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ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine

n°588 - lundi 28 avril 2008

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1 - chronique d'Evariste

1 - De la République... à l’Empire

L’habit de fait pas le moine pourrait-on dire suite à l’entretien télévisé de ce jeudi 24 avril 2008. Et de fait, le travestissement des formes n’y change rien, Nicolas Sarkozy reste le président qui détruit la République. Pourtant tout a été fait pour séduire : apparat des décors, cadre solennel, jeu d’acteur et tentative de réinvestissement du costume traditionnel de président... il serait faux de dire que le président pétainiste n’a pas fait des efforts pour « changer la donne ».

Mais hélas, en matière de donne, c’est bien exclusivement de la sienne dont il s’est préoccupé, et non celle des individus vivant sur le sol de ce pays. Car sous le fard de l’apparat, le message délivré est limpide : rien ne sera changé. Pire ! En se réinstallant dans une posture présidentielle, le sarkozysme propose une confusion encore plus grande dans les valeurs de la République et, de ce fait, participe encore plus activement à la destruction de ces valeurs.
Ce principe de destruction, ce travail de sape, contribue toujours davantage à vulgariser les valeurs républicaines ; c’est à dire à la vider de leur sens, à les rendre confuses, imprécises, à faire en sorte que les individus puissent y voir tout et n’importe quoi. À l’évidence, « les valeurs républicaines » ne voudra plus rien dire, ne présentera plus aucun repère, ne tracera plus aucune ligne idéologie forte sur laquelle il serait possible de s’appuyer. Cette vulgarisation éthique, cette attaque du savoir, signe toutes les périodes de décadence politique depuis l’effondrement de la Rome républicaine jusqu’à l’avènement de la France de Vichy. En ce sens, Sarkozy est à combattre, non pas uniquement comme un ennemi politique, mais avant tout comme un ennemi culturel et éthique. Les lignes éthiques, «  la sienne  » et «  la notre  », ne sont pas même opposées, elles sont orthogonales.

Un travail de surface

Le discours du président était clair : augmentation de la durée de cotisations à 41 ans pour la retraite à taux plein, suppression effectives des postes dans l’enseignement, pas de régularisation globale des travailleurs « sans-papiers », mesures superficielles pour le pouvoir d’achat, et toujours « travailler plus pour gagner plus » (sans préciser s’il s’agit bien de la même personne qui travaille plus... et qui gagne plus !). Et la critique pourrait sans peine s’en tenir là. Elle serait conforme à l’usage politique dans un monde où la politique devient de plus en plus une affaire superficielle et reléguée aux calculs électoralistes (dans lesquels se sont engouffrés Mme Royale et M Fabius, mettant en évidence une fois de plus la médiocrité politique des dirigeants du PS).
La vulgarisation des idéaux républicains menée par le sarkozysme contribue à rendre floue toute fondation sur laquelle appuyer une politique. Le problème est que la gauche ne dispose plus d’une ligne éthique forte, c’est à dire d’une assise sur laquelle fonder des analyses et un projet alternatif. Car penser et concevoir une politique ne se fait pas sans rien. Il faut des idées claires, précises, reliées les unes aux autres par des articulations logiques fortes (par exemple Respublica a toujours présenté une ligne claire et cohérente de ce qu’est le principe de laïcité). Sur une base éthique claire – précisant ce qu’est la culture, ce qu’est une richesse, ce qu’est une valeur marchande, ce qu’est un individu – il est alors possible d’élaborer un projet global comme la République. Sarkozy est un acteur pétainiste au sens où il mine cette base rendant ainsi impossible la réflexion politique des citoyens.

Au delà de la politique, il y a l’éthique

Que disent « éthiquement » les propos de Nicolas Sarkozy ? L’augmentation de la durée de cotisation fait fi de toutes les données concernant notre société : l’emploi des seniors est de 54 % pour les plus de 55 ans, et de 13 % pour les plus de 60 ans. Or, seuls ceux qui travaillent peuvent cotiser, et allonger la durée de cotisation prend alors un tout autre sens : réduire les pensions. A cela vient s’ajouter la baisse des remboursements de santé par notamment le système des franchises médicales. De telles mesures vont conduire à une augmentation de la misère. On assiste donc à une absence de redistribution des valeurs marchandes. Or, cette redistribution permet une création de richesses qui n’ont rien de monnayables, car il s’agit de véritables richesses. La réduction de la misère, l’assurance d’être soigné convenablement, l’assurance de pouvoir profiter d’une retraite méritée, tout cela contribue à la réduction de la tension sociale, à l’apaisement, à la vie sereine des individus, c’est à dire des gens qui composent la société. Cette tranquillité, cette assurance et cette paix qui permettent le développement, voilà une richesse que le libéralisme n’introduit jamais dans ces comptes de valeurs marchandes. Toute l’installation du libéralisme sur le plan culturel et éthique (c’est à dire comme « évidence » normale et naturelle) repose sur l’indistinction entre ce qui est une « richesse » et une « valeur marchande monnayable ». Or rien n’est plus faux ! La totalité du Pacte Républicain repose précisément sur la distinction claire du fait qu’une richesse n’est pas une valeur marchande et que c’est la redistribution des valeurs marchandes qui permet la création et le développement des richesses.

La suppression des postes dans l’enseignement en est un autre exemple. Sous prétexte de réduction des coûts, de rentabilité, d’efficacité comptables (c’est à dire sur le plan des valeurs monnayables), les moyens d’instruction sont amputés. Or l’éducation nationale œuvre à armer des individus qui seront avant 15 ans appelés à être des acteurs dans ce pays. Cette réduction de moyens, à travers le nombre d’enseignants et de classes, va se traduire directement par une amputation du capital culturel reçu par chaque élève, en terme de savoirs théoriques mais aussi en terme d’expériences sociale (un enfant ne grandit pas de la même manière dans une classe surchargée ou dans une classe tranquille, il n’a pas la même expérience de la socialisation dans un établissement soumis à des tensions ou dans un établissement où règne un climat paisible). Les conséquences en terme d’agressivité ou de tranquillité des rapports sociaux, de facultés à travailler et créer, de capacités à s’investir dans un projet et à faire confiance aux autres individus-citoyens, tout cela constitue autant de richesses qui vont être directement impactées par cette économie des valeurs, la seule que reconnaisse le libéralisme, la seule qu’il impose à grand renfort de média. Le libéralisme est triomphant parce que cette manière de parler des richesses est devenue anecdotique : il a réussi à effacer jusqu’à la conception même de ce qu’est une richesse. Richesse et valeur ne font plus qu’un. Notre lutte est fondamentalement culturelle et éthique.

Dernier point, presque caricatural : la régularisation des travailleurs sans-papiers. Tout le monde a noté l’amalgame fait par Nicolas Sarkozy entre « naturalisation » (obtention de la nationalité française) et « régularisation » (obtention des papiers autorisant à travailler légalement en France). Impossible de s’arrêter au simple calcul électoral visant les électeurs du Front National. En période de crise, toujours la droite a fait alliance avec l’extrême droite. Aujourd’hui, le nom de cette alliance s’appelle le « sarkozysme », et en cela on reconnaît qu’il s’agit bien d’un pétainisme. La peur redevient l’argument subordonnant toute réflexion politique. Le cerveau ne sert à rien, la mœlle épinière suffit, voilà les pseudo-citoyens dont rêve tout pétainisme. Sur le plan éthique, imposer une distinction entre les employés français (« normaux ») et les employés sans-papiers (de fait « a-normaux ») fait passe pour une évidence ce qui est une orientation politique nationaliste. De ce point de vue, cette sous-catégorisation d’une partie des gens vivant sur le sol de notre pays vise, d’abord, à diviser des individus qui, de part leurs conditions de vie (tous travaillent pour vivre), sont susceptibles de se reconnaître solidaires. Ensuite, cette vision nationaliste détruit toute une partie de la richesse française qui peut s’enorgueillir d’être pluriculturelle de part les vagues d’immigration qui ont fait son histoire et ont construit la tradition de ce pays depuis deux millénaires. La laïcité française est le contraire d’un hasard. Elle émane d’un héritage, d’une richesse, que tous les nationalismes visent à détruire. N’oublions jamais que le libéralisme a besoin de murs pour séparer les individus, c’est à dire pour les dominer, pendant que ses capitaux, eux, sont libres d’aller et venir pour que son économie des valeurs marchandes pille et détruise les richesses.
Pour cela, le libéralisme combat jusqu’à l’idée même de richesses, et dans cette œuvre, le pétainisme d’un Sarkozy est son meilleur allié.

Évariste Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

2 - école publique

1 - Non aux suppressions de postes. Pour une école publique digne de ce nom

Signer la pétition

Nous, parents, élèves et étudiants, enseignants, citoyens, nous appelons à renforcer le mouvement populaire d’opposition à la suppression de 11 200 postes dans l’Éducation Nationale, annoncée par le ministre Xavier Darcos.

En effet, on ne peut justifier cette suppression en disant que l’encadrement moyen en France est de 10,5 élèves par enseignant : il existe des classes à effectifs réduits, des dédoublements, des groupes de soutien. Faut-il les supprimer ? Peut-on par ailleurs étudier et enseigner efficacement dans des classes surchargées ? Encore une fois, ce seront les élèves les plus en difficulté, scolairement et souvent socialement, qui en feront les frais.

Et on ne peut pas répondre que ces suppressions de postes seront compensées en heures supplémentaires. Outre que, dans l’Éducation Nationale, les heures supplémentaires sont mal payées et qu’on entend donc obtenir des enseignants qu’ils travaillent plus pour gagner moins, les enseignants ont besoin de temps libre pour préparer efficacement leurs cours et corriger leurs copies.

En fait, on sait que cette réduction est destinée à être suivie d’autres réductions dans les années à venir, qui enlèveront à l’enseignement public encore de son efficacité. Quand le quantitatif devient aussi désastreux, il ne peut que nuire à cette qualité que le ministre prétend viser.
On sait aussi que ces coupes sombres doivent aller de pair avec un nouveau dégraissage dans les horaires d’enseignement. En témoigne déjà la réforme des lycées professionnels dont les élèves, très souvent en difficulté, n’auront que trois ans au lieu de quatre pour préparer un bac pro, sans avoir à mi-parcours l’acquis d’un BEP. Cela en découragera un grand nombre et dévalorisera le bac pro : ainsi le ministre, prétendant élever le niveau des qualifications, travaille à le faire baisser.

En témoignent aussi les projets annoncés de réforme du lycée général et technique, avec réduction d’horaires et coupes sombres sur les options, dans la continuité aggravée des décennies passées.

