Chronique d'Evariste
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Dans quelle période politique sommes-nous ?

par Évariste
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Il est toujours nécessaire de caractériser la période, pour qui veut comprendre le monde pour le transformer. Or nous sommes dans une période de fin d’un vieux monde entré dans un processus de perte des justifications idéologiques nécessaires à sa survie, ce qui rend plus facile d’en présenter publiquement les apories. La grande crise économique qui dure depuis quatre décennies maintenant s’est transformée en crise financière, c’est-à-dire de la dette privée, elle-même transformée en crise de la dette publique, et les oligarchies ont perdu la maîtrise du système, d’où une crise politique qui bloque la gestion des contradictions économiques.

Les pouvoirs se renforcent, politique, économique, judiciaire (même si les puristes rétorqueront que ce n’est pas un pouvoir, mais une autorité, nous répondrons alors que c’est devenu malheureusement un pouvoir), médiatique, électronique, etc., et amplifient leur emprise sur les peuples. Depuis la fin des Trente glorieuses, la financiarisation du capitalisme permet au néo-libéralisme d’ajouter à l’exploitation et à la domination, caractéristiques “génétiques” du capitalisme, une troisième caractéristique, l’expropriation du peuple sur les décisions les intéressant au premier chef. Au nom du principe néo-libéral que les marchés sont là pour empêcher les marchés de faire des bêtises (du style financer par la dette publique des transferts sociaux), les oligarchies ont pu imposer la seule solution aujourd’hui envisageable selon elles, les politiques d’austérité les plus dures, aussi dures que nécessaire pour restaurer la compétitivité mise à mal par les politiques sociales et rétablir ainsi les équilibres dits fondamentaux. Ces politiques font exploser le chômage et la misère, les inégalités sociales devenant de plus en plus insupportables. L’accroissement de la violence sous toutes ses formes est donc inéluctable.

Mais le nouveau monde n’est toujours pas prêt à advenir, malgré le fait que nous pouvons voir ici et là des préfigurations de ce nouveau monde dans notre réel.

Au niveau des organisations politiques, les systèmes oligarchiques ont réussi jusqu’ici à s’assurer que toute alternance gauche-droite ne serait pas une alternative. En effet, les formations “social-démocrates modernes” sont arrivées au terme de leur processus d’abandon de toute idée de transformation du capitalisme pour miser leur avenir sur sa gestion. Ainsi, en France, la direction du parti dit socialiste a gardé sa position de gauche sur les questions sociétales, mais les a complètement abandonnées sur les questions sociales, économiques et médiatiques.

La gauche de la gauche, malgré un début de processus de rassemblement, n’est toujours pas en mesure de faire en sorte que les couches populaires, ouvrières et employées, légèrement majoritaires dans notre pays, fassent de cette gauche de la gauche rassemblée mieux qu’un cinquième choix. Or, il est indéniable que sans l’implication des couches sociales qui, étant le coeur du prolétariat, ont un intérêt objectif au changement, il ne peut y avoir de véritable transformation sociale et politique. Toutes les études d’opinion montrent que les couches populaires sont préoccupées d’abord par le chômage et la précarité et par la sphère de constitution des libertés (protection sociale, école, logement, service public). Le journal l’Humanité critiquait justement le fait que l’ensemble de la protection sociale (31% du PIB) n’avait été traité que dans un atelier de l’université du PS à La Rochelle. Est-ce que le fait de doubler ce score aux Estivales du Front de gauche changerait profondément les choses ?

On ne peut guère davantage placer nos espoirs dans le mouvement social et syndical, dont une partie importante appuie les oligarchies au pouvoir, tandis que l’autre, revendicative, est sur la défensive.

Reste les mouvements associatifs, si importants en France, mais peut-on se satisfaire d’une action essentiellement sectorielle ou de discours qui n’influencent guère que leurs propres militants ?

Cet état de fait explique largement le succès des gourous de toutes sortes présentant leurs  simplifications abusives, contradictoires les unes avec les autres, comme solutions à la crise, succès qui est, en soi, un élément préoccupant. Est-ce que l’incapacité de penser la globalisation des combats et un modèle politique alternatif n’est pas une question centrale de la période ? Considérons-nous que la somme des luttes sectorielles fait un projet global cohérent, efficace et crédible ? Est-ce que le rôle principal de ceux qui souhaitent que la gauche de la gauche devienne une gauche de gauche n’est pas convaincre ceux qui ne le sont pas encore ? Alors pourquoi ne pas décréter l’éducation populaire comme la deuxième jambe nécessaire à la première jambe des luttes de résistance ? et quand nous disons éducation populaire, nous pensons sous toutes ses formes et pas seulement par des conférences publiques.

Heureusement, l’actualité internationale nous donne des raisons d’espérer. En Amérique latine, mais pas seulement. Dans la plupart des pays arabes et ou musulmans qui ont vu croître leurs couches ouvrières et employées d’une part et leurs couches moyennes intermédiaires, nous avons vu une poussée de la gauche laïque de transformation sociale et politique versus les deux pans du néolibéralisme que sont les dictatures militaires et l’islamisme politique. Les discours de Basma Khalfaoui, veuve de notre camarade Chokri Belaïd, en sont  une expression.

