin parient sur une forte dose de R&D pour doper leurs gammes et régénérer une offre plus à même de satisfaire les besoins ou de susciter le désir d’achat à des prix supérieurs aux niveaux antérieurs. Ceux là ont plus de chance de gagner, voyez les constructeurs automobiles allemands. Et si la valeur ajoutée créée n’est pas confisquée par les actionnaires, c’est-à-dire si le partage de la valeur ajoutée se fait sur les mêmes bases qu’auparavant, dans le cadre d’un consensus équilibré, elle entraîne ipso facto une augmentation des salaires, des rémunérations et de l’emploi qualifié seuls capables de générer croissance et pouvoir d’achat.
On est alors dans un processus vertueux qui tire l’économie vers le haut et génère d’autant plus de revenus que la création de valeur est forte. Loin de s’analyser simplement en termes de coûts, cette économie là, cette compétitivité là sait soulever le couvercle de la concurrence en retrouvant des espaces de débouchés et de chiffre d’affaires supplémentaire. Mais là où l’Allemagne dépense 2,8 de son PIB en dépenses publiques de R&D, et le nord de l’Europe plus de 3%, la France en 2011 ne se situait qu’à 2,1%. Quant à l’investissement privé, il n’atteignait même pas la barre des 2%.
En d’autres termes, il n’y a problème de coût que lorsque l’échec du dirigeant est déjà consommé sur le plan marketing, commercial, technologique ou stratégique. A valeur générée constante, le coût finit en effet par apparaître excessif par rapport à ce que dicte la concurrence, non pas parce qu’il a dérapé, non pas parce qu’il s’est envolé, mais simplement parce qu’il est devenu plus élevé en valeur relative. Voilà pourquoi nos braves entrepreneurs incapables de créativité ou réticents à risquer leurs profits, réclament à cor et à cris toujours plus de valeur en criant haro sur les coûts ! Tout simplement parce qu’ils ne savent plus susciter désir d’achat ni séduction marchande et que leur incantation n’est que la marque globale de leur incompétence à commercer vraiment ou à imaginer, voire à façonner l’avenir.
Facile d’accuser le coût du travail qui ne représente que moins de 5% du chiffre d’affaires dans l’automobile par exemple, quand soi même on ne sait plus comment reprendre l’initiative sur un marché, l’analyser dans ses tendances, élaborer une stratégie, mobiliser des capitaux, convaincre des investisseurs, entraîner les énergies. Voilà la grande paresse du capitalisme français, en ces temps de crise aigüe non pas de la valeur travail, mais de la valeur marché ou de la valeur technologique que les « marketeurs » et les ingénieurs en chef ne savent plus repérer ni capter. Voilà où conduit l’utilisation de cet expédient de la délocalisation ou du dégraissage à mesure que rapetisse l’entreprise et que se contracte sa substance, à chaque étape de retard sur ses prévisions de vente ou de résultats.
C’est d’ailleurs un syndrome tellement connu chez nous, qui avons déjà maintes fois enregistré cette frilosité, que ce soit au tournant des années 30 où nous vivions de la rente coloniale, dans les années 50 du plan Marshall ou des aides du FMI, dans les années 60 des barrières à l’importation et des contingentements peu à peu effacés par le marché commun, ou dans les années 70 et le début des années 80, quand l’Etat devait pallier par son volontarisme une décision d’investissement traditionnellement anémique et défaillante, en berne par rapport à ce qui se pratiquait ailleurs et insuffisante à compenser l’afflux des investissements étrangers dans notre propre pays (20 000 entreprises, 2 millions d’emplois et 20% de la R&D produite en France).
Quant aux 30 dernières années de perfusion du patronat à travers les aides publiques et les dégrèvements de cotisations, que d’abandons et de retard accumulés, que de démissions à commencer par ceux qui jouent aujourd’hui les pères fouettards en évitant soigneusement de balayer devant leur porte. C’est le syndrome PSA qui a certes plus produit en France que son grand concurrent national, mais s’est lourdement trompé dans son appréhension tardive des marchés émergents, de la satisfaction client ou des nouvelles technologies dites propres.
Résumons nous, il n’y problème de coût du travail que dans l’incapacité à cerner en amont les tendances du marché et à exercer avec compétence son métier d’entrepreneur investisseur à bon escient. En faut-il des confirmations au moment même ou sort le rapport Gallois, qui fait le constat réaliste d’une situation qu’il faut bien à présent affronter, vu le leg de 20 à 30 années d’impéritie économico-industrielle ? « Les avis selon lesquels les salaires français seraient trop élevés, ou les horaires de travail insuffisants, ou les normes sociales trop sévères, ne sont pas confirmées par la comparaison avec la situation allemande » (Pascal Lamy, 2012, Directeur Général de l’OMC). « Le coût du travail représente 10 % du problème de la compétitivité, les 90% restant relèvent de la compétitivité hors coût » (Jean-Louis Beffa et Louis Schweizer, Les Echos, 19/07/2012). Enfin le journal Le Monde, dans son édition du 13 juillet dernier, répond à Philippe Varin, Pdg du groupe PSA, en s’appuyant sur les statistiques européennes Eurostat, que son argument à propos de la situation actuelle de PSA soit disant liée au coût du travail est invalide, car les chiffres retraçant le coût comparé de la main d’œuvre démontrent le contraire.
A contre-courant de l’évolution ambiante, l’entreprise TEB, fournisseur de systèmes de vidéosurveillance découvre qu’il est plus efficace, commercialement parlant, de rapatrier la production de Chine en France à condition de proposer un produit hautement robotisé offrant une qualité d’image 6 fois supérieure à ce qui existe sur le marché. Voilà de la création de vraie valeur …
Et nous verrons dans un troisième article, comment les chiffres de la R&D, notion si essentielle en matière de compétitivité, peuvent expliquer bien des déboires que l’on demande aujourd’hui à la collectivité de solder, mais sans aucune espèce d’engagement ni contrepartie, ni même garde-fou permettant d’espérer à l’avenir qu’on ne reproduise pas les errements du passé.

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Comment mettre fin à l’exil fiscal

par Salim Lamrani
Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

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Le souhait de magnat français Bernard Arnaud d’acquérir la nationalité belge a relancé le débat sur l’exil fiscal et le refus des gros patrimoines de s’acquitter de leur devoir tributaire. Pourtant, il existe une solution simple et efficace pour mettre fin à l’évasion fiscale légale.