Le ministre affecte par ailleurs de vouloir ramener l’école à sa fonction d’instruction, avec des programmes clairs, simples, axés sur des contenus consistants et laissant liberté pédagogique aux enseignants. C’est ce que nous réclamons depuis longtemps. Mais que valent ces effets d’annonce quand les moyens sont encore diminués ?

On ne peut pas devenir plus savant avec moins d’heures d’enseignement. Ainsi la suppression des heures du samedi matin dans le primaire est scandaleuse. Elles seront, nous dit-on, remplacées par des heures de soutien, c’est-à-dire pour remédier aux dégâts précisément causés par la réduction des heures !

Par exemple, à l’heure actuelle un élève sortant du collège a reçu depuis le début de sa scolarité 800 heures de français de moins qu’en 1976. Il importe de revenir à des horaires substantiels, notamment dans les disciplines fondamentales, mais aussi dans toutes les disciplines à vocation générale qui concourent à former l’homme et le citoyen. Ces horaires d’enseignement, (comprenant les travaux dirigés faits en classe sous la conduite du professeur), ainsi que des horaires supplémentaires de soutien et d’étude, sont particulièrement nécessaires pour préserver le droit à l’instruction de ceux qui ne sont pas aidés par leurs familles ou portés par leur milieu.

On peut certes espérer que de meilleurs programmes et des pédagogies plus efficaces centrées sur les contenus disciplinaires améliorent à terme le niveau des élèves, sous réserve que les moyens nécessaires soient mis en œuvre Mais en attendant qu’ils produisent leurs effets, il est nécessaire de panser les plaies pour ceux qui sont déjà engagés dans le cursus scolaire : les cours, les heures dédoublées, les options, le soutien leur sont doublement indispensables.

Moins que jamais, par conséquent, il ne peut être question de procéder à des coupes sombres dans l’Éducation Nationale. Celles qu’on nous annonce ne sont qu’une étape, après d’autres, dans le processus de marchandisation de l’éducation prévu par l’Accord Général sur le Commerce des Services : il s’agit de vider le service public d’enseignement de son contenu, renvoyant les élèves dont les parents en ont les moyens vers des officines de cours complémentaires (financées à 50 % par l’État via les réductions d’impôt !) ou vers des établissements privés.

Par le Secteur Ecole de l’UFAL

Premiers signataires: Bernard TEPER (Président de l’Ufal), Marie PERRET (Secrétaire nationale de l’Ufal - responsable du secteur école de l’Ufal), Catherine KINTZLER (Philosophe), l’association Sauver Les Lettres, Rachel Boutonnet (auteur de Journal d’une institutrice clandestine) et Jean-Marie KINTZLER (professeur de philosophie honoraire)

Signer la pétition

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Le Secteur Ecole De L'UFAL www.ufal.info/media_ecole/index.htm

2 - Le gouvernement encourage les écoles privées catholiques à s’implanter en banlieue

C’est une nouvelle qui pourrait bien rallumer la guerre scolaire. Le gouvernement déshabille l’école publique pour mieux aider l’école privée catholique à "évangéliser" les banlieues. Sitôt révélé par le site Mediapart, le projet d’un fonds spécifique destiné à encourager l’implantation de lycées privés catholiques dans les quartiers populaires a mis les laïques et les enseignants sur le pied de guerre.

Le projet fait tache alors que lycéens et professeurs se mobilisent contre la suppression à venir de plus de 11 000 postes d’enseignant dans le public, notamment dans les ZEP. D’autant qu’en principe l’aide publique attribuée aux écoles privées ne peut augmenter si celle accordée à l’école publique augmente, selon la règle coutumière des 80/20 (80 % au public et 20 % au privé).

Il est pourtant dans les cartons depuis le plan « Espoir banlieues », qui prévoit d’« encourager la contribution de l’enseignement privé à l’égalité des chances ». Et comme 80 à 90 % de l’enseignement privé est catholique, suivez mon regard… Le gouvernement voudrait voir « cinquante nouvelles classes » de ce type en banlieue. C’est officiel, l’« espoir en banlieue » s’appelle donc « espérance » et sera porté par le religieux. C’est confirmé, Nicolas Sarkozy préfère le curé à l’instituteur. Et puis, il en est persuadé : l’enseignement privé catholique civilisera « les racailles ». Emmanuelle Mignon, son cerveau catholique, l’un des auteurs du discours de Latran et des propos malheureux sur le « non-problème » des sectes, n’y est pas étrangère. Dès 2006, lors d’une convention de l’UMP, elle plaidait pour que les « familles de banlieue puissent bénéficier du savoir-faire des établissements catholiques et d’un vrai choix entre école privée et école publique ».

Le gouvernement semble persuadé que la guerre scolaire est bien enterrée. « Nous sommes décomplexés », aurait dit Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, au nouveau patron de l’enseignement catholique, Éric de Labarre, venu réclamer qu’on lui « facilite la tâche ».

Le Vatican décomplexé

Les écoles privées catholiques cartonnent et rêvent de grandeur. L’an dernier, elles ont dû refuser 35 000 dossiers. La faute à l’« accommodement raisonnable » de Debré, qui a mis le ver dans le fruit en autorisant le financement des écoles privées sur fonds publics. En 1960, 11 millions de Français signaient une pétition contre. Ils avaient vu juste. Les écoles privées ont largement tiré profit de ce système leur permettant d’avoir le beurre et l’argent du beurre : des frais de scolarité élevés, un droit à la sélection et, en prime, le soutien de l’État. Ces aides permettraient un droit de regard, mais on pourrait très bien imposer ce droit de regard sans verser des fonds qui manquent cruellement au public. Surtout depuis l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au bac. Contrairement au privé, le public ne peut pas se permettre d’être trop sélectif. Si en prime on le prive de moyens, si on en diminue le nombre d’enseignants au lieu de diminuer le nombre d’élèves par classe, on empêche mathématiquement le maintien d’un certain niveau.

On condamne donc l’école publique à perdre toute attractivité au regard du privé. D’autant que les écoles privées catholiques sous contrat se gardent bien d’afficher trop ostensiblement leurs convictions religieuses. Du moins, jusqu’ici. Avec Benoît XVI, le Vatican aussi se décomplexe. Certains archevêques, comme celui d’Avignon, appellent depuis un moment les établissements privés catholiques à renoncer à la tolérance postmoderne pour retrouver le chemin d’une vraie éducation catholique. Les banlieusards vont déguster… Mais pas seulement eux. À terme, les écoles confessionnelles sélectives — principalement catholiques, mais aussi musulmanes — auront supplanté le public. Le lien social, la citoyenneté et, bien sûr, la laïcité en sortiront en lambeaux. Le gouvernement se trompe : la bataille pour l’enseignement public, qui est aussi celle pour le respect de la loi de 1905, peut reprendre à tout moment.

Article paru dans Charlie Hebdo 16 avril 2008

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Fiammetta Venner

Caroline Fourest carolinefourest.canalblog.com

3 - Média

1 - "Vu à la télé" ou la loi du nombre

En réfléchissant sur l’effet "vu à la télé", Jean-Michel Muglioni ne se contente pas d’une dénonciation qu’on pourrait croire convenue. Il rappelle avec force pourquoi l’opération de collection sur laquelle repose le mécanisme moutonnier est aux antipodes d’une rationalité véritablement libre et démocratique, pourquoi le sondage - concept marchand - ne coïncide pas avec le suffrage - concept politique. Mais il montre aussi que le comble de l’aliénation est de s’en croire exempt alors qu’on est la proie de l’extériorité, et que le pouvoir le plus habile est celui qui se fait le moins sentir: la tyrannie la plus insidieuse sera peut-être celle qui, au nom de notre liberté, remplacera le suffrage par le sondage, la politique par le marché.
Catherine Kintzler, Mezetulle.net.

 

« L’opinion commune (…) suit toujours ceux qui vont devant, comme les grues » disait Montaigne. Le même ressort fait courir les moutons de Panurge et sert de principe à la mode ou à la publicité. Ce vieux mécanisme change d’échelle avec l’extension du marché et s’étend à la politique sous le nom de communication. Rien n’est plus difficile que de lui résister, et la difficulté tient peut-être d’abord à ce que rien n’est plus banal ni mieux connu que lui. Ou bien en effet, parce qu’on le connaît trop bien, on refuse d’y prêter attention. Ou l’on prétend montrer sa complexité et son étude est réservée à quelques spécialistes. Il faut que, sans peur de passer pour simpliste, chacun sans cesse et en toute occasion se le remémore afin de ne pas se laisser surprendre. Le pire ne survient généralement pas parce que, comme on dit après coup, « nous ne savions pas », mais parce que nous n’avons pas tenu compte de ce que nous savions pertinemment.

La mode agit sur toutes nos pensées

Ainsi la mode s’impose même si on ne lui accorde ni intérêt ni attention. Un vêtement paraît démodé sans qu’on sache dire pourquoi. Une coiffure fait sourire ou rire lorsqu’on la retrouve sur un film tourné il y a trente ans. Notre perception est déterminée à notre insu par ce que nous voyons aujourd’hui autour de nous. Changer d’habitude nous rend étrangers à ce que nous étions. Ce dont le futurisme nous étonnait paraît vieillot. Or ce qui est vrai de notre apparence ou des objets techniques l’est aussi de nos goûts, de nos croyances et de toutes nos pensées. Sans même nous en rendre compte, nous pensons et sentons comme on pense et sent autour de nous, selon l’air que nous respirons. Et longtemps après les hommes se demandent comment eux-mêmes ou leurs parents ont bien pu avoir tel goût ou telle croyance.

Nous sommes envahis par des slogans et transformés en slogans

Si donc toutes sortes de slogans et d’images constituent notre atmosphère ordinaire, nous ne pouvons pas ne pas en être imprégnés dans tout notre être. Ce mécanisme est bien connu et bien employé. Dès sa plus tendre enfance, chacun est sollicité chez lui, par la télévision, installée au cœur de chaque famille, et sur lui : ses premiers vêtements sont déjà des supports publicitaires. Naguère pour vivre, l’homme sandwich sillonnait la ville, coincé entre deux planches publicitaires. Aujourd’hui des vêtements sur lesquels la marque est inscrite de façon à pouvoir être lue par tous s’achètent à prix d’or. Il faudrait une attention de tous les instants pour ne pas laisser ces représentations nous investir totalement. Mais on sait que celui-là même qui n’a pas été attentif à l’image d’une marque, qui l’a oubliée, ou en a reçu le message subliminal, l’achète de préférence aux autres.

