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ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine

n°598 - vendredi 19 septembre 2008

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1 - chronique d'Evariste

1 - L’arme ultime : dominer la culture et l’éthique de vie

En cette rentrée, l’actualité pleut sous les mesures de décomposition du tissu social. Loin de partir en vacances le gouvernement a profité des vacances pour faire tourner à plein régime la machine de déstructuration et de segmentation. Quatre terrains symboliques pour lire la culture libérale anglo-saxonne :
D’abord le RSA, dont la mise place poursuit le renforcement de la valeur : «  chômeur  » = «  personne qui refuse de travailler  » en lieu est place de «  chômeur  » = «  personne qui ne trouve pas de travail  ». La différence symbolique est énorme.

Nul ne regarde les autres citoyens de la même manière suivant qu’il adopte l’un ou l’autre des deux points de vue, et, par voie de conséquence, soutenir les caisses de chômage ne sera pas vécu de la même façon... l’identification «  chômeur  » = «  personne qui refuse de travailler  » permet de supprimer ses caisses sans que personne n’y trouve à redire. Leur suppression sera même vécue comme un soulagement, une forme de «  justice à l’égard de ceux qui, eux, travaillent !   ».
Ensuite l’ISF, pour lequel la surprise avait été de ne pas le voir supprimé purement et simplement en Mai 2007, date de l’annexion de la présidence française par le libéralisme. Mais c’était sans compter la grande bourgeoisie ! Toujours avide, elle a su montrer au président qu’il était de bon ton de revenir dans le droit chemin. Ainsi, l’ISF pourrait disparaître, lui qui est un symbole d’une justice sociale pour la solidarité à l’ensemble des individus-citoyens. Inculquer l’idée que cet impôt est «  injuste  » et «  inutile  » est un vrai coup porté à l’éthique et à la culture d’individus-citoyens pour en faire des «  individus-nus  ».
Nous avons aussi EDVIGE, le nouveau fichier de renseignements de la police. Certes, nous avions déjà les dossiers des RG, mais EDVIGE va beaucoup plus loin : renseignements sur les opinions philosophiques, sur la sexualité, sur la santé, intégration des enfants (dès 13 ans), ce fichier est une véritable atteinte à la laïcité dans le sens le plus strict car préserver la sécurité des personnes pour leurs opinions passe aussi par préserver leur intimité. Là encore, l’argumentation de l’éthique libérale anglo-saxonne inverse et invoque la sécurité, non la dangerosité et l’atteinte à l’intimité qu’un tel fichier représente. Imposer l’idée que «  pour notre sécurité  » nos faits, nos gestes et notre vie doivent être connus est un point essentiel à imposer pour asseoir un régime sécuritaire et liberticide.
Enfin, la «  mixité scolaire  » permet de tirer au sort quelques élèves et de les envoyer dans des établissements de meilleur niveau. Cette mesure vise à faire accepter que «  l’aumône  » faite à ses enfants est une chance pour eux. D’abord l’aumône met toujours celui qui reçoit en état de dépendance à l’égard au donateur (à comparer avec la volonté de l’éducation nationale de donner à chaque enfant les mêmes chances que tous les autres).
La mixité vise également à faire paraître pour «  normale  » la différence entre établissements scolaires et instaurer une méthode de quotas au lieu de travailler à l’égalité des futurs individus-citoyens. Enfin, permettre à quelques élèves de s’en sortir dédouane d’aider la totalité des enfants de notre pays en travaillant à édifier une vraie éducation nationale digne de ce nom. Ici aussi, le modèle de la charité produit la stagnation sociale, la soumission au «  vouloir du prince  ».
Là encore, l’objectif est très précis : imposer l’idée que ce système est «  bien  », «  normal  », «  juste  ».

Une logique de domination

Le libéralisme anglo-saxon produit concrètement des effets très violents : segmentation du tissu social et isolement des individus, culpabilisation et responsabilisation des plus faibles, impunité des puissants et détournement du pouvoir pour l’usage privé, destruction des infrastructures de soutient à la population, règne de la possession et consumérisme exacerbé, dévalorisation des savoirs et mise en avant de la superficialité et des dogmes, communautarisme, détournement et affaiblissement de la justice, atteinte à la vie privée, ... la liste est d’une longueur effarante !
Contrer chacun de ces points de manière isolée revient à remplir le tonneau des danaïdes : le problème n’est pas le niveau d’eau qui diminue, mais les trous dans le tonneau ! Or la gauche du XXe siècle a tenu pour gage de réussite son action sur le plan économique et social : elle a passé son temps à verser de l’eau dans le tonneau. À l’inverse le libéralisme a attaqué non seulement sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan culturel et éthique. En intégrant que l’homme est humain et pas seulement un artisan du grand prolétariat, il a pris une longueur d’avance sur l’ancienne gauche : rien de surprenant à ce qu’il l’emporte aujourd’hui. Cette constatation est d’autant plus importante et pesante que le prix du libéralisme anglo-saxon est très élevé en termes de coût humain. La dégradation du système de santé, par exemple, c’est la misère et la douleur individuelle des personnes qui subissent les affres de la maladie parce qu’ils n’ont pas la possibilité de se soigner correctement. Mais malgré ces prix exorbitants en termes de douleur individuelle, de mutilation de la vie, d’intrusion dans l’intimité, de frustrations et de soumissions, le libéralisme s’impose ! L’Homme est un être humain avec une culture et une éthique de vie.

Le monopole de la culture et de l’éthique fonde le pouvoir

Pierre Bourdieu ne cessait de le répéter : celui qui détient le monopole de la normalité culturelle et éthique assure son pouvoir de domination. Tout son travail de sociologue n’a eu qu’un seul but : sortir de l’ombre ce qui assure la domination, mettre à disposition des plus faibles les armes pour comprendre comment ils sont abusés, maîtrisés et dominés.
Le libéralisme anglo-saxon n’arrive à imposer son coût humain exorbitant que parce qu’il multiplie la propagande de son style de vie ; que parce qu’il travaille sans relâche à inculquer aux individus les normes culturelles, les valeurs et l’éthique de vie qui rendent «  normales  » et «  justes  » les décisions politiques les plus humainement rétrogrades. L’individu qui aime ces chaînes parce qu’il les trouve «  seyantes », «  protectrices  » ou «  naturelles  » : voila le type d’être humain que vise le libéralisme anglo-saxon. Et pour cela, il n’y a qu’une arme : travailler la culture et l’éthique de vie des individus, rééduquer leur psychologie.
Pour «  notre bien personnel et notre sécurité à tous  » : EDVIGE viole notre intimité ; pour «  offrir aux enfants la chance de réussir à l’école  » : la mixité scolaire entre établissements abandonnés et établissement de haut niveau entérine l’abandon d’une éducation égalitaire pour tous ; pour «  sauver les retraites  » : allongement de la durée de cotisation et augmentation de la misère chez les personnes âgées ; pour «  sauver notre santé  » : mise en place de franchises médicales qui empêchent les plus démunis de se soigner correctement. Imposer la culture et l’éthique de vie est l’élément qui permet au libéralisme anglo-saxon de coloniser la psychologie des individus et leur faire accepter ce que l’on imaginait «  inacceptable  » !

Dans cette guerre des valeurs, les militants doivent produire une nouvelle culture et une nouvelle éthique de vie ; une éthique de vie alternative qui soit opposable à l’éthique de vie prônée par le libéralisme anglo-saxon. La base en est une culture de l’individualité citoyenne, une éthique de vie qui réalise consciemment l’importance et l’attachement à la vie et la défense d’un cadre collectif qui garantisse la souveraineté des individualités et les rend possibles. Ce cadre porte un nom : le Pacte Républicain, ces acteurs en sont les individus-citoyens.

A chaque époque ses engagement et ses actions propres. Contre les mass-médias dominants qui envahissent les foyers, les militants doivent sortir des conférences et porter, propager, répandre cette culture et cette éthique de l’individu-citoyen par l’éducation populaire pour proposer un autre système de vie. Là est à la fois notre fierté et notre tâche à nous, militants de la gauche du XXIe siècle.

Évariste Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

2 - politique française

1 - Le PS a trouvé le mouvement perpétuel: il fournit chaque année des transfuges qui rejoignent la droite!

Un de mes amis physico-chimiste m’a rapporté ce propos : « Le Parti Socialiste est le premier parti au monde à avoir compris l’intérêt du mouvement du pendule : quand il oscille de gauche à droite, il passe toujours par le centre. Et si le pendule est dans le vide, ce qui est souvent le cas, alors le mouvement devient perpétuel ». Que cet article lui soit dédié !

Alors que l’urgence sociale et politique devient de plus en plus patente, la crise au sein du PS se développe comme jamais. Le nouveau jeu des socialistes est celui-ci : qui sera le prochain qui rejoindra la droite ? Où mieux, quel est l’agenda de la fuite des leaders socialistes à droite ?

Malgré sa dérive vers les politiques néolibérales, il avait jusqu’ici réussi à s’opposer à la droite lorsqu’il était dans l’opposition.

Mais 2007 est arrivé-é-é !

Kouchner, Besson, Amara, l’ancien maire de Mulhouse que personne ne connaît en dehors de Mulhouse, ont franchi le Rubicon. Le PS a réagi ! Ces quatre personnes ne font plus parties du PS.

Mais 2008 est arrivé-é-é !

Et là, la majorité des parlementaires radicaux de gauche et l’ineffable Jack Lang ont fait la courte échelle à Sarkozy. Sans eux, Sarkozy essuyait une défaite sanglante le 21 juillet. Mais là, malgré quelques vociférations, le PS maintient Jack Lang dans ses rangs et le PS ne dit rien sur le soutien électoral aux parlementaires radicaux de gauche qui doivent tous leur élection au PS. Il faut vraiment que la crise soit profonde !
Puisqu’il y a 21 contributions pour le Congrès et qu’il n’y a jamais eu autant de courant, pourquoi pas un courant sarkozyste au sein du PS ? Voilà notre contribution à la rénovation du PS : là, ce serait super, moderne, cool, zen, hyper top !