Cela devrait nous inciter à penser de nouvelles façons de coopérer de façon internationaliste, en redéfinissant des États-nations qui ne peuvent plus être pensés comme aux 19ème et 20ème siècle, en redéfinisant les rôles respectifs des structures de coopération, en rejetant les carcans non amendables que sont l’Union européenne et la zone euro. Mais encore faut-il se préparer aux luttes de classes pendant les futures crises graves qui se profilent à l’horizon, plutôt que de vouloir construire par des simulations sur ordinateur, des modifications, raisonnées à froid, des carcans anciens pour en f aire des nouveaux.

La période appelle de l’initiative, du courage et de la détermination. N’hésitez pas à nous inviter dans vos débats.

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Keynésianisme et austérité. 2 - Contre l’austérité néo-libérale, le keynésianisme ?

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Voir la 1ère partie : Keynésianisme et austérité. 1 – OCDE et FMI contre l’austérité, donc keynésianistes ?

3. Néo-libéralisme et austérité dure : la mobilisation des mécanismes keynésiens

Puisque les outils conjoncturels de la boîte keynésienne ne permettaient plus de maîtriser l’évolution des salaires réels et d’arbitrer entre inflation et chômage, il fallait en changer. Le pragmatisme commandait aux autorités de revenir à la bonne vieille recette du libéralisme : faire baisser les salaires, ce qui nécessitait de redonner une base théorique à la nouvelle doctrine, qui redevenait structurelle. Or, pendant les années interventionnistes, le néo-libéralisme avait gardé allumée la flamme vacillante de l’orthodoxie financière, de la rigueur monétaire, etc. Et il répondait parfaitement à ce cahier des charges, en particulier dans sa variante monétariste, qui avait rénové la théorie quantitative de la monnaie, selon laquelle l’excès d’émission monétaire était la source de tous les maux subis par une économie de marché « libre et non faussé ». En ces temps d’incertitude doctrinale, c’était la théorie adéquate.

En effet, qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Pour pouvoir accuser des salaires trop élevés, il fallait en premier lieu expliquer pourquoi l’ajustement du marché du travail ne les ramenait pas au juste niveau. L’explication « naturelle » était que le chômage résulte de rigidités structurelles qui les empêchaient de baisser : smic trop élevé, charges sociales, code du travail, statut des fonctionnaires invirables, etc. Mais il fallait aussi expliquer la stagflation, cette cohabitation du chômage et de l’inflation, que le keynésianisme faisait naître des effets pervers des politiques conjoncturelles. Milton Friedman, « pape du monétarisme », parvint fort ingénieusement à intégrer les mécanismes conjoncturels de Keynes dans la théorie classique du marché (il en obtint le « Prix Nobel ») et donna la théorie structurelle adéquate à la situation, en distinguant le chômage « naturel », conséquences de salaires supérieurs à la productivité du travail, et le chômage conjoncturel, véritable rocher de Sisyphe, qui retombait sans cesse, en ayant cependant fait monter les prix à chaque élévation.

Friedman jeta néanmoins le trouble dans certains esprits en déclarant : « nous sommes tous keynésiens ! » car sa doctrine, entièrement tournée vers la lutte contre l’inflation et en réalité vers l’austérité salariale, était tout le contraire de celle de Keynes. Mais en se positionnant en continuateur, dans la ligne du progrès scientifique en économie, qui plus est à grands coups de modèles mathématiques et d’économétrie, il pouvait tromper ceux qui voulaient bien l’être et qui n’avaient pas à se renier ouvertement. Au tournant des années 60-70, fulgurante fut la percée du monétarisme dans le monde universitaire, dans celui des élites gouvernantes, et donc dans les médias. Non pas que Friedman eût un pouvoir de persuasion extraordinaire, mais parce que ses recommandations correspondaient à ce dont avaient besoin les politiques et leurs soutiens pour faire face à la situation du moment : ils allaient pouvoir faire dans le brutal avec l’aval de la science.

Pour le monétarisme, les autorités doivent donc, d’une part, flexibiliser les marchés pour créer des emplois et, d’autre part, neutraliser la monnaie pour tuer l’inflation. Et c’est justement ce qu’elles pensent qu’il convient de faire : création de l’OMC pour ouvrir les frontières et fluidifier le commerce international, dérégulation financière, etc. Devant le monétarisme s’ouvre un boulevard, que Mitterrand empruntera avec un tel entrain que le Financial Times lui décernera « la palme du meilleur monétariste », devant Mme Thatcher herself !

Flexibiliser les marchés : la suppression des obstacles à l’ajustement du niveau des salaires à la richesse qu’ils créent et qui seule leur revient, permet de donner un emploi à chacun. Cette proposition essentielle du libéralisme est commune à l’ensemble des courants néo-libéraux, le courant ultra-libéral de l’économie de l’offre insistant particulièrement, pour sa part, sur l’aspect du coût fiscal. Le volume de l’emploi dépend de la qualité de l’ajustement des salaires à la productivité du travail, qualité dont dépendent la croissance potentielle et le taux de chômage naturel. Améliorer ladite qualité accroît l’activité et réduit le chômage structurel.