Marché mondial et loi du nombre : ce qui plaît au plus grand nombre doit être approuvé

Ainsi une mode de masse s’impose de San Francisco à Londres. Le phénomène ne touche plus seulement une cour royale ou princière que les plus éloignés du pouvoir imitaient parfois, par snobisme, mais le monde entier. Après l’âge du camelot de marché, vient la « comm’ » mondialisée. Les impératifs économiques, je veux dire le désir d’accroître sans cesse sa richesse, sont le fondement de la royauté du nombre, et toutes les techniques de publicité ou de communication sont d’abord des instruments du marché de masse. Car n’est finalement rentable, c’est-à-dire ne rapporte assez, qu’une production de masse : sa propre extension est devenue vitale au marché. Il faut accroître les ventes de ce qui se vend le plus et bannir ce qui se vend le moins. Un livre au tirage confidentiel doit disparaître. Et le même effet de masse qui fait la rentabilité accroît l’efficacité de la pression publicitaire : l’effet « vu à la télé » multiplie la demande, et il emporte les hommes comme des moutons ou des grues : effet grégaire planétaire ! A la fin l’humanité n’est qu’un troupeau gardé non par des rois mais par des statisticiens.
Insistons ! L’effet de masse est constitutif de la puissance du matraquage : plus nous sommes nombreux à subir la même image, plus elle influe sur chacun. Alors ce qui plaît au plus grand nombre devient la norme du plaisir – plaisir « démocratique » et non plus « aristocratique » ou « élitiste ». L’usage qu’on fait aujourd’hui de ces termes, souvent même de bonne foi, montre la victoire de l’idéologie de masse. Bientôt les moyens de communication dont nous disposons unifieront les croyances et les goûts des hommes et il faudrait un Swift pour peindre ce monde d’esclaves heureux. Il est arrivé déjà que le goût du vin soit délibérément dénaturé pour toucher une grande masse de consommateurs. « Vu à la télé » est un argument de vente. Quel bonheur d’acheter ce que tout le monde achète ! Radios et télévisions ne cessent d’interviewer acteurs, actrices, producteurs, etc. avant même la sortie de leurs films ; à peine les premiers spectateurs sortis de la salle, on les interroge, et la fréquentation des salles est claironnée partout. Même pratique pour les disques de variétés. Pour les livres on compte sur l’effet « best-seller ». Si le plus grand nombre a acheté un produit, il est bon ! Chaque matin la radio nous apprend combien de spectateurs ont regardé la veille telle ou telle émission de télévision. Comment oser ignorer ce que tout le monde a vu ! Il faut être de son temps.

Décérébrer

Décérébrer est un impératif économique. Un système d’investissement des esprits, dont l’origine n’est ni religieuse ni politique, s’impose en douceur, par mille offres toujours plus alléchantes, sans qu’on puisse jamais avoir le sentiment d’être dominé par quelque puissance. Il a fallu des trésors d’intelligence pour que le despotisme théologique ou politique, moins insidieux, car visible, soit révélé et des siècles de lutte pour qu’il soit limité. La nouvelle oppression, universelle cette fois, est plus difficile à percevoir et à combattre. Il est plus difficile aujourd’hui d’échapper au marché et à la publicité qu’au XV° siècle d’être athée. Les plus jeunes, noyés dès le berceau dans un flot continu d’images et de sons, désirent bientôt tous les mêmes chaussures, les mêmes cartables, les mêmes vêtements, les mêmes disques, etc. Avant d’être capables du moindre jugement, ils sont entièrement instrumentalisés par le marché. Rien ne peut mieux les rendre conformistes. Ils s’imaginent faire ce qui leur plaît et croient sincèrement exprimer leur liberté ou leur révolte quand ils achètent et exhibent ce que le marché et la publicité leur imposent. Ils prennent pour personnel ce que la pression du nombre leur a inculqué et ils y tiennent comme à leur propre chair. La dénomination « ado » est peut-être moins le fait des psychologues que des publicitaires qui font revendiquer aux jeunes gens l’appartenance à une prétendue classe où l’on parvient même à les maintenir jusqu’à trente ans. Les plus pauvres ne résistent pas à ces pressions et consomment jusqu’à l’obésité et au surendettement. Désormais les églises s’adressent à leurs fidèles comme un commercial à sa clientèle et la psychologie remplace la méditation religieuse.

Le snobisme du nombre

Une pluie d’objections s’abattra sur de tels propos On les jugera « élitistes », et méprisants pour le peuple, c’est-à-dire « le plus grand nombre ». Or le mécanisme par lequel le goût des autres ou leurs pensées s’imposent à chacun est le même, qu’il s’agisse du snobisme d’une classe dominante ou de cette prétendue démocratie. L’adorateur du grand nombre, au lieu de jouer comme le snob à priser ce qu’il croit digne d’une élite sociale, parce que « cela fait bien », applaudit à ce qui plaît à son nouveau maître. Il désire paraître à la télévision dans les jeux qu’il sait pourtant les plus stupides : son rêve d’être soi-même « vu à la télé » et non plus à la cour, est plus remarquable encore que le désir de posséder ce qu’il a « vu à la télé ». Le désir de se montrer à des millions de spectateurs dans les situations les plus ridicules, les plus vulgaires ou les plus dramatiques, montre la puissance de cet esprit grégaire qui fait de la liberté de la presse un élément de plus dans l’enfermement général. Qu’on comprenne bien ! Chacun peut parfois s’amuser assez bêtement. S’ériger en censeur des divertissements des hommes est peine perdue. Le droit à la bêtise est essentiel. Mais désirer que nos plus stupides délassements soient contemplés par des millions d’yeux est une monstruosité. Comme si au lieu de se contenter de boire un coup de trop entre amis, il fallait le faire au milieu du Colisée pour amuser la foule, gratuitement ou même à grands frais ! Comme si d’être exhibée notre bêtise était anoblie. La télévision est un miroir où les égoïsmes de la masse se renforcent les uns les autres.
Le désir se distingue du besoin parce que la conscience désirante désire être désirée. Le maître veut être servi non par des machines, mais par des esclaves : par des consciences qui le reconnaissent et l’honorent. La domination est donc contradictoire puisqu’elle exige de l’esclave qu’il soit libre et qu’il renonce à sa liberté. L’homme démocratique, devenu incapable de vouloir l’emporter sur les autres, se contente de vouloir que tous le voient sur un écran de télévision. Cette façon de désirer être objet de désir est plus servile encore que le désir du maître hégélien et plus dérisoire. Elle ne contient même plus en elle-même la contradiction qui pourrait éclater et permettre à la conscience de s’élever à une liberté plus vraie.

Une idéologie démocratique

Une certaine forme de démocratie est l’idéologie d’un système économique qui a besoin d’une consommation de masse : ce qui plaît au plus grand nombre est par nature meilleur que ce qui ne plairait qu’à quelques uns. Je me souviens avoir subi les foudres d’amis et de pédagogues parce que je méprisais l’étrange lucarne. J’ai entendu un inspecteur de l’éducation nationale et des professeurs d’université prétendre que les élèves noyés dans les images médiatiques, mais ignorants de l’élémentaire (des jeunes gens de quinze ans situant par exemple l’invention de l’écriture à la Renaissance), avaient une autre culture que leur professeur. Ainsi il ne suffit pas que la pression du nombre s’exerce à notre insu sur tous, il faut encore qu’on justifie la défaite de la pensée : selon un mécanisme fort bien élucidé par Nietzsche, il faut donner mauvaise conscience à quiconque tenterait de résister. Dire que le nombre n’est pas un critère de qualité, quelle prétention ! Ajouter qu’une telle référence au nombre est d’une autre nature que le suffrage universel, c’est être sûr de ne pas pouvoir être compris. Comme si un tyran ne pouvait pas avoir été élu à la majorité ! Beaucoup manient l’accusation d’élitisme, sans se douter un instant qu’ils sont prisonniers d’un marché.

La peur de la solitude

Rabelais a symbolisé la croyance moutonnière par un troupeau dont il suffit à Panurge de jeter un mouton à la mer pour que tous le suivent. Et les hommes sont d’autant plus grégaires qu’ils sont plus individualistes : on est égoïste à plusieurs dans un mouvement de foule. L’image des grues ou des moutons, celle des loups qui hurlent avec les loups, rendent compte d’un des maux les plus profondément inscrits dans la nature humaine, l’esprit grégaire, c’est-à-dire la peur d’avoir à se tenir seul avec soi-même : « Tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir rester seul dans sa chambre ». De jeunes élèves à qui, au début de l’année scolaire, un professeur de philosophie tâchait d’apprendre l’indépendance d’esprit ne purent retenir ce cri de terreur : « si l’on fait ce que vous dites, Monsieur, on deviendra marginal ! » Cet âge, où l’on se révolte pour des raisons qui ne sont pas toujours pures, est pourtant l’âge où admettre la nécessité de juger au lieu de suivre n’est pas encore totalement exclu. Mais ils étaient déjà dévorés par le marché.

© Jean-Michel Muglioni et Mezetulle, 2008

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Jean-Michel Muglioni

4 - justice

1 - Appel pour l'abolition de la loi sur la peine de sûreté

Depuis 2002, Nicolas Sarkozy impose une vision de la justice, de la société et de l’individu en totale contradiction avec les fondements humanistes et républicains de notre société. Il ne s’agit pas d’une simple réforme de la justice, mais d’une modification profonde de la manière dont sont considérées les personnes et la société. Sous couvert d’un discourt sécuritaire construit dans le but de choquer les foules, l’actuel président œuvre à la mise en place d’une nouvelle norme sociale par la mise en place d’un système sécuritaire inégalé dans les pays occidentaux, s’alignant directement sur les logiques des régimes totalitaires en matière de droit des individus. Là encore, le sarkozysme est un pétainisme de notre temps.

Un collectif contre cette loi s’est mis en place et appelle à signer une pétition demandant l’abolition de la loi sur la peine de sûreté.
Dans le cadre de cette initiative, un film en 4 parties expliquant la dérive de ces lois, les objectifs d’un tel courant de pensée et les conséquences sur la vie des citoyens. Dans ce film, 8 personnes interviennent pour aider à comprendre les enjeux du sarkozysme :

Respublica s’associe a cette initiative en vous proposant de signer cette pétition, et de visionner ce film en 4 parties au cours des 4 prochains numéros. Respublica vous invite également à diffuser ces entretiens afin d’informer l’ensemble des citoyens.