Bernard Arnaud, première fortune européenne et quatrième fortune mondiale avec 40 milliards d’euros, dont le salaire annuel s’élève à 10 millions d’euros et dont les placements lui rapportent chaque année 200 millions d’euros, a effectué une demande de naturalisation afin d’obtenir la nationalité belge1 . D’aucuns soupçonnent l’homme le plus riche de France de vouloir échapper ainsi à son devoir de citoyen, comme plusieurs dizaines de milliers d’exilés fiscaux qui ont choisi de s’installer dans des pays étrangers tels que la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni ou autre, qui offrent des avantages non négligeables pour les plus aisés2 .

Entre 1988 et 2006, 0,01% des Français les plus riches, environ 3 500 foyers fiscaux, ont vu leur revenu réel augmenter de 42%. En guise de comparaison, sur la même période, les 90% les moins aisés ont bénéficié seulement d’une hausse de 4,6%3 . Ainsi, l’évasion fiscale légale et illégale coûte chaque année 50 milliards d’euros à l’Etat français. Avec une telle somme, 500 000 logements sociaux à 100 000 euros pourraient être construits chaque année, ou bien on pourrait créer plus de 1,5 millions de postes dans l’éducation, la santé, le social ou la culture.

En Suisse, dans certains cantons, les résidents étrangers ne sont pas imposés sur leurs revenus et leur patrimoine, mais uniquement sur leur train de vie, ce qui rend ses territoires très attractifs pour les plus fortunés. Dans ce pays, où résident près de 2000 exilés fiscaux français, les 43 familles les plus aisées cumulent à elles seules une fortune de 36,5 milliards d’euros4 .

Pour répondre à la problématique de l’exil fiscal, l’argument dominant en France, défendu par les milieux économiques, la droite et une certaine partie du centre-gauche, consiste à préconiser une baisse du taux d’imposition pour les catégories les plus aisées. D’ailleurs, dès son élection en 2007, l’ancien président Nicolas Sarkozy avait fait adopter le bouclier fiscal – dispositif tributaire selon lequel les revenus d’un contribuable ne peuvent pas être taxés à plus de 50%5 .

Pourtant, il existe un mécanisme applicable et efficace pour mettre un terme à l’évasion fiscale légale. Actuellement, l’imposition est liée au lieu de résidence. Ainsi, un exilé fiscal français qui choisit de vivre plus de six mois par an en Suisse devient automatiquement un contribuable suisse et bénéficie ainsi de sa législation avantageuse. Il en est de même pour le ressortissant français qui s’installerait au Luxembourg, au Royaume-Uni ou en Belgique.

Pour mettre un terme à cette dérive qui prive l’Etat français, et donc les citoyens, de ressources conséquentes, il suffirait simplement de lier l’imposition à la nationalité et non pas au lieu de résidence, et d’appliquer une taxation différentielle. Ce dispositif mettrait automatiquement un terme à ce fléau. Ainsi, un contribuable français réfugié en Suisse qui ne serait imposé qu’à hauteur de 35% dans son nouveau lieu de résidence, au lieu de 41% en France par exemple, serait légalement contraint de payer la différence à l’Etat français, c’est-à-dire 6%, rendant ainsi inutile toute expatriation pour des raisons d’ordre fiscal.

Cette pratique existe déjà dans des pays tels que les Etats-Unis. Les citoyens étasuniens installés à l’étranger payent exactement le même montant d’impôts que leurs compatriotes restés sur le territoire national, et sont taxés à raison de leurs revenus mondiaux. D’un point de vue technique, tous les pays du monde remettent chaque année au Département du Trésor une liste des ressortissants étasuniens établis chez eux. Ainsi, l’exil fiscal n’est plus possible, la seule alternative pour échapper à l’impôt étant l’évasion fiscale illégale.

Pour contrer ce type de délit, le Congrès étasunien a adopté une loi qui permet à toute personne – en particulier les employés des grandes banques – qui fournirait des informations sur des cas de fraude fiscale d’obtenir jusqu’à 30% des sommes récupérées par l’Etat. Ainsi, Bradley Birkenfeld, ancien employé de la banque suisse UBS, s’est vu remettre la somme de 104 millions de dollars pour avoir livré des informations « exceptionnelles à la fois par leur ampleur et leur étendue », sur les délits d’évasion fiscale commis par les clients étasuniens de la Banque. Cette information a permis au fisc étasunien de récupérer une somme de cinq milliards de dollars et d’obtenir la liste de tous les fraudeurs ayant un compte bancaire chez UBS6 .

La France et l’ensemble des nations européennes et du monde seraient bien avisées d’adopter un modèle tributaire qui permettrait d’appliquer une taxation différentielle, en liant l’imposition à la nationalité et non au simple lieu de résidence. De la même manière, pour lutter contre l’évasion fiscale illégale, qui constitue une  spoliation caractérisée de la richesse nationale et citoyenne, les délinquants en col blanc doivent être plus sévèrement sanctionnés, à la hauteur du préjudice causé. Les plus fortunés devront alors faire un choix : leur nationalité et leur argent.

Article original publié en portugais

  1. Ivan Letessier, « Bernard Arnault, première fortune de France », Le Figaro, 9 septembre 2012. []
  2. France Info », Exilés fiscaux : de quoi parle-t-on ? », 13 mars 2012. []
  3. L’Humanité, « C’est la loi qui autorise l’évasion fiscale, elle peut donc aussi l’empêcher », 9 mars 2012. []
  4. Bilan, « Les Français, réfugiés politiques en Suisse ? », 14 décembre 2011. []
  5. Le Figaro, « Bouclier fiscal : 750 millions d’euros en 2012 », 4 juillet 2012. []
  6. 20 minutes, « Récompense record de 104 millions de dollars pour le dénonciateur d’UBS », 11 septembre 2012. []
Laïcité
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Mariage civil, mariage religieux : une contrariété révélée par le « mariage homo »

par Catherine Kintzler
Auteur de "Qu'est-ce que la laïcité", publié chez Vrin, 2007.
http://www.mezetulle.net

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(A l’occasion d’un texte de Gilles Bernheim, grand rabbin de France)

Au sein de la levée cléricale de boucliers contre le projet d’extension du mariage aux personnes de même sexe (1), les arguments sont en général assez pauvres et souvent présentés de manière dogmatique et purement rhétorique, sans véritable liaison, sans réflexion théorique suivie. Tel n’est pas le cas d’un texte publié par le grand rabbin de France Gilles Bernheim téléchargeable sur son site internet et dont il a donné une version abrégée au Figaro, datée du 18 octobre(2). Par son style et le soin de son argumentation ce texte mérite l’attention. J’en propose ici une critique qui, pour être radicale, n’en est pas moins reconnaissante à l’auteur de m’avoir permis de poser une question qui me semble fondamentale  : et si l’extension du mariage aux personnes de même sexe était un révélateur du concept même de mariage civil ?
A dessein d’en examiner les attendus, j’ai d’abord lu le texte de G. Bernheim point par point. J’ai alors constaté que, pour la plupart, ses arguments ne sont pas spécifiques. Trop larges, ils peuvent tout aussi bien viser le mariage civil «hétéro» tel qu’il est en vigueur actuellement. D’où l’hypothèse : le mariage civil, pour peu qu’on en développe le concept, se révèle non seulement profondément différent, mais encore contraire à la conception religieuse du mariage soutenue par les trois grandes religions monothéistes. Mais cette contrariété n’apparaît pleinement et ne saute aux yeux qu’avec le projet d’extension de cette institution civile aux personnes de même sexe. Tel sera le fil conducteur de mon propos. Je terminerai en m’attardant sur quelques points du commentaire de La Genèse que G. Bernheim, à la fin de son texte, avance à l’appui de son hostilité au « mariage homo».