Neutraliser la monnaie : la théorie quantitative de la monnaie explique qu’une hausse de la circulation monétaire à richesse réelle constante se traduit par une hausse des prix, ce qui est une forme d’impôt sur les revenus du patrimoine, ce qui entraîne la chute de l’épargne, bloque l’investissement, produit le chômage, etc. En situation d’inflation, réduire la quantité de monnaie rassure le rentier, réduit le coût de l’investissement et le retour au « juste prix » sur les marchés fait revenir la croissance. La politique monétaire doit être passive, son rôle est de neutraliser la monnaie : la restriction monétaire est le seul remède contre l’inflation,  l’expansion est au contraire le seul remède contre la déflation.

Selon Friedman, la déflation des années trente s’expliquait par une restriction monétaire à contretemps, au moment où il aurait fallu injecter des liquidités après le krach de 29. Une seule recommandation de politique monétaire, donc, que B. Bernanke s’applique à suivre à la lettre depuis 2007 : ajuster la création monétaire aux besoins de l’activité réelle. Son principe est de ne pas reproduire l’erreur de 29 (dont il est un spécialiste) et de créer toute la monnaie nécessaire pour ne pas ajouter de la crise (monétaire) à la crise (financière). Sous sa direction, le bilan de la FED est passé de 800 à 3600 milliards de dollars, principalement parce qu’elle injecte chaque mois dans l’économie des É-U 85 milliards de dollars, en achetant des bons du Trésor, accroissant ainsi la dette de l’État et faisant baisser le dollar, ce qui gêne Allemagne et Chine (d’où une guerre des monnaies pour les exportations). Le tout sans inflation étant donné la baisse des coûts (gaz de schiste pour l’énergie, pressions sur les salaires, etc.) Mais cela profite principalement aux banques, qui pratiquent des taux élevés ou spéculent, produisant diverses bulles sans réellement soutenir l’investissement, et la croissance reste « modeste » (dixit la Fed).

Cependant, la mise en œuvre des préconisations fut politiquement délicate, les gouvernements rencontraient la résistance de salariés qui avaient obtenu de haute lutte de meilleurs salaires, la protection sociale, des institutions plus ou moins démocratiques, etc. Tant que le modèle soviétique semblait encore viable et que se maintenait le « rêve socialiste », il était compliqué de revenir sur ces acquis sociaux sans d’abord un long travail idéologique que seule une montée structurelle du chômage permettrait de faire aboutir. L’armée de réserve industrielle est toujours utile.

• D’autres courants néo-libéraux purent alors se faire une place, selon les circonstances économiques et politiques.  Ainsi la référence au libertarisme, courant ultra-libéral inspiré par Hayek et opposé à toute construction de la société, a pu concourir à la légitimation idéologique des privatisations et de la flexibilisation des marchés, ainsi que de la montée des inégalités. Mais en pratique, cela n’a pas eu de grand impact, à part faire apparaître les vrais opérateurs anti-sociaux pour des modérés.

En matière de monnaie, comme en toute autre, les libertariens refusent toute régulation publique, seul le marché peut dire ce qui est l’intérêt général. Il revient donc à la concurrence de faire émerger la bonne monnaie et d’en déterminer la quantité et le prix. C’est l’idée de monnaies parallèles émises par qui veut, le marché choisissant in fine laquelle doit perdurer. Étant donné ce qu’est la monnaie et ce que sont les mécanismes keynésiens, cela ne peut pas avoir d’autre réalité durable que dans les rêves de ce qui croient que la monnaie est purement formelle, tels les adeptes du bitcoin, dernière arnaque en cours.

Seul le courant de l’économie de l’offre a connu son heure de gloire aux affaires, avec la Reaganomics, du nom du Président des É-U qui la mit en œuvre, dans un cocktail détonnant de monétarisme, de dérégulation et de privatisations, qui amena vite les différents courants à s’entre-déchirer. Détonnant, car le dédain des « supply siders » pour l’orthodoxie financière provoqua des tensions extrêmes avec les monétaristes au sein des instances dirigeantes. Mais il reste l’idée fondamentale, symbolisée par la « courbe de Laffer »,  que tous les maux viennent de l’impôt, que « trop d’impôt tue [l’activité et] l’impôt ». Elle légitime la fin de la redistribution étatique et les inégalités de revenu croissantes, car l’enrichissement des uns profiterait mécaniquement aux autres, par un effet de « ruissellement » de la richesse à tous les étages de la société, jusque vers les plus pauvres.

L’économie de l’offre n’était en réalité qu’un habillage bricolé de la doctrine ultra-libérale classique, et Reagan a trouvé l’Amérique en cherchant les Indes, c’est-à-dire que les brutales baisses d’impôt ont tout simplement mis en branle les mécanismes keynésiens de la relance. Ça a marché parce qu’en même temps il y a eu dérégulation du