La première partie du film est visible ici

Évariste Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

2 - Appel du 20 mars 2008 demandant l'abolition de la rétention de sûreté

Article 3 : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants » (Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales)

Malgré l’opposition de très nombreux professionnels et citoyens, la loi instaurant une « rétention de sûreté » qui permet, après l’exécution de la peine de prison, de prolonger - sans limitation de durée et sans infraction - l’enfermement des personnes considérées comme d’une « particulière dangerosité » est entrée en vigueur.

La mise en place d’un tel dispositif relève d’une philosophie de l’enfermement qui dénie à l’homme toute possibilité d’amendement.

La présomption d’innocence devient secondaire et la justice de sûreté prend le pas sur la justice de responsabilité.

NOUS NE POUVONS ACCEPTER UN TEL MODELE DE SOCIETE:

Pour toutes ces raisons, la rétention de sûreté n’est en aucun cas un instrument de prévention de la récidive et de protection des citoyens.

Nous appelons tous les professionnels concernés à la résistance contre cette nouvelle disposition répressive, emblématique d’une régression majeure de leurs principes déontologiques.

Nous appelons tous les citoyens à la mobilisation pour l’abolition de la rétention de sûreté, véritable honte pour la France.

Pour signer l'appel c'est ici

Les 62 organisations signataires à l’origine de la mobilisation

Act Up-Paris, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France), Association des Avocats Pénalistes (ADAP), Association des Cliniciens du Médico social et Sanitaire, Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire, Association Française de Criminologie (AFC), Association française des Juristes Démocrates, Association Française pour la Réduction des risques, Association Justice-Action-Libertés, Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP), Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), Association pour la taxation des transactions financières et pour l’aide aux citoyens (ATTAC), Ban Public, La Bande Passante, Cedetim, CGT-PJJ, Emmaus France, Ensemble A Gauche, ESPOIR Santé Mentale, Fédération des associations réflexion action prison et justice (La FARAPEJ), Fédération Interco-CFDT, Fédération Nationale des Associations d’usagers en PSYchiatrie (FNAPSY), Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats, Fédération Syndicale Unitaire (FSU), Fédération SUD Santé Sociaux, GENEPI, Groupement Multiprofessionnel Prison (GMP), Homosexualités et Socialisme (HES), Le Passant Ordinaire, Les Verts et la commission Justice des Verts, Libérez-les ! Comité de soutien aux prisonniers politiques, Ligue Communiste Révolutionnaire, Ligue des Droits de l’Homme, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), Observatoire International des Prisons, Observatoire International des Prisons, Parti Communiste et sa commission Justice, Parti socialiste, Prisonniers Sans Frontières (PRSF), Réseau d’Alerte et d’Intervention pour les Droits de l’Homme (RAIDH), réseau d’association Peuple et Culture, Réso-réformistes et solidaires, SNEPAP-FSU, SNPES-PJJ/FSU, Souriez-Vous-Etes-Filmé-es !, Syndicat de la Magistrature, Syndicat de la médecine générale, Syndicat des Avocats de France (SAF), Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, Syndicat National C. G. T. des Chancelleries & Services Judiciaires, Syndicat National de l’Enseignement Supérieur (SNESUP-FSU), Syndicat national des psychologues, UGICT-CGT, UGSP-CGT, Union nationale des étudiants de France (UNEF), Union Syndicale de la Psychiatrie, Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé, Union Syndicale Solidaires, ZEO éditions, Zone Entièrement Ouverte.

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Collectif Contre La Rétention De Sûreté

3 - Révélation : les commissariats avaient déjà reçu « Ardoise »

Après la levée de boucliers contre le logiciel « Ardoise », qui prévoyait de cataloguer les personnes comme « handicapé », « homosexuel » ou « permanent syndical », Alliot-Marie a annoncé la suspension de son « expérimentation ». Mais une note confidentielle révèle que le logiciel honni est déjà implanté dans les commissariats, et que 55 000 flics ont été formés à son utilisation. L’expérimentation était généralisée…

Promis, juré : à entendre la première fliquette de France, Michèle Alliot-Marie, « l’expérimentation du logiciel Ardoise est suspendue ». Une sage décision vu le tollé que ce nouveau fichier de rédaction des procédures a déclenché depuis qu’il a été mis sur la place publique. Officiellement, avant de le mettre réellement en œuvre, les huiles de la Place Beauvau vont – assurent ces hauts responsables – se creuser les méninges pour réfléchir à la pertinence de ce logiciel, qui prévoit de cataloguer la victime et l’auteur de délit selon qu’il est « handicapé », « homosexuel », « permanent syndical » ou encore – entre autres – « alcoolique » !

Tempête sous les crânes en perspective. Pour des syndicats de police pourtant peu suspects de gauchisme comme Alliance, des sages tels que ceux de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ou de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), c’est déjà tout vu : le logiciel Ardoise est tout simplement une dangereuse dérive.

Ardoise est déjà en fonction dans 694 commissariats

Et comme Bakchich est en mesure de le révéler, MAM une sacrée cachottière. Car loin d’être en phase d’expérimentation, le logiciel honni est déjà en vigueur dans la plupart des polices de France. Une note confidentielle de la direction de la Sécurité publique du 29 février dernier précise, en effet, que la base de données Ardoise est déjà implanté dans 694 commissariats de France, de Navarre et d’Outre-Mer. Soit l’ensemble des services s’occupant de sécurité publique.

D’ores et déjà, quelques 55 000 flics ont été formés et peuvent remplir leurs procédures selon le modèle très intrusif désigné par Ardoise. Les autres fonctionnaires de police seront familiarisés en masse aux subtilités du nouveau logiciel. Une autre note de la place Beauvau du 9 avril dernier les prévient qu’ils disposent de modules de formation sur l’intranet du ministère. « Ils devraient permettre à ces personnels de réaliser dans Ardoise les actes simples de procédures comme la prise de plainte ou la rédaction de procès-verbaux d’interpellation », prévoit ainsi Eric Le Douaron, le directeur central de la Sécurité publique.

La phase d’« expérimentation », que mettait en avant Alliot-Marie pour mieux reculer, semble donc en réalité déjà largement dépassée. Et le revirement du ministère plutôt problématique à négocier. A suivre ?

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Pascal Bovo

5 - débats politiques

1 - « L'hypothèse communiste », conférence d'Alain Badiou organisée par le PCF

Le livre, " De quoi Sarkozy est-il le nom ? ", n’en finit pas de faire parler, et ce vendredi 18 Avril les militants communistes du campus d’Orsay ont souhaité accueillir son auteur pour inaugurer un cycle de conférences. A cette occasion, Alain Badiou a fourni nombre d’explications parallèles à son texte. Il a également exprimé sa décision de ne pas rejoindre le PCF malgré les sollicitations, mais réaffirmé que la gauche est une grande famille à laquelle il appartient pleinement.

Histoire de France

L’analyse du " sarkozysme " comme un " pétainisme " de notre époque fait évidemment référence au mouvement contre-révolutionnaire qui traverse la France depuis plus de 200 ans, dont la période 1940-42 est une illustration. Pour Badiou, force est de constater que si, d’une part, la France est le pays où siège un puissant courant révolutionnaire (qui s’est exprimé à de nombreuses reprises, en 1789 certes, mais aussi en 1830, 1848, lors de la Commune, en 1936 et en Mai 68) ; elle est, d’autre part, en proie à un mouvement contre-révolutionnaire à la fois tenace et surtout " revanchard ". Notre pays est un lieu où ces deux courants s’opposent avec une rare intensité. Et les déclarations de Sarkozy sur son désir " d’en finir avec Mai 68 " illustrent cette volonté de ne jamais céder, de toujours revenir sur les acquis, même des années après, et surtout d’enterrer l’idée qu’un monde plus juste est possible. Cette idée-là, cette idée qui permet de rêver, de construire et de revendiquer plus de justice, cette " hypothèse communiste ", le pétainisme la prend à nouveau pour cible et veut en finir avec elle une fois pour toute.

D’hier à aujourd’hui

La France s’est structurée en 1945 sur une opposition incarnée par le gaullisme et le PCF. Badiou précise que le PCF n’a jamais été un parti communiste " comme les autres ". De l’autre coté, le gaullisme n’a jamais été une droite débridée, porteuse du libéralisme. Pendant 60 ans, ces deux frères ennemis ont façonné la vie politique française par les positions qu’ils incarnaient. Le monde extérieur avait ses deux blocs, mais la France avait les siens propres qui n’étaient pas, quoi qu’on en dise, les prolongations directes de " l’Est " et de " l’Ouest ". Ces deux camps français étaient ennemis, mais ils étaient également soudés par une épreuve commune (la guerre) et une construction commune (la libération et la République). Il y avait donc, au-delà des oppositions, des accords tacites, indiscutables, que même Chirac n’a pas brisés (et en ce sens, il a été le dernier président de cette ère).
L’arrivée de Sarkozy est une rupture totale car il est le premier à dire explicitement que cette époque est révolue, que la droite est redevenue la droite (qu’elle n’est plus le gaullisme) et que le social ne concerne plus l’état. Il revient donc sur le pacte de la Libération et la République, et entend les réduire à néant puisque le courant révolutionnaire s’y incarne aussi (sécurité sociale, retraites, éducation, etc.). Badiou explique que, de fait, tout ce qui a été forgé dans l’esprit de cette époque passée (les mentalités, les préoccupations, les repères) n’a désormais plus aucune prise sur le monde actuel. Le monde a changé. Les " outils ", qu’il s’agisse des partis de gauche, des manuels, des formations, des réflexes, des idées, tous sont inadéquates du fait de ce nouveau monde politique qui réclame tout autant de nouveaux outils.

Agir aujourd’hui

Dans ce nouveau monde, il faut réapprendre à agir, à passer à l’acte. La décomposition de la gauche est un phénomène global qui pousse à la paralysie les personnes qui ont pour référents ceux de l’ancien monde. Face à cela, Alain Badiou précise qu’il n’a pas lui-même de solution, mais rappelle que dans les situations de blocage au " niveau global ", l’issue est toujours venue de " réponses locales ". Si l’action ne trouve pas de solution au niveau national, elle se fait en local (ville, quartier, etc.) ; si elle n’est pas structurée en un programme global, elle se fait sur des points précis ; si elle n’est pas possible dans une grande organisation, l’action se structure dans de petits groupes et au niveau individuel. De fait, par les paroles, les gestes, la consommation, les actions, notre époque est une remise en avant du rôle de la décision individuelle dans les choix de vie. Le " courage " consiste à tenir des " points " sur lesquels l’individu isolé, au nom de cette " hypothèse communiste ", refuse catégoriquement la rhétorique du dominant libéral. Le terme " pétainisme " renvoie ici très exactement à un refus de collaborer plus avant. Badiou relève aussi que cette place de l’individu, si longtemps écartée dans la pensée de gauche, est en fait une caractéristique majeure de la tradition révolutionnaire de notre pays durant tout le XIXe siècle, et qu’il faudra attendre la Révolution d’Octobre pour avoir un fonctionnement monolithique s’imposer dans les organisations.