1 - Des objections qui prouvent trop : quelques exemples

1.1 L’amour et l’égalité

Le grand rabbin commence par s’en prendre à la thèse qui met en avant l’amour que se portent deux personnes pour fonder sur cet amour leur prétention légitime au mariage. Il est vrai que cette thèse en faveur du mariage homo est à la fois très répandue et extrêmement faible. G. Bernheim n’a  guère de mal à la pourfendre :ce n’est pas parce que des gens s’aiment qu’ils ont systématiquement le droit de se marier, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.fait-il remarquer à juste titre - et de donner des exemples classiques : on ne peut pas épouser quelqu’un qu’on aime et qui est déjà marié, on ne peut pas épouser plusieurs personnes même si on les aime, etc. Et de conclure :au nom de la tolérance, de l’égalité, de la lutte contre les discriminations, on ne peut pas donner droit au mariage à tous ceux qui s’aiment. Bien sûr !

Mais ce qui est interdit aux hétéros ne sera pas davantage permis pour les homos. Par exemple on ne voit pas que le projet de loi installe la polygamie, l’article 147 du code civil pouvant s’appliquer, sans modification de rédaction, à une union entre deux personnes de même sexe. Il n’apparaît pas davantage qu’on projette d’abolir les prohibitions actuellement en vigueur, et on peut même conjecturer qu’une législation de mariage indifférent au sexe des conjoints étendrait et renforcerait ces prohibitions - j’y reviendrai. L’amour n’intervient dans tout cela que comme motif purement privé mais ne saurait justifier la transgression de la loi ni autoriser son assouplissement total. Et récuser ce motif d’amour ne revient nullement, comme semble le penser G. Bernheim, à écarter l’argument de l’égalité : car la revendication d’égalité n’a rien à voir avec l’amour, elle n’est pas renforcée au motif qu’on s’aime, pas plus qu’elle ne serait affaiblie au motif qu’on ne s’aime pas.

On peut vouloir se marier, que l’on soit hétéro ou homo, pour toutes sortes de raisons et la loi n’a pas à demander si on s’aime ou autres choses intimes, elle vérifie seulement que les conjoints remplissent les conditions légales pour se marier. Récuser l’argument de l’amour comme motif de mariage ne prouve en aucune manière qu’on doive maintenir comme l’une de ces conditions la différence de sexe des conjoints : c’est cela qu’il faudrait prouver et on revient donc à la case départ ! Et lever cette condition n’implique nullement qu’on doive lever les autres.

1.2  - Un homme et une femme avec succession des générations ?

Pour sortir de ce cercle, G. Bernheim avance sa propre définition du mariage qui va dès lors fonctionner comme une pétition de principe : elle admet en l’affirmant ce qu’il faut prouver. En effet, il définit le mariage commeinstitution de l’alliance de l’homme et de la femme avec succession des générations.Je suis bien d’accord sur le statut institutionnel du mariage qui n’est pas un simple contrat d’union civile(3) mais je ne vois pas d’obstacle à institutionnaliser cette alliance entre deux personnes de même sexe, avec les mêmes interdits et les mêmes obligations….

Quant à l’expression succession des générations on peut l’entendre en deux sens. Soit on entend par là que le mariage a pour objet de s’inscrire dans cette succession et d’y contribuer ; il s’agit alors d’une vision religieuse finalisée du mariage en vue de la succession des générations (par ex. la succession évoquée dans les généalogies de la Bible), vision qu’on ne peut imposer à personne, ni hétéro, ni homo, dans un Etat laïque. La naissance d’enfants au sein d’un mariage est considérée par la loi comme un élément factuel, sans doute normal, mais nullement nécessaire, élément qu’elle réglemente en partie, et non comme finalité ni comme objet du mariage. Soit on considère que la législation sur le mariage institue et réglemente l’alliance entre deux personnes en tenant compte de certains éléments relatifs à la succession des générations (ex : obligation de subvenir aux besoins des éventuels enfants, prohibition du mariage entre ascendants et descendants), ce que la législation en vigueur fait, et ce qu’elle pourra continuer à faire dans le cas de mariage entre personnes de même sexe.

1.3 - Structuration, différenciation et «brouillage des générations» ?

Puis viennent les arguments sur la structuration de l’enfant, la connaissance de sa généalogie, de la différence des sexes. Comme si un enfant vivait en vase clos et comme si les hétéros n’avaient pas de problèmes avec l’identification de leur propre différence sexuelle, ni avec la différence des sexes en général. Comme si avoir été élevé par un homme et une femme vous garantissait cette structuration et vous évitait le trouble profond qu’est la découverte de la différence sexuelle : cela se saurait ! Comme si grandir au sein d’un couple homo vous interdisait de rencontrer le trauma de la différence sexuelle, de connaître et de nommer vos ascendants, vos grands-parents, etc.

C’est alors que, dans le même moment où il brandit la différenciation, G. Bernheim propose à chacun de s’identifier à un modèle, paternel ou maternel selon son sexe, modèle qu’il s’agit de reproduire à l’identique:
L’enfant ne se construit qu’en se différenciant, ce qui suppose d’abord qu’il sache à qui il ressemble. Il a besoin, de ce fait, de savoir qu’il est issu de l’amour et de l’union entre un homme, son père, et une femme, sa mère, grâce à la différence sexuelle de ses parents.
N’a-t-on rien d’autre à proposer à un enfant, pour se différencier, que de ressembler à son père si c’est un garçon ou à sa mère si c’est une fille ? Il ne reste plus qu’à acheter un train électrique à l’un et une maison de poupée à l’autre ! on nage en plein immobilisme, en pleine reproduction sociale.

