Des difficultés pour lire cette lettre ? Cliquez ici : lettre en ligne - Pour vous désabonner, ici : désinscrire

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine

n°608 - lundi 19 janvier 2009

Envoyé à 39915 courriels inscrits

1 - chronique d'Evariste

1 - Construire la tradition de la gauche du XXIe siècle

Une fois de plus des manifestations lycéennes ont secoué notre pays et sont en train de reprendre en ce début janvier. Une fois de plus, elles sont une manne pour armer les consciences, tant leurs richesses d’enseignements est grande. Que constate t-on ? Que les formes syndicales établies et depuis longtemps étatisées n’ont pas fait bouger un gouvernement tout acquis à l’idéologie libérale anglo-saxonne. Mais que les lycéens se mettent à bouger, à occuper les lycées, à manifester dans la rue et la panique se répand dans les instances dirigeantes. De cette réaction épidermique, il faudrait être aveugle pour n’y voir qu’une prise au sérieux des revendications. La réaction du gouvernement est bien trop instinctive pour relever de la seule préoccupation rationnelle et le soubresaut gouvernemental trouve également sa racine dans une peur viscérale.

Pour comprendre, il est toujours nécessaire de se mettre à la place de ces dirigeants qui ne jurent que par un régime castrateur, sécuritaire pour qui déroge aux règles, reposant sur une télévision sédative dont le pouvoir central veut s’octroyer l’absolu contrôle. Pour ces individus élevés dans la hantise de la vie, Mai 68 reste un cauchemar dont même Nicolas Sarkozy a avoué, dès son investiture, sa crainte et sa haine. Cette conception globale, héritée des néoconservateurs américains et mise à la « french-sauce », guide nos dirigeants dans leurs actions et leurs réactions. Elle est leur manière de comprendre le monde. Nul doute que la vivacité de la réaction face aux mouvements des lycéens trouve sa source dans la peur de voir revenir une idéologie propice à la revendication, à la vie, à la dépense, à ce qu’est finalement « l’esprit de gauche ».

Une force du mouvement lycéen est la même que celle de la campagne de 2005

La forme plastique du mouvement lycéen n’est pas sans rappeler la campagne de 2005 face au TCE, et à l’heure où le Parti de Gauche ne cesse de voir arriver les républicains éparpillés depuis parfois 25 ans, il est important de noter les écueils qui coulèrent la gauche du XIXe et du XXe siècle. Par tradition, l’ancienne gauche a toujours voulu imposer une forme de militantisme unique qui ne pouvait prendre place en dehors d’une forme prétendue « naturelle » : le parti politique.
Dans les premières années du XXe siècle (1906), la CGT inscrivit dans sa charte fondatrice au congrès d’Amiens que le rôle d’un syndicat est d’assurer des revendications sociales, mais également d’œuvrer à la transformation politique en parallèle de l’action des partis. Principe d’une modernité édifiante ! Et il est consternant de mesurer à quel point l’esprit de cette charte fût abandonné, fagocité par l’idéologie dominante imposant le parti comme « seul dépositaire légitime de l’action politique ». À cette idéologie – dont une analyse psychologique révèlerait un sérieux désir castrateur – Mai 68 et la campagne de 2005 contre le TCE sont venus apporter un cinglant démenti. Si la forme de parti politique est absolument nécessaire et indispensable, le tissu du mouvement social est un acteur incontournable qu’il est impératif d’entretenir et de cultiver.
Le parti politique est un vecteur essentiel pour les élections, pour aller au gouvernement, pour proposer des lois. Il est un creuset important dans la maturation d’un projet politique global s’il se donne la possibilité de recueillir et d’entretenir les débats qui le font progresser. Mais il comporte des aléas qui sont liés à sa nature même. Comme tout : il a les défauts de ses qualités.
À l’inverse, le tissu du mouvement social est plus éloigné des impératifs électoraux, il est donc souvent plus propice à l’écoute des réalités de la vie et à la réflexion de fond. Il a également l’avantage d’être d’une plasticité étonnante dans ses actions qui lui permet de toucher partout, n’importe où et n’importe quand. La campagne du TCE a montré l’efficacité de ce type de mouvement : Autour d’une base idéologique commune, forte, établie et mise à disposition, des individus, sur l’ensemble du territoire, ont pris sur eux d’assumer leur rôle de citoyen défenseur du Pacte Républicain. Usant du formidable matériel argumentaire disponible, mis en commun via Internet, ils se sont mis à l’action partout où chacun d’eux le jugeait nécessaire. De là, une action qui s’est développée, multiforme et plastique, s’adaptant immédiatement aux contraintes et rebondissant toujours. C’est cette plasticité qui a permis le rouleau compresseur et la victoire du 29 Mai. Mais comme la forme parti, la forme associative possède elle aussi ses défauts, et ne peut à elle seule assurer la transformation sociale.

Construire un mouvement global pour un projet de société alternative

Répétons-le : l’investissement au PG est essentiel pour construire cet outil politique dont la gauche et l’avenir de la France ont besoin. Et à tous cet appel est lancé : ce parti est le votre, il a besoin de vous. Mais tous ceux qui rejoignent ce parti doivent impérativement garder un pied ferme dans le mouvement social, y poursuivre leur action et entretenir ce tissu dont l’action politique est conjointe avec celle du parti politique qu’ils rejoignent. La campagne de 2005 doit rester emblématique : c’est précisément l’action conjointe du mouvement social et des partis politiques qui a rendu possible la victoire face au néolibéralisme. De fait, agir dans le mouvement social ne peut pas se faire à partir d’un parti politique d’où l’idée de la gauche du XXIe siècle que chaque militant doit être en capacité d’agir en responsabilité à la fois dans une organisation politique et dans une organisation du mouvement social (association, syndicat, mutuelle, etc.).
Nous ne devons pas reproduire les erreurs de l’ancienne gauche. Notre tradition, celle de la gauche du XXIe siècle, doit se construire sur la compréhension du passé et sur le désir de mieux faire, donc de changer ce qu’il est nécessaire de changer. Là se trouve les preuves d’intelligence, nul par ailleurs. Or, croire qu’il est possible de surplomber le mouvement social sans y intervenir à partir d’une organisation de ce même mouvement, voilà une erreur de l’ancienne gauche qui nous coûta très cher. Nous devons avancer sur nos deux jambes (le parti politique, le mouvement social) et non plus sur une seule... ou nous connaîtrons à nouveau l’échec.

De « l’individu isolé » à « l’individu-citoyen »

Plus qu’une preuve de notre sagacité, comprendre l’importance politique du tissu associatif nous permet de comprendre qu’un individu-citoyen doit pouvoir trouver chaussure à son pied dans toutes les formes de militantismes. Une fois la ligne politique établie, claire et accessible – et la forme parti est souvent le creuset d’un projet global – soutenir et encourager la pluralité des modes d’actions c’est permettre la conscientisation des individus qui se sont isolés, qui ont perdu foi dans le Pacte Républicain, qui n’ont plus de lien avec lui parce qu’ils ont perdu la conscience qu’être acteur et membre du Pacte Républicain – c’est à dire d’être citoyen – leur permet de défendre et de construire leur cadre de vie à travers les structures collectives et les libertés individuelles qui sont le cœur de la République.
Là encore, la tradition de la gauche du XXIe siècle marque sa rupture par rapport à celle son aînée qui n’avait d’yeux que pour l’émancipation collective. Mai 68 montra à quel point cette tradition ne peut tenir face aux réalités de la vie. Pour la gauche du XXIe siècle, le point cardinal de la République demeure l’édification de la paix, mais la nouvelle gauche affirme que construire cette paix passe conjointement par l’émancipation collective (protection sociale, accès à l’eau, etc.) et par l’émancipation individuelle (ensemble des lois assurant que chacun puisse vivre librement et sereinement ses choix intimes). Comme pour l’action conjointe entre la forme parti et la forme des organisations du mouvement social (associations, syndicats, mutuelles), le projet de la gauche du XXIe siècle marche sur deux jambes. Et c’est parce que les individus-citoyens porteront cette nouvelle tradition claire que nous ne cesserons de convaincre autour de nous, et que viendront ces individus isolés, oubliés, qui ne savent plus qu’être également citoyen leur donne une chance de vivre, non plus dans la crainte et la douleur, mais dignement et sereinement.

Évariste Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

2 - politique française

1 - Gaza : refusons toute instrumentalisation communautaire

Le conflit israélo-palestinien est une fois encore entré dans une phase dramatique. Ce conflit n’est ni religieux ni « ethnique », mais bien politique et territorial : l’engrenage de la violence dont les populations civiles sont les premières victimes s’enracine dans l’aggravation, depuis des décennies, du sort insupportable fait au peuple palestinien. Rien ne peut justifier les attaques – d’où qu’elles viennent dirigées contre les civils. Mais chacun sait, au-delà de la condamnation nécessaire de tout crime de guerre, que la paix ne pourra advenir sans justice, cette paix par le droit hors de laquelle aucun des deux peuples ne pourra vivre un avenir humain.

Les 900 morts palestiniens des deux dernières semaines[1], dont de très nombreux civils, victimes des bombardements et de l’offensive de l’armée israélienne à Gaza, comme les 34 morts israéliens des cinq dernières années victimes de tirs de roquette du Hamas, ne peuvent que soulever une émotion légitime. En France, nous constatons que la sensibilité à cette actualité tragique s’exacerbe. Trois actes inacceptables ont été commis à l’encontre de synagogues à Toulouse et à Saint-Denis et contre une collégienne à Villiers-le-Bel. Ces actes sont heureusement des faits isolés. Mais la réaction des autorités politiques françaises qui s’en remettent aux instances religieuses pour prévenir la violence n’est ni admissible sur le terrain de la laïcité ni de nature à prévenir les dangers qu’elles invoquent. De même, l’organisation d’une manifestation communautaire de soutien à l’un des deux protagonistes du conflit, même si elle est restée isolée, renforce le risque que l’expression des indignations et des solidarités mette face à face des communautés dont les membres seraient collectivement assimilés à l’un des deux camps.

Cette transposition qui enfermerait la liberté de conscience et d’expression des individus concernés dans une assignation à résidence communautaire ou religieuse serait porteuse de graves dangers pour le vivre ensemble. Il n’est pas question de remettre en cause la capacité à s’indigner de ce qui se joue en Palestine, ni l’expression de telle instance communautaire dans le débat public qui n’a rien d’illégitime en elle-même, mais de refuser une logique de transposition dans la société française des conflits et des haines qui déchirent le Proche-Orient.

Sans alarmisme mais avec vigilance, les organisations soussignées, attachées au respect de l’égale liberté de chacun, refusent toute mise en scène d’un prétendu « conflit de civilisations » et rappellent qu’aucun individu ne peut être étiqueté, stigmatisé ou agressé en raison de ses origines ou de sa foi, et que les manifestations d’intolérance, de racisme et d’antisémitisme, loin de servir les causes que leurs auteurs disent soutenir, les salissent et mettent en danger la vie démocratique.

C’est dans cet esprit que les unes et les autres continueront à défendre le respect des droits de l’Homme, du droit international et du droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes et à vivre en paix dans des frontières sûres et reconnues.

Premiers signataires : ACLEFEU, ALEFPA, Association des Libres Penseurs de France, Association du Manifeste des libertés, Cercle Gaston-Crémieux, CFDT, CGT, Collectif Avenir laïque, FSU, Ligue des droits de l’Homme, Ligue de l’Enseignement, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, Mouvement de la Paix, Parti communiste français, Parti de gauche, Parti socialiste, Solidarité Laïque, Unef, Union rationaliste, Union syndicale solidaires, Les Verts.