L’hypothèse communiste

Tout en étant attentif et délicat face à l’inquiétude de nombreux militants du parti communiste, Alain Badiou leur a tenu un langage clair. D’abord, il a longuement expliqué que " l’hypothèse communiste " - c’est à dire l’idée qu’un autre ordre du monde est possible - n’est en rien la propriété légitime du PCF, mais de toute personne qui se réclame de cet idéal. Ensuite, il souligne que le fonctionnement des partis communistes a été monolithique, construit sur une discipline idéologique forte, un " esprit militarisé " hérité des nécessités de la Révolution d’Octobre. Or, si la prise du pouvoir a été rendue possible par cette discipline, la structuration des partis tels qu’ils l’ont été a amené l’état socialiste à être méfiant à l’égard de l’individu et, par voie de conséquence, à s’engager sur la voie du totalitarisme. Sortir de cette logique est vital, pas seulement pour le PCF, mais pour tous les courants de gauche. Badiou le précise : Marx et Bakounine participent de concert à l’hypothèse communiste. Cet exemple signifie qu’écarter l’un ou l’autre, c’est entrer dans un esprit de fermeture, dont les conséquences sont, et ont été, multiples sur les capacités à toujours enrichir le support idéologique par des idées novatrices, sur la manière de concevoir le projet de société du local jusqu’au global, sur la manière de penser les actions et de les mener, sur la capacité à s’adapter aux nouvelles circonstances. Corollaire de cela, le philosophe souligne la nécessité de clairement identifier " le front " qui nous sépare de l’adversaire. La discipline idéologique militaire a conduit au réflexe que tout autre qui ne pense pas la gauche de la même manière est un ennemi. Or l’hypothèse communiste est un tout, un équilibre, qui n’a pas survécu à une telle conception pratique. Sur ces différences, Badiou explique que nous avons le droit de discuter entre nous " de manière vive ", de nous travailler les uns les autres, de nous chamailler, mais nous ne devons jamais oublier que " le front n’est pas entre nous ", qu’il y a un clivage qui partage le monde en deux et que le front se trouve face à un adversaire commun. Cette remise au clair sur notre camp est une base de la restructuration idéologique de la gauche et de ses pratiques internes.

Enfin, Alain Badiou précisera aussi que notre situation est très différente de celle de 1936, mais que les années 1848 sont bien plus intéressantes pour nous. À cette époque en effet, il n’y avait pas de structuration importante de la gauche. On y constate aussi l’absence d’une ligne politique unique. Cependant on y note une effervescence de pensées, d’idées neuves, et nombre de courants riches et travaillés. L’héritage de la France est profond, notre culture de la révolte est riche, à nous de trouver dans cette histoire non pas une solution pour notre époque, mais l’encouragement à relever ces défis qui n’appartiennent qu’à nous, comme ceux qui, avant nous, ont courageusement affronté les défis qui étaient ceux de leur temps.

Guillaume Desguerriers

2 - La déclaration de principes du PS : comment cultiver du flou sur de l'ambiguïté !

La déclaration de principes du PS relève d’une rhétorique à deux faces, qui est celle de Tony Blair (voir Norman Fairclough). Elle consiste à affirmer simultanément deux objectifs contradictoires, à savoir l’acceptation sans réserve des contraintes de la mondialisation libérale d’une part, baptisées modernité, et le respect des valeurs de ce qu’il appelle la vieille gauche d’autre part. Ce qui, au niveau du style, se traduit par une structure d’équilibre de type " et… et… ", cousine de la structure " ni… ni… ". Sont ainsi posées comme devant être impérativement assumées, et revêtues de la même dignité, les règles libérales absolues et les droits sociaux. Au nom sans doute du principe d’équité, le pot de terre et le pot de fer luttent ainsi à armes égales.

Cela se traduit, dans le texte de la déclaration de principes du PS, par l’emploi de termes comme indissociables (§2), forment un tout (§5), concilient (§3 et 8), allier (§14), conjuguer (§7), régule (§6). Ce dernier terme est intéressant : le PS entend réguler une économie qu’il a fortement contribué à déréguler, et dont il entérine la dérégulation à travers le prétendu mini-traité européen qu’il a accepté. Quant à la puissance publique qui reçoit de l’article 6 la mission de régulation, on se demande ce qu’elle peut être : est-ce l’Etat républicain, qui n’a plus son mot à dire face aux Grandes Orientations de Politique Economique ou à la Banque Centrale européenne ? Est-ce la Commission Européenne, dont la mission explicite et de s’opposer à la régulation du marché ? L’ambiguïté n’est pas levée par le maigre paragraphe consacré à l’Europe, qui est pour l’essentiel un satisfecit que le PS s’accorde à lui-même. Comme Tony Blair, le PS se contente d’habiller en rose pâle la mondialisation libérale.

Ce qui vaut en matière économique vaut également en matière politique. C’est une grande satisfaction de voir apparaître dans cette déclaration l’éducation de la raison, vieil objectif de la Constitution de 1793 ignoré par toutes les Constitutions successives ; c’en est une également de voir brosser comme horizon de la politique l’émancipation des personnes, même si le mot personne gagnerait à être précisé (Jaurès était plus clair). Mais dans la philosophie politique républicaine, l’un et l’autre sont indissociables de la souveraineté populaire. Or celle-ci est la grande absente. Certes, le citoyen peut participer à la vie publique (§7), il peut intervenir dans le processus de délibération et de décision, mais en vertu du principe européen de subsidiarité, il n’a pas accès à ce qui relève de l’économie, de la monnaie ou de la finance, et le PS oublie ce détail ! Le citoyen n’est plus " membre du souverain " ; sa souveraineté se borne à l’exercice d’un droit de vote sur de vagues promesses qui ne sont pas forcément destinées à être tenues, ce que Bourdieu considérait comme l’équivalent d’un acte solitaire d’achat dans un supermarché. La liberté active, celle du peuple souverain, que Benjamin Constant appelait la liberté des anciens et qu’il jugeait aussi nécessaire que la liberté passive, la liberté des modernes, celle de rester tranquillement dans son coin à l’abri des abus de l’Etat, est ainsi réduite à sa plus simple expression. Ce qui est conforme à l’hallucinant document de la Commission Européenne " Pour une citoyenneté active " de 2000, pour qui la citoyenneté active consiste essentiellement à cultiver son employabilité.

Il n’est donc pas étonnant que le dépassement des contradictions du capitalisme, que le texte se donne pour objectif, ne soit pas envisagé en termes de lutte. Le texte se contente d’énumérer les caractéristiques du capitalisme rhénan, que le PS a contribué à éliminer, par son action interne et européenne, au profit du capitalisme anglo-saxon. Or un retour en arrière n’est guère envisageable dans le rapport de forces actuel, surtout du point de vue d’un parti qui a contribué à le créer. Car même si le texte fait implicitement référence à la nation civique selon Renan, il en atténue la portée par une ambiguïté qui n’est pas nouvelle : qu’est-ce que prendre en compte la diversité culturelle, mantra de tous les multiculturalismes ? Est-ce accorder des droits particuliers à des groupes, comme le fait la Charte des Langues Régionales ou Minoritaires ? Est-ce simplement garantir à chacun la pleine jouissance de ses droits, auquel cas l’expression serait parfaitement inutile?

Les auteurs du texte cultivent le flou et l’ambiguïté, quand ce n’est pas la pauvreté. Le préambule, en effet, nous dit que les socialistes cultivent le souvenir de… L’expression est très insolite. S’agissant de la Commune de Paris, revendiquent-ils ses luttes et son mode d’organisation politique, ou un simple album photographique ? S’agissant de tous les gouvernements de gauche depuis 1981, en revendiquent-ils sans réserve les alignements libéraux ?

Sans doute le PS réserve-t-il pour son Congrès les propositions concrètes qui donneraient du sens au triptyque révolte… espérance… action du paragraphe 1. Peut-être que ce Congrès nous permettra de penser que la volonté de rassemblement qu’affirme ce texte n’est pas un pauvre moyen de faire l’impasse sur les affrontements de plus en plus cyniques qui se développent tant au plan national qu’au plan international et qui, n’en déplaise aux âmes délicates, ont bien des allures de lutte des classes.

René Andrau

3 - Rendre à Césaire

« J’habite une blessure sacrée/ J’habite des ancêtres imaginaires »
(Moi, Laminaire, 1982)

Je ressens le décès d’Aimé Césaire comme celui d’un des miens. Le sentiment se comprend-il ? Il demeure étrange. Comme beaucoup de mes compatriotes algériens, il fut un temps où je n’appréciais pas beaucoup le concept de négritude dont il a été, avec Léopold Sedar Senghor, l’artisan et le défenseur farouche. C’était ce temps où, fiers héritiers d’une « Révolution » que l’on croyait pure et raisonnée, en tout cas infaillible, nous nous gaussions de cette posture ironique difficilement déchiffrable pour des lecteurs binaires. Nous voyions les choses en noir et blanc. Les thèses révolutionnaires de Frantz Fanon, ancien élève de Césaire au lycée Schœlcher de Fort-de-France, nous convenaient davantage que l’approche libérale des tenants de la négritude. Fanon s’insurgeait contre « la mise à l’écart d’un milliard et demi d’hommes par une minorité orgueilleuse ». Césaire se réduisait à la défense de la négritude.

L’autre jour, j’entendais quelqu’un expliquer la négritude et c’était comme une révélation de simplicité pour moi. A ceux qui traitent négativement les Noirs, Césaire et ses compagnons ont décidé de répliquer par la fierté d’être Noir. Dans une interview rediffusée à l’occasion de son décès, j’ai entendu aussi Aimé Césaire raconter comment l’idée lui est venue de subvertir l’insulte en étendard : « Je passe dans la rue ; je me range mal. On me traite pour cela de sale nègre. Je réponds : le sale nègre vous emmerde ». Le choix du mot nègre relève d’une certaine provocation, celle de retourner l’insulte pour en faire un motif de fierté. Il poursuit : « Lorsqu’il s’est agi de choisir le titre d’une revue pour le monde noir, j’ai préféré le mot nègre ». Ce retournement du sens a libéré d’un coup des millions de Noirs. Au lieu d’essuyer les quolibets racistes en rasant les murs, ils ont, grâce à Césaire, levé la tête et regardé dans les yeux les racistes qui les infériorisaient : « Le nègre te dit… »

Cette repartie fera du chemin et sera traduite en langages sophistiqués, ceux de la littérature, de la poésie, de la politique. Sans cette affirmation, Toni Morrison, l’écrivaine noire américaine, prix Nobel de Littérature en 1993, n’aurait sans doute pas répondu à ce journaliste qui lui demandait si, un jour, il verrait un héros blanc dans un de ses romans : « Auriez-vous posé à un écrivain blanc la question de savoir si un jour il prendrait un héros noir » ?