Puis arrivent la grosse artillerie et les grands mots :avec le mariage homo, le risque de brouiller la chaîne des générations est immense et irréversible.L’argument-choc se veut anthropologique: toute la maison humaine va s’écrouler. Ah bon ? G. Bernheim ignore-t-il que la législation actuelle du mariage n’impose aucune limite supérieure d’âge pour se marier, et n’impose pas non plus une différence minimale d’âge entre conjoints ? Pourquoi alors ne s’en prend-il pas à la législation en vigueur, qui permet (puisque ce n’est pas interdit) le mariage entre personnes de générations différentes, y compris entre générations non consécutives? Et si par chaîne des générations, il entend plus spécifiquement les relations entre ascendants et descendants, où a-t-il vu que le projet d’extension du mariage à des personnes de même sexe abolirait l’interdiction de se marier avec un ascendant ou un descendant ? La prohibition du mariage entre ascendants et descendants et entre certains collatéraux serait même étendue ipso facto puisqu’elle frapperait aussi ascendants et descendants du même sexe, et certains collatéraux du même sexe (par ex. mère-fille ; père-fils, frère-frère, soeur-soeur). (4)

Où est l’immense chamboulement des rapports entre générations susceptible de faire s’écrouler la civilisation en cas de mariage homo ? Ce prétendu chamboulement est déjà dans la loi qui réglemente le mariage civil actuel et qui permet bien des choses dont le grand rabbin devrait s’inquiéter !

1.4 - Il n’y a pas de « droit à l’enfant »

Le grand rabbin brandit un autre danger : les couples homosexuels, ne pouvant se féconder mutuellement, vont développer leur désir d’enfant sous la forme d’une revendication, celle d’un prétendu « droit à l’enfant ». Ils recourront aux techniques de procréation assistée, au mères porteuses, etc. Le problème est qu’ils ne sont pas les seuls…
Je suis entièrement d’accord avec G. Bernheim lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de «droit à l’enfant » et qu’il souligne la monstruosité de cette expression dans la mesure où elle revient à faire un objet d’un être humain. Mais c’est vrai pour tout le monde, comme il le dit aussi… donc cet argument ne vise pas spécifiquement le mariage entre personnes de même sexe, mais également (et sans doute encore davantage) le consumérisme de certains couples hétéros qui considèrent l’enfant comme un objet auquel ils auraient droit… Là encore l’argument est trop large et prouve trop.
Et c’est de plus l’occasion d’une contradiction : on ne peut pas à la fois soutenir d’une part qu’il n’y a pas de « droit à l’enfant », et soutenir d’autre part que le mariage s’inscrit dans l’horizon de la perpétuation, en considérant, avec des larmes de compassion, la stérilité comme un malheur et presque comme une infirmité. Beaucoup de couples qui recourent à la procréation assistée ou à une mère porteuse raisonnent de la sorte et considèrent en conséquence l’enfant comme un droit : forcément, puisqu’on ne cesse de leur répéter que l’enfantement est un devoir et un accomplissement à la fois de leur mariage et de leur personne (surtout pour les femmes !) - ce que la loi ne leur enjoint nullement.

De cette revue, il ressort que la plupart des objections avancées contre l’extension du mariage aux personnes de même sexe par G. Bernheim sont trop larges parce qu’elles peuvent être aussi bien objectées au mariage civil tel qu’il existe actuellement.

2 - Mariage civil et mariage religieux : une contrariété fondamentale. Le mariage civil n’est pas la sécularisation du mariage religieux

Ainsi le raisonnement de G. Bernheim n’est pas spécifique, et on peut s’étonner qu’il ne s’en prenne pas aussi au mariage civil tel qu’il est.
D’où la question : pourquoi le mariage tel qu’il est dans la législation française en vigueur ne le gêne-t-il pas alors qu’il avance des arguments qui devraient logiquement faire de lui un opposant à ce mariage ? Ou il raisonne de travers, ou il sait parfaitement ce qu’il dit. Je prends la deuxième hypothèse, bien sûr. Cela signifie que, tant que le mariage tel qu’il est permet d’accueillir sans trop de frictions le mariage tel qu’il le souhaite - c’est à dire une vision religieuse du mariage -, tant que le mariage civil ne montre pas vraiment son concept parce que les gens en restent à une pratique qui ne le révèle pas, ça peut aller, on ferme les yeux. Mais qu’apparaisse un élément qui en développe logiquement le concept au-delà des limites où on le croyait borné, et c’est la levée de boucliers. En réalité, le déploiement du mariage civil, à chacune de ses étapes, a suscité de violentes résistances de la part des tenants du mariage religieux.

G. Bernheim n’est pas le seul à soutenir cette position : tous les dignitaires religieux sont  à peu de chose près sur la même ligne, même s’ils ne la développent pas avec le soin qu’il y apporte. Ils consentent au mariage civil (que au fond ils détestent, à juste titre) tant que ça ne fait pas trop de vagues. Car ce qu’ils savent très bien, c’est que la législation française, en disjoignant mariage civil et mariage religieux depuis 1792, a en réalité fait du mariage civil non seulement un concurrent victorieux du mariage religieux (et cela les prêtres ne l’ont pas encore digéré) mais en a fait aussi, au fur et à mesure de son développement juridique, un contraire du mariage religieux. Mais tant que cela ne se voit pas trop et que les gens restent dans des limites « décentes », tant qu’on peut leur faire croire que le mariage civil est une sorte de sécularisation du mariage religieux, cela est acceptable.

Je dis que le mariage civil est sur le fond opposé au mariage religieux dans la mesure où rien, dans la législation actuelle sur le mariage, n’assigne de place spécifique aux époux selon leur sexe, et où rien ne destine même implicitement le mariage à la perpétuation d’une lignée : c’est prévu bien sûr, on règle par la loi les obligations des époux à l’égard de leurs éventuels enfants, on règle par la loi certains aspects de la filiation, mais on le fait a minima et c’est considéré comme un fait et non comme une finalité ni même comme une fonction du mariage. La loi ne dit pas aux époux qu’ils ont à fonder une famille, on n’interdit nullement les mariages entre générations même très éloignées, et la question de l’enfantement n’en est pas constitutive (alors que à ma connaissance et par ex. chez les chrétiens la fécondité, requalifiée en novlangue « ouverture à la vie », est un caractère du mariage), c’est juste une conséquence possible. Ajoutons aussi, petit détail, que le mariage civil n’est pas indissoluble : tout engagement à vie est contraire aux droits de l’homme. Et que cette dissolution, le divorce, est elle aussi un acte civil qui s’est vu progressivement dépouiller de sa connotation culpabilisante (sanction d’une « faute ») .
Pour aller jusqu’au bout de ma thèse, je dirai que la question de l’extension du mariage aux personnes de même sexe opère aujourd’hui comme un révélateur du concept de mariage civil, lequel se montre alors dans son irreligiosité.