Le journal Respublica s'associe pleinement à cet appel.
La Rédaction

Notes

[1] Cet appel a été publié le 13 janvier 2009, NDLR

L'Association Du Manifeste Des Libertés

2 - Appel : Contre la régression démocratique et pour l’indépendance des médias…

C’est une première ! Six titres de presse (Marianne, Le Nouvel Observateur, Charlie Hebdo, Les Inrockuptibles, Mediapart et Rue 89) lancent un Appel commun pour l’indépendance et le pluralisme des médias et contre ce qui s’apparente à une succession de régressions démocratiques. A commencer par la nomination des patrons de l’audiovisuel public par le chef de l’Etat…

Il y a urgence à se mobiliser. C’est pourquoi, au-delà de cet Appel de principes, Marianne, Le Nouvel Observateur, Charlie Hebdo, Les Inrockuptibles, Mediapart et Rue 89 vous donnent rendez-vous pour une grande soirée de débat et de rassemblement, le vendredi 30 janvier à 20 heures, au Théâtre du Châtelet à Paris. Venez nombreux !

 

L'APPEL DES SIX

Le droit à l'information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu'à la diversité des opinions est une liberté publique fondamentale. C'est un droit des citoyens et non pas un privilège des journalistes: sans information libre, sans une presse indépendante et pluraliste, il ne saurait y avoir d'authentique délibération démocratique.

Or, loin de réduire les retards français en ce domaine, l'actuel président de la République les aggrave, tant par sa pratique personnelle du pouvoir que par les décisions qu'il impose à la hussarde. Mise en œuvre au mépris des droits du Parlement, la réforme de l'audiovisuel public résume cette régression de nos libertés. Accorder au seul chef de l'Etat le pouvoir d'en nommer et révoquer les dirigeants, c'est abolir symboliquement l'indépendance des radios et des télévisions publiques. C'est un abus de pouvoir, et c'est l'abus de trop.

Une République où le pouvoir exécutif impose ainsi sa loi au pouvoir législatif et ses désirs au contre-pouvoir médiatique n'est pas une démocratie digne de ce nom. Mus par cette conviction commune et cette inquiétude partagée, nous avons exceptionnellement décidé de nous adresser ensemble à l'opinion publique, par-delà la diversité de nos titres, de nos histoires et de nos sensibilités. Et nous appelons à un vaste sursaut citoyen contre ce recul des libertés qui affaiblit notre démocratie et discrédite notre pays.

Tous ensemble, défendons la liberté de l'information! Nous vous donnons rendez-vous, vendredi 30 janvier, au Théâtre du Châtelet, à Paris.

Charlie Hebdo, Les Inrockuptibles, Marianne, Mediapart, Le Nouvel Observateur, Rue 89, avec le soutien de Reporters sans frontières.

Vous pouvez signer cet appel ici.

6 Titres De La Presse

3 - Le 5 janvier 2009, un nouveau régime a-t-il remplacé en douce la 5ème République?

Les historiens retiendront-ils le 5 janvier 2009 comme le jour où la 5ème République s’est esquivée en douce par une porte dérobée ? La 3ème République s’était bien invitée à l’improviste, un 30 janvier 1875, dans une Chambre des députés qui n’en voulait pas, par une autre porte dérobée, celle d’un amendement du député Wallon adopté à une petite voix de majorité : il se contentait de stipuler que « Le Président de la République est élu par le Sénat et la Chambre réunis en Assemblée nationale. » C’était à l’origine la seule mention du mot « République » dans les nouveaux textes constitutionnels qui allaient régir le pays jusqu’en 1940.

L’offense faite au Sénat

Le 5 janvier 2009 a été en effet appliquée une mesure figurant dans un texte de loi qui n’avait pas été encore adopté par le Parlement. Seule, l’Assemblée nationale l’avait voté en première lecture en décembre 2008. Son examen par le Sénat devait commencer deux jours plus tard, le 7 janvier. Il est toujours en cours à la haute assemblée.

Sans doute a-t-on entendu des sénateurs gémir et protester, toutes tendances confondues. Selon le journal Le Point.fr[1], M. Poniatowski (UMP) « (a eu) le sentiment d’être pris pour un zozo ou pour le dindon de la farce ». Le rapporteur, M. Thiollière (UMP) s’est dit « blessé ». Mme Morin-Dessailly (UC) a déploré une « immense frustration ».

Dépassant ces réactions individuelles d’amour-propre, M. Plancade (Radical RDSE) a estimé avec plus de justesse qu’il s’agissait d’un « affront infligé au Sénat ». Quant à l’ancien Premier Ministre M. Raffarin, il a résumé on ne peut mieux le problème : « Il y a une décision qui est prise, a-t-il dit, et un texte de loi qui n’est pas voté. La situation est inconfortable. Ce qui est assez désagréable, c’est que c’est ou le vote ou la crise puisque la décision est prise », et même déjà appliquée, aurait-il pu ajouter.

C’était, en effet, le dilemme incroyable devant lequel s’est trouvé le Sénat. Il a choisi non de se démettre mais de se soumettre en acceptant de débattre d’une loi dont l’une des mesures phares, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision, a déjà été imposée autoritairement par le président de la République.

De sérieux motifs d’opposition

Refuser d’examiner le projet de loi, comme l’a très bien vu M. Raffarin, revenait, il est vrai, à entrer en conflit ouvert avec le président par gouvernement interposé. Les plus sérieux des motifs pourtant pouvaient le justifier :

La porte ouverte à un nouveau régime ?

L’implication directe du président de la République dans la manœuvre, en rejetant le gouvernement dans une fonction subalterne, conduisait sans aucun doute à un bras de fer institutionnel. Le pays en a connu d’autres dans le passé. Ici, de toutes les issues, la moins dramatique était d’imposer un recul stratégique au président en l’obligeant à annuler la mesure litigieuse dans l’attente de son adoption éventuelle par le Parlement.
C’était à ce prix que le principe de la séparation des pouvoirs pouvait être réaffirmé à un président qui le transgressait, et la dignité du Sénat, respectée.

Celui-ci tenait une occasion rêvée de renforcer les pouvoirs du Parlement, bien mieux que la révision constitutionnelle de juilllet 2008, face à un exécutif envahissant dont les actes démentent les paroles. C’est, en effet, l’ironie de la situation que de voir le Sénat offensé au moment même où le président prétend donner au Parlement plus de pouvoirs.

En préférant transiger sur le principe et se soumettre pour éviter la crise, le Sénat n’a-t-il pas ouvert une porte dérobée à un autre régime politique où, à l’avenir, fort de ce précédent, le président de la République pourra renouveler la manœuvre, voire ne plus soumettre au Parlement des mesures relevant du domaine de la loi et se passer de son contrôle ?

Un régime où l’exécutif fait lui-même la loi sans recourir au Parlement peut toujours sans doute s’appeler République, c’est vrai. Parmi ses nombreuses expériences constitutionnelles, la France en a déjà connu : la constitution de l’An XII (1804) déclarait bravement dans son article 1er : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur, qui prend le titre d’Empereur des Français ». Mais pareil régime « républicain », on le voit, s’éloigne de la démocratie. Le Sénat qui se targuait d’assurer un équilibre entre les institutions, a-t-il mesuré les conséquences possibles de cette démission que signifie sa soumission ?

Notes

[1] Le Point. fr, 7 janvier 2009 modifié le 8 janvier 2009

4 - 2008/2009 : Comprendre l’une pour affronter l’autre…

Le bilan d’une année peut varier d’un individu à l’autre, rien n’oblige à une parfaite objectivité, mais il vaut mieux cependant ne pas faire d’erreur trop grave, si l’on veut continuer d’agir au lieu de subir.
Les médias s’adonnent tous les ans à l’exercice et les choix effectués ne sont pas systématiquement convergents.
Il se trouve qu’en 2008, deux événements apparaissent dominer tous les autres : il s’agit d’abord de la crise économique et financière que des opérations frauduleuses ont provoquée et accentuée, car n’en déplaise à beaucoup, point n’est besoin de nouvelle législation pour incriminer la constitution de fonds toxiques, la revente de subprimes, les délits d’initiés et le pillage des résultats des entreprises au bénéfice exclusif de quelques managers qui ont perdu tout sens moral.
«  La surprise n’est pas qu’il y a des voleurs… la question est : que fait la police ?  » a déclaré le directeur général du FMI… La vraie question ne serait-elle pas plutôt : qui fait la police ? Cette crise, au demeurant, touche le monde entier, ce qui paradoxalement laisse des marges de manœuvres, dont quelques unes sur le dos des peuples…
Il s’agit ensuite de l’élection, à une large majorité, dans un système complexe et peu sûr, d’un président des Etats-Unis, issu d’une minorité visible. Cette remise au centre du débat politique d’une image revalorisée du système américain n’a laissé aucun gouvernement indifférent, Iran compris ! L’obamania a gagné la France au point d’y atteindre les dimensions du ridicule, dans les partis politiques notamment !
De bons apôtres ont relié les deux faits pour en conclure que la premier, la crise, n’était qu’un accident et que le second montrait que les solutions internes existent. C’est sans doute aller un peu vite en besogne…
D’autant que les données géostratégiques évoluent aussi rapidement que la fonte de la banquise.
Au moment même où meurt Samuel Huntington, le 24 décembre, dans l’île de Martha’s vineyard, on peut aussi s’interroger sur l’état de nos civilisations… Même si. M. Sarkozy a utilisé ce vocable, un jour de grande fatigue, probablement !

Le pré carré français

N’oublions pas notre bonne France, puissance secondaire, dit-on, dans le concert des nations, pour la raison que c’est notre pays, que nous l’estimons mal gouverné, qu’il est appelé à jouer dans l’Union européenne un rôle plus important que celui que nos politiciens lui assignent en général.
M. Sarkozy, avec des choix qui ne sont pas les nôtres a, au moins médiatiquement, bousculé quelques habitudes pendant ses 6 mois de présidence tournante, au nom de la France, mais il a dans toute la mesure du possible poursuivi la casse des solidarités collectives, projet voulu et écrit par le medef et « fourgué » à l’occasion de l’élection présidentielle avec le talent d’un bonimenteur, au point d’abuser un peuple déboussolé par la teneur d’une campagne où le story telling a supplanté programmes et débats de fond.
Mais une fois élu, le masque tombé, les lois scélérates se sont succédées sans que l’opposition, ou du moins le parti qui pouvait la porter, soit capable de se mettre en ordre de bataille, faute d’ordre en son sein, après la défaite à l’élection majeure d’un régime que plus un seul politicien professionnel ne souhaite vraiment remettre en cause.
Le refus d’analyser sérieusement les causes de l’échec de 2007 n’ayant pas empêché le parti socialiste de gagner les élections municipales et cantonales du printemps 2008, peut-être serait-il temps de cesser de croire à une quelconque malédiction quant aux élections pour la tête de l’exécutif ou pour la majorité législative : ces victoires «  intermédiaires  » ne sont-elles pas fondamentalement le signe du peu de popularité réelle du pouvoir et donc de l’absolue nécessité de proposer aux électeurs l’alternative crédible, c’est-à-dire prise en charge par des gens crédibles, qu’ils attendent ? Le mouvement social n’est-il pas là pour éclairer la lanterne des élus du peuple ?
Hélas, alors que l’UIMM sombrait dans le scandale, une majorité de députés et sénateurs, partie de gauche comprise, offrait au président la réforme constitutionnelle qui lui permettait, en deux temps (février et juillet) de passer outre la volonté du peuple et de faire croire, faux naïfs ou vrais crétins, à un renforcement des droits du Parlement : le reste de l’année 2008 a tordu le cou à cette légende complaisamment entretenue, y compris par des constitutionnalistes se disant socialistes…
Comprenne qui pourra le comportement qui consiste à aider son adversaire au lieu de le combattre sur tous les terrains, alors que tous ses actes sont inscrits dans un projet global de refondation politique et sociale.
A moins que cela recouvre une connivence que l’honnêteté intellectuelle commanderait alors d’expliciter !
L’opposition de «  gouvernement  » n’a même pas su trouver les accents dénonciateurs requis contre la politique sécuritaire et attentatoire aux droits et libertés fondamentales développée par un gouvernement dont la tête réelle est à l‘Elysée, les exécuteurs des basses œuvres s’appelant, par ordre alphabétique, les règles protocolaires en France n’ayant littéralement plus aucun sens, Alliot-Marie, Bachelot, Bertrand, Dati, Hortefeux, Lagarde et Wœrth ! Sans absoudre les Darcos, Morin ou Kouchner, liquidateurs comme les précédents de quelques fondements républicains… Les autres sont à peu près inutiles et pourraient être avantageusement remplacés, au moins pour le budget de l’Etat, par les responsables des administrations centrales : la RGPP déconcentre, la privatisation gagne du terrain, il est curieux de garder autant de ministères et de secrétariats d’Etat, à la fonctionnalité douteuse.