Le poète haïtien René Depestre décrit ce que l’arrivée de Césaire dans la vie de la jeunesse intellectuelle haïtienne a apporté comme clés pour s’ouvrir a sa présence au monde : « Près de cinquante ans après l’éblouissant effet-Césaire, le parcours nous paraît l’un des plus exemplaires de l’intelligentsia mondiale du vingtième siècle. Son œuvre aura été le journal de bord de plusieurs générations d’Antillais et d’Africains. En nous invitant, en 1944, à réfléchir sur la poésie et la connaissance, à partir de Lautréamont, Rimbaud, Apollinaire, Breton, et à partir de sa propre expérience de poète et de penseur, il nous aura aidés à voyager en nous-mêmes, à la récupération du moi que la colonisation avait enfoui sous des épaisseurs de mensonges, de poncifs et d’idées reçues ».

Aujourd’hui, le lion ne rugit plus. Et c’est maintenant qu’ils osent. Ils ont osé espérer mater le vieux rebelle intransigeant en le "panthéonisant". Lui qui, toute sa vie, a lutté contre ces idées imbues de supériorité blanche que Nicolas Sarkozy a résumé à Dakar dans cette inqualifiable formule sur l’incapacité des Africains à se projeter dans l’avenir, on a voulu le ramener dans le troupeau contre un enterrement dans le saint du saint. La France officielle qui tente de l’embaumer avec une unanimité convenue, cette France qui réalise enfin que le poète et le penseur qu’il est appartient à l’humanité entière, continue à bafouer les idéaux auxquels il a consacré sa vie.

Le 7 décembre 2005, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et président de l’UMP, de passage à Fort-de-France, avait souhaité rencontrer Aimé Césaire. Dans un communiqué, ce dernier répondait qu’il déclinait l’invitation pour des raisons personnelles explicites : « Parce que, auteur du discours sur le colonialisme, je reste fidèle à ma doctrine en anticolonialiste résolu. Et ne saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005 ».

En 2006, il accepté de rencontrer celui qui allait être élu président de la République. Mais c’était pour lui offrir Le discours sur le colonialisme dans lequel il est dit sans ambiguïté : « Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ».
Il y a encore quelques jours, un jeune africain sans papiers est mort noyé dans la Marne parce qu’il avait peur d’un contrôle. Cette mort, comme d’autres, est la conséquence d’une politique de l’immigration basée par la suspicion et l’exclusion, la criminalisation des étrangers et les expulsions musclées. Ce rapport d’inégalité, de supériorité « décomplexée » avec les anciennes colonies, qui a aboutit à de multiples drames et injustices, Aimé Césaire n’a pas cessé de le dénoncer. Visionnaire, il a senti, il y a cinquante ans déjà, l’éveil futur du refoulé colonial qui fait aujourd’hui penser que l’épanouissement du vieil empire démembré par la décolonisation consiste à revendiquer l’horreur consubstantielle au colonialisme.

L’excellent poète Césaire, celui qui a « plié la langue française à son vouloir-dire », ne s’est pas contenté d’étudier et d’instruire. Il a aussi mis la main dans le chaudron politique en défendant, depuis Fort-de-France, en tant que député et en tant que maire, les intérêts de son pays natal et celui de ces ostracisés comme le footballeur Lilian Thuram qui résumait sa désillusion ainsi : « En Guadeloupe, j’étais français et en banlieue parisienne, un petit noir ».

Très populaire dans les Antilles, dernier poète d’envergure internationale qui mêle le souci esthétique au combat politique pour l’émancipation et la libération des hommes, Césaire était devenu un objet de convoitise électorale en France. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait tenu mordicus à le rencontrer. Ségolène Royal en a fait de même. Pour ne pas être en reste, Jean Marie Le Pen lui-même, adepte de l’inégalité des races, claironnait : « Césaire est un grand poète dont je m’étonne qu’il ne soit pas à l’Académie française, je vous le dis franchement ».

Franchement aussi, le torrent d’éloges funèbres qui se déverse sur Aimé Césaire a l’air parfois d’un gag. Un vieux dicton de chez moi constate avec amertume : « Vivant, on l’a privé d’une datte. Mort, on en a déposé tout un régime sur sa tombe ». On loue le poète mais on cache sous le tapis la plume anti-raciste et anti-colonialiste acerbe. On est allé jusqu’à, comme cet éditorialiste de Libération, trouver du bon au « système éducatif français » qui permettait à des lycéens pauvres comme Césaire d’accéder à l’Ecole normale et d’y rencontrer ceux qui avec lui forgeront le concept de négritude. La moindre des choses, franchement…

Arezki Metref journaliste et écrivain algérien vivant en France

6 - laïcité

1 - Il est nécessaire de combattre tout à la fois le communautarisme, le colonialisme et le racisme

Le film et le documentaire sur le passé trouble de l’ancien président, François Mitterrand, à Vichy, ainsi que les débats qui ont suivi, m’ont fait rappeler la première chose qui m’avait fait sursauter en lisant l’ouvrage Contre le communautarisme de Julien Landfried : le regret de celui-ci que l’Etat français ait demandé pardon à nos compatriotes juifs pour sa collusion dans l’extermination d’un grand nombre d’entre eux, durant cette période sombre de l’histoire de France.
J’ai été aussi surpris par les arguments surréalistes (p. 18 et suivantes) qu’il a avancé à cet effet. L’auteur tente de faire passer des vessies pour des lanternes à nos compatriotes qui ont failli être éradiqués de France et d’Europe, si avait été retardée encore d’une année et demie seulement, la contre-offensive d’abord et avant tout de l’armée rouge qui avait anéanti l’essentiel de l’armée allemande, dont les deux-tiers de ces forces et ses principales troupes d’élite étaient massées sur le front soviétique.

Ainsi, les Juifs de notre pays ont-ils eu tort d’avoir réclamé, puis d’avoir accepté la reconnaissance, pourtant minimale, par la nation de leur immense souffrance et du fait que leur propre Etat les ait livrés, pour destruction, à l’ennemi nazi. L’auteur usera d’autres spécieux pour prétendre que cette reconnaissance fut une grave erreur.
Cet auteur me fait rappeler, ici, certains républicains de gauche qui réagissent mal, et bien à tort, quand on demande que la France reconnaisse ses crimes coloniaux monstrueux. Ces républicains sont victimes de leur propre confusion entre République et colonialisme, comme d’autres confondent république et pétainisme, république et "islamophobie", etc.
Ils ont sur ces points le même mécanisme mental que les Indigènes de la République ou ceux qui avaient violemment réagi contre la publication, par un journal danois, des caricatures de Mohammed, le prophète des musulmans. Ceux-ci disent : "Non, il ne s’agit pas de liberté d’expression, mais ces caricatures visent en réalité à s’en prendre à l’islam et/ou aux musulmans". Ceux-là disent : "Non, ce n’est pas le colonialisme que vous visez, mais vous avez en fait la haine de la République". Il n’y a qu’à voir aussi leur silence coupable à propos de la loi du 23 février 2005 sur les « bienfaits de la colonisation », colonisation, qui, comme le régime fantoche de Pétain, a été une autre trahison des idéaux de la République.
D’autres républicains, qui sont aussi d’authentiques anticolonialistes, pourraient exprimer sincèrement leurs craintes que cette dernière reconnaissance (mais pas la première) pourrait entraîner la haine entre les peuples et les communautés, et que de toutes les façons tous les peuples ont été soit esclavagistes soit colonisateurs, dont les Arabes, les Ottomans… Pourtant, la demande de pardon du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique à sa population noire ou celle plus récente du gouvernement australien aux Aborigènes n’ont ouvert la voie à aucune discorde, bien au contraire. C’est de manière solennelle et dans la communion de la grande majorité de leurs populations respectives que ces pardons avaient été prononcés.
De plus, si l’on suit leur logique jusqu’au bout, la communauté internationale devrait par exemple condamner le procès de Nuremberg et verser des dommages et intérêts aux descendants des vingt-quatre dignitaires nazis, Goring, Hess, Keitel, Ribbentrop, Rosenberg… pour avoir été jugés et condamnés par des Etats tels que les Etats-Unis d’Amérique qui se sont érigés sur la destruction de la population de tout un continent, la France et la Grande-Bretagne dans leurs colonies et l’URSS avec ses camps d’esclavage et de la mort qu’étaient les goulags.
Les républicains que j’ai cités plus hauts partagent également le même antiracisme non universaliste que les islamistes et leurs marche-pieds au sein de la gauche. Les seconds ne réagissent que quand ce sont les musulmans qui sont les victimes de racisme. Aussi, jamais (ou presque) vous ne les entendrez condamner le racisme dont est victime un jeune Français de la part des parents musulmans de sa dulcinée, et qui refusent de lui accorder la main de celle-ci, parce qu’il est chrétien ou pire encore, parce qu’il est juif. Y compris quand ces parents marient leur fille de force au bled ou même l’assassinent pour l’empêcher de vivre sa vie. Quant aux premiers, ils ne réagissent que lorsqu’il s’agit d’actes antisémites, jamais lorsqu’il s’agit de musulmanophobie ou de négrophobie. Ils n’évoquent d’ailleurs la population musulmane ou de cette origine que pour la stigmatiser davantage, jamais quand, comme c’est souvent le cas, quand ces immigrés sont victimes de racisme.
Leur attitude, cette conception étriquée du républicanisme, les place, en recul par rapport à certains courants de la droite, et ne peut que faire le jeu des racistes, des communautaristes et des fondamentalistes.