La question du mariage homo agit comme révélateur parce qu’elle est un élément discriminant : c’est par elle que la contrariété entre mariage civil et mariage religieux apparaît aujourd’hui au grand jour. Elle est apparue jadis et naguère avec d’autres propriétés qui ont fini par se fondre dans le paysage et par ne plus trop préoccuper les clercs, qui ont fini par se plier. Mais il faut se souvenir des déplacements qu’ont été, par exemple, l’abolition de la clause d’obéissance pour la femme mariée et de son incapacité civile,  l’abolition du motif de «faute» pour le divorce, le droit égal pour chacun des conjoints d’administrer ses biens (droit de percevoir son salaire, d’ouvrir un compte en banque par ex.), le passage de l’autorité paternelle à l’autorité parentale, le droit pour la femme de recourir seule à la contraception et à l’ivg (5). Il faut se souvenir des résistances que ces avancées ont à chaque fois suscitées. C’est aujourd’hui la question de l’union entre personnes de même sexe qui, en poursuivant le déploiement du concept de mariage civil, devient la pierre de touche permettant de mesurer la profonde opposition entre mariage civil et mariage religieux : c’est elle qui soulève en conséquence la résistance des prêtres.

Ce n’est tout simplement pas la même vision du mariage. On le savait confusément. On se plaît parfois à penser que le mariage religieux vient se lover dans la législation civile du mariage en lui ajoutant quelques exigences d’ordre privé, ou symétriquement que le mariage civil serait le reflet sécularisé du mariage religieux, mais cette pensée me semble insuffisante. Les points de friction, jadis, naguère et aujourd’hui, montrent qu’il s’agit bien de deux conceptions non pas seulement disjointes ou dont l’une serait plus large que l’autre, mais fondamentalement opposées. Et depuis 1792, c’est la conception civile du mariage qui a progressivement triomphé, socialement et juridiquement, qui a fait plier les conceptions religieuses : on peut comprendre que les prêtres en prennent parfois ombrage et reviennent à la charge.

J’ai parlé de prêtres. Cela peut choquer certains s’agissant d’un rabbin, mais comment faut-il appeler le ministre d’un culte qui parle en l’occurrence ès qualités ? G. Bernheim le dit très clairement ; je ne le lui reproche nullement , mais je ne souscris pas au contenu d’un discours qui déclare :Ma vision du monde est guidée par la Bible et par les commentaires rabbiniques – ce qui ne surprendra personne. Concernant les sujets-clés de la sexualité et de la fliation, elle est fondée sur la complémentarité de l’homme et de la femme.La Bible n’est pas en l’occurrence simplement un texte d’étude et de méditation, ce n’est pas à ses yeux un texte mythologique à ruminer comme l’Iliadel’Odyssée ou Les Métamorphoses, mais c’est bien unguide moral et peut-être même juridique. Et pour la complémentarité de l’homme et de la femme, non merci ! Ce n’est pas entre l’homme et la femme qu’il y a complémentarité, mais entre les gamètes et la manière de porter l’embryon à terme.

Eh bien, il faut une fois de plus que les prêtres en prennent leur parti : une République laïque ne va pas chercher le fondement de sa législation dans la Bible ; elle ne s’autorise que d’elle-même. C’est sûrement un péché puisque c’est une déclaration d’autosuffisance. Cela ne signifie pas qu’on puisse faire n’importe quoi, et c’est pourquoi j’ai souligné que bien des interdits seraient explicités et renforcés dans l’hypothèse d’un mariage étendu aux personnes de même sexe.

Maintenant, mon argumentation ne prétend pas balayer d’un revers de main les questions qui se posent et qui ne manqueront pas de se poser au sujet de la parenté et de la filiation. Mais elles se posent déjà, de manière très aiguë, avec ce qu’on appelle les familles recomposées, les familles monoparentales, le recours à la procréation assistée, les mères porteuses, le trafic d’enfants, la conservation des gamètes au-delà de la mort des donneurs, les bébés éprouvette, et le développement inéluctable de l’ingénierie génétique va nous poser des questions très difficiles. Je ne pense pas que l’extension du mariage aux personnes de même sexe aggrave les difficultés qui de toute façon se présentent et se présenteront : elle s’y inscrit et la révèle.

3 - Epilogue : un commentaire de La Genèse

A la fin de son article, G. Bernheim propose une explication de texte de la Genèse sur laquelle j’ai envie de dire quelques mots. Elle est très belle, en effet : la sexuation est une leçon d’altérité, ancrée dans notre chair. Je suis entièrement d’accord, et d’accord pour dire qu’il serait fou, vain et préjudiciable de vouloir effacer cette altérité-là, mais il oublie qu’il y a des gens qui changent de sexe, réellement dans leur chair, et précisément en fonction de cette altérité : on peut s’en étonner, mais c’est une façon radicale, avouons-le, de reconnaître la différence - sur ce point la mythologie gréco-latine est d’ailleurs plus riche que la Bible ! Vouloir s’emparer de cette altérité, la réfléchir, supposer qu’elle puisse être socialement distribuée autrement qu’elle ne l’a été pendant quelques siècles et sur une portion du globe, ce n’est pas nécessairement vouloir l’effacer.

G. Bernheim accuse un peu plus haut dans son texte les homosexuels de projeter cet effacement, de vouloir la disparition de la différence sexuelle. C’est ignorer qu’il n’y a pas plus différent d’un(e) homosexuel(le) qu’un(e) autre homosexuel(le). C’est ignorer ensuite que si des êtres humains se posent explicitement la question de la différence des sexes ce sont bien les homosexuels, beaucoup plus que d’autres pour qui cette différence est de l’ordre de l’évidence, et c’est vrai aussi pour le désir d’enfant. Il faut aussi lire Freud et voir combien cette altérité-là n’est une donnée fixe que dans la mesure où elle fournit un terrain, un zonage sur lequel vont s’étayer toutes les perversions, selon une histoire personnelle et singulière que le sujet ne contrôle pas mais qui est contingente, et non selon une nature et pas davantage selon une téléologie fixée uniformément pour chaque sexe par un dogme religieux. Est-ce de l’artificialisme ? Non car je ne pense pas qu’on puisse manipuler ces contingences de manière purement technique, elles s’installent à l’insu du sujet et viennent le tourmenter. Et il n’existe aucune sexualité humaine qui ne soit perverse.