Libertés fondamentales, avons-nous dit.

Quand un président de la République insulte un pékin au salon de l’agriculture (23 février 2008) et que la citation sur une pancarte de la phrase de M. Sarkozy vaut une condamnation d’un autre citoyen lambda pour offense au chef de l’Etat, on peut raisonnablement penser que la France n’a plus, en nombre suffisant, de juges respectueux des droits des citoyens, atmosphère sécuritaire ou pas !
Rappelons que le statut du président de la République en fait, par rapport à tout autre justiciable et pendant la durée de son mandat, un citoyen hors du droit commun et le principe d’égalité est bafoué quand ce président est à la fois juge et partie dans un procès !
Le corollaire du privilège comme personne morale, c’est d’admettre quelques obligations d’abstention sur des questions touchant la personne physique. L’arbitraire et le fait du prince ne sont pas des manifestations de respect pour les principes républicains.
Quand un tribunal arbitral accorde, cadeau délibéré au plus haut niveau de l’Etat, à un homme, dont on cherchera en vain quel bien il a pu faire à la société française, des dizaines de millions pour préjudice moral (sic et pourquoi pas un pretium doloris ?)), sans compter une somme grossie d’intérêts tout aussi fictivement justifiés, en pleine crise financière mondiale précisément, on est en effet en droit de penser que l’appareil judiciaire français ne tourne plus pour la défense de la société et de l’intérêt général : il est possible à certains de le contourner quand par hasard il se permettrait de dire le droit.
Pour ne rien oublier sur ce chapitre, qu’est-ce qu’un Etat où l’on vote des lois circonstancielles et des lois qui des mois après leur adoption définitive n’ont pas de décret d’application, quand celui-ci est nécessaire ?
La séparation des pouvoirs n’est plus, en France, un élément de constitutionnalité ; d’ailleurs, qui peut prendre au sérieux un régime politique qui modifie sa Constitution deux fois en 6 mois ?
Le président annonce tout à trac, le 8 janvier, la fin de la publicité sur les chaînes publique, nolens volens, un autre cadeau de quelques centaines de millions aux chaînes privées ; à la suite du meurtre d’un étudiant par un malade mental, jouant de l’émotion populaire bien montée en épingle par la complaisance des media, il annonce une nouvelle loi sur l’internement d’office : la rupture se rapproche une fois de plus des grands principes, voire des lois et décrets louis-philippards ! L’esprit public est si atone et le PS si préoccupé par ses querelle internes qu’il faut attendre le débat parlementaire, sur le premier point (on verra plus tard pour l’autre), pour entendre des prises de position « politiques »… Ce qui n’a pas empêché le parti de gagner 21 sièges au Sénat au renouvèlement partiel de septembre!

Avoir la baraka ou pas ?

1er juillet 2008 : la France exerce la présidence de l’Union européenne pour 6 mois.
C’est là qu’on voit que M. Sarkozy est un homme heureux : Ingrid Betancourt est libérée, la Russie et la Géorgie font parler la poudre, l’élection américaine met l’administration Bush sur le reculoir, les jeux olympiques occupent les esprits et étouffent d’autant mieux les critiques, la crise financière devient tellement énorme qu’il n’est plus possible de laisser jouer les acteurs privés entre eux, Obama est élu…
Tous ces événements, d’importance très inégale, donnent à notre omni-président un théâtre à la hauteur de son agitation et, tantôt avec le drapeau de la France, tantôt en l’oubliant, comme lors de son discours, par ce fait même scandaleux, à l’ONU, à l’ouverture de l’Assemblée générale, M. Sarkozy joue les maîtres du monde !
La domesticité rampante qui fait la masse des commentateurs a découvert un véritable homme d’Etat, capable d’agir et de faire bouger les lignes, réhabilitant le politique, obtenant au forceps des accords… Comme le dit un centriste rallié et peut-être futur ministre, Jean-Louis Bourlanges, « la gestion des crises a sauvé cette présidence », voire…
Le détail ne laisse pas un bilan aussi glorieux : pressé d’intervenir dans le conflit géorgien, le président avalise quelques éléments du calendrier et des formulations russes ; certains européens le lui reprochent mais il est vrai que ni la France, ni l’Union européenne, ni même un certain nombre d’états de l’Union n’ont à l‘égard de la Russie une politique très clairement définie ; c’est, on l’avouera, un sujet préoccupant, non seulement parce que la Russie demeure le plus vaste état de la planète, l’un des plus riches en ressources diverses et en particulier énergétiques, l’un des plus puissamment armés, bien que la maintenance de son arsenal puisse lui poser des problèmes, mais aussi parce que sa façade arctique en ces temps de fonte accélérée de la banquise, sa position stratégique dans le grand jeu du Moyen-Orient, sa proximité de la Chine en font un allié potentiel incontournable, bien plus qu’un adversaire désigné.
La Russie est aujourd’hui également touchée par la crise financière provoquée par une recherche de valorisation débridée, incontrôlée, corruptrice d’un capital trop artificiellement et trop vite gonflé depuis deux décennies.
La Chine également touchée par la crise et dans un système politique encore moins «  démocratique  » que la Russie risque de connaitre un effondrement de son système économique avant même d’avoir atteint pour l’ensemble de sa population, ou du moins sa majorité, un niveau de vie acceptable ! Les observateurs des JO les moins sots ont pu le constater en août dernier… ce qui n’a pas dissuadé notre voyageur de commerce d’assister à l’ouverture desdits jeux, ce qu’aucun président n’avait fait avant lui hors du territoire national !
Panem et circenses disaient les Romains, mais l’empire n’était pas une démocratie.

Le style c’est l’homme…
Hélas, dirons-nous dans le cas de cette présidence. Les compliments faits à M. Sarkozy portent sur la forme plus que sur le fond, mais il faut de l’imagination pour voir une différence entre le Sarkozy modo France et le Sarkozy modo Europe.
La rapidité d’exécution ne permet pas d’établir la moindre nuance entre les deux : en France, réformes imposées à la hussarde et communication débordante, dégoulinante presque de mépris, de componction et de mensonges. En Europe, convocation hâtive d’un G4 inutile, personnalisation tout aussi abusive et même davantage, les institutions européennes étant ce qu’elles sont, annonces fortes sur le rôle des Etats mais dont la véritable caution fut la décision de Gordon Brown, arrachage d’un G20 à Washington dont le bilan reste plus que mitigé, on est loin d’un nouveau Bretton Woods, et les banquiers, y compris français, toujours en goguette et toujours en liberté pour quelques-uns au moins dont la place est au gnouf ! Bien plus que pour les zigotos de Tarnac !
Pourquoi ne rien accorder de positif à M. Sarkozy sur ces deux questions clés pour l’avenir, nos relations avec la Russie et la Chine d’une part, la lutte contre la crise d’autre part?
C’est que dans les deux cas, il manque un projet réel pour la France et pour les Français, un projet de progrès et de prospérité partagés.
Et l’Union pour la Méditerranée, édulcorée pour entrer dans le moule de la conférence de Barcelone, n’apporte pas actuellement d’élan crédible pour la construction d’une zone de paix et de développement autour de la mer dont les rives virent naître nos civilisations.
Prétendre qu’une ambition européenne y pourvoirait est évidemment un leurre, la gestion de la crise dans chaque état et par chaque état, même avec un embryon de coordination, suffit à éclairer sur le degré de réflexion des pays de l’Union quant à cette ambition hypothétique !
L’Europe est celle des nations, on a ré-entendu cette phrase, c’est donc à partir d’elles et pour elles que le progrès commun doit être construit pas à pas ; n’est-ce pas ce qui justifie notre discours sur une Europe sociale ? L’Europe a, grâce à ce qui subsiste de ses états-providence, de meilleurs amortisseurs de crise que les Etats-Unis : comment trouver des compliments à faire à un homme qui, dans son propre pays, continue de les affaiblir systématiquement ? La politique européenne sur les services publics, l’ouverture des réseaux payés par la collectivité nationale, le libre-échange, les privatisations forcenées est toujours marqué par ce pur mensonge qu’est le principe de la concurrence libre et non faussée.
Il ne peut avoir de concurrence libre et non faussée quand la capacité d’achat de la demande est aussi inégalement répartie, et davantage en 2008 qu’en 1992 !
Il n’y pas de concurrence libre et non faussée quand les acheteurs potentiels de certains biens ou les réalisateurs de certains chantiers se comptent dans le monde sur les doigts de la main !
Il n’y pas de concurrence libre et non faussée quand construire 1100 kilomètres de LGV coûte 41milliards de dollars en Californie et que 700 kilomètres peuvent être construits pour 1, 5 milliard en Argentine !
Cessons d’abuser de la religion d’un libre-échange qui n’a jamais fait la richesse que des producteurs les plus performants et a fait disparaître les autres sans les remplacer pour autant, sauf en tendant vers le monopole !
La répartition actuelle des richesses sur la planète encore bleue ne laisse que peu de doutes aux observateurs raisonnables.
Les dirigeants des pays de l’OCDE portent la responsabilité d’une crise dont les effets ne sont pas achevés ; Jacques Attali a beau écrire que « l’incapacité de la société américaine à fournir des salaires décents aux classes moyennes » est une des explications majeures de cette « première crise financière de la mondialisation », on ne peut que s’étonner que les sempiternels exégètes et généralement thuriféraires de la dite mondialisation n’aient rien vu venir !
Les mêmes berceurs d’illusions parlent aujourd’hui, comme M. Baverez, d’une « mondialisation dominée par les forces du chaos » afin de mieux rallier sous les ailes d’un capitalisme intouchable et de leur outil étatique encore indispensable, et sans doute pour longtemps, les poussins apeurés auxquels on avait promis la lune, avec l’individualisme outrancier, le mérite introuvable, la consommation sans limite et la fin de l’histoire avant de leur vendre le choc des civilisations.
Au travail, avec ou sans Obama !
Mais au fond, cela se résume à peu de choses : la tentation post-démocratique est si forte, que même en France on voit à l’ouvrage ceux qui ne veulent pas donner la parole aux citoyens, ou qui prétendent qu’une meilleure « pédagogie » peut faire prendre des vessies pour des lanternes, ou qui le peuple ayant parlé, n’en tiennent aucun compte !
Des espoirs insensés sont mis sur le président américain, élu le 4 novembre, et qui prend ses fonctions le 20 janvier. Son programme permet d’espérer que quelques-unes des injustices flagrantes de la société américaine, et pas seulement pour les classes moyennes, seront au moins atténuées mais il n’y a pas lieu de croire qu’en un mandat, on ne trouvera plus dans les statistiques judiciaires un homme noir sur 4 (de 25 ans).
Le président des Etats-Unis est confronté avant même sa prise de fonction, et sans doute à cause de cela, à une reprise de la guerre à Gaza ; il sait, crise oblige, que les détenteurs de bonds du trésor US ne sont plus aussi bienveillants, il sait que son pays, hyper-puissance militaire sans égale, doit choisir entre les milliards de dollars nécessaires pour maintenir son avance stratégique et le sort de millions de ses concitoyens et électeurs… L’Europe peut-elle oublier ces réalités ?
La solution n’est que dans l’analyse objective des faits et la volonté de promouvoir le progrès pour tous. Tout le reste est illégitime.