Je voudrais achever ce texte en disant encore deux ou trois mots à propos de l’ouvrage Contre le communautarisme de Julien Landfriend. Ce dernier apporte par ailleurs des réponses intéressantes à nombre de questions qui font débat au sein de la gauche et des laïques. Mais il ne comporte pas moins un grand nombre d’arguments qui suscitent mes réserves. Je me dois aussi de signaler la position, pour le moins tendancieuse, où l’auteur classe, comme « communautaire » (note p. 151), la revue Prochoix, pourtant à l’avant-garde du combat contre le communautarisme, ainsi que les fondamentalismes pour le féminisme et la laïcité. C’est ainsi qu’il classe cette revue parmi des associations telles que Lmistes (de Pierre Tévanian), oumma.com, le CapDiv, le CRAN, etc.

Hakim Arabdiou

2 - Les nouveaux péchés selon le Vatican

Dans le monde occidental, nous avions, depuis près d’un millénaire, les sept péchés capitaux établis par l’Eglise médiévale pour contenir et canaliser les désirs de ses ouailles.
Rappelez-vous : il y avait tout d’abord l’Orgueil – sans doute le plus satanique de tous -, puis l’Envie et la Paresse – dangereux pour l’ordre social.

Suivaient des péchés plus pulsionnels comme la Colère, la Gourmandise, l’Avarice et le plus fascinant de tous, la Luxure. Certains se recoupaient assez aisément, comme l’Orgueil et la Colère ; d’autres, au contraire, s’excluaient naturellement, comme l’Avarice et la Luxure. C’est dire qu’un seul individu ne pouvait pas les cumuler et que, somme toute, ils se répartissaient assez harmonieusement selon les différents tempéraments. Du point de vue psychologique, cette classification était loin d’être inepte ; sous ces notions dûment hyperbolisées, elle embrassait même la quasi-totalité de la psyché humaine. Il n’empêche : que de souffrances en leurs noms ! Combien d’âmes sensibles se sont ainsi torturées durant des siècles ? L’Histoire ne le dira jamais dans le détail.

On pensait, jusqu’ici, que ces termes si connotés appartenaient à une autre époque et qu’ils étaient, à juste titre, relégués dans les manuels de confesseur et les musées d’histoire religieuse. On se trompait. Car, voici quelques semaines, Mgr Gianfranco Girotti, régent de la pénitencerie apostolique du Vatican, a édicté – sous l’autorité de Benoit XVI - une liste de péchés en rapport avec notre temps. Loin de supplanter et d’invalider les anciens, ces nouveaux venus, si j’ose dire, s’y ajoutent et les complètent. On y trouve ainsi la pollution environnementale, l’enrichissement outrancier (facteur d’inégalités sociales), la pédophilie, le trafic et l’usage des drogues, les manipulations génétiques et, bien entendu, l’avortement. Dès l’annonce de cette liste, les premiers commentaires, ont fait remarquer, d’ailleurs bien hâtivement, que ces péchés-là avaient une dimension plus collective qu’individuelle : la première partie de cet article tend à démontrer que ce constat doit être relativisé. A questionner cette surprenante édiction, un problème, plus insidieux, ne peut manquer de surgir. En effet, quiconque ayant une fibre humaniste moyennement développée ne peut contester que la pollution et la voracité économique sont des menaces redoutables pour l’humanité d’aujourd’hui. Même avec un nécessaire bémol, personne ne niera non plus que les drogues et la pédophilie sont néfastes et doivent être combattues. En revanche, on ne peut pas rationnellement incriminer et mettre dans le même panier les manipulations génétiques et l’avortement quand on sait quels drames humains les sous-tendent et les justifient ; mais ce sont, nous le savons bien, deux épouvantails que, périodiquement, l’Eglise se plait à agiter à l’encontre de ses fidèles. Laissons là ces deux derniers et demandons- nous pourquoi les quatre premiers devraient ainsi accéder à la dignité de fautes religieuses, alors qu’ils relèvent initialement de l’activité profane et que tout le monde est à peu près d’accord pour les réprouver? Cela revient, en somme, à les condamner deux fois (la double peine, décidément, progresse un peu partout), sans ajouter, d’ailleurs, plus d’efficacité à ces luttes. Manifestement, une seule réponse s’impose : la volonté ecclésiastique de s’immiscer un peu plus dans les affaires de la cité prétendument laïque. Selon son mode à elle, avec les armes d’une rhétorique éprouvée. Quelques esprits alarmistes parleront certainement de reconquête.

Jacques LUCCHESI

3 - Le cauchemar annoncé de Durban II

L’illusion d’un consensus mondial autour de l’universalité des droits de l’homme est en passe de voler en éclats. Il suffit d’observer le détournement de certaines conférences de l’ONU et la dérive en cours au Conseil des droits de l’homme pour s’en convaincre. L’inquiétante tournure prise par la Conférence contre le racisme organisée à Durban au début de septembre 2001 n’était qu’un symptôme. Depuis, le mal s’est considérablement aggravé.

Les Etats liberticides ont profité de l’après-11-Septembre pour faire évoluer l’ONU vers une vision différentialiste des droits de l’homme. Sous prétexte de lutter contre le risque - bien réel - d’amalgames entre musulmans et terroristes, ils ont réussi à imposer leur définition du mot " islamophobie " dans le langage onusien. Contrairement à l’expression " racisme antimusulmans ", qui vise bien le racisme envers des individus, le mot " islamophobie " désigne la phobie envers l’islam au risque de disqualifier toute parole critique envers la religion ou l’intégrisme comme étant une forme de racisme.

Regroupés au sein de l’Organisation de la conférence islamique, les pays musulmans s’en servent pour soustraire leurs politiques liberticides à toute sanction, au nom d’une vision " islamique " des droits de l’homme. Cette mascarade ne serait pas possible sans le soutien de pays comme la Chine, la Russie, Cuba ou le Venezuela, qui ont tout autant intérêt à refuser une vision dite " occidentale " des droits de l’homme.

Entre la lâcheté sur le Soudan, la fin des enquêtes sur les violations des droits de l’homme à Cuba et de la Biélorussie, le tabou tibétain, l’impasse sur la Birmanie, et le troublant désintéressement (y compris des pays islamiques) pour la question tchétchène, la plus grande victoire du front commun contre l’universalité des droits de l’homme fut d’obtenir la tête du rapporteur chargé " du racisme et de l’intolérance qui y est associée ": le Béninois Maurice Glélé-Ahanhanzo. Il avait osé rapporter la montée de l’extrémisme religieux et du racisme antijuifs d’inspiration coranique. En 2003, sous présidence libyenne, il est remplacé par un rapporteur sénégalais, Doudou Diène, autrement plus docile.

Sous prétexte de lutter contre " l’islamophobie, la christianophobie et l’antisémitisme ", le nouveau rapporteur a redéfini le racisme, et même l’antisémitisme, comme une forme de " diffamation envers les religions ". Ce qui lui permet d’accuser la " laïcité radicale ", et tout particulièrement les élites françaises, d’être responsable de l’intolérance au niveau mondial. Ses rapports ne laissent pas d’étonner. Pas une ligne sur les discours de haine sexistes et homophobes de certains prédicateurs, ni sur les journaux arabes décrivant les Noirs comme des insectes envahisseurs, silence sur le sort des minorités en Chine, aucun détail sur celui des minorités chrétiennes en terre d’islam, pas même sur la discrimination des chiites en terre sunnite, mais des pages et des pages à déplorer la " stigmatisation de la burqa " ou la publication de douze dessins danois sur Mahomet... Comme autant d’atteintes à la " liberté de religion ". Alors qu’il existe déjà une rapporteuse sur la liberté de religion. Et que le rapporteur en charge de " la protection de la liberté d’opinion et d’expression ", doté d’un regard légèrement plus équilibré sur l’affaire des dessins danois, semble sur la sellette. Saisissant le prétexte du film Fitna, les Etats les plus liberticides viennent de redéfinir sa mission. Il n’est plus tellement chargé d’enquêter sur les atteintes à la liberté de la presse (par exemple en Russie ou en Tunisie), on lui demande désormais de traquer surtout les " abus " commis au nom de la liberté d’expression.

Par un formidable tour de passe-passe, les prédateurs des droits de l’homme et de la presse ont réussi à transformer l’ONU en un tribunal grotesque, où les accusés siègent désormais sur le banc des juges. Mère de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la commission était déjà largement discréditée, notamment depuis la présidence libyenne de 2003. Le Conseil des droits de l’homme - qui la remplace depuis mai 2006 - était censé rectifier le tir. Grâce au système des quotas régionaux et de vote bloqué, les Etats les plus répressifs se sont taillé la part du lion. L’Organisation des pays de la conférence islamique a placé dix-sept de ses membres, soit un tiers des sièges. Dès la première séance plénière, le ministre iranien des affaires étrangères fixait pour priorité de lutter contre la diffamation des religions, particulièrement du message divin de l’islam, et de faire cesser son dénigrement.

Prévue en 2009, Durban II doit se tenir alors que la Libye préside le comité préparatoire, et que l’Iran tient la vice-présidence. La présidente libyenne a ouvert les travaux " Au nom d’Allah, le miséricordieux ". C’est dire si Durban II promet. Si le Canada tire la sonnette d’alarme, l’Union européenne propose sagement de s’en tenir à une simple réunion de suivi. Journaliste à l’ONU depuis 1970 et auteur d’un livre intitulé L’ONU contre les droits de l’homme (Mille et une nuits, 2003, avec Claude B. Levenson), Jean-Claude Buhrer est encore plus pessimiste: L’acharnement à détourner le Conseil de ses objectifs est tel qu’il devient nécessaire de s’interroger sur l’avenir de cet organe. Il est en train de vider de leur substance les principes qu’il est censé promouvoir et défendre.

7 - histoire

1 - Le 4 mai 2008 marquera le trentième anniversaire de l’assassinat d’Henri Curiel

Militant de la cause de la libération des peuples dans le monde, assassiné à Paris par des tueurs professionnels que l’enquête policière et l’instruction judiciaire ont échoué à identifier.

Né le 13 septembre 1914 en Egypte. Le pays – une monarchie corrompue avec une population paysanne pressurée par des propriétaires fonciers – est militairement occupé par les troupes britanniques. En 1943, Henri Curiel crée une organisation communiste qui, en 1947, constituera avec les principales organisations de l’époque, le Mouvement démocratique de libération nationale MDLN. Le parti communiste soudanais en est également issu.
Dès le premier conflit israélo-arabe, Henri Curiel prend des positions qui le conduiront avec ses camarades en prison et, plus tard, à devenir l’un des pionniers du nécessaire dialogue entre Palestiniens et Israéliens. Il est expulsé par le roi Farouk en 1950 et perd sa nationalité égyptienne.