Ce que dit ensuite G. Bernheim pourrait très bien s’accorder avec la théorie freudienne, puisqu’il souligne que dans le récit de la Genèse, la sexuation n’est mentionnée que pour l’homme et pas pour les animaux : je trouve que c’est une idée très profonde. Mais il verrouille aussitôt ce que cette remarque a d’énigmatique et de troublant, ce qu’elle comporte de vacillement s’agissant de la sexuation, pour l’interpréter en termes de dualité fixe et distributive (la sexuation humaine se réduirait à deux sexes clairement distingués, et on invite chacun des sexes à camper sur sa spécificité, on évacue tout trouble quant à cette distinction, on assigne à chacun une destination). Je cite :c’est précisément dans la relation d’amour, qui inclut l’acte sexuel par lequel l’homme et la femme « deviennent une seule chair », que tous deux réalisent leur finalité propre : être à l’image de Dieu(6).Cette altérité, reconvertie en dualisme téléologique sans bavure et sans équivoque, devient alors une destination, la complémentarité de l’homme et de la femme étant inscrite dans l’ordre créé par Dieu et la rencontre de l’homme et de la femme étant une manière pour l’humanité de réaliser l’Un. Je cite :C’est dans leur union à la fois charnelle et spirituelle, rendue possible par leur différence et leur orientation sexuelle complémentaire, que l’homme et la femme reproduisent, dans l’ordre créé, l’image du Dieu Un.Ouf ! laissez-moi respirer ! on peut relire aussi Le Banquet et avoir le droit d’envisager cette affirmation comme une hypothèse parmi d’autres? Et puis qu’on nous lâche un peu avec l’Un et l’amour fusionnel. Qu’on nous lâche un peu avec ce terrible dieu du monothéisme ! On a le droit d’être épicurien et de penser qu’il faut se tenir à bonne distance de toute divinité.

On peut donc objecter bien des choses au mariage homo, et il n’est pas étonnant que la résistance soit exprimée principalement par des dignitaires religieux : c’est leur travail ! Encore faut-il qu’ils le fassent avec soin et exigence intellectuelle, comme c’est le cas du grand rabbin Bernheim et qu’ils ne s’en tiennent pas à de simples anathèmes ou (pire ?) à des déclarations purement médiatiques. Mais ces objections, lorsqu’on les examine, frappent pour la plupart aussi bien le mariage civil jusqu’alors réservé aux hétéros. J’en conclus que le centre de la cible, à travers des objectifs intermédiaires qui ont évolué (divorce, contraception, égalité des conjoints dans le mariage, etc., et aujourd’hui le mariage homo) n’a pas varié : c’est le concept même de mariage civil qui est visé, mariage civil qu’on aurait tort de réduire à une sécularisation du mariage religieux.

Le seul point fort des résistances religieuses n’est autre… que leurs propres doctrines et leurs propres dogmes, et la manière dont elles verrouillent l’interprétation de grands textes mythologiques dont elles revendiquent l’exclusivité. Or ces grands textes sont un bien commun à tous, croyants et incroyants. Leur lecture critique peut s’enrichir, bien sûr, des commentaires d’un rabbin, d’un curé, d’un pasteur, d’un imam, pour peu qu’ils les aient médités. Mais de là ne suit pas qu’on doive s’interdire l’étude critique d’un corpus au prétexte que certains le déclarent « sacré » et qu’ils en revendiquent l’interprétation exclusive. Les grands textes sont un bien commun et sont placés dans l’espace critique universel tout simplement parce qu’ils font penser. S’agissant plus particulièrement de mythologies, ces textes, en véhiculant une charge symbolique millénaire, ont une puissante vertu d’équivocité. Souligner leurs énigmes, ce n’est pas les abaisser, mais accroître leur richesse sans s’agenouiller devant eux. On peut donc les récuser commeguides sans pour autant les écarter comme objets et aliments de pensée.
© Catherine Kintzler, 2012

Notes   [cliquer sur le numéro de la note pour revenir à l’appel de note]

1 - Par commodité, j’utiliserai  souvent l’expression couramment reçue de «mariage homosexuel» ou pour aller plus vite de «mariage homo», bien que je considère cette expression comme inappropriée (voir les raisons dans cet article). Je remercie Edith Fuchs qui a attiré mon attention sur le texte de G. Bernheim, et qui m’a proposé des remarques stimulantes. Je remercie également Jean-Claude Milner pour ses avis éclairés, et pour m’avoir encouragée à présenter l’idée d’une contrariété entre mariage civil et mariage religieux.
2 - Version intégrale en téléchargement : cliquer ici. Version abrégée sur le site du Figaro . Pour un autre point de vue critique sur le texte de G. Bernheim, voir l’article de Franck Jaoui (Le Monde du 26 octobre).
3 - Voir les publications de Mezetulle sur l’affaire de la virginité en 2008 : http://www.mezetulle.net/article-20265232.html et http://www.mezetulle.net/article-20259636.html
4 - C’est ce que fait actuellement le pacs, et ce que prévoit le projet de loi.
5 - Sur ces avancées, il existe de nombreuses études, voir notamment Gilbert Legay, Droits des femmes, une histoire inachevée. Chronologie et perspectives, éd. Civilia, 2012.
6 - On remarquera que ce passage peut très bien s’appliquer au viol, il suffit au violeur de dire «j’ai fait ça par amour» - ce qui du reste est souvent profondément vrai, car l’amour peut aussi être une violence, il peut être meurtrier, et comme le dirait Spinoza chacun aime selon sa propre complexion.

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Enseigner la morale laïque à l’école ?

par Jean Riedinger
Secrétaire de l'Observatoire Chrétien de la Laïcité

 

Cet article concerne le débat sur l’introduction de la morale laïque à l’école, débat que nous avons également évoqué dans cet article : Laïcité : Pas de sermons à l’école, davantage d’instruction, M. Peillon ! NDLR

1°) Il n’y a pas à proprement parler de morale laïque. La laïcité consiste précisément à respecter la diversité des consciences, des croyances et des convictions et non à imposer un système de valeurs unique et imposé par le Pouvoir politique. Elle se réalise par l’ensemble des dispositions juridiques qui ont pour fonction la séparation de l’État démocratique et des institutions de conviction (notamment religieuse), la liberté de conscience et d’expression individuelle et collective, l’exercice libre des cultes dans le respect de l’ordre public. Ne reconnaissant officiellement aucun culte l’État n’en subventionne aucun. Tels en sont les principes de base.

2°) En tant qu’il est responsable de l’Éducation Nationale, l’État est amené à se préoccuper de l’éducation du citoyen. De ce point de vue, la famille sans être ignorée de l’institution scolaire est seconde . L’école est un des lieux où l’enfant poursuit pour ainsi dire la rupture du lien ombilical, apprend à vivre sa liberté dans un cadre social plus vaste que sa famille et trouve les instruments de sa pensée personnelle et de ses choix de vie. Elle doit permettre l’accouchement d’une conscience citoyenne.