Jean-Paul Beauquier

3 - combat féministe

1 - Menaces de mort par un groupe «talibans» sur des fillettes scolarisées au Pakistan

Lettre ouverte à
Madame Asma ANISA
Ambassadeur du Pakistan
18 Rue Lord Byron
75008 - PARIS

Objet : Menaces de mort par un groupe « talibans » sur des fillettes scolarisées de la Vallée de Swat (Pakistan)

Madame l’Ambassadeur,

Vous n’êtes pas sans savoir que des menaces de mort ont été publiquement proférées par M. Shah Durran, chef religieux local, lié au « mouvement des talibans pakistanais », dans la région de Swat, à l’encontre des filles et fillettes qui braveraient son « interdiction » de se rendre à l’école pour y recevoir l’éducation due à tous les enfants des pays du monde. Il a également menacé de faire exploser les établissements scolaires de ce district s’ils continuaient à accueillir et à dispenser leur enseignement à des fillettes et des jeunes filles.

Cet ultimatum criminel, fixé au 15 janvier 2009, nous amène à poser de toute urgence diverses questions au gouvernement pakistanais que vous représentez en France :

Le temps presse, Madame l’Ambassadeur. Dès ce 15 janvier 2009, ces dangereux individus peuvent mettre leurs menaces à exécution : agresser et tuer des fillettes de votre pays.

Nous, femmes et organisations féministes, signataires de cette lettre, exigeons de votre Ambassade une réponse rapide et détaillée sur les mesures de coercition mises en place par votre pays à l’encontre de ces lâches criminels et sur les dispositifs de protection des familles et des enfants en danger.

Vigilantes aux côtés des organisations nationales, européennes, onusiennes et internationales, préoccupées comme nous, du sort de ces fillettes et de leurs familles, nous sommes soucieuses du respect des droits humains fondamentaux et de la sécurité des personnes quels que soient leur genre, leur pays ou leurs croyances ; nous attendons vos précisions.

Et dans cette attente, recevez, Madame l’Ambassadeur, nos salutations particulièrement distinguées.

Personnes contacts :

Les signatures doivent préciser : nom, prénom de la personne et indiquer le libellé en qualité de signataire, vile département.A adresser à Monique Dental : monique.dental@orange.fr

Premières associations signataires (par ordre alphabétique) :
AFEMCI (Femmes Euro-méditerranéennes contre les Intégrismes) ; Africa 93, CADAC (Coordination Nationale des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception) ; CNDF (Collectif National pour les Droits des Femmes) ; Collectif de Pratiques et de Réflexions Féministes « Ruptures » ; FEM (Féministes-Ecologistes-Mixité) ; Femmes Solidaires ; IFE-EFI (Initiative Féministe pour une Autre Europe) ; LEA (Laïcité-Ecologie-Association) ; Les Insoumises ; Ligue du Droit des Femmes (Association fondée par Simone de Beauvoir) ; Regards de Femmes ; Réseau Féministe « Ruptures » …

Première personnalités signataires (par ordre alphabétique) :
Elisabeth Ackermann, Commission Droits des Femmes/Féminisme du PCF ; Élaine Audet, Ecrivaine-éditrice ; Francine Bavay, Vice-présidente en charge du Développement Social, de l'Economie Sociale et Solidaire, de la Santé et du Handicap du Conseil Régional Ile-de-France ; Doucha Belgrave, Militante féministe Femmes en Noir ; Claudy Bouyon, féministe, syndicaliste, universitaire ; Michel Bozon, Sociologue ; Caroline Brancher, co-responsable du secteur féminisme et laïcité de l'UFAL ; Claudine Bultez Lecomte, Présidente de Femmes Solidaires Le Havre (76) ; Maria Candéa, enseignante-chercheuse en sciences du langage Paris ; Catherine Carpentier scénariste-réalisatrice-sociologue ; Chahla Chafik, Sociologue-écrivaine ; François Chouquet, Professeur de Philosophie Université Paris 7-Denis Diderot ; Laurence Cohen, Responsable de la Commission Droits des Femmes/Féminisme du PCF ; Docteur Michèle Dayras, Présidente de SOS Sexisme ; Monique Dental, Animatrice du Réseau Féministe »Ruptures » ; Catheine Deudon, Photographe ; Régine Dhoquois, juriste et sociologue ; Marie-Thérèse Elliautou, retraitée, militante altermondialiste, membre d'Ecofemmes ; Sophie Faÿ, Plasticienne, Présidente de l’association « Les femmes ça crée » ; Jacqueline Feldman, Directrice de Recherches Honoraire au CNRS ; Pierrette Fleutiaux, écrivaine ; Geneviève Fraisse, Philosophe, ancienne députée européenne ; Xavière Gauthier, philosophe-chercheur CNRS, écrivaine ; Bernard Giusti, écrivain, éditeur ; Jean-Luc Gonneau, Président de Résistance 7e Art ; Jane Hervé, philosophe ; Cécile Joris, Docteur en Psychologie ; Patrice Leclerc, conseiller général des Hauts-de-Seine ; Michèle Loup, Conseillère régionale Ile-de-France ; Florence Montreynaud, écrivaine ; Christiane Passevant, Chargée de réalisation TV ; Michelle Perrot, Professeure émérite de l'université Paris 7-Denis Diderot, historienne, écrivaine ; Elisa Portier, journaliste ; Martine Reid, Professeure de langue et littérature modernes, université de Lille-III ; Yannick Ripa, Historienne Université Paris 8-Saint-Denis ; Françoise Robichon, Ancienne Maire Adjointe 73) ; Rebecca Rogers, Secrétaire Association Mnémosyne ; Marie-Josée Salmon, Présidente du Collectif de Pratiques et de Réflexions Féministes « Ruptures » ; Odette Terrade, Sénatrice du Val-de-Marne ; Yvette Tréhin, adjointe au Maire, en charge du droit des Femmes, Athis-Mons (91) ; Olga Trostiansky, Adjointe au Maire de Paris ; Nelly Trummel, Emission « Femmes Libres » Radio Libertaire Paris ; Dominique Venturini, Présidente de Plein Jour ; Anne Zelensky, historienne-écrivaine…

Le Collectif De Pratiques Et De Réflexions Féministes « Ruptures »

4 - à lire, à voir ou à écouter

1 - Transformations et crise du capitalisme : quelle alternative ? de Paul Boccara

L’ouvrage Transformations et crise du capitalisme : quelle alternative ?, de Paul Boccara[1] se divise en deux grandes parties. La première traite de certaines questions théoriques en liaison avec le stade de développement atteint aujourd’hui par l’économie capitaliste, par les causes proches et lointaines de la crises financière actuelle, ainsi que par la nature de celle-ci. La seconde partie avance des pistes, principalement économiques, de dépassement progressif de la logique de croissance fondée sur le profit, en partant de la nature « ambivalente » des nombreuses mutations que ce système a connu ces dernières décennies.

Pour l’auteur, la crise actuelle – qui a atteint tout le système économique capitaliste (crise systémique) et qui se caractérise par sa longueur et son acuité – trouve essentiellement son origine dans la suraccumulation de capitaux (ou surinvestissement), qui est l’excès de capitaux par rapport au taux de profit moindre qu’ils rapportent. Cette suraccumulation est liée en particulier à la révolution informationnelle qui s’est accélérée depuis les années 1980, à partir des Etats-Unis d’Amérique.

L’élévation excessive de la composition organique du capital a entraîné un chômage durable et de masse, ainsi que l’extension de la précarité. Pour rappel, le concept marxien de capital organique ou de composition organique du capital est le rapport entre le capital constant (machine, matières premières, etc.) et le capital variable (la force de travail) qui existe dans tout investissement pour produire une quantité donnée de marchandises. Toute modification dans un sens, de l’un de ses éléments comme c’est le cas ici, entraîne la modification inversement proportionnelle de l’autre.

Par ailleurs, la plus grande part accordée aux profits dans la répartition de la valeur ajoutée (richesse produite) au détriment des salaires distribués a abouti à une baisse relative du pouvoir d’achat. Ce qui a provoqué à son tour une crise de surproduction de marchandises, faute de débouchés (solvables) suffisants.

L’insuffisance de débouchés, et donc d’opportunités de profits intéressants dans la sphère de l’économie réelle, n’est pas sans conséquence sur la financiarisation de l’économie, à savoir la nette prédominance des marchés financiers (banques, bourses, etc. où se vendent et s’achètent les capitaux) sur l’économie réelle. Les Fonds communs de placements y pratiquent des taux de profits boursiers très élevés et à très court terme, et réalisent d’importantes plus-values.

L’économie mondiale de ces dernières décennies se caractérise également par un nouveau type de domination de la part des Etats-Unis d’Amérique : leur importation massive de capitaux, en plus du rôle de monnaie mondiale commune, de fait du dollar (86, 3 % des opérations change dans le monde, en 2007). Ceci leur permet de n’opérer que de faibles prélèvements obligatoires sur les capitaux investis sur leur territoire. D’où des taux de croissance et d’emploi chez eux supérieurs à ceux de l’Union européenne et du Japon.

Pour autant, l’issue de la crise actuelle du capitalisme mondialisé et financiarisé n’est pas fatale à ce système, car elle peut mener à son renforcement, comme à son anéantissement. Aussi, s’agit-il de travailler pour l’avènement de la seconde option.

L’auteur s’inspire – mais pour aller bien plus loin – de l’expérience des pays occidentaux qui, pour redresser leurs économies détruites par la guerre, avaient dérogé à partir de 1945 à nombre de règles de fonctionnement capitaliste. Ils avaient dans ce but crée et nationalisé de nombreuses entreprises publiques de base et de la finance (EDF, SNCF…), ne dégageant que peu ou pas de profits pour les capitalistes, mais ayant des retombées économiques et sociales positives considérables. C’est ce que l’auteur nomme le capitalisme monopoliste d’Etat social.

Cette alternative consiste, plus précisément, à substituer la finalité sociale de l’entreprise à la rentabilité et au profit, et à ne pas s’enfermer dans le choix entre le marché capitaliste et la propriété étatique, qui a échoué dans les pays de l’Est. Mais il s’agit de combiner le marché, l’Etat et le partage, grâce à la révolution informationnelle qui permet une mutualisation des moyens en matière de coût, de création et d’usage, et dont les applications sont loin de se limiter aux domaines économique et financier.

Cette finalité sociale sera le point de départ pour aboutir, à terme, à une propriété juridique diverse (publique, mixte ou coopérative) et évolutive. La gestion sera assurée conjointement par les pouvoirs publics, par le personnel et par les usagers ou à défaut par les populations environnantes ou les élus.

L’auteur avance plusieurs autres propositions, parmi lesquelles l’instauration d’un système de sécurité d’emploi ou de formation à vie ; la création de pôles publics financiers ; et la modulation des taux d’intérêt en fonction de leur utilité sociale et de leur investissement dans l’économie réelle.

Pour juguler la folie des marchés financiers, il faudrait, selon lui – outre l’application de la taxe Tobin relative à la circulation de capitaux – taxer plus fortement les profits non réinvestis dans la production, la recherche ou la formation.

Il suggère également de mettre fin aussi bien à l’indépendance de la Banque centrale européenne qu’à la domination du dollar, par l’émission de monnaies communes régionales, et plus tard d’une monnaie commune internationale.

Il s’agit aussi de démocratiser le FMI, l’OMC et la Banque mondiale, afin que ces institutions soient véritablement au service des peuples, et non plus des instruments dociles entre les mains des sociétés transnationales et des grands pays capitalistes.

Paul Boccara propose aussi la mise en place de politiques de co-développement et de coopération entre les Etats et entre les peuples, en remplacement des rapports de domination en vigueur.

Notes

[1] éd. Le Temps des Cerises, 2008

Hakim Arabdiou

2 - Film : Isabelle Eberhart ou la fièvre de l’errance, d’Ali Akika

Ali Akika, réalisateur d’origine algérienne, vient de produire un beau documentaire sur Isabelle Eberhart, journaliste et écrivaine du xixe siècle, russe par ses origines et algérienne par adoption.

L’intéressée est née le 17 février 1877 à Genève, de père inconnu[1] et d’une mère aristocrate de Saint-Pétersbourg, veuve d’un général tsariste. La mère s’installa en Suisse, en 1871, avec sa famille et le précepteur de ses enfants, un sympathisant anarchiste russe, dont elle devient la maîtresse. Elle émigra ensuite avec Isabelle à Annaba (ex-Bône), une coquette ville du littoral est algérien, où elles habiteront d’abord le quartier européen, avant de le quitter pour le quartier arabe et avant de se convertir à l’islam. C’est dans le cimetière musulman de cette ville où la maman, qui avait adopté le nom musulman de Fatima Menoubia, est enterrée jusqu’à aujourd’hui.

Après ce décès, Isabelle Eberhardt décide, à 20 ans, de quitter Annaba pour sillonner les villes du Sahara algérien. Afin de pouvoir circuler plus librement, elle s’habillait en bédouin arabe et se faisait appeler Mahmoud Saadi, car elle n’ignorait pas le confinement des femmes musulmanes dans l’espace domestique. C’est à Genève qu’elle prit l’habitude de porter des vêtements de garçon pour pouvoir sortir de chez elle, car il était à ce moment-là défendu à une jeune fille de circuler non accompagnée par un parent dans la rue. Elle apprit aussi la langue arabe, ainsi d’ailleurs que le français, le russe, l’anglais, le turc et l’arménien ; et commença également à gagner sa vie en effectuant des reportages pour le compte du journal Al Akhbar, qui s’éditait en versions arabe et française à Alger. Elle y décrivait entre autres les villes sahariennes et les dures conditions de vie de leurs habitants algériens.

Sa première destination avait été la ville d’El-Oued, située 600 km à l’intérieur du Sahara, près de la frontière algéro-tunisienne. El-Oued lui doit le surnom de « ville aux mille coupoles » (de mosquées). C’est aussi dans cette ville qu’elle adhéra à la zaouïa soufie, la Kadiria.

Elle n’avait que 23 ans, quand elle a failli passer de vie à trépas. Des esprits conservateurs de cette ville avaient fait circuler des calomnies sur elle. A cette fin, ils manipulèrent un groupe d’habitants, dont l’un d’entre eux tenta de la décapiter à coup de sabre, à l’intérieur même de la demeure du chef de la zaouïa locale qui l’avait reçue à dîner. « Ce fut le premier attentat intégriste de l’histoire contemporaine », dira à ce propos Madame Edmonde Charles-Roux, écrivaine et membre de l’Académie Goncourt, qui a consacré à la jeune femme une volumineuse biographie.

Isabelle Eberhardt n’en avait pas moins demandé au tribunal militaire qu’il accorde la grâce à son agresseur. Elle fit également part de son intention de lui rendre visite en prison. C’en était alors trop pour les juges racistes de ce tribunal, à l’image des institutions et de la société coloniales en Algérie.

Les autorités y trouvèrent par conséquent l’occasion rêvée de se débarrasser d’elle, car ses écrits et son amitié affichée pour les Algériens les irritaient au plus haut point. En effet, ses articles et ses livres chantaient la beauté de l’Algérie, prenaient la défense de son peuple, appelaient au respect de sa culture et de sa religion, et expliquaient pourquoi elle aimait partager la vie du peuple. Son expulsion du pays, en 1900, fut d’autant plus facile qu’elle était étrangère : de nationalité russe.

Elle se réfugia alors chez son frère Augustin à Marseille pendant un an. L’année suivante, à l’arrivée de son compagnon Slimane Ehnni (sous-officier de l’armée française), elle l’épouse, lui permettant ainsi d’obtenir la nationalité française et de retourner en Algérie.

Outre son anticolonialisme, Isabelle Eberhardt est aussi, selon sa biographe, le premier reporter de guerre femme dans l’histoire mondiale du journalisme. C’était en 1903. Son journal, Al Akbar, l’avait envoyée couvrir les attaques de postes militaires français dans la région de Figuig, dans le désert à la frontière algéro-marocaine, lancées par les hommes du chef de Zaouïa et chef de guerre Bouamama, qu’elle rencontra à cette occasion.

Elle a connu toutefois une fin prématurée, à 27 ans, et tragique. Contre l’avis de son médecin, elle quitta l’hôpital où elle avait été admise, quelques heures auparavant, pour cause de paludisme : elle tenait à accueillir son mari, qu’elle n’avait pas revu depuis un long moment, étant donné les contraintes de la vie de militaire de celui-ci.

Mais le destin en a décidé autrement. Elle fut noyée par l’inondation qui s’était déclenchée peu de temps après. C’était dans la maison où elle avait emménagé la veille, à Aïn Sefra, à 800 kilomètres d’Alger, à la frontière du Maroc. C’est avec son manuscrit, « Sud Oranais » (qu’elle n’avait pas eu le temps de poster à son éditeur en France), coincé entre les bras que les soldats du colonel Louis-Hubert Lyautey (commandant de la subdivision de l’armée française à Aïn-Sefra) la retrouvèrent après d’intenses recherches. Amoureux des Belles Lettres et portant aux nues les artistes et les intellectuels, ce militaire, ne pouvait qu’être admiratif d’Isabelle Eberhardt, et qui avait, de surcroît, une certaine connaissance de la société arabe. Il avait par conséquent pris aussi en charge les frais de l’enterrement, et veilla à ce qu’elle soit enterrée conformément à sa confession musulmane, et donc enterrée dans le cimetière musulman de cette ville. Il fit également sécher le manuscrit et l’envoya à Alger, puis en France où il sera édité, l’année suivante. Une rue porte également le nom d’Isabelle Eberhardt, à Béchar, dans le sud-ouest algérien.

Avant de disparaître, la jeune femme avait eu le temps d’écrire plusieurs ouvrages, dont Dans l’ombre chaude de l’islam ; Amara le forçat ; l’Anarchiste, au Pays des sables, etc.

Ali Akika, réalisateur de ce documentaire, est né en Algérie. Il commença sa vie professionnelle, après une formation d’économiste, d’abord comme enseignant dans différents lycées de la banlieue parisienne, puis comme journaliste pour les Cahiers du cinéma et Ciné-arabe, avant de passer au cinéma en 1975. C’est en effet à cette date qu’il réalisa son premier film : l’Olivier, un long métrage primé au festival de Carthage, en Tunisie. Il en réalisera bien d’autres par la suite, notamment Enfants d’octobre 61, en 2000, un moyen métrage sur le massacre des Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris ; un moyen métrage sur un poète algérien, Jean Sénac, le forgeron du soleil, en 2003, ; et un documentaire sur Isabelle Eberhardt ou la fièvre de l’errance, en 2008.

Notes

[1] C’est pour des raisons de santé de la mère d’Isabelle Eberhardt, Natalia Nicolaïevna, ainsi que de l’un de ses demi-frères, Constantin, que la famille s’est retrouvée en Suisse à partir de 1971. Le véritable père d’Isabelle Eberhard n’est autre qu’Alexandre Nicolaïevitch Trofimovsky, son précepteur (et celui de ses nombreux frères et sœurs, et demi-frères et demi-sœurs issus d’un premier mariage de son père) et amant de sa mère, après que le mari de sa mère (le lieutenant général, puis sénateur, Pavel Karlovitch de Moerder, de 41 ans plus âgé que sa mère) eut décédé. Le patronyme, Eberhardt, est celui de son grand-père maternel. Voir Edmonde Charles-Roux, un Désir d’Orient : la jeunesse d’Isabelle Eberhardt, éd. Grasset, 1988, Paris. Le même auteure a écrit un second ouvrage sur Isabelle Eberhardt, Nomade j’étais, éd. Grasset, 1995, Paris.

Hakim Arabdiou

5 - société

1 - L’Anti-coercition n’est pas l’Anti-psychiatrie

Auteur d’ouvrages ayant laissé de profondes traces dans l’Histoire critique de la psychiatrie, en particulier Le mythe de la maladie mentale (Payot 1975) et Schizophrénie. Le symbole sacré de la Psychiatrie (Payot 1983), Thomas Szasz est souvent rangé dans une catégorie, celle des anti-psychiatres, qui ne lui convient pas (voir par exemple le site Dicocitations). Les différences entre sa pensée et les théories anti-psychiatriques sont pourtant de fondamentale importance. En particulier, l’auteur du texte qui suit (inédit en français) dénonce l’usage de méthodes coercitives et le manque de clarté et de scientificité relatif au concept de maladie mentale, deux aspects qui justement n’ont jamais été répudiés par l’anti-psychiatrie. C’est précisément pour dissiper ces malentendus que Szasz a concentré dernièrement ses travaux sur l’analyse critique de l’anti-psychiatrie permettant aux lecteurs de se forger des idées plus précises sur sa pensée et sur les vraies significations du discours et de la pratique anti-psychiatriques.
Antoine Fratini

(The Freeman, 58: 26-27 Mai 2008)

Le terme “anti-psychiatrie fut créé en 1967 par le psychiatre sud-africain Davide Cooper (1931-1986) et par le psychiatre écossais Ronald laing (1927-1989). Au lieu de donner une définition précise du terme “anti-psychiatrie” ceux-ci affirmèrent: “Nous avons nourri tant de rêves à propos d’un idéal de communauté psychiatrique, ou plutot anti-psychiatrique”. Ce “nous” étaient Cooper, Laing et leurs élèves américains Joseph Berke et Leon Redler.

“La clé pour la compréhension de l’anti-psychiatrie”, explique le psychothérapeute existentiel anglais Digby Tantam, “est que la maladie mentale est considérée un mythe (Szasz, 1972)”. Hélas, ce n’est pas vrai. Beaucoup d’anti-psychiatres rejettent le modèle médical de la psychiatrie, mais continuent à concevoir les problèmes humains ainsi que les tentatives de les résoudre en faisant largement usage de la terminologie médicale et, ce qui est encore plus important, en ne s’opposant pas à la coercition “thérapeutique”.

Les psychiatres sont engagés en de multiples pratiques troubles dont la plus importante reste la défense de l’insanité mentale. Les anti-psychiatres n’ont pas vraiment affirmé ceci dans leurs textes, mais l’exemple de la fameuse expertise médico-légale que Laing fit à propos du cas John Thomson Stonehouse (1925-1988), un ministre travailliste anglais accusé de fraude fiscale, est plutot significative à ce sujet. Quand les autorités furent sur le point de l’arrêter, Stonehouse organisa son propre suicide. Le 20 novembre 1974 il laissa quelques vêtements dans le lieu où il se trouvait, à Miami Beach, et s’enfuit. Donné pour mort, il partit pour l’Australie dans l’espoir de se refaire une nouvelle vie avec sa maitresse et fut arrêté par hasard à Melbourne, déporté en Grand Bretagne avec de 21 chefs d’accusation sur le dos.

Stonehouse plaida non coupable pour des raisons d’insanité mentale et fut condamné à sept ans de prison. Afin de supporter la thèse de son insanité mentale il engagea les services de cinq psychiatres. Laing, qui fut un de ceux-ci, affirma sous jurement que son client était malade au moment de commettre les délits. Dans son livre Mon procès Stonehouse écrit: “Le Dr. Donald Laing... a mis en évidence ma condition de malade mental. Il a affirmé... l’existence d’une dissociation de la personnalité en plusieurs parties et diagnostiqué une psychose réactive”.

Mais Laing ne connaisssait point son client avant le procès et ne pouvait donc pas connaitre la condition mentale dans laquelle il se trouvait au moment de commettre ses méfaits. Le diagnostique de Laing fut un expédient psychiatrique classique, précisément le genre de charlatanerie qu’il il prétendait combattre. Laing et Stonehouse furent tout simplement des menteurs.

La célébrité di Laing est liée à son rôle d’empereur de Kingsley Hall, “maison-famille” fondée par lui et ses acolytes. Cette institution a été promue comme un lieu de cure où toute personne ayant été diagnostiquée schyzophrène peut etre sure de ne pas être emprisonnée ni remplie de médicaments contre sa propre volonté. La vie quotidienne à Kingsley Hall était basée sur la fiction selon laquelle tous les “résidents” étaient égaux et que personne n’était patient ni praticien. Le psychiatre américain Morton Schatzman, qui avait choisit de vivre à Kingsley Hall pendant un an, affirme: “Aucune des personnes vivant à Kingsley Hall considère les figures professionnelles comme étant extérieures à la structure et les internes comme des patients”. Il s’agit là d’un mensonge caractéristique de l’anti-psychiatrie, tout comme le mensonge qui fait de la privation de la liberté une cure, caractérise la psychiatrie.

L’écrivain américain Clancy Sigal (né en 1926) se rendit à Londre pour devenir un patient de laing. La “thérapie” se conclua rapidement, les deux se lièrent d’amitié et partagèrent des expèriences psychédéliques en assumant du LSD. Sigal, qui était l’un des co-fondateurs de Kingsley Hall, changea d’avis à propos de la communauté de Laing, spécialement après avoir découvert que Laing et compagnie, malgré leurs prédications en faveur de la non-violence, pratiquaient la violence.

De retour aux USA, Sigal écrivit un livre ravageant envers Laing et son culte. Zone of the interior fut publié aux USA en 1976. En utilisant la menace des lois britanniques sur la diffamation, Laing réussit à en empêcher la publication dans le Royaume Uni jusqu’en en 2005. Sigal écrit: “En septembre 1965, pendant les grandes vacances juives, j’ai eu une crise schyzophrènique... ou une espèce d’expérience transformante, selon les points de vue. Cette crise n’était pas advenue en privé, mais devant vingt ou trente personnes un vendredi soir de shabbat à Kingsley Hall... La notion sur laquelle se basait la communauté est que la psychose n’est pas une maladie, mais un état mental de trance à considérer comme facteur curatif”.

Dans un interview succéssif à la publication du livre en UK, Sigal décrivit en ces termes sa folie à deux avec Laing: “Nous nous échangions les rôles, lui devenait patient et moi thérapeute, et assumions du LSD ensemble... Laing et moi avions fait un pacte diabolique. Nous devenions schyzophrènes dans notre attitude envers nous mêmes et envers le monde... (une) nuit, après avoir laissé Kingsley Hall, certains médecins qui s’étaient convaincus que je voulais me suicider arrivèrent à toute allure dans mon appartement et me subministrèrent une dose massive de Largactil (Thorazine), un sédatif à action rapide uitilsé dans les hopitaux psychiatriques. Conduits par Laing, ils m’amenèrent à Kingsley Hall... La dernière phrase dont je me souvienne est “Vous batards, vous ne savez pas ce que vous faites”.

Sigal s’enfuit de Kingsley Hall, retourna aux USA et publia enfin son roman en 1975. La publication en UK fut stoppée par una action légale de Laing. La saga de Sigal devait devenir le sceau ultime posé sur le cerceuil de la légende selon laquelle Laing fu un opposant des pratiques coercitives liées à la psychiatrie.

Quand en 1976 le livre de Sigal fut mis en commerce, Laing aurait déja pu être processé et punit, Kingsley Hall aurait pu être fermé comme hopital psychiatrique et la légende de Laing “sauveur des schyzophrènes” aurait pu s’éffondrer définitivement. Shakespeare avait raison: “Le mal que les personnes font vit après eux”.

La Fin de Kingsley Hall

Le chaos a Kingsley Hall dura moins de cinq ans. Hélas, le terme malheureux “anti-psychiatrie” survécu, bien que Cooper et Laing savaient qu’il fut inéxact et trompeur. Dans un interview vers la fin de sa vie, Laing se rappela d’avoir dit à Cooper: “David, le fait de devoir répudier ce terme est un foutu désastre. Mais il avait un côté trompeur qui a finit par nous confondre”.

Comme conséquence de la terminologie anti-psychiatrique, et contrairement à n’importe quel autre médecin spécialiste, les psychiatres peuvent désormais repousser les critiques adressées aux différents aspects de la pratique psychiatrique en nommant ces derniers “anti-psychiatriques”. L’obstétricienne qui refuse de pratiquer l’avortement n’est pas stigmatisée “anti-obstétricienne”. Le chirurgien qui refuse de pratiquer les opérations de changement de sexe n’est pas classé “anti-chirurgien”. Mais le psychiatre qui refuse la coercition ainsi que les pseudo-légitimations qui y sont attachées est appelé “anti-psychiatre”. Le résultat est que tout médecin sauf le psychiatre est libre d’accepter ou de ne pas accepter les procédés particuliers qui offensent ses propres principes moraux ou plus simplement les pratiques qu’il préfère ne pas mettre en acte.

Pourquoi le psychiatre est en fait privé de sa liberté? Parceque en psychiatrie le paradigme de la pratique (enfermer les patients condiérés dangereux pour eux mêmes ou pour les autres) est la cure médico-légale standard. La déviation par rapport à tel standard suscite des contreverses légales et expose le psychiatre au risque du retrait de son autorisation à la pratique médicale.

Traduit de l’anglais par Antoine Fratini

Thomas Szasz Prof. Émérite de psychiatrie à l’Université de Syracuse (NY), membre de l’Association Européenne de Psychanalyse
www.aepsi.it/

2 - La liberté d’expression s’arrête-t-elle devant les portes du Marché Saint-Pierre?

Pour la constitution d’un Collectif de défense de la liberté d’expression

Hélène et Philippe Magdelonnette ont été licenciés en 2006 du magasin de tissus Dreyfus Déballage du Marché Saint-Pierre où ils travaillaient depuis respectivement 28 et 34 ans. A partir de mai 2006, et pendant trente mois, ils sont venus quotidiennement protester devant le magasin, déployant silencieusement une banderole où ils dénonçaient ce « crime social » et demandaient leur réintégration. A partir de septembre 2007, un petit groupe de militants est venu soutenir leur combat en distribuant deux fois par semaine des tracts aux entrées du magasin et en discutant avec les passants et les clients (et en organisant à trois reprises une manifestation dans le quartier).

Face à cette protestation pacifique mais tenace, la direction du magasin, tout en jouant la provocation, a fait appel aux tribunaux : a trois reprises, elle a traîné Hélène et Philippe en référé pour prétendu trouble à l’ordre public. La première fois, la justice lui a donné tort. La seconde fois aussi. Mais le dernier verdict d’appel (du 19 décembre) prend fait et cause pour les patrons du magasin, considérant que les époux Magdelonnette ne peuvent, au nom de la liberté d’expression « qu’ils sont en droit de revendiquer », « entraver le libre exercice du commerce de leur employeur et même porter atteinte à son image ».

Ce jugement bâillonne de fait toute expression publique, reprenant mot pour mot la requête patronale, à savoir « interdire aux époux Magdelonnette de :

Après un jugement de ce type, que reste-t-il en France de la liberté d’expression des salariés ? Si ce type de jugement devait faire jurisprudence, les patrons de tout poil pourraient impunément licencier sans même craindre de voir circuler un tract, une pétition, ou une banderole se planter devant leur porte.

Hélène et Philippe ne peuvent qu’obtempérer face à la décision du tribunal (assortie d’une astreinte de 100 euros par jour), même s’ils réfléchissent à la possibilité d’un recours devant la Cassation ou la Cour européenne des Droits de l’Homme. Mais tous ceux qui ont à cœur la défense de liberté d’expression dans notre pays comprennent qu’on ne peut pas simplement se soumettre à cette interdiction sans tenter d’y résister.

Hélène et Philippe, en dénonçant tous les jours pendant deux ans et demi la violence de leurs licenciements et en demandant leur réintégration, ne se sont pas, comme c’est le cas trop souvent, résignés à subir la violence patronale, autorisée de fait par la loi. La législation en vigueur, en effet, ne prévoit pas que les prud’hommes ordonnent la réintégration dans le cas de licenciements reconnus abusifs ; or, Hélène et Philippe n’ont cessé de la demander, allant jusqu’au recours en Cassation (les prud’hommes ne leur ayant accordé que des indemnités). Mais ils ont su aussi exploiter l’espace que la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’expression et de la liberté syndicale laisse à l’action sur le terrain. A force de ténacité, en utilisant de petits moyens, légaux et non violents, ils ont montré que, même avec de toutes petites forces, il est possible de se battre et de modifier sur le terrain les rapports de forces entre patrons et salariés ; que, sans attendre que les gouvernants se décident à interdire les licenciements par la loi, on peut faire comprendre aux patrons que licencier peut leur coûter cher (en termes d’argent, d’image, de réputation…). Autrement dit, ils ont montré que les licenciements ne sont pas une fatalité, même dans un contexte très défavorable comme celui d’aujourd’hui.

C’est cette dimension de leur combat qui nous avait poussés à leur apporter un soutien fidèle. C’est la portée générale de l’interdiction de s’exprimer qui leur est faite qui nous motive aujourd’hui à chercher les moyens d’élargir le soutien.

Le Collectif De Solidarité Avec Hélène Et Philippe collectidesolidarite@hotmail.fr

6 - histoire

1 - Rosa Luxemburg, si loin, si près

in L'Humanité du 15 janvier 2009

Il y a quatre vingt-dix ans, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et plusieurs de leurs compagnons qui venaient de fonder le Parti communiste d’Allemagne étaient assassinés par un commando militaire, alors que tentait de se développer un mouvement révolutionnaire dans le pays. Figure marquante du mouvement ouvrier international, économiste, théoricienne de la démocratie, femme cultivée, sensible, elle nous laisse un héritage fécond qui mérite d’être réévalué à l’heure de la crise mondiale du capitalisme.

Le 11 janvier 1919, deux mois après l’abdication de l’empereur Guillaume II et la proclamation de la République, le social-démocrate Gustav Noske entre dans Berlin à la tête des troupes gouvernementales. Pendant plusieurs jours, de nombreux militants spartakistes[1] sont assassinés : le 15 janvier, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, exécutés par un commando d’officiers et de militaires, sont les victimes les plus célèbres de cette semaine sanglante. « L’ordre règne à Berlin », comme l’avait écrit Rosa la veille de sa mort. « Rosa la rouge » est parfois citée et souvent appréciée à gauche. Sa mémoire est immortalisée par un célèbre poème de Bertolt Brecht (« Elle avait dit aux pauvres la vérité / Et pour cela les riches l’ont exécutée »). Mais, à l’époque, certains n’avaient pas de mots assez durs pour condamner « Rosa la sanguinaire ». Les spartakistes, ainsi nommés en allusion à Spartacus, le leader du soulèvement des esclaves romains pendant l’Antiquité, étaient alors assimilés au « banditisme » ou « terrorisme » par une social-démocratie qui venait de s’allier à la force militaire pour terminer la révolution commencée quelques semaines tôt.

Cette social-démocratie allemande (SPD), les deux dirigeants spartakistes la connaissaient bien : ils en furent membres pendant de nombreuses années. Rosa Luxemburg est née en 1871 à Zamosc, petite ville de Pologne, alors sous domination russe, dans une famille de commerçants juifs, qui s’installera à Varsovie, où la jeune fille fréquente le lycée. Elle milite dès l’âge de seize ans. Engagée dans un groupe de socialistes révolutionnaires, menacée d’expulsion, elle émigre en Suisse, où elle poursuit des études d’économie avant de se retrouver à Paris. Pendant cet exil, elle contribue à la création de la social-démocratie polonaise, avant de devenir une figure importante du Parti social-démocrate allemand, auquel elle adhérera en 1898 à Berlin. À travers cette expérience, elle incarne cet internationalisme qui était l’idéal de nombreux militants cosmopolites d’Europe de l’Est. Mais elle ne jugera pas utile, contrairement à d’autres, d’appuyer les revendications nationales des peuples d’Europe centrale, vues comme rétrogrades.

Rosa se fait connaître au tournant du siècle pour sa virulente critique d’Edouard Bernstein, qui « révise » le marxisme. Attentive aux problèmes du socialisme européen, elle soutient le combat en faveur de la réhabilitation de Dreyfus, mais s’oppose à ceux en France qui en 1899 appuient l’entrée d’un ministre socialiste dans un gouvernement où siège un certain Gallifet, auteur de la répression de la Commune de Paris de 1871.
C’est au moment où Luxemburg polémique avec les socialistes français que Karl Liebknecht adhère à la social-démocratie allemande, en 1900. Fils de Wilhelm Liebknecht, dirigeant historique et acteur de la révolution de 1848, Karl ne laissera pas une œuvre de la même ampleur que sa camarade. Mais on lui doit une agitation et de courageux écrits antimilitaristes, pour lesquels il sera emprisonné, ainsi qu’une attention spécifique portée à l’organisation des jeunes sociaux-démocrates. Et après plusieurs tentatives infructueuses, il est élu député au Reichstag en 1912.

À la suite de la vague de grèves déclenchée en Russie dans le sillage du « dimanche rouge » de janvier 1905, Rosa part pour Varsovie. Elle compte sur les nouveaux modes d’action apparus dans le processus révolutionnaire, la « grève de masse », pour lutter contre les appareils politiques et syndicaux, dont la pression se fait de plus en plus sentir en Allemagne. Peu après, son hostilité au nationalisme l’amène, contre l’avis de la délégation du SPD, à faire adopter par l’Internationale en 1907 une résolution contre la politique coloniale. Ces positions intransigeantes font d’elle la principale porte-parole de l’aile gauche du parti et devaient la conduire à rompre avec son vieil ami Karl Kautsky, alors considéré comme le « pape » théorique de la social-démocratie.

Révolutionnaires, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht l’étaient assurément. Pour eux comme pour beaucoup de sociaux-démocrates allemands d’alors, la révolution et le socialisme ne sont pas des rêveries lointaines que seules les générations futures pourront accomplir : ils sont à portée de main, du domaine du réel et du réalisable dans les années à venir. Ces militants du XIXe siècle, souvent ouvriers, avaient une « sensibilité à l’histoire, une conscience aiguë de la portée historique de leur mouvement », selon l’expression de l’historien Georges Haupt, qui contribua à rééditer des textes de et sur Rosa Luxemburg un demi-siècle après sa mort. C’est cette histoire des mouvements révolutionnaires de 1789, 1848, 1871 que Luxemburg enseigna à l’école du parti, où elle exposa aussi aux cadres sociaux-démocrates son analyse marxiste de l’économie capitaliste.

C’est le choix de ne pas soutenir la politique d’union sacrée en 1914 - le SPD vote le 4 août les crédits de guerre allemands - qui les associe définitivement. Dissidence qui les conduira au-delà des vifs débats des années précédentes : de désaccords en divergences, ce sera bientôt la rupture. Elle commence au Reichstag, où Karl Lieknecht refuse - seul - de voter les nouveaux crédits en décembre 1914, rompant ainsi la discipline de parti qu’il avait respectée jusqu’alors. L’un et l’autre sont emprisonnés pendant une partie de la guerre pour leurs activités militantes. Peu à peu se forme un groupe de militants, radical dans son opposition à la guerre : les spartakistes.

Quand les bolcheviks prennent le pouvoir au cours de la Révolution russe en octobre 1917, Luxemburg leur reproche dans un texte posthume certains actes jugés trop autoritaires, au point que d’aucuns ont voulu y voir une critique avant-coureuse des dérives ultérieures. Mais elle se solidarise, malgré tout, à l’image de nombreux militants d’alors, avec la Révolution russe dont le « mérite » est « impérissable ». En Allemagne, alors que le processus révolutionnaire s’étend dans le sillage des événements russes, la République est proclamée deux fois le 9 novembre 1918 : Scheidemann au Reichstag annonce la « République allemande » tandis que Karl Liebknecht, de son côté, du balcon du château des Hohenzollern, fait reprendre par la foule « Vive la République allemande socialiste ! ». Deux options possibles qui vont s’avérer inconciliables : le Parti - communiste allemand (KPD) naît le 1er janvier 1919 et les spartakistes en forment la composante essentielle. Dans cette période de forte agitation sociale, la social-démocratie d’Ebert et Scheidemann choisit l’alliance avec l’armée pour réprimer l’aile radicale révolutionnaire. De cette répression naît une profonde division du mouvement ouvrier allemand, un fossé irrémédiable entre sociaux-démocrates et communistes, qui contribuera à leur défaite face au nazisme une décennie plus tard.

Les thèmes de la spontanéité des masses et l’insistance sur la démocratie indissolublement liée au projet socialiste ont permis la redécouverte des textes de Luxemburg dans les années 1970, à l’heure de la critique des régimes bureaucratiques. Et chaque année, aujourd’hui encore, des Allemands de différentes générations et d’horizons divers se retrouvent pour honorer la mémoire des deux révolutionnaires.
Des débats d’une autre époque qui ne nous interrogeraient plus aujourd’hui ? Les contextes ont bien changé, mais les préoccupations posées pour un projet d’émancipation demeurent. À l’heure de la crise du capitalisme, une relecture critique de l’Accumulation du capital et de l’Introduction à l’économie politique - récemment rééditée -, où sont montrés les mécanismes de l’exploitation et de la reproduction du capital, s’impose.
Parions que d’autres lectures nous interrogeront dans l’avenir : bien des textes de Rosa restent encore à découvrir dans notre langue, comme le montre l’extrait reproduit dans cette édition de l’Humanité d’un article qu’elle écrivit à l’occasion du centenaire d’une année charnière de la Révolution française, 1793.

Notes

[1] L’aile gauche scissionniste du Parti social-démocrate.

Jean-Numa Ducange historien (doctorant, université de Rouen)
Auteur, avec S. Dayan-Herzbrun, de l’édition de la Critique du programme de Gotha, de Karl Marx (Éditions Sociales, GEME, 2008)

2 - « Leurs âmes tremblent dès que l’on prononce ce mot : l’année 1793 ! »

In L'Humanité

Extrait d’un article paru en juillet 1893 dans la revue polonaise Sprawa Robotnicza (la Cause ouvrière), éditée à Paris et diffusée clandestinement en Pologne. Rosa Luxemburg en était la principale animatrice. Ce texte, rédigé « à l’occasion du centième anniversaire de 1793 », est inédit depuis lors. Nous remercions l’historien polonais Feliks Tych (Varsovie) qui nous a permis d’authentifier ce document rédigé par Rosa Luxemburg.
L’année 1793 ! Cent ans sont passés depuis ce temps auquel les ennemis du peuple travailleur, les tsars, les rois, la noblesse, les princes, les patrons d’usine et tous les autres riches (les capitalistes) ne peuvent songer encore aujourd’hui sans éprouver de la terreur. Leurs âmes tremblent dès que l’on prononce ce mot : l’année 1793 !
Pourquoi cela ? Parce que, dans ces années-là, le peuple travailleur en France, et particulièrement dans sa capitale, Paris, s’est débarrassé pour la première fois du joug multiséculaire et a entrepris de tenter d’en finir avec l’exploitation et de commencer une vie nouvelle et libre. (…)

(RL évoque les premières étapes de la Révolution)
« Pour quelle raison ai-je combattu ? Pourquoi ai-je versé mon sang ? » s’interroge le peuple français trompé dans ses espérances. Pour quoi ai-je offert ma poitrine aux balles des soldats du roi ? Seulement pour remplacer un oppresseur par un autre ? Pour arracher le pouvoir et les honneurs à la noblesse et le transmettre à la bourgeoisie ?
Et le peuple de Paris engagea un nouveau combat. Ce fut la deuxième révolution - la révolution populaire -, le 10 août 1792. Ce jour-là, le peuple prit d’assaut le Palais royal et l’Hôtel de ville. La bourgeoisie était du côté du roi, qui, doté d’un pouvoir affaibli, défendait ses intérêts contre ceux du peuple. Cela n’empêcha pas le peuple de renverser le trône. La bourgeoisie tenait l’Hôtel de ville et l’administration municipale d’une main ferme et voulut dominer le peuple avec sa police et la Garde nationale. Cela n’empêcha pas le peuple de prendre d’assaut l’Hôtel de ville, d’en expulser la bourgeoisie et de tenir dans ses mains calleuses l’administration municipale de Paris. En ce temps-là, l’administration de la Commune de Paris était totalement indépendante de l’administration de l’État. La Commune[1], s’appuyant sur le peuple révolutionnaire victorieux, obligea la Convention (la nouvelle Assemblée nationale), qui se réunit en septembre 1792 et proclama aussitôt la République, à faire d’importantes concessions. Sans la puissance menaçante de ce peuple, la Convention aurait probablement fait aussi peu de choses que les Assemblées précédentes pour les masses populaires. La grande majorité des membres de la Convention étaient hostiles aux changements imposés par la révolution du 10 août. Une partie de la Convention - le parti de la Gironde (ainsi nommé, car ses principaux dirigeants provenaient de ce département) mena une lutte ouverte contre la souveraineté de la Commune révolutionnaire de Paris. Les Girondins, représentants de la moyenne bourgeoisie républicaine, étaient d’ardents partisans de la République et des adversaires acharnés de toute réforme économique d’ampleur au profit du peuple travailleur. Seule la minorité de la Convention, la Montagne (ainsi nommée parce que ses membres occupaient les bancs les plus hauts dans la salle de la Convention), défendait fidèlement la cause du peuple travailleur. Aussi longtemps que les girondins siégèrent à la Convention, ceux de la Montagne ne purent la plupart du temps pratiquement rien faire, car les girondins avaient évidemment toujours la majorité de leur côté (…).
(R. L. évoque la chute des girondins sous la pression populaire les 31 mai et 2 juin 1793.)
Examinons ce que le peuple travailleur obtint au cours de sa brève période où il exerça un rôle dominant. Les dirigeants du peuple, comme les membres de l’administration municipale et les montagnards souhaitaient ardemment la complète libération économique du peuple. Ils aspiraient sincèrement à la réalisation de l’égalité formelle de tous devant la loi, mais aussi à une réelle égalité économique. Tous leurs discours et tous leurs actes étaient basés sur une idée : dans la république populaire, il ne devrait y avoir ni riches ni pauvres ; la république populaire, cela veut dire que l’État libre bâti sur la souveraineté populaire ne pourrait rester longtemps en place si le peuple, souverain politiquement, se trouvait dépendant des riches et dominé économiquement.

Mais comment réaliser l’égalité économique pour tous ? À notre époque, les partis ouvriers sociaux-démocrates de tous les pays ont inscrit sur leur bannière comme aboutissement de leur combat l’égalité économique pour tous. Et pour réaliser cet objectif, ils exigent l’abolition de la propriété privée de tous les outils de travail ; la propriété de la terre, des usines, des ateliers, etc. doit être transférée à l’ensemble du peuple travailleur. Le parti de la Montagne chercha à résoudre ce problème tout autrement. Très peu parmi eux, et aussi parmi les membres de la Commune (1), partageaient le point de vue de la social-démocratie d’aujourd’hui… Seules quelques voix isolées, qui disparurent dans la masse des autres. Elles ne trouvèrent même pas une écoute favorable auprès de la partie la plus progressiste du peuple de Paris : le prolétariat. Au contraire, ni le prolétariat ni les montagnards ne pensaient à l’abolition de la propriété privée des moyens de travail. Ils voulaient réaliser l’égalité économique de tous en donnant à tous les citoyens français qui ne possédaient rien une parcelle de propriété privée. En un mot, ni le prolétariat parisien d’alors ni les montagnards n’étaient socialistes. (…)

Tout autre était la situation il y a cent ans. En France, comme dans d’autres États, le prolétariat représentait à peine une petite partie de la masse du peuple travailleur. La paysannerie, qui constitue la plus grande part du peuple français, était satisfaite de ce qu’elle avait obtenu pendant la Révolution. En effet, comme nous l’avons signalé, seuls les cultivateurs les plus riches pouvaient acheter des terres. La partie la plus pauvre de la paysannerie française ne souhaitait pas la propriété collective socialiste, mais une augmentation de leur part de propriété. Les montagnards avaient justement l’intention de remettre aux paysans toutes les terres de la noblesse et du clergé qui n’avaient pas encore été vendues. La distance entre les montagnards et le socialisme est démontrée par le fait que, en accord avec les autres conventionnels, ces derniers ont partagé à quelques paysans ce qu’il restait des anciens biens communaux (prairies, champs, terrains en friches). (…)

Après tout cela, il est clair que les montagnards, malgré toute leur bonne volonté, étaient incapables de réaliser leur désir ardent : l’égalité économique de tous. Cette aspiration n’était pas réalisable en ce temps-là. En outre, les moyens dont on se servait n’eurent comme effet que de retarder pour une brève période le développement de la constitution du capitalisme, c’est-à-dire la plus grande inégalité économique.
(…)

Tant que la Montagne était entre leurs mains[2], ils ont dû trouver leur salut dans des moyens économiques cœrcitifs, notamment pour empêcher le peuple de Paris de mourir de faim. Ces moyens étaient les suivants : la fixation d’un prix maximal pour le pain et pour d’autres denrées alimentaires, des emprunts obligatoires auprès des riches et, tout particulièrement à Paris, l’achat de pain de la part de la commune afin de le distribuer au peuple au prix le plus bas possible. Tout cela n’était que des interventions purement et simplement superficielles dans la vie économique française. Tout cela ne pouvait que mener à la paupérisation de gens riches et ne fournir qu’une aide momentanée au peuple affamé - rien de plus. Et même si les intentions du parti des montagnards de donner des terres à tous ceux qui désiraient travailler avaient été atteintes, l’égalité économique n’aurait pas pourtant été acquise pour longtemps. À la fin du siècle dernier, la France occupait dans le système capitaliste la même position que les autres pays d’Europe de l’Ouest. Elle devait rechercher inéluctablement la transformation des petits propriétaires en prolétaires et l’unification de l’ensemble des biens - y compris de la propriété foncière - dans les mains de quelques riches[3].

(…) Après la chute de la Commune et de la Montagne, le prolétariat parisien pris par la faim se souleva encore quelques fois contre la Convention[4], en criant : « Du pain et la Constitution de 1793. » Ce n’étaient toutefois plus que des faibles sursauts d’une flamme révolutionnaire en voie d’extinction. Les forces du prolétariat étaient épuisées ; quant à la conjuration organisée en 1796 par le socialiste Babeuf contre le gouvernement d’alors, dans le but d’introduire une constitution socialiste, il fut tout aussi infructueux. Babeuf avait bien compris que l’égalité économique n’était pas compatible avec la propriété privée des moyens de production, qu’il voulait socialiser. Il se trompait toutefois lorsqu’il supposait pouvoir l’appliquer dans la France d’alors avec l’aide d’une poignée de conjurés. Babeuf et ses amis pouvaient encore moins compter sur un succès que les montagnards.

Ses projets socialistes ont été étouffés dans l’œuf.
(…) La conjuration de Babeuf n’a pu troubler qu’un instant le calme de la bourgeoisie française repue qui s’enrichissait. Elle avait déjà oublié les « frayeurs de l’an 1793 ». C’est bien elle et non le prolétariat qui a récolté tous les fruits de la Révolution française. L’ampleur de la violence que la Montagne a déployée contre la noblesse et ses biens n’a pas servi au prolétariat mais à la bourgeoisie. La majeure partie des biens réquisitionnés - « les biens nationaux »[5] - ont été achetés et sont tombés dans les mains de la bourgeoisie aisée. La paupérisation du clergé et de la noblesse n’a fait que renforcer les pouvoirs économiques, sociaux et politiques de la bourgeoisie française.
(…) Tels sont les effets sociaux immédiats de la Révolution française. Actuellement, un siècle plus tard, nous voyons clairement les conséquences ultérieures de la Grande Révolution. Elle a certes installé la bourgeoisie sur le trône, mais le règne de la bourgeoisie est indissociable du développement du prolétariat.

Et c’est maintenant particulièrement que nous voyons de nos propres yeux à quel point son succès conquis sur la noblesse court à sa ruine. (…)

La tentative bien trop précoce du prolétariat français d’enterrer dès 1793 la bourgeoisie fraîchement éclose devait avoir une issue fatale. Mais après cent ans de règne, la bourgeoisie s’affaiblit sous le poids des ans. Enterrer cette vieille pécheresse est aujourd’hui une bagatelle pour le prolétariat débordant d’énergie. À la fin du siècle dernier, le prolétariat - peu nombreux et sans aucune forme de conscience de classe - a disparu en se fondant dans la masse des petits-bourgeois[6]. À la fin de notre siècle, le prolétariat se trouve à la tête de l’ensemble du peuple travailleur des pays les plus importants et gagne à sa cause la masse de la petite-bourgeoisie des villes ainsi que, plus récemment, la paysannerie[7].

À l’époque de la grande Révolution française, les meilleures personnalités étaient du côté de la bourgeoisie. De nos jours, les personnalités les plus nobles issues de la bourgeoisie (de la « couche intellectuelle ») sont passées du côté du prolétariat.
À la fin du siècle dernier, la victoire de la bourgeoisie sur la noblesse était une nécessité historique. Aujourd’hui, la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie est au même titre une nécessité historique.

Mais la victoire du prolétariat signifie le triomphe du socialisme, le triomphe de l’égalité et de la liberté de tous. Cette égalité économique, qui était il y a un siècle le grand rêve de quelques idéalistes, prend aujourd’hui forme dans le mouvement ouvrier et dans le mouvement social-démocrate. La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » n’était à la l’époque de la grande Révolution française qu’un slogan de parade dans la bouche de la bourgeoisie, et un faible soupir dans la bouche du peuple - ce mot d’ordre est aujourd’hui le cri de guerre menaçant d’une armée de plusieurs millions de travailleurs. Le jour approche où il prendra corps et deviendra réalité.

En l’an 1793, le peuple de Paris a réussi à détenir le pouvoir entre ses mains pour une courte durée ; mais il a été incapable d’utiliser ce pouvoir pour se libérer économiquement. De nos jours, le prolétariat de tous les pays mène résolument et inlassablement un combat à la fois politique et économique.

Le jour où le prolétariat détiendra le pouvoir politique sera aussi le jour de sa libération économique.

Notes

[1] Il s’agit de la Commune insurrectionnelle de Paris, issue du 10 août 1792

[2] Rosa Luxemburg parle de la « petite-bourgeoisie » et des « propriétaires fonciers ».

[3] Plusieurs études ont montré depuis que cette question est plus complexe (voir notamment les travaux d’Anatoli Ado sur la paysannerie).

[4] Il s’agit de la Convention thermidorienne, c’est-à-dire après la chute de Robespierre.

[5] Il s’agit des biens du clergé mis en vente à la fin de l’année 1789.

[6] Le « prolétariat » évoqué semble dans ce texte parfois correspondre aux sans-culottes. Des études ultérieures montreront que ces derniers étaient hétérogènes et issus de la petit-bourgeoisie (voir les travaux d’A. Soboul).

[7] Tableau que l’on peut juger très optimiste : nous sommes en pleine croissance des partis sociaux-démocrates. Le parti allemand, sorti de l’illégalité en 1890, remporte de nombreux succès, ce qui explique l’enthousiasme manifesté ici.

K. pseudonyme de Rosa Luxemburg

Agenda

samedi 24 janvier 2009, 16:30

Main basse sur l'Ecole publique, avec Eddy Khaldi

Salle Edith Piaf - La Ferme
(près de la mairie)
à Magnanville (78)

Pour mieux comprendre les enjeux de cette politique scolaire, l'Association des Libres Penseurs des Yvelines membre de l'Association Des Libres Penseurs de France, A.D.L.P.F. vous invite à une Conférence - Débat :

Main basse sur l'Ecole publique avec Eddy Khaldi
Co-auteur du livre éponyme (Ed. Demopolis, 2008)

Avec le soutien de :
la Municipalité de Magnanville,
et des mouvements départementaux :
Ligue de l'Enseignement, F.C.P.E., F.S.U et U.N.S.A.-Education :

Voir l'agenda complet en ligne

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association:
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27 rue de la Réunion
75020 PARIS

Courriel: respublica@gaucherepublicaine.org
Site: http://www.gaucherepublicaine.org