Mais, il y a encore de la ressource au PS. Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn, respectivement patron de l’Organisation mondiale du commerce et patron du Fonds Monétaire International, sont à leur poste grâce à Sarkozy. S’ils étaient dans l’opposition, ils ne pourraient pas être nommé à ces postes. Et bien, il y a encore des socialistes qui se réfèrent à ces deux histrions, mais oui !

Mais ce n’est pas fini ! Il y a les quatre mousquetaires : Christophe Caresche (Paris), Jean-Marie Le Guen (Paris), Gaëtan Gorce (Nièvre) et Manuel Valls (Essonne) : qui ont appliqué la discipline de vote du 21 juillet mais qui ont fait une tribune pour dire tout le bien qu’il pensait de Jack Lang et critique « l’anti-sarkozisme pavlovien » du PS !

Et là, stupeur, le PS ne réponds plus ! Il est comme anesthésié.

Pourquoi ? Parce que d’autres se demandent s’il ne serait pas temps de passer l’arme à droite ou de transformer le PS en vibrionneur docile avec la droite comme le fait déjà le SPD en Allemagne par exemple !!! Là, nous touchons enfin aux réalités post-modernes de la politique !

Jérôme Manouchian

2 - C'est quoi, la laïcité négative ?

En parlant une fois de plus de laïcité positive, Nicolas Sarkozy sous-entend qu'il existe une laïcité négative. Mais le Président se trompe. C'est aux religions de devenir positives.

Nicolas Sarkozy, Paris, 12 septembre 2008 : de l’eau dans le vin de Latran et de Riyad.
A lire le discours prononcé par le président de la République recevant Benoît XVI, on ne peut qu’être frappé par les différences qui le distinguent des discours offensifs - et même insultants - envers les incroyants, prononcés cet hiver à Rome (Latran) et à Riyad. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas remarquer le soin avec lequel Nicolas Sarkozy s’est employé à citer ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas sans s’acharner sur ces derniers, sans les traiter comme des mutilés de la pensée, l’application qu’il a mise à souligner le rationalisme de la démocratie républicaine moderne, et sa relation à la tradition des Lumières.
Il importe peu que le président soit ou non convaincu par ces propos qui se veulent apaisants : nous n’avons pas à sonder son cœur ; il faut et il suffit de l’entendre comme le politique qu’il ne devrait jamais cesser d’être. L’important est qu’il ait jugé opportun de les tenir : cela sonne comme une révision partielle des propos qui avaient mis le feu cet hiver. Nul doute que tout le monde retenait son souffle et se demandait s’il céderait une fois de plus à ce sens de la provocation qui ne lui réussit pas toujours, notamment en matière de laïcité.
Ne nous y trompons pas cependant. L’insistance à faire figurer le nom de Dieu dans un discours officiel, à en banaliser l’usage, l’éloge final des religions qui « peuvent élargir le cœur de l’homme » : autant de pointes, entre autres, qui nous rappellent les excès des précédents discours et servent de piqûre de rappel.

Laïcité : négativité ou minimalisme ?

Reste maintenant à examiner un des noyaux du discours du 12 septembre, que certains appellent hâtivement un concept : la notion de « laïcité positive ». La simple juxtaposition sonne plutôt comme une thèse a contrario. La laïcité avant Nicolas Sarkozy ou en dehors de son action serait donc « négative » et heureusement que nous avons un Président pour remédier à cela... !

Il faudrait d’abord s’entendre sur l’emploi des termes « négatif » et « positif ».
On peut entendre par là une quantité de contenu au sens doctrinal. De ce point de vue, il n’y a effectivement rien de plus minimal que la laïcité. Elle n’est pas une doctrine, puisqu’elle dit que la puissance publique n’a rien à dire s’agissant du domaine de la croyance et de l’incroyance, et que c’est précisément cette abstention qui assure la liberté de croire et de ne pas croire dans la société civile. Ce n’est pas non plus un courant de pensée au sens habituel du terme : on n’est pas laïque comme on est catholique, musulman, stoïcien, bouddhiste, etc. C’est le contraire : on peut être à la fois laïque et catholique, laïque et musulman, etc. La laïcité n’est pas une doctrine, mais un principe politique visant à organiser le plus largement possible la cœxistence des libertés. Qu’on me pardonne ce gros mot : les philosophes parleraient d’un « transcendantal » - condition a priori qui rend possible l’espace de liberté occupé par la société civile. Ce n’est pas ici le lieu de refaire toute la théorie : je l’ai proposée ailleurs et je me permets d’y renvoyer les lecteurs[1].
Confondre minimalisme et négativité, c’est soit une erreur soit une faute. C’est une erreur si la confusion a pour origine une méconnaissance. C’est une faute si, malgré la connaissance, elle s’impose sous une figure de rhétorique qui sonne alors comme une déclaration d’hostilité. Dans les deux cas, il est opportun et urgent de rappeler le fonctionnement théorique du concept de laïcité.

La laïcité pose la liberté

Maintenant, regardons quels sont les effets du minimalisme dont je viens de parler. On découvre alors un autre angle d’attaque pour user des termes « négatif » et « positif », qui les rattache à une question décisive. Il s’agit de l’effet politique et juridique : celui-ci est-il producteur de droit et de liberté?
On pourra aisément montrer que c’est précisément par son minimalisme que le principe de laïcité est producteur, positivement c’est-à-dire du point de vue du droit positif, de libertés concrètes. C’est en effet à l’abri d’une puissance publique qui s’abstient de toute inclination et de toute aversion en matière de croyances et d’incroyances que les religions, mais aussi d’autres courants de pensée, peuvent se déployer librement. A l’abri d’un Etat où règne une religion officielle ou un athéisme officiel. Mais aussi, ne l’oublions pas, à l’abri les uns des autres. En s’interdisant toute faveur et toute persécution envers une croyance ou une incroyance, la puissance publique laïque les protège toutes, pourvu qu’elles consentent à respecter la loi commune.
Il n’y a donc rien de plus positif que la laïcité. Elle pose bien plus de libertés politiques et juridiques que ne l’a jamais fait aucune religion. Car une autre confusion doit être dissipée. Si quelques messages religieux aspirent à une forme de libération métaphysique et morale, aucune religion n’a été en mesure de produire la quantité de libertés positives engendrées par la plate-forme minimaliste de la Révolution française - première occurrence du concept objectif de la laïcité même si le mot apparaît plus tard. Du reste ce n’est pas la préoccupation essentielle des religions, qui ne sont heureusement pas réductibles à leurs aspects juridiques.
Quelle religion a institutionnalisé la liberté de croyance et d’incroyance ? Laquelle a, ne disons pas instauré, mais seulement accepté de son plein gré le droit des femmes à disposer de leur corps, à échapper aux maternités non souhaitées ? Laquelle serait prête à reconnaître celui des homosexuels à vivre tranquillement leur sexualité et à se marier ? Laquelle reconnaît de son plein gré la liberté de prononcer des propos qui à ses yeux sont blasphématoires ? Inutile de citer l’affaire des caricatures, l’assassinat de Théo Van Gogh, pas besoin de rappeler les lapidations, ni de remonter au procès de Galilée ou au supplice du Chevalier de La Barre : les exemples sont légion. Aucune des libertés positives que je viens de citer n’a été produite par une religion, directement, en vertu de sa propre force, de sa propre doctrine et par sa propre volonté : toutes ont été concédées sous la pression de combats et d’arguments extérieurs.
On me citera comme contre-exemples l’ex-URSS ou la Pologne : mais la liberté religieuse heureusement rétablie y a été réclamée contre un Etat pratiquant lui-même une forme de religion officielle exclusive. Une religion persécutée a besoin de la liberté de croyance et a raison de lutter pour l’obtenir, mais elle ne la produit pas par elle-même, elle n’est pas elle-même le principe d’une liberté qui vaut pour tous : elle la désire pour elle, ou tout au plus pour ceux qui ont une religion, exclusivement - sa générosité propre ne s’étend pas au-delà. Benoît XVI a rappelé dans un de ses discours du 12 septembre à Paris que, à ses yeux, il n’y pas de culture véritable sans quête de Dieu et disponibilité à l’écouter. Il a bien sûr le droit de le penser et de le dire, mais on a aussi le droit de rappeler que ce principe n’est pas en soi inoffensif : il suffit de lui (re) donner la force séculière pour en prendre la pleine mesure.

Il appartient aux religions de devenir positives et non-exclusives

La laïcité n’a donc pas à devenir positive : elle l’a toujours été, elle est un opérateur de liberté. Davantage : la positivité des libertés n’est possible que lorsque les religions consentent à renoncer à leur programme politique et juridique, que lorsqu’elles acceptent de se dessaisir de l’autorité civile, que lorsqu’elles consentent à se dessaisir de l’exclusivité spirituelle et de la puissance civile auxquelles certaines prétendent toujours. Autrement dit, pour que l’association laïque puisse organiser la cœxistence des libertés et par conséquent assurer la liberté religieuse, il est nécessaire que les religions s’ouvrent au droit positif profane en renonçant à leur tentation d’hégémonie spirituelle et civile.

Il convient donc d’inverser l’injonction du président de la République : la laïcité demande aux religions de devenir positives et de renoncer à l’exclusivité tant intellectuelle que politique et juridique. L’histoire des rapports entre la République française et le catholicisme témoigne que c’est possible. Elle témoigne aussi que dans cette opération les religions sont gagnantes. Car elles ne gagnent pas seulement la liberté de se déployer dans la société civile à l’abri des persécutions ; en procédant à ce renoncement elles montrent qu’elles ne sont pas réductibles à de purs systèmes d’autorité ni à un droit canon ou à une charia auxquels il serait injurieux de les restreindre, elles montrent qu’elles sont aussi et peut-être avant tout des pensées. Et à ce titre, elles sont conviées dans l’espace critique commun de libre examen ouvert par la laïcité.