  • a) L’éducation nationale comporte des données d’ordre disciplinaire (scientifiques, linguistiques, artistiques, sportives… etc.) pour lesquelles l’État définit des programmes, des cursus… etc. Les établissements publics et privés ( y compris hors contrat) sont soumis au respect de ces programmes.
  • b) L’éducation du citoyen inclut également l’apprentissage de principes et de règles dont la finalité consiste à favoriser le vivre ensemble humainement des élèves entre eux, mais aussi établit la pratique des rapports entre élèves et enseignants et réciproquement, dans le cadre d’une société interculturelle et interconvictionnelle. Cet enseignement à la citoyenneté, ou éveil de la conscience, ne doit pas être qualifié de laïque, mais de républicain ou de citoyen.

L’OCL propose que cet enseignement à la citoyenneté et cet apprentissage ne soient pas dispensés de façon théorique et abstraite (maxime à apprendre par cœur, leçon-sermon de « morale »…) et ne se réduisent pas à une éducation civique — utile par ailleurs — concernant la connaissance des « institutions » et de leur fonctionnement, mais se fasse à partir des faits de vie et principalement des rapports humains vécus dans l’école (la cour, la salle de classe, la cantine, le gymnase… etc.) ou rapportés par les élèves à partir de leur expérience concrète de vie en famille ou dans la rue… etc. Ces expériences vécues concernent tantôt des actes destructeurs d’humanité dans les échanges physiques, verbaux, les comportements, les attitudes, tantôt des actes créateurs de liens humains positifs et épanouissants. Cet enseignement implique aussi l’apprentissage de la démocratie dans le cadre même de l’institution scolaire. Ces expériences sont la matière de l’échange éducatif. Bien entendu, les enseignants doivent être formés et aidés, notamment sur le plan méthodologique, pour exercer et jouer ce rôle éducatif que beaucoup d’entre eux pratiquent dès à présent à l’occasion des problèmes humains qu’ils rencontrent dans leur vie professionnelle.

3°) Pour que cette éducation puisse se justifier de façon universelle, il lui faut sur le plan national un référent universel. Celui-ci dans l’état actuel des choses nous semble être — pragmatiquement et historiquement — la déclaration universelle des droits de l’Homme1 , déclaration dont on connaît l’origine humaine historique, à l’ONU, en 1948, et le caractère nécessairement évolutif en fonction de développement même des civilisations démocratiques.

Cette démarche éducative est donc difficile et complexe dans la pratique. Mais elle est absolument indispensable. Elle engage un effort tant de la part des enfants que des enseignants, car elle va souvent aller à l’encontre des modèles sociaux dominants. Sont à dénoncer alors les idéologies égocentriques, les pratiques inhumaines du système économique,le rôle localement puissant des mafias, la pression en d’autres lieux des religions intégristes… etc. qui s’opposent fortement à cette éducation du respect des droits de l’homme. Elle doit faire prendre conscience par exemple que tout droit implique des devoirs et que par exemple le respect qui m’est dû, je le dois également aux autres.

4°) L’école (les enseignants et les personnels d’éducation en général) n’a pas de réponse dogmatique à apporter aux questions des enfants concernant les fondements religieux ou philosophiques du sens de la vie. Mais elle doit aider les enfants à les connaître dans leur diversité socio-historique et actuelle pour éviter d’enfermer leur liberté dans un seul paradigme et les aider à vivre collectivement cette diversité dans le respect de l’humanité, l’égalité et l’éducation de la liberté de choix de chacune et chacun. Cette éducation vise à créer les conditions qui permettent effectivement de vivre ensemble en êtres humains égaux et divers sans former de clans, de groupes identitaires… et finalement de façon non violente  .

C’est pourquoi cette morale s’impose également et avec les mêmes exigences humanistes dans tous les établissements scolaires publics ou privés.

Des établissements confessionnels (catholiques, mais désormais aussi de plus en plus musulmans… etc.) ne sauraient se dispenser de cette démarche républicaine, citoyenne et humaniste sous prétexte d’un caractère propre qui impliquerait des approches morales religieuses exclusives et particulières suscitant ainsi les germes du communautarisme identitaire.

  1. La Déclaration universelle des droits de l’Homme : Adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par l’Assemblée Générale des Nations Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, bien qu’elle ne présente pas a-priori de caractère contraignant, est considérée comme une référence internationale fondamentale dans le domaine des droits de l’Homme. Sa force normative tient notamment au fait qu’en 1966 l’Assemblée Générale a adopté deux traités qui en reprennent le contenu : le Pacte des droits civils et politiques et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels. Ces Pactes, assortis de mécanismes de contrôle de leur respect, ont été très largement ratifiés par les Etats-membres des Nations Unies : respectivement 154 et 151 ratifications, la France y ayant procédé en 1980.La Conférence internationale des droits de l’Homme tenue à Téhéran a proclamé, le 13 mai 1968, « la Déclaration universelle exprime la conception commune qu’ont les peuples du monde entier des droits inaliénables et inviolables inhérents à tous les membres de la famille humaine et constitue une obligation pour les membres de la communauté internationale. » D’autre part, certains pays, comme la France, lui ont reconnu une valeur de référence pour les juridictions suprêmes. []
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Obama, Madonna et nous

par Marième Helie Lucas
http://www.siawi.org

 