A Paris où il vit dans la clandestinité, il continue de militer en direction de l’Egypte et du Soudan avec un groupe d’exilés. En 1957, il s’engage dans le soutien en France au FLN, en collaboration avec le "réseau Jeanson" puis, après les arrestations de celui-ci, il en prendra la relève à la demande de la Fédération de France en créant ce qui sera connu sous le nom de "réseau Curiel". En octobre 1960, il est arrêté et détenu à la prison de Fresnes.

Libéré à la fin de la guerre, il reçoit le statut d’apatride. Il crée alors avec d’autres l’organisation qui s’appellera plus tard Solidarité et qui regroupera des militants d’horizons divers : communistes, prêtres ouvriers, des pasteurs, des syndicalistes et des personnalités de gauche d’horizons divers. Il s’agit de faire bénéficier les mouvements de libération nationale et les réseaux antifascistes (dans l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar et de Caetano, et dans la Grèce des colonels) de l’expérience acquise dans le soutien aux combattants algériens. Pendant quinze ans, dans le respect absolu des choix des organisations concernées, une aide efficace fut ainsi apportée à des mouvements aussi divers que l’ANC de Mandela et la résistance chilienne à Pinochet. Ce soutien était prodigué dans un esprit de solidarité internationale pour la libération des peuples opprimés.

A partir du début des années 70, Solidarité aide à la formation d’un groupe de Blancs afrikaans pour aider l’ANC sur place. Parallèlement il poursuit une action d’établissement de contacts entre Israéliens et Palestiniens dans le but de créer les conditions de la création d’un Etat palestinien dans les frontières d’avant la guerre de 1967..

En juin 1976, une campagne de diffamation de son action est lancée par le journaliste Georges Suffert dans Le Point. Deux ans plus tard, il est assassiné.

Cette action militante constante et désintéressée valut à Henri Curiel l’exil, la prison et la mort.

Nous appelons à marquer le trentième anniversaire de son assassinat par un rassemblement.
Il s’agira d’abord de stigmatiser le scandale d’un crime politique resté au bout de trente ans impuni, et de marquer notre volonté à réaffirmer l’exigence que soit enfin tenue la promesse faite naguère de donner à la justice (et à l’histoire) l’accès nécessaire aux archives des services secrets français.

 

RASSEMBLEMENT
Dimanche 04 Mai 2008 à 15h00
au 4, rue Rollin – Paris 5ème
Métro Monge ou Cardinal Lemoine

A l’appel de:
Les Amis d'Henri Curiel, L'association « Au nom de la Mémoire pour l'Algérie », Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM), Association France Palestine Solidarité (AFPS), Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire Vivante, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Mémoire Vérité Justice sur les assassinats politiques en France (MVJ),

Les Amis D'Henri Curiel

2 - Une propagande qui ne dit pas son nom

Photographie. L’exposition, à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, des images d’André Zucca, « les Parisiens sous l’Occupation », provoque à juste titre la polémique.

Comment en est-on arrivé là ? Comment Christophe Girard, adjoint (PS) à la culture du maire de Paris, en arrive-t-il à souhaiter la fermeture d’une exposition de photographies programmée jusqu’au 1er juillet à la Bibliothèque historique de la ville de Paris ? Comment expliquer que, quelques jours plus tôt, la mairie avait déjà décidé de supprimer la campagne d’affichage annonçant cette même exposition, après avoir fait distribuer au public un avertissement maladroit, qui n’a rien arrangé à l’affaire puisqu’il n’appelle toujours pas un chat, un chat ? Pourquoi autant de cafouillages montrés du doigt par la presse ? Pourquoi autant de débats sur le lieu même d’une exposition qui, du coup, ne désemplit pas, et transforme la rue Malher, dans ce quartier du 4e arrondissement, haut lieu historique de la présence juive à Paris, en forum permanent ?

L’objet de la polémique, ce sont les 270 images d’André Zucca (1897-1973), prises entre 1940 et 1944. Présentées comme un événement parce qu’elles sont inédites et font partie des très rares images en couleurs réalisées à l’époque par un photographe français (et pour cause, il fallait passer par les Allemands pour avoir le droit de faire des prises de vues et pour se procurer les seules pellicules en couleurs de marque Agfacolor, alors introuvables), elles appartiennent à un fonds de quelque 22 000 clichés cédés par les héritiers de Zucca à la Bibliothèque historique. Elles viennent d’être restaurées et sont exposées sous un titre, « les Parisiens sous l’Occupation », qui laisse présager une vision complexe de Paris occupé.

Or, que voit-on sur ces clichés où le soleil surbrille dans un ciel éternellement bleu ? Un Paris de carte postale, un Paris de la joie de vivre, que l’occupation nazie ne vient guère troubler : les troupes nazies défilent, les drapeaux du Reich pavoisent rue de Rivoli, les portraits de Pétain apparaissent dans les vitrines, les affiches antibolcheviques fleurissent à tous les coins de rue, mais les terrasses de cafés sont pleines, les amoureux mangent des cerises dans les jardins, les cinémas font recette, on se fait bronzer sur les quais de la Seine, les marchés regorgent de fruits et légumes, l’élégance se perpétue sur les champs de courses…

Face à tant d’insouciance, le malaise du spectateur, lui, gagne. Lorsque les troupes allemandes, si bienveillantes, si mêlées à la population sur ces images décidément très orientées, donnent l’impression de distraire les Parisiens en donnant un concert place de la République, lorsqu’on les voit chiner au marché aux puces comme de simples touristes, le doute n’est plus permis : on sait que l’on se trouve face à des images de propagande. Ce que vient nous confirmer avec éclat celle d’un couple en train de rire au jardin du Luxembourg avec, posé devant lui, le journal Signal, magazine allemand créé à l’initiative de Gœbbels, et dont André Zucca, qui s’était mis au service des nazis, était devenu le correspondant français en 1941.

Cet élément d’information est bien le seul qui soit donné dans l’exposition. Il permet d’ailleurs de comprendre pourquoi les quelques rares photos de la Libération dégagent une autre atmosphère, bien paradoxale : alors que, cette fois, la foule est vraiment en liesse, Zucca, lui, n’est pas à la fête, sa superbe a disparu, son esthétique s’en ressent, il contrôle moins son cadre, il s’éloigne des gens, le flou s’installe…

Samedi dernier, alors que 800 personnes sont venues voir l’exposition dans la journée, le public était nombreux à attendre devant le livre d’or pour y exprimer son point de vue sur une exposition qui n’annonce pas clairement la couleur quant à ses buts idéologiques. Certains comptent le faible nombre d’étoiles jaunes dans l’exposition. D’autres dénoncent « des vues expurgées », d’autres « un révisionnisme historique ». Un « fils de déportés à Auschwitz » dit « désapprouver » une exposition dont l’avertissement n’est pas à la hauteur de ce qu’il aurait fallu exprimer. Un jeune conservateur s’emporte : « C’est une exposition qui me donne la nausée. En tant que conservateur, je trouve que c’est indigne de la profession ! » Un autre : « Cette exposition banalise l’occupation nazie. À quelques pas de ce que l’on voit, on parquait les gens à Drancy, qui était l’antichambre d’Auschwitz, et on torturait des résistants, rue des Saussaies ! » Un autre : « Ces photos sont magnifiques, trop belles pour une époque barbare. » Un autre : « Ce photographe n’a pas inventé ce qu’il a vu. Il ne l’a pas mis en scène. C’était ça, Paris sous l’Occupation, des gens qui continuaient à se goberger et à se compromettre avec Pétain ! »

Et si c’était ce dernier courant de pensée, accréditant la thèse d’une France majoritairement pétainiste, qui avait prévalu pour nier ainsi le fait, entre irresponsabilité, indécence, désinvolture et désinformation, que cette exposition montre des images de propagande ? Quel gâchis ! Est-il encore temps de mener un travail nécessaire sur la propagande, la manipulation du spectateur, la responsabilité de l’artiste, le lien entre esthétisme et idéologie ?

 

« Les Parisiens sous l’Occupation : photographies d’André Zucca », Bibliothèque historique de la ville de Paris, 22, rue Malher, 75004 Paris, ouvert de 11 heures à 19 heures tous les jours, sauf le lundi. Tél. : 01 44 59 29 60.

Le catalogue, édité par Gallimard Paris Bibliothèques, contient un texte de Jean Baronnet et une préface de Jean-Pierre Azéma, 178 pages, 35 euros.

Voir cet article sur son site d'origine

Magali Jauffret L'Humanité

Agenda

lundi 5 mai 2008, 18:45

Pourquoi est-il nécessaire de lier le combat laïque au combat social ?

Salle Quintrand,
04100 MANOSQUE
Alpes de Haute Provence

Réunion publique, avec Bernard TEPER Président National de L'UFAL

à l'initiative de l'UFAL 04 soutenue par le "Collectif 04 des Services publics", Attac - LCR - PCF - Les Amis de l'Humanité - Fondation Copernic... (Liste en cours)

Contact: 06.62.85.73.38

jeudi 8 - dimanche 11 mai 08

UFAL: 4ème édition de l’Université populaire laïque

Mazères (09)

L’UFAL organise sa 4ème université populaire laïque à Mazères (Ariège) du 8 au 12 mai. Profitons du pont et des beaux jours pour se rencontrer, débattre et se détendre dans un cadre relaxant.

Cet événement crucial pour la campagne d’éducation populaire de l’UFAL a besoin de vous pour construire la meilleure stratégie d’action. Le programme fourni de l’UPL abordera tous les thèmes qui constituent le combat global et progressiste de notre association laïque et républicaine.

Télécharger le bulletin d'inscription et toutes les informations nécessaire ici.

 

Programme

Jeudi 8 mai

Vendredi 9 mai

Samedi 10 mai

Dimanche 11 mai

samedi 24 mai 2008, 10:00

"Quelle modernité pour la laïcité ?"

en Sorbonne (amphi Milne Ewards)
Paris

Attention les horaires ne sont pas encore connu, 10h est à titre indicatif, voir les détails à cette adresse: Philosophe dans la Cité

Le premier colloque du Philosophe dans la Cité

Deux discussions :

Les religions ont-elles besoin du concept de laïcité positive ?

Faut-il réinventer la laïcité à l'aune des enjeux du XXIe siècle ?

Une table ronde : Quelle laïcité européenne ?

Ce premier colloque est parrainé par Mr Pierre-Henri TAVOILLOT (Sorbonne - Collège de Philosophie).

Voir l'agenda complet en ligne

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association:
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27 rue de la Réunion
75020 PARIS

Courriel: respublica@gaucherepublicaine.org
Site: http://www.gaucherepublicaine.org