Notes

[1] Notamment dans le livre Qu’est-ce que la laïcité ? (Paris: Vrin, 2007). Voir aussi plusieurs articles dans Marianne2 et sur la page web de l’auteur

Voir cet article sur son site d'origine

Catherine Kintzler www.mezetulle.net
Auteur de "Qu’est-ce que la laïcité ?", publié chez Vrin, 2007.

3 - Quand un organe de l'ONU épinglait Edvige

Téléchargez ici les observations du Comité des droits de l'homme au format PDF.

En France, la classe politique semble avoir découvert l’existence du fichier Edvige la semaine dernière. Pourtant, le décret créant ce fichier policier a été publié au tout début de l’été, le 1er juillet.

Plusieurs organismes, défenseurs des libertés, avaient alors réagi au quart de tour, dénonçant les risques qui constitue, à leurs yeux, un fichier tel qu’Edvige. Une critique qui s’est faite aussi au niveau international. On en parle peu aujourd’hui, mais le Comité des droits de l’homme, un organe des Nations unies basé à Genève, a émis des observations sur Edvige dès le mois de juillet.

En tant qu’organe de surveillance, ce Comité des droits de l’homme examine les politiques des Etats en matière de libertés et droits civiques. Le 22 juillet, dans un rapport rendu sur la France, les 18 experts alertaient sur les dangers d’Edvige et plus généralement sur « la prolifération de différentes bases de données. »

Edvige non conforme au Pacte international

Selon les 18 experts du Comité, « la collecte, le stockage et l’utilisation de données personnelles sensibles contenues dans les bases de données comme Edvige et Stic (Système de traitement des infractions constatées) peut soulever des questions au regard du Pacte. » Il s’agit là du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur en 1976, qui prévoit dans son article 17:

« 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
 »

La France appelée à revoir sa copie

Dans une série d’observations, les experts détaillent les points qui posent problème dans le fichier Edvige, appelant la France à y remédier.

Dans l’ordre: « La collecte et la conservation de données personnelles dans les ordinateurs, dans des banques de données et selon d’autres procédés doivent être régies par la loi ». Ce qui signifie en pratique qu’un fichier tel qu’Edvige devrait être débattu au Parlement et non relever de l’exécutif (en l’occurrence du ministère de l’Intérieur) par voie de décret.

Ensuite, le Comité demande « des mesures effectives pour garantir que ces informations n’arrivent pas entre les mains de personnes non autorisées ». La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) avait également émis une réserve sur ce point, regrettant l’absence d’un système fiable pour assurer la traçabilité des connexions et éviter les abus.

Un droit de regard sur Edvige

Autre garantie, indispensable aux yeux des experts internationaux : « Les individus doivent pouvoir demander la rectification ou la suppression d’une donnée incorrecte ou recueillie en violation de la loi. » Sur ce sujet, Yann Padova, secrétaire général de la Cnil, assure que les citoyens pourront obtenir la suppression des données erronées contenues dans Edvige. Mais, fait-il remarquer, « pour Cristina (le fichier antiterroriste), on n’a aucun moyen de contrôle. On ne sait même pas ce qu’il y a dedans puisque le décret n’a pas été publié. »

Enfin, le comité soulève la question du fichage des mineurs dès 13 ans. Et demande expressément que « le fichier Edvige ne porte que sur les enfants à partir de 13 ans qui ont été reconnus coupables d’une infraction pénale ». Dans la formulation actuelle, il s’agit plus largement de ficher « toute personne (13 ans et plus) susceptible de troubler l’ordre public ». Comme le souligne Hélène Franco, secrétaire générale du syndicat de la magistrature, « l’expression est très vague, on vise là les délinquants potentiels… Donc, en réalité, tout le monde ».

Voir cet article sur son site d'origine

Marie Piquema Libération.fr

4 - À propos de la fusion Suez/GDF

C’est courageux de continuer à lutter contre la privatisation de GDF, d’autant plus que celles de la Poste et d’EDF se profilent pour le proche avenir. Mais, pour lutter utilement contre ces «  ouvertures de capital  », qui aboutissent à une privatisation réelle, il ne suffit pas, comme on le fait souvent d’évoquer l’augmentation des tarifs qui en résulte. Il faut également riposter aux arguments qui ont été avancés par les auteurs de ces opérations.

Pour la fusion Suez/GDF, l’argumentation développée repose essentiellement sur deux points :

  1. La mondialisation impose de réaliser des économie d’échelle
  2. il n’y a pas d’autre solution que cette fusion

1, Des économie d’échelle sont certes indispensables, d’autant plus qu’en matière énergétique, les investissements doivent être massifs. Mais pour mobiliser le capital indispensable, on a pu pratiquer d’autres solutions bien meilleures:

2, Y a-t-il de meilleures solutions que cette fusion ? D’abord pourquoi cette solution est mauvaise ? Le marché de l’énergie est très particulier : l’énergie est indispensable à toute vie moderne ; nombre de ses utilisations sont totalement captives (en électricité, tous les usages sauf le chauffage)  ; c’est donc « un bien public »,  qui, de plus, tend à devenir rare (la demande croissant plus vite que l’offre)  ; Suez/GDF majoritairement privatisée (65 % de capital privé), dont le Président désigné est d’ailleurs Mr. Mestrallet (président de Suez) sera mis, par l’Etat impécunieux, à la merci des actionnaires qui, tout naturellement, seront tentés par des investissements à rendement rapide, alors que dans le domaine énergétique, le rendement du capital est faible et à long terme… sauf si l’on augmente fortement les tarifs, ce qui est déjà le cas. De plus, l’évolution inexorable en faveur des privatisations partielles, sous la pression des actionnaires privés, est d’accroître continuellement la part du privé sur le public (exemples : France-télécom, Air-France, etc…). D’ailleurs Sarkozy, après avoir juré solennellement en 2006 que GDF (comme EDF) ne passerait pas sous la barre des 50 % de capital public, a fait le contraire un an plus tard : le contrôle de la puissance publique n’est donc que très provisoire.

Pouvait-on faire autrement ? On pouvait accepter une fusion entre Suez et l’Enel italienne, dans le cadre de l’Union Européenne, ce qui aurait assuré une vraie concurrence face à la fusion souhaitable EDF/GDF, évitant ainsi une « domination monopolistique ; les traités communautaires proclamant par ailleurs la neutralité de l’UE en matière de statut patrimonial[2], l’affaire était parfaitement jouable. D’ailleurs nos gouvernants ont–ils « osé » présenter un tel projet à la CE ? Certainement non, alors qu’on a déjà constaté que la CE sait plier face à des adversaires résolus (voir exemples ci-dessus) De plus dans le monde, l’énergie est à nouveau confiée à des entreprises publiques, étant donné la nécessité vitale d’obtenir la sécurité d’approvisionnement de l’énergie et de faire face aux « fonds souverains'' » des pays producteurs et des pays émergents qui eux aussi sont publics

Il est certain que connaître et réfuter les arguments avancés lors des privatisations précédentes, qui se ressemblent toutes, peut servir pour l’avenir concernant, en particulier, la Poste et EDF. Le contexte extérieur devrait être favorable à cette contestation puisque les excès du néo-libéralisme et les crises en résultant tendent à justifier un retour de la présence des pouvoirs publics dans l’économie, surtout quand il s’agit de services publics. Il faut cependant attirer l’attention des syndicats sur l’enjeu de ces nouvelles batailles à livrer, la Poste n’étant pas comme certains le pensent un combat d’arrière –garde, perdu d’avance

Notes

[1] L’unbundling est le fait de séparer les diverses activités d’une entreprise qui, par souci d’efficacité, avait effectué une intégration verticale des dites activités (pour l’électricité et le gaz : les fonctions de production, de transport et de distribution); devant l’hostilité des gouvernements français et allemands, il semble que la CE, pourtant soutenue par le Parlement européen, hésite à imposer cet éclatement

[2] J’ai entendu en 2004 le Directeur général de la DG Energie, Mr.Lamoureux, affirmer, en réponse à une question sur le projet de fusion EDF/GDF : « La CE jugera le projet d’une telle fusion uniquement en fonction de son caractère de monopole dominant , et non pas de son caractère patrimonial »

Yves Durrieu

5 - L'école sabbatique Réflexions sur la "libération" du samedi matin

La suppression de l’école le samedi matin n’est pas seulement un prétexte pour rendre les enfants à la vie familiale : avec l’aumône de deux heures de « soutien » aux « élèves en difficulté » (dont le dispositif est pour le moins problématique), elle poursuit l’abolition des vacances scolaires au profit d’une vacance générale de l’école.

Selon le ministre de l’Education nationale, X. Darcos, il était jusqu’à présent passablement fâcheux que, par exemple, des cousins de Neuilly et de Paris n’aient jamais l’occasion de se voir le week-end, sous prétexte qu’ils n’avaient jamais en même temps leur samedi "libéré"[1]. Dont acte : supprimons le samedi travaillé !
Jusque-là rien à redire : comment ne pas souscrire à une mesure destinée à faciliter la vie de famille – et accessoirement celle du professeur des écoles[2] ?… A part effectivement quelques esprits chagrins qui ont soudain pensé : "Et dans les communes où le samedi travaillé permet aux enfants de ne pas rester chez eux à s’ahurir devant la télévision au sein d’une famille où règne une violence latente, en tout cas un mal-être ? "
Voici donc nos deux cousins (de Paris et de Neuilly) libres de partir gaiement à Deauville pour un week-end marin bien mérité.

Sauf que le ministre des longs week-ends s’est peut-être senti tout honteux : "N’allez pas croire que nous n’ayons pas souci des élèves, et tout particulièrement des élèves en difficulté… " Et voici le tour de passe-passe : ce qui au départ n’était qu’une mesure ad hoc destinée à faciliter la vie des riches est présentée à l’opinion comme une mesure visant expressément à aider le faible[3]. Pendant que les deux cousins sus-cités iront batifoler sur le sable deauvillais, les nuls, eux, iront en classe pour y comprendre enfin ce qu’ils n’auront pu comprendre les quatre jours précédents (ce que l’on aura tout fait pour qu’ils ne comprennent pas durant les quatre jours précédents).

C’est la même logique à l’œuvre dans les stages dits "Darcos" des vacances de printemps et d’été : inculquer aux pauvres dès leur plus jeune âge que le loisir leur est tout à fait interdit. De même qu’enfants ils auront passé tout leur temps à se laisser peu à peu insidieusement décérébrer par un divertissement institutionnalisé, ainsi, adultes, ils accepteront plus facilement de peiner sang et eau pour gagner ce petit plus qui leur permettra de survivre petitement.
La suppression du samedi matin est donc d’une honte et d’un mépris sans fard !

Que signifie cette aumône de deux heures aux faibles ? Pourquoi, comment serait-il possible de faire en deux heures ce que l’institution interdit de faire pendant vingt-quatre heures du lundi au vendredi : instruire ? ! ? Pourquoi, de quel droit priver les faibles de trois semaines de vacances[4] ? Et que l’on ne dise pas qu’alors l’école donne aux pauvres ce que les riches se paient par l’intermédiaire d’officines privées ! En outre, et ce que le gouvernement cache bien à l’opinion, c’est que l’organisation de ces prétendues deux heures s’annonce un joyeux capharnaüm[5] : va-t-on faire venir les faibles le samedi matin ? le mercredi matin ? Peut-on les y contraindre, eux et leur famille[6] ? Ou bien, le professeur des écoles anorexique fera-t-il classe sur le temps du midi à des faibles nourris sous perfusion ou au lance-pierre ? Ou bien encore, après la classe, mais alors le professeur des écoles impécunieux qui fait des études pour gagner plus du coup gagnera moins…

Et que dire de l’appellation sinon frauduleuse du moins particulièrement insidieuse d’aide personnalisée ? Qui rapidement n’y verrait pas la généreuse proposition d’un tutorat institutionnalisé ? Or que non. Jamais un élève ne sera seul dans une classe avec son maître. Ce qui aura lieu, en revanche, ce sera une cœxistence d’au maximum 6 élèves monades qui recevront chacun à tour de rôle (à concurrence de deux heures au plus par semaine) l’aide individualisée d’un instituteur fragmenté. A moins de constituer ce que l’on appelle des groupes de besoin (tout restant ouvert, le décret du 15 mai étant fort vague et déléguant superbement la décision à des maîtres et des inspections de circonscription qui n’en peuvent déjà mais) : réunir des élèves de différentes classes rencontrant ponctuellement la même difficulté scolaire.

Reconnaissons-le : d’une certaine façon, le stage que certains élèves ont suivi lors des dernières vacances de printemps et d’été est une réussite. Enfin, des élèves qui jusqu’à présent étaient noyés tout autant dans la masse de leur classe que dans la profusion des savoirs à eux enseignés, enfin ces égarés de l’Education nationale ont pu pendant cinq matinées successives avoir un enseignant presque particulier. Pour une fois (et nombreux sont de tels témoignages) ils ont eu l’impression d’exister en tant qu’élèves (bien qu’entendant leurs camarades des centres de loisirs jouer gaiement sous les fenêtres de leurs classes de vacances[7]), ils ont eu tout simplement le plaisir d’être considérés !

Autrement dit, le ministre de l’école sabbatique devrait aller jusqu’au bout de sa logique : faire tout le long de l’année scolaire des classes à très petits effectifs où l’instituteur pourrait instruire ses élèves au lieu de les divertir et/ou de les mâter. Et là, je crois, on aurait vraiment souci des pauvres, des faibles !
Et du même coup on aurait également souci des forts !

© Tristan Béal et Mezetulle, 2008

Notes

[1] Dans une interview donnée au journal Le Parisien datée du lundi 3 septembre 2007 : « A Paris par exemple, dans les écoles, la règle est d'avoir cours un samedi sur deux. Ce n'est pas forcément idéal pour la vie familiale, pour les inscriptions aux sports et les autres activités. On pourrait donc envisager de supprimer les cours le samedi matin. Je viens d'en discuter avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Mais en même temps, il ne faut pas que les enfants dont les familles ne partent pas en week-end soient livrés à eux-mêmes. On pourrait imaginer que les écoles restent ouvertes et qu'on puisse proposer, en lien avec la ville, des activités sportives et d'éveil. » (Nous soulignons.)

[2] Les instituteurs ont vite déchanté. Au début, naïvement, certains se sont dit : « C'est une façon de nous augmenter sans le faire : nous serons payés autant mais travaillerons moins... » Puis, le cheval de Troie de la pédagogie moralisante de soutien s'avançant de plus en plus, ils ont vite compris qu'ils devraient travailler autant et pas comme ils le souhaitaient, c'est-à-dire librement. Ainsi, des 60 heures de soutien individualisé, il se dit que l'on pourrait en enlever 10 pour préparer les 50 autres heures ; sauf que cette préparation, loin d'être menée librement chez soi, devrait se faire en groupe dans l'école. Autrement dit, il faut assigner l'instituteur : il ne doit plus quitter son école. On ne sait jamais, il pourrait lui prendre l'idée saugrenue de travailler solitairement pour lui-même, et du coup pour ses élèves.

[3] Il faut attendre la fin du mois de septembre 2007 pour qu’apparaisse, sur le site internet de l’Education nationale, la référence "morale" aux mauvais élèves que l’on va aider grâce à la suppression du samedi matin : « Les heures de cours du samedi matin, ainsi libérées, ne seront pas perdues : elles seront réemployées à d’autres moments pour permettre un accompagnement personnalisé, en petits groupes, des élèves en difficulté. » (voir sur le site du Ministère [charger le lien]).

[4] Les stages ont lieu la première semaine des vacances de printemps et les première et dernière semaines des vacances d’été. Ainsi, en cette paisible année 2008, dans une commune respectant le calendrier dit des 4 jours, certains élèves ont terminé la classe le mercredi 23 avril à 11 h45 et ont commencé dès le lendemain leur stage matinal et cela jusqu’au mercredi 30 avril ; leur est donc resté comme journée pleine de vacances le vendredi 2 mai (je ne compte pas les deux week-ends qui de droit sont des jours de repos et encore moins le 1er mai). Conclusion : des élèves en difficulté, donc peu enclins souvent à continuer d’user leur fond de culotte sur les bancs de l’école honnie, n’ont eu qu’une seule journée pleine de vacances. Une chose au moins qu’ils auront apprise : ne pas avoir besoin de beaucoup de vacances avant de "reprendre le collier". A défaut d’être devenus de bons élèves, au moins seront-ils devenus de futures bonnes bêtes de somme que le patronat ne cesse de demander à notre gouvernement négrier !

[5] Surtout quand on sait que ces deux heures sont tout à fait gonflées. La suppression du samedi matin libère 106 heures. Jusqu’à maintenant, dans ces 106 heures, seules 60 heures étaient des heures de présence effective devant les élèves (sur 36 semaines de classe, seul 1/3 était travaillé pour les élèves ; les 2/3 restant étaient travaillés pour les enseignants : conseils des maîtres et/ou d’école, animations pédagogiques). Maintenant, depuis le Décret du 15 mai 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires, il se dit dans certaines inspections académiques que, de ces 60 heures de présence devant les élèves faibles, on pourra en enlever 10 heures pour notre travail de préparation. Restent donc 50 heures. Mais, en ce moment, dans toutes les écoles de France, on tente de fragmenter ces heures le plus possible afin de les faire entrer dans la journée scolaire obligatoire de 6 heures. Autrement dit, parents d’élèves à la traîne, ne croyez pas que votre enfant sera suivi pendant deux heures pleines ; estimez-vous déjà heureux si l’on s’en occupe 1 heure continue ; et ne vous plaignez pas s’il s’agit de quarts d’heure ou de demi-heures par-ci par-là ! En tout cas, ce qui est certain, c’est que les week-ends deauvillais de nos deux cousins, eux, seront bien pris en continu… En outre, l’instauration de ces deux heures et leur organisation sont laissées à la discrétion des inspections de circonscription : « Art. 10-3. ― L'organisation générale de l'aide personnalisée prévue pour répondre aux besoins des élèves qui rencontrent des difficultés dans leurs apprentissages est arrêtée par l'inspecteur de l'éducation nationale de la circonscription sur proposition du conseil des maîtres. L'ensemble des dispositions retenues est inscrit dans le projet d'école (…) » Décret du 15 mai 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires. Après cela, il est certain que l’Education n’est plus nationale que par homonymie : elle est bien plutôt départementale, voire de circonscription.

[6] La réponse est non. Autrement dit, le maître propose et la famille dispose. Ce qui est tout à fait scandaleux ! Encore une fois, une telle disposition est menée dans le seul but de culpabiliser les familles et de dédouaner nos gouvernants méprisants… « Art. 10-3. ― (…) Le maître de chaque classe dresse, après avoir recueilli l'accord des parents ou du représentant légal, la liste des élèves qui bénéficieront de l'aide personnalisée organisée pour répondre à leurs besoins spécifiques, dans la limite de deux heures par semaine. » Décret du 15 mai 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires.

[7] Remarquons incidemment que ces classes de vacances sont la preuve malgré elles de la vacance du savoir au sein des classes. C’est parce que l’institution interdit à l’instituteur d’enseigner le vrai et que le savoir est ainsi mis délibérément en vacance dans les salles de classe, qu’un ministre peut avoir l’idée honteuse d’instaurer des classes de vacances.

Tristan Béal

3 - laïcité

1 - Université et laïcité: Note sur la question des signes religieux

Faut-il militer pour que la loi du 15 mars 2004 interdisant le port des signes religieux à l’intérieur des établissements d’enseignement public primaire et secondaire soit étendue aux universités ? La question m’est souvent posée.
La note qui suit a été rédigée pour la Lettre de l’UFAL Flash en octobre 2007. Je tente entre autres d’y tirer les conséquences des principes que j’ai exposés sur mon blog, et plus largement dans le livre Qu’est-ce que la laïcité ?

Pourquoi le principe de laïcité stricte s’applique à l’espace scolaire

Le seul argument en faveur de cette extension est que les universités sont des établissements d’enseignement public relevant de l’autorité de l’État. Or l’État est laïque, donc…

Cet argument ne fonctionne pas, parce qu’il prouve trop. En effet, s’il était valide, il faudrait étendre la loi de 2004 à tous les services publics y compris du côté des usagers : il ne faudrait pas se contenter d’interdire le port des signes religieux au personnel, il faudrait aussi l’interdire aux personnes se rendant sur les lieux du service - dans les mairies, dans les services publics, au guichet des trésoreries, dans les bureaux de vote, etc. Or le principe de laïcité s’impose à l’autorité publique elle-même et à ce qui relève de cette autorité, alors que dans l’espace civil, c’est le principe de tolérance qui s’applique : on ne peut pas demander à une religieuse de quitter son habit lorsqu’elle vient faire une déclaration de vol au commissariat de police. L’espace civil n’est pas tenu par l’abstention en matière d’affichage d’opinion : c’est même à cette fin que la laïcité s’applique strictement dans l’espace de l’autorité publique, afin que, dans la vie quotidienne civile, les gens aient la liberté d’opinion…

Rappelons pourquoi la laïcité s’applique cependant à l’intégralité de l’espace scolaire primaire et secondaire, y compris les élèves[1]. L’école n’est pas un « service » au même sens qu’une administration : les élèves n’y « consomment » pas du droit, mais s’y constituent comme sujets, on ne va pas à l’école comme on vient remplir un formulaire ou obtenir un document officiel. En ce sens l’école est incluse dans l’espace constitutif du droit. Plus concrètement, les élèves y sont pour la plupart mineurs, soumis à l’obligation scolaire. Si des parents jugent l’affichage religieux indispensable à l’éducation de leurs enfants, ils ont la liberté de les inscrire dans des établissements privés. Enfin une très forte tradition française, appuyée sur les lois laïques centenaires, répugne à voir l’espace scolaire envahi par l’affichage religieux : c’est pourquoi la loi de 2004 a bénéficié d’un large appui dans l’opinion publique.

L’université n’est pas comparable à l’école

Or sur aucun de ces points l’université n’est comparable à l’école primaire et secondaire.

1° Par sa nature :

L’enseignement universitaire ne relève pas de la stricte « instruction publique », mais plus largement de la « formation ». On n’y vient pas pour se constituer comme sujet, pour y construire une autorité qu’on a déjà, mais pour compléter et parfaire son instruction, bien souvent pour lui donner une inflexion spécialisée de laquelle la professionnalisation n’est pas exclue. Même les disciplines totalement libérales sont prises dans ce moment intermédiaire où la société civile et l’État s’interpénètrent : ce qui soutient numériquement les disciplines dites « non rentables » comme les langues anciennes, la philosophie, la littérature, c’est en grande partie la préparation aux concours d’enseignant et de chercheur… La nature de ce qui se fait à l’université - enseignement et recherche - suppose en outre que les étudiants aient une large liberté de choix dans l’offre qui leur est faite[2] : la circulation des étudiants au sein de l’université ne saurait être dictée à la manière d’un programme scolaire, chacun pouvant choisir selon ses goûts, ses capacités et ses convictions ce qui lui convient ou non. La motivation personnelle n’excluant pas à ce niveau d’étude et de recherche les convictions politiques, idéologiques, etc., celles-ci ont toujours joui à l’université d’une plus large expression qu’elles ne peuvent le faire à l’école, bien entendu dans la limite fixée par la loi quant aux abus de la liberté d’opinion. C’est dire qu’un étudiant n’a pas le même statut intellectuel qu’un élève ; il n’a pas le même statut juridique non plus.

2° Par la nature de l’audience qu’elle accueille et par la tradition universitaire :

Les étudiants sont par définition des libertés constituées alors que les élèves sont par définition des libertés en voie de constitution. C’est pourquoi le domaine des convictions, comme on vient de le voir, n’est pas totalement étranger à l’université. La visibilité de cette distinction passe par la différence entre majeurs et mineurs, laquelle se redouble par la non-obligation et la non-gratuité de l’enseignement supérieur - n’oublions pas que les étudiants paient des droits d’inscription ! Certes il y a des majeurs (18 ans révolus) dans l’enseignement secondaire, mais d’abord ils sont minoritaires et ensuite ils sont en présence de mineurs auxquels ils ne peuvent imposer l’affichage de leurs opinions. Il y a également, en proportion négligeable, quelques mineurs à l’université : mais leur présence dans cet espace les émancipe le temps de leur scolarité ; on peut considérer qu’ils ont acquis assez de force pour faire face seuls aux aspects conflictuels de la liberté pleine et entière. Le fait d’accueillir des majeurs et le fait que l’activité de recherche soit primordiale expliquent pourquoi la tradition universitaire n’a jamais envisagé d’exclure l’inscription comme étudiants des religieux ouvertement déclarés et « affichés ». Interdire l’affichage religieux aux étudiants serait contraire à cette tradition et resterait largement incompris par l’opinion ainsi que par les étudiants, très attachés à cette liberté universitaire dont ils ne pouvaient pas jouir en tant qu’élèves dans l’espace scolaire.

Il faut souligner aussi que, à la différence de l’école, il n’y a que très peu d’universités privées, et que celles qui existent sont loin de couvrir tout le champ encyclopédique : une mesure de bannissement des affichages d’opinion ne pourrait pas s’appuyer sur des positions de repli possible pour ceux qui ne voudraient pas y renoncer.

Pour toutes ces raisons, je pense qu’on ne doit pas réclamer une loi interdisant le port de signes religieux à l’université, comme nous avons pu le faire avec succès s’agissant de l’école primaire et secondaire grâce au soutien de l’opinion publique et au remarquable travail de la « Commission Stasi ».

Ne pas accepter l’intolérable. Ne pas exposer les personnes

Précisons cependant qu’il ne faut pas tout mélanger et que cette position n’est pas réductible à un laisser-aller qui transformerait l’université en champ d’affrontements idéologiques. Tolérer l’affichage d’opinion, ce n’est pas tout tolérer et ouvrir la porte à ce qui est déjà interdit - mais qu’on n’a pas toujours le courage d’appliquer. Les lois s’appliquent à l’université comme ailleurs, et il serait bon de rappeler qu’elle ne doit pas être un sanctuaire dont la force publique est bannie. Il n’est pas tolérable, à l’université comme dans tout lieu public, qu’on porte un masque couvrant le visage, qu’on refuse l’identification physique, qu’on sépare les hommes et les femmes, qu’on se livre au prosélytisme, qu’on fasse pression sur les autres, qu’on instaure des quotas, qu’on réclame des droits spéciaux sur motif religieux ou « ethnique », qu’on instaure des lieux ou des horaires réservés sur cette base. Plus particulièrement à l’université, il n’est pas tolérable que, au nom de la liberté d’opinion, le contenu même de l’enseignement - qui est libre et dont tout étudiant peut librement se détourner - soit refusé, infléchi ou remis en question pour être mis sous tutelle.

Imaginons à présent une situation dans laquelle l’UFAL et d’autres associations laïques pourraient se trouver. Supposons qu’un professeur d’université demande à ses étudiants de quitter leurs affichages religieux éventuels (par exemple à telle ou telle étudiante d’ôter son voile) et refuse l’accès de ses cours à ceux qui ne renoncent pas à cet affichage. Imaginons que les étudiants visés portent plainte contre lui et qu’il se tourne, devant le désaveu de l’institution, vers le soutien d’organisations laïques. Un soutien « inconditionnel », outre qu’il devrait affronter la désapprobation de l’opinion et des étudiants, sans compter qu’il irait à l’encontre d’une forte tradition universitaire, ne le soustrairait certainement pas à une condamnation pour « discrimination religieuse », faute dont il devrait répondre seul puisque son institution le « lâcherait »[3]. Est-ce le rôle d’une association laïque d’envoyer des personnes au « casse-pipe » pour des motifs dont on vient de montrer la fragilité s’agissant de l’université ?
J’ai pour ma part été confrontée à cette situation, saisie par tel ou tel collègue de l’enseignement supérieur de donner un avis, d’apporter un soutien pour refuser l’affichage religieux : dans la situation concrète je n’ai jamais pris le risque d’exposer quelqu’un à une désapprobation générale et à une condamnation certaine.

© Catherine Kintzler, et UFAL Flash, 2007.

 

Sur le blog de Catherine Kintzler, mezetulle.net, lire quelques autres articles sur la laïcité :
Etat de droit et dogmatisme intégriste (par Jean-Marie Kintzler)
La laïcité face au communautarisme et à l’ultra-laïcisme
Affaire du gîte d’Epinal : non à la politique du souçon (C. K, JM Kintzler et M. Perret)
Laïcité et référence religieuse dans les textes constitutifs de l’association politique
Laïcité : Sarkozy franchit la ligne rouge
Les religions sont-elles d’intérêt public ?
La burqa, masque et prison: à la fois au-dessus et au-dessous de la loi

Notes

[1] Elle s’applique évidemment au personnel, et pour les mêmes raisons aux intervenants et «accompagnants», ces derniers étant investis par la puissance publique d’une mission scolaire, ils ne peuvent prétendre y conserver la liberté dont ils jouissent dans l’espace civil.

[2] J’emprunte ici une partie de l’argumentation à un texte de Jean-Noël Laurenti, que je remercie. Article publié dans UFAL Flash. [charger le lien]

[3] Sans doute existe-t-il quelques établissements d’enseignement supérieur qui, forts de leur autonomie, ont adopté une réglementation intérieure stricte s’agissant de l’affichage religieux - encore l’ont-ils fait probablement plus pour des raisons d’ordre public que par principe. Mais ces règlements tiennent à des situations particulières et peuvent être défaits par d’autres règlements, au gré des Conseils qui se succèdent et ne se ressemblent pas - il n’est pas sûr du reste qu’ils soient opposables à une plainte devant un tribunal administratif: tout au plus peuvent-ils exempter un enseignant de sa responsabilité personnelle et directe.

Catherine Kintzler www.mezetulle.net
Auteur de "Qu’est-ce que la laïcité ?", publié chez Vrin, 2007.

2 - Sans attendre la "laïcité positive", le rapport Machelon mis en oeuvre contre la laïcité ?

Avant même les discours récents du chef de l’Etat français et du pape sur la laïcité, un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles (CAA - 03/07/2008, Mairie de Montreuil c/ Dame Y, cf. Légi-france), s’inspirant manifestement du rapport Machelon, détourne la jurisprudence du Conseil d’Etat et remet en cause la séparation des églises et de l’Etat.

Pour justifier un bail emphytéotique administratif (BEA) entre une commune et un culte pour 1 €/an, la Cour retient que si selon l’article 2 de la loi de 1905 : “des collectivités publiques ne peuvent légalement accorder des subventions à des associations qui ont des activités cultuelles, le principe constitutionnel de laïcité, qui implique neutralité de l'Etat et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines aides à des activités ou des équipements dépendant des cultes” .

Cette motivation est empruntée à l'arrêt du Conseil d’Etat : “Ministre de l’Outremer/Polynésie Française”, du 16/03/2005. Toutefois cet arrêt soumet les subventions publiques aux cultes à trois conditions ; être allouées sur un territoire français ou la loi de 1905 ne s’applique pas, ne pas être affectées à une activité cultuelle ou à la construction, l’aménagement ou la réparation d’un immeuble dédié exclusivement au culte ou au logement de ministres du culte et financer des activités relevant de l’intérêt général, donc profitables à l’ensemble des citoyens, sans considération de confession.

Or, aucune de ces conditions n'est réunie dans l'affaire soumise à la Cour d'appel de Versailles qui concerne une commune située sur un territoire français ou la loi de 1905 s'applique, pour un financement ne relevant pas de l'intérêt général (intérêt d’ailleurs non requis par l’article L1311-2 al 1 du Code général des collectivités territoriales, sur les BEA) et affecté à une activité cultuelle.

L’arrêt de la Cour porte donc gravement atteinte à la loi de 1905 en justifiant tout financement public direct des cultes (pas seulement la mise à leur disposition quasi gratuite de terrains commu-naux). Au contraire, l’égalité, en terme de liberté de conviction, passe par l’application équitable de la loi de séparation à tous (de nombreux avantages fiscaux et immobiliers sont réservés aux associations relevant de cette loi, ce qui est le cas de peu d’associations musulmanes, les communes devraient s’en préoccuper).

Certes, l’arrière plan de la cause jugée par la Cour est une utilisation xénophobe de la loi de 1905[1]. Pour autant, Caroline Fourest explique :“Nous sommes dans un pays ou il y a une instrumentalisation raciste de la défense de la laïcité. On est obligé d’en tenir compte (..). Mais on ne peut en tenir compte au point d’abandonner la défense de la laïcité..” (Atelier Laïcité du Parti socialiste - La Rochelle 2008, cf. blog ProChoix).

Pour le moment, la mise en oeuvre législative du rapport Machelon est suspendue. Mais la jurisprudence peut, en pratique, avoir force de loi, ou, à tout le moins, susciter une loi qui lui soit conforme. Aussi un avis du Conseil d’Etat à brefs délais, serait opportun, ce qui permettrait, en outre, à cette institution, de se prononcer hors de sa saisine par le MNR, qui a fait part de son intention de recourir contre la décision des juges versaillais...

 

Pour plus d’informations : - Site “Laïcité, Cultes, Libertés publiques

Notes

[1] Sur recours du MNR le TA de Marseille a jugé, le 21/12/2007, qu’un BEA entre la mairie de Marseille et l’association cultuelle “Mosquée de Marseille” pour 24000 €/an (et un terrain de 8616 m2) au lieu de 300 € auparavant était "conforme aux règles du droit public". Une distinction est donc établie entre loyer symbolique, interdit et loyer modique, admis, dont pourrait s’inspirer tous les juges administratifs, ce à l’égard de tout culte.

Voir cet article sur son site d'origine

Anne Demetz

4 - religion

1 - L’interdiction de l’adoption d’enfants en islam

Mohammed, le prophète des musulmans, multiplia, depuis la mort de Khadidja, sa première épouse, les conquêtes féminines, soit en les épousant soit en faisant de quelques-unes, ses concubines, voire ses esclavages[1]. Il ne cachait d’ailleurs pas son amour des femmes[2] et des parfums. Son mariage avec Zeineb bint Djahch, ex-épouse de son fils adoptif, Zeid, fit cependant scandale[3].

Le mariage du prophète Mohammed avec son ex-belle-fille

Selon l’islamologue marocaine, Fatima Mernissi, Mohammed se rendit un jour au domicile de son fils adoptif, Zeid, ouvrit la porte d’entrée de celui-ci et surprit sa belle-fille Zeineb bint Djahch, en tenue d’intérieur. Cela suffit pour provoquer en lui le coup de foudre pour elle, alors qu’il était déjà marié à quatre femmes, Saouda, Aïcha bint Abou Bakr, Oum Salma et Oum Habiba, sans compter la défunte Khadidja.

Etienne Dinet et son ami Brahim Ben Slimane donnent une version légèrement différente de cet incident. C’est dissimulée derrière le rideau de l’entrée de son domicile que Zeineb accueillit son beau-père, qui est aussi son cousin. Elle l’informa de l’absence de son mari, mais l’invita néanmoins à entrer. Ce que celui-ci s’empressa de refuser, vu l’absence de l’époux. Entre-temps un courant d’air souleva le rideau et lui fit apercevoir Zeineb, en tenue d’intérieur. Cela fit un tel effet sur lui que cela lui arracha une exclamation très flatteuse envers elle.

L’intéressée ne manqua de rapporter à son époux, non sans beaucoup de fierté, ce qui s’était passé, et le traita avec plus de dédain que d’habitude. Celui-ci, comprenant que dorénavant sa femme ne le méprisera que davantage, se rendit alors chez son père, le Prophète Mohammed pour l’entretenir à ce sujet. « Peut-être que Zeineb t’a-t-elle plu ! Dans ce cas, je m’en sépare. » L’Annonciateur de Dieu lui répondit : « Retourne auprès de ton épouse et garde-la pour toi. » Mais pour Zeid, le cœur n’y était plus et il envisagea de divorcer. Il revint voir son père, pour l’informer de sa volonté : « O Prophète, Zeineb a rendu plus insupportable encore son langage à mon égard, et je désire la répudier. » « Crains Allah, lui répondit-il, et garde ton épouse pour toi. » « Mais, je ne suis plus le maître chez moi. " » « Ah ! s’il en est ainsi, répudie-la. »

Mais les propos de Mohammed ne correspondaient pas véritablement à son état d’âme. Il était en effet en proie à un désir sexuelle intense envers Zeineb et en même temps tourmenté au plus point par le choc que provoquera son futur mariage avec elle dans la ville de Médine, où une telle union est considérée comme un « mariage incestueux ». Effectivement, les « infidèles » criait déjà au scandale : « Mohammed épouse la femme de son propre fils », tandis que ses fidèles étaient ébranlés dans leurs convictions envers celui qui représente pour eux un modèle de vertu.

Allah au secours de son prophète

Mais Dieu, le Clément et le Miséricordieux, ne voyait pas du tout les choses d’un mauvais œil. Il reprocha même à son prophète de ne pas agir selon les inclinations de son cœur dans cette affaire ; et bénit son mariage avec sa belle-fille, une fois qu’elle a divorcé.

« O Muhammad : tu as dit un jour à cet homme envers lequel Dieu a été plein de bonté, et qu’il a comblé de ses faveurs : Garde ta femme et crains Dieu ; et tu cachais dans ton cœur ce que Dieu devait bientôt mettre au grand jour. Il était cependant plus juste de craindre Dieu. Mais lorsque Zeid prit un parti et résolut de répudier sa femme, nous te l’unîmes par mariage, afin que ce ne soit pas pour les croyants un crime d’épouser les femmes de leurs fils adoptifs après leur répudiation. Le précepte divin doit avoir son exécution. » (Le Coran, chapitre (sourat) XXXIII, verset (âya) 35)

L’opinion publique de Médine ne se laisse toutefois pas convaincre facilement par ces arguments aussi divins soit-ils sur une question sur laquelle elle ne badinait guère.

Le Prophète se décida alors d’appeler de nouveau Allah à son secours pour le sortir d’une telle épreuve. C’est ainsi que Dieu, omniscient et omnipotent, décida une mesure radicale : il interdit purement et simplement l’adoption d’enfants aux musulmans.

« Dieu n’a pas donné deux cœurs à l’homme ; il n’a pas accordé à vos épouses le droit de vos mères, ni à vos fils adoptifs ceux de vos enfants. Ces mots ne sont que dans votre bouche. Dieu seul dit la vérité et dirige dans le droit chemin. » (Le Coran, chapitre XXXIII, verset 4)

Il dit aussi : « Appelez vos fils adoptifs du nom de leurs pères se sera plus équitable devant Dieu. Si vous ne connaissez pas leurs pères, qu’ils soient vos frères en religion et vos compagnons ; vous n’êtes pas coupables si vous ne le savez pas ; mais c’est un péché que de le faire sciemment. Dieu est plein de bonté et de miséricorde. » (Le Coran, chapitre XXXIII, verset 5).

Il adressa un autre message au musulman concernant leur Prophète. « Muhammad n’est le père d’aucun de vous. Il est l’envoyé de Dieu et le sceau des prophètes. Dieu connaît tout. » (Le Coran, chapitre XXXIII, verset 38).

Zeïd s’est vu pour sa part obligé d’abandonner son nom patronymique adoptif, qui était Zeid ibn Mohammed, et de reprendre son nom patronymique originel : Zeid Ibn Haritha.

C’est conforté par cette série de directives du Très Haut légitimant religieusement un mariage pour le moins atypique que Mohammed réalisa enfin son vœu. Pour ne pas donner plus de prises à ses détracteurs, Mohammed avait, selon l’égyptien, Mansour Fahmy, enfreint les trois règles du mariage que la nouvelle religion avait établies : il épousa Zeineb Bint Djahch sans dote, sans témoin et sans autorisation.

Mais cette assertion est indirectement démentie par Fatima Mernissi, puisqu’elle évoque non seulement la fête organisée à cette occasion, mais aussi un événement de portée considérable pour les musulmanes : l’apparition du premier verset sur le hidjab (ici, au sens de rideau). Les circonstances de la révélation indiquent que Mohammed avait été très contrarié par trois convives qui tardaient à repartir chez eux, alors qu’il était impatient de se retrouver en intimité avec sa nouvelle femme.

Dieu rappela alors au cours même de cette soirée quelques règles de bienséances, auxquelles sont tenus les musulmans envers leur prophète.
« ''O croyant ! n’entrez point sans permission dans la maison du Prophète, excepté lorsqu’il vous invite à sa table. Rendez-vous-y lorsque vous y êtes appelés. Sortez séparément après le repas et ne prolongez point vos entretiens, vous l’offenseriez. Il rougirait de vous le dire ; mais Dieu ne rougit point de la vérité. Si vous avez quelque demande à faire à ses femmes, faite-la à travers un voile ; c’est ainsi que vos cœurs et les leurs se conserveront en pureté. Évitez de blesser l’envoyé de Dieu. N’épousez jamais les femmes avec qui il aura eu commerce ; ce serait grave aux yeux de Dieu. (Le Coran, chapitre XXXIII, verset 51)

Les conséquences de l’interdiction de l’adoption d’enfants en islam

A la place de l’interdiction de l’adoption d’enfants en islam à cause de ce mariage, il n’existe la kafala, le tutorat, qui exige certes de bien traiter l’enfant, mais ce dernier ne peut prendre le nom patronymique de son kafil, son tuteur, ni l’hériter.

Mais dans les faits, les conséquences, qui auraient pu être désastreuses, de cette abolition pour les orphelins et leurs familles adoptives sont quelquefois atténuées, voire ignorées par les musulmans. Car il n’est pas rare que ces derniers contournent totalement ou partiellement cette interdiction, en prodiguant droits et affection à l’enfant. Cette interdiction est également pondérée par l’insistance de l’islam à bien traiter l’orphelin, à le protéger, à veiller sur ses droits et menace d’un châtiment exemplaire ceux qui seront tentés de l’en spolier.

Concernant les pays musulmans, seule la Tunisie de feu Bourguiba a abolit depuis les années cinquante cette prescription religieuse et l’a remplacée par des lois civiles modernes.

L’Algérie a pour sa part marqué depuis quelques années, une avancée très importante dans ce domaine. C’est ainsi que l’enfant « adopté » peut désormais prendre le nom patronyme de son tuteur, en dépit du fait que l’islam est considéré religion d’État, conformément à l’article 2 de la Constitution, et l’existence d’un Code de la famille régit par la chari’a réactionnaire.

Khadidja offrit Zeid comme cadeau à son mari

Rappelons que c’est Khadidja, la première et riche épouse de Mohammed ibn Abdellah, qui fit un jour cadeau à celui-ci d’un jeune esclave qu’elle avait fait acheter par son neveu en Syrie. Il s’agit de Zeid Ibn Haritha, de la tribu chrétienne Kalb. Peut-être pour le consoler du décès en bas âge des trois garçons qu’elle lui avait donné.

Mohammed, qui n’était pas encore l’Apôtre de Dieu, l’affranchit et adopta Zeid, conformément à la coutume qui avait cours en Arabie préislamique. Cette coutume était l’équivalent de l’adoption plénière telle que conçue et appliquée par le droit moderne. Il a trait à l’attribution à l’adopté du nom patronymique de l’adoptant, ainsi que les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un enfant biologique, y compris en matière d’héritage.

En l’an 627 (an 5 de l’Hégire), Mohammed le maria avec la veuve, Zeineb Bint Djahch.

Mais ce mariage ne fut pas conclu sans difficultés. Il lui fallut tout son prestige de prophète pour le contracter.

Il était en effet impensable pour la très belle et très noble Zeineb d’épouser un ancien esclave qui plus est, un enfant adoptif ! N’avaient-ils pas, elle et ses frères, déjà éconduit un autre proche du Prophète : Ali ibn Abi Taleb, qui avait demandé sa main ? Il est vrai que Ali, n’était qu’un modeste ouvrier agricole, et n’avait pas encore connu le destin et la postérité qui sont les siens. Zeid et Zeineb eurent le temps d’avoir un garçon qu’il prénommèrent : Oussama.

 

Sources :

Notes

[1] Il s’agit de la copte chrétienne, Maria, que le gouverneur d’Alexandrie offrit à Mohammed, et de la juive Rayhanna d’une tribu d’Arabie.(in Fatima Mernissi, le Harem politique, p. 223)

[2] Un autre mariage de Mohammed fit scandale ; celui de son union en l’an 629 (an 7 de l’Hégire) avec la juive, Safia bint Huyay, l’épouse d’un chef de tribu de la ville de Khaïbar, en Arabie. Mohammed l’avait faite prisonnière durant la bataille dans cette ville. Mais séduit par sa beauté, il l’affranchit, car elle accepta de se convertir à l’islam, et l’épousa. (in Fatima Mernissi, le Harem politique, p. 223 )

[3] Le peintre orientaliste, Etienne-Nasreddine Dinet (1861-1929) s’était converti officiellement et solennellement à l’islam, en 1913, reconversion qui doit remonter en réalité à bien avant. Il venait vendre ses tableaux chaque année à Paris, où il possédait un appartement dans le XIIe, où il est né et où il est mort (décembre 1929), soit après son hadj, en avril 1929. Son corps a été rapatrié en janvier 1930, à Boussaâda (porte du désert algérien). (Préface de Etienne Dinet et Hadj Slimane Ben brahim : la Vide de Mohammed, éd. El Forkane).

Hakim Arabdiou

5 - International

1 - Le danger d’un terrorisme juif

Un premier article sur les événements à Yitzhar (jeune homme poignardé) et à Assira al-Kabalya (action de représailles des colons qui ont mis à sac, brûlé des maisons, etc.). Et une interview édifiante du rabbin d’Yitzhar, l’une des colonies les plus extrémistes de Cisjordanie. Le tout en dit long sur l’idéologie et les pratiques d’un "terrorisme juif en train d’émerger en Cisjordanie" sur fond d’amertume à l’égard de l’Etat d’Israël chez une portion des juifs religieux

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant

1/ Le danger du terrorisme juif, par Muki Dagan[1]

L’action de représailles violente (mise à sac du village, maisons brûlées, etc., ndt) organisée par plusieurs dizaines de colons d’Yitzhar contre le village palestinien voisin d’Assira al-Kabaliya (après que l’un des leurs a été poignardé par un Palestinien venu de ce village, ndt) n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’iceberg du terrorisme juif dont, à l’occasion, sont témoins les Israéliens.

Pendant la semaine qui a précédé cette attaque, nous avons pu noter au moins deux cas qui attestent cette réalité. Des officiels de l’Administration civile, qui voulaient confisquer du matériel de construction sur les lieux de la colonie illégale de Yaïr, se sont fait attaquer parce, que selon les colons, ils étaient arrivés "en ayant prévenu trop tard". Plus tard, le même jour, des dizaines de colons ont attaqué une base de Tsahal, se sont heurtés aux soldats qui se trouvaient là pour les protéger, et ont lâché un chien sur le commandant de la compagnie. L’un des officiers a eu un doigt cassé.

Pourtant, malgré les événements à Assira al-Kabaliya, alors que la police et l’armée se rejettent l’une sur l’autre la responsabilité du maintien de l’ordre, le premier ministre et le ministre de la défense se contentent de déclarations telles que "Nous ne permettrons pas que des pogroms aient lieu en Israël." La violence des colons, pendant un shabbat, a été condamnée par beaucoup, y compris par le Conseil représentatif des colons (Yesha). Mais il y a ceux qui peuvent se contenter de déclarations et ceux dont le rôle est de faire quelque chose. Le premier ministre et le ministre de la défense sont responsables du maintien de l’ordre en Cisjordanie. Pour l’instant, ils ont condamné, mais n’ont rien fait.

Cela fait un moment que les colons d’Yitzhar ignorent l’armée et la police. Les dizaines d’incidents violents et de menaces sont devenues des phénomènes réguliers pour les villageois palestiniens des environs qui connaissent également les violences commises par les agents du terrorisme juif. Et le terrorisme est un moyen de saper l’autorité d’un gouvernement élu.

Les descriptions des émeutes de samedi dernier ont montré que les colons se sont rendus au village depuis Yitzhar après la prière du matin du shabbat, après avoir mis sur pied un plan d’action. Il n’est pas difficile de supposer que le rabbin d’Yitzhar a donné son approbation à ce plan, destiné à venger le jeune homme poignardé ce matin-là (voir l’article ci-après, qui tendrait à confirmer cette hypothèse).

Le camp séparatiste des colons qui est en train d’émerger en Cisjordanie constitue une menace stratégique pour la démocratie israélienne. Violations de la loi, adoption d’une stratégie de terreur avec l’approbation d’autorités religieuses et, finalement, rébellion contre le gouvernement : tout cela caractérise des mouvements messianiques bien connus dans l’histoire juive. Ceux qui ont provoqué la destruction du Second Temple émergent aujourd’hui sous des atours modernes[2].

Or, au-delà de condamnations dans les médias, les dirigeants ne font rien. La police et l’armée n’ont pas d’intérêt particulier à contrer ce camp séparatiste, les Palestiniens souffrent et l’opinion israélienne un dégoût qui sera vite oublié. La société israélienne doit être consciente du danger que représente un terrorisme juif en train d’émerger en Cisjordanie.

 

2/ Le rabbin d’Yitzhar : "L’Etat a volé Israël aux juifs"

(extraits d’une interview accordée à Ha’aretz)

Le rabbin d’Yitzhar, David Dudkevitch, évite généralement les médias. Il a fait une exception après les événements qui se sont produits à Yitzhar et dans le village voisin d’Assira al-Kabaliya.

"La chose opportune et saine à faire, et cela s’applique aussi aux événements de samedi dernier, est que Tsahal n’appréhende pas seulement des suspects, mais se lance aussi dans des actions de punition collective contre l’environnement qui soutient le terrorisme. Dans le passé, l’Etat d’Israël l’a fait. Mais aujourd’hui, comme il l’a fait pour Gaza, il agit contre les terroristes et les lanceurs de roquettes d’une main, et de l’autre, il les nourrit, eux et leurs familles, et cultive le sol où pousse le terrorisme."

Selon le rabbin, 80 à 85% des Arabes "espèrent et conspirent à détruire la souveraineté du peuple juif sur sa terre. Leur émigration doit donc être encouragée."

Comment ?

"Il y aura de nombreuses occasions, par l’encouragement et la déportation. Mais il faut commencer par l’encouragement. Une déclaration d’ordre général serait un minimum."

Dudkevitch, 44 ans, a été surnommé le rabbin de la "jeunesse des collines"[3]. Il est surpris quand on lui pose la question de l’absence de clôture autour d’Yitzhar, qui aurait pu éviter l’infiltration de samedi.

"Je suis surpris qu’on me pose cette question. La Bible dit que lorsque des gens se trouvent dans les lieux clôturés, cela irradie la peur et le manque de naturel, alors que quand ils sont dans des villes ouvertes, c’est un signe de force, de confiance et d’héroïsme. Que ce soient les Arabes, et non les juifs, qui vivent enfermés derrière des clôtures."

Ces dernières années, Dudkevitch est devenu l’un des leaders d’un sionisme religieux qui prend ses distances avec les symboles et les institutions de l’Etat. Il ne refuse pas cette image : "Malheureusement, l’Etat d’Israël, et en particulier son système judiciaire et sa constitution, a choisi de donner à tous les éléments juifs ou presque une définition universaliste et non juive. L’Etat a volé l’Etat aux juifs, et sa souveraineté est attribuée à tous ses citoyens, et non au peuple juif. (...) Quand on laisse des traîtres à leur pays siéger à la Knesset et faire partie des prises de décision, comment peut-on, et d’abord sur le plan émotionnel, s’identifier à cet Etat ?"

Compte tenu de la possibilité que des territoires et des villages juifs de Judée et de Samarie soient évacués, certains d’entre vous parlent d’établir un "Etat de Judée" à côté de l’Etat d’Israël[4]. Y croyez-vous ?

"L’Etat d’Israël n’est pas une fin en soi. S’il décide qu’il en ne veut pas être sur les terres héritées de ses ancêtres, d’autres juifs ont alors le droit de s’organiser pour y vivre, même sans lien avec cet Etat. Est-ce réalisable ? J’en doute. C’est la raison pour laquelle je ne m’engage pas. Mais quand on évoque d’autres expulsions (autres que Gaza, ndt), alors, sur le plan idéologique, l’Etat de Judée n’est pas pire qu’une expulsion."

Notes

[1] Muki Dagan est membre de Yesh Din, Volontaires pour les Droits de l’Homme.

[2] Voir sur ce point d’histoire : "Les dangers du paradigme de Massada" [charger le lien]

[3] Voir "La jeunesse des collines" [charger le lien]

[4] Voir "Nouvelles initiatives de rabbins d’extrême droite" [charger le lien]

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2 - Dialogue libano-syrien ou monologue syrien?

(les incertitudes de l’été 2008)

Le 12 juillet dernier fut marqué par la rencontre du président libanais, Michel Sleiman, et de son homologue syrien, Bachar El Assad. Cette rencontre signe le début d’une nouvelle phase dans la relation libano-syrienne pour le moins tumultueuse.

Le 6 juin 1976, les troupes syriennes rentrent au Liban suite à la guerre de 1975. Octobre 1989 : les accords de Taëf sont promulgués et déclarent : « Le Liban, arabe d’appartenance et d’identité, est lié par des relations fraternelles et sincères avec tous les Etats arabes et entretient avec la Syrie des relations particulières qui tirent leur force du voisinage, de l’histoire et des intérêts fraternels communs ». En mai 1991, le traité syro-libanais de "fraternité et coopération" concrétise la suprématie syrienne. Après l’assassinat de Rafic Hariri, des centaines de milliers de Libanais manifestent contre la présence syrienne au Liban. Le 26 avril 2005 marque le départ des dernières troupes syriennes. Mais depuis, de nombreuses questions restent en suspens, entre autres, la libération des détenus libanais en Syrie, la délimitation des frontières, ainsi que la création d’ambassade. Peut-on qualifier ce sommet d’historique comme le fut, en 1959, le sommet Nasser-Chéhab qui inaugura alors de bonnes relations entre les deux dirigeants ?

Concernant la libération des détenus en Syrie (650, selon les ONG), les Libanais déplorent le refus de coopération de la part des Syriens. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem a d’ailleurs déclaré à ce sujet : « cette question est épineuse et complexe, son règlement requiert la mise au jour des fosses communes dans les eaux et le sol libanais ». Ghazi Aad (directeur du comité de soutien aux Libanais détenus et en exil, SOLIDE) ajoute à ce propos : « Malheureusement après une attente, vieille de près de trente ans, la Syrie n’avoue toujours pas qu’elle détient des Libanais ». Il qualifie ce déni de « crime contre l’humanité ». Au déni, s’ajoute le mépris, celui des morts et de leur mémoire. Walid Moallem joue sur la confusion de deux dossiers, ceux des morts que l’on peut imputer à la guerre (et donc à plusieurs partis différents) et celui des détenus libanais dont il est justement question. Pourquoi salir ainsi la mémoire des morts en les renvoyant aux « fosses communes » ? Pourquoi ternir, par des propos si offensants, un sommet qui se veut « fraternel » ? La Syrie n’en a peut-être pas fini avec ses démons du passé…

Autre déception, celle-ci à propos de la délimitation des frontières. Le ministre syrien a estimé "qu’il était impossible de tracer les frontières syro-libanaises au niveau des fermes de Chebaa tant que le secteur restera occupé". Les fermes de Chebaa ont toujours constitué un lieu stratégique. En 2005 déjà, le Premier ministre syrien avait refusé la demande du Premier ministre Fouad Signora concernant une fixation précise des frontières dans la région de Chebaa. Le problème est le suivant : si les fermes de Chebaa sont déclarées libanaises, elles tombent alors sous la résolution 425 de l’ONU qui contraint Israël à évacuer tout le Liban. En revanche, si elle sont déclarées syriennes, elles restent soumises à la résolution 242, relative au territoire syrien occupé. Maintenir un flou juridique dans cette zone, au confluent des trois frontières libanaise, syrienne et israélienne, permet de justifier la lutte armée du Hezbollah au sein du Liban. Le Hezbollah peut ainsi prétendre qu’Israël occupe encore un territoire libanais pour continuer de mener sa guerre. N’oublions pas que le Parti de Dieu est largement financé par l’Iran et qu’il constitue un atout majeur pour la Syrie à l’intérieur du territoire libanais. La Syrie ne perd donc pas de vue ses intérêts. Israël non plus ne joue pas la carte de la négociation. Les fermes de Chebaa possèdent plusieurs avantages : grâce à sa position géographique, en effet, ce versant montagneux contient une station de « pré-alerte » maîtrisant l’ensemble de la région, singulièrement pratique pour un contrôle sécuritaire des voisins hostiles. De plus, le potentiel aquifère de cette zone n’est pas négligeable. Mais, Israël n’en ignore pas non plus l’importance stratégique : conserver les forces du Hezbollah, c’est justifier en partie la politique militariste d’Israël. Cette région est donc au cœur de toutes les attentions, elle exacerbe les tensions et sert de prétexte aux extrémismes israélien et islamiste.

Si l’on peut citer un point réellement positif, c’est bien l’établissement de relations diplomatiques. Une avancée historique entre deux pays qui avaient cessé de tels échanges depuis la fin du mandat français, il y a soixante ans. Mais là aussi, il faut être prudent. Le régime syrien est à bout de souffle : la stagnation de la croissance est une réalité. Ne serait-ce pas là une concession faite à l’Occident, pour que notamment cesse la marginalisation économique d’une Syrie, qui manque désespérément de capitaux pour son développement ? On peut d’ailleurs souligner à ce propos la visite à Damas de Kouchner, la première depuis le gel des relations franco-syriennes suite à l’assassinat de Rafic Hariri.

De plus, il est raisonnable de craindre à une sorte d’Anschluss : les deux ministres de l’Intérieur parlent déjà d’une fusion des ambassades à l’étranger. La création d’ambassade serait une excellente chose si on se référait à la définition communément admise. Elle serait plutôt à craindre dans le sens où semble l’entendre la Syrie, c’est-à-dire une manière de mieux contrôler son voisin qu’elle a longtemps considéré comme une province syrienne.

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Nada Maucourant (Beyrouth)

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