Je fus absolument ravie quand Madonna traita Obama de « musulman noir » [1] ; elle lui rendait ainsi, quoique bien involontairement, la monnaie de sa pièce, pour le discours du Caire dans lequel il avait osé étiqueter « musulmans » tous les habitants du Moyen Orient, c’est-à-dire tous les libres-penseurs, agnostiques, athées, bouddhistes, chrétiens, juifs, etc… qui sont citoyens de ces pays.
Une « erreur»pour laquelle nous attendons toujours ses excuses – alors que Madonna, elle, eut la grâce de prétendre qu’elle ne faisait que plaisanter mais qu’en fait elle avait toujours su qu’Obama n’était pas vraiment musulman…
Je ne ferai aucun commentaire sur l’ignorance actuelle de ce qu’ont été les « Musulmans noirs ». Je ne rappellerai pas l’inoubliable, la formidable figure politique que fut Malcom X ( et la distance qu’il dut finalement prendre par rapport aux éléments réactionnaires – devrais-je dire fondamentalistes ? - de son parti), une figure qui a inspiré tant de luttes des opprimés dans le monde.
Mais examinons un moment les raisons de la confusion. Obama a été étiqueté « musulman » pour la raison que l’un de ses prénoms est Hussein. Et, n’est ce pas, comme nous le savons tous, c’est un prénom arabe, et comme tous les arabes sont musulmans et tous les musulmans sont… Non ! Je ne le dirai pas ! les Républicains seraient capables de me citer ainsi que Madonna, et de traiter Obama de… terroriste.
Mais, vraiment, Obama devrait réfléchir sur cette façon de coller automatiquement des étiquettes religieuses, à laquelle il a lui même succombé, à notre détriment, il n’y a pas si longtemps. Il devrait se rendre compte que ce qui lui est arrivé avec Madonna est exactement ce qui nous arrive tout le temps, et comprendre pourquoi nous devons sans cesse combattre ces labels erronés. Il s’agit là d’un véritable déni de notre liberté de pensée, de notre liberté de conscience.
Malheureusement, c’est aussi exactement ce que font les tyrans que sont les intégristes musulmans, les GIA, FIS, talibans, El Qaida, AQMI et autres : ils nous contraignent à une identité religieuse ; et en plus ils redéfinissent la religion, ses règles et ses rituels, - du vêtement des femmes à la façon de prier ou d’enterrer les morts. Et ils imposent ces règles supposées religieuses qu’ils viennent juste d’inventer.
C’est pourquoi la pire chose que fit Obama en nous étiquetant tous musulmans n’est pas de nous dépouiller de nos droits humains les plus fondamentaux, mais en fait de renforcer l’idéologie des fondamentalistes musulmans, de lui donner des lettres de noblesse, et de les conforter dans leur prétention que  quiconque né dans une famille ou dans un pays qui se déclare musulman soit automatiquement un croyant de l’islam.
Si l’on considère que le fait de renoncer à l’islam (ou aux règles qu’ils édictent en son nom) implique aux yeux des fondamentalistes l’obligation d’exécuter une condamnation à mort – comme hier encore nous le rappelait la tentative d’assassinat perpétrée au Pakistan sur l’adolescente défenseure des droits humains Malala –, il faut vraiment espérer qu’Obama ne parlera plus aussi à la légère, la prochaine fois qu’il visitera l’un de nos pays.
Aucune foi ne saurait être induite de notre lieu de naissance, ni du prénom donné à la naissance par nos parents. Obama, chrétien prénommé Hussein, est bien placé pour le comprendre.
Quant à nous libres-penseurs, la seule identité que nous nous reconnaissons est celle d’humains et de citoyens ; nous n’avons pas besoin d’une étiquette religieuse supplémentaire.
Mes remerciements les plus sincères à Madonna pour avoir soulevé une question si cruciale, et tellement d’actualité.

[1] Le 26 septembre 2012, la pop star Madonna soutint publiquement la candidature d’Obama lors d’un concert qu’elle donnait à Washington, DC, le présentant comme musulman noir : http://rt.com/usa/news/madonna-obama-house-president-978/

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La nouvelle donne Arabe et/ou musulmane

par ReSPUBLICA

 

Alors que les organes de presse et les appareils militants d’opinion se prélassaient dans un choix nauséabond, savoir s’il était préférable d’avoir une dictature ou d’avoir un Etat théocratique, le « printemps arabe » fait voler en éclats cette prison intellectuelle détestable.
Alors que les organes de presse et les appareils militants d’opinion se prélassaient dans un choix nauséabond, savoir s’il était préférable d’être du côté des impérialistes néolibéraux ou du côté des intégrismes culturels, le « printemps arabe » fait voler en éclats cette prison intellectuelle détestable.
Oui, nous sommes pour le double front, celui qui s’oppose au capitalisme aujourd’hui, cause des malheurs humains, et en même temps aux communautarismes et intégrismes de toute nature.
Pas parce que nous défendons une nouvelle esthétique du discours mais parce ce que c’est la réalité matérielle sur place dans les pays arabes et/ou musulmans. Pas deux camps mais trois! Voilà la nouvelle donne arabe et/ou musulmane. Nous le savions déjà depuis longtemps mais les nouveaux évènements nous donnent du grain à moudre. Notre Réseau a déjà répondu positivement à des demandes de conférenciers en Algérie et au Sénégal. Respublica donnera de plus en plus la parole à nos amis du double front luttant contre l’impérialisme étasunien et le néo-impérialisme ordolibéral européen, voire aussi contre d’autres néo-impérialismes naissants. Tiens, tiens, ne serait-on pas dans une période de tension entre impérialismes. Cela nous rappelle quelque chose….
Analyse concrète d’une situation concrète, bonjour !

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Des signes positifs en Syrie

 

1/ Déjà à la tête de la coalition des forces laïques créée en septembre 2011, par plusieurs diasporas et partis syriens établis à l’étranger, Randa Kassis vient d’annoncer la fondation d’un nouveau parti politique laïque : le Mouvement de la société pluraliste. Cette opposante au régime est psychologue et anthropologue des religions de formation. Se démarquant du Conseil National Syrien, le nouveau parti veut faire tomber le régime de Bachar el-Assad pour ensuite partager le pouvoir avec les islamistes modérés. Lire http://www.lesinfluences.fr/Randa-Kassis-une-psy-pour-Damas.html

2/ Les Comités Locaux de Coordination en Syrie ont diffusé le 28 octobre un communiqué pour réclamer la remise en liberté immédiate de Fida Itani. Journaliste au quotidien libanais Al-Akhbar et à la chaîne de télévision LBCI, il est maintenu en « résidence surveillée » par une unité de l’Armée Syrienne Libre qui désapprouve certains de ses articles. Si la liberté d’expression figure bien en tête des raisons du soulèvement contre le régime de Bachar el-Assad, il est encourageant de voir que son respect est exigé parmi les opposants et que sont dénoncées les « exactions » de certaines brigades.

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Mortelle austérité en Grèce

 

Un article du New York Times du 24 octobre nous apprend que près de la moitié des 1,2 million de chômeurs de longue durée en Grèce n’ont pas d’assurance maladie. En effet, du fait d’un accord signé en juillet 2011 avec les « financeurs » du déficit, l’assurance maladie grecque ne rembourse plus rien à ceux qui sont sans emploi depuis plus d’un an.Cet accord s’applique à toutes les maladies,et le patient doit payer pour l’ensemble des médicaments, des interventions, des hospitalisations ou soins courants, ce qui peut représenter plusieurs dizaines de milliers d’euros pour une personne atteinte de cancer par exemple. Cette situation scandaleuse que tentent de pallier des initiatives caritatives relègue les citoyens d’un pays européen à un niveau de précarité qu’on ne pouvait soupçonner – et les prochains plans d’austérité prévisibles pourraient agraver encore cet état de fait.
Comment se fait-il qu’il soit fait silence sur ce drame sanitaire dans un pays dont des représentants siègent auprès des nôtres dans un Parlement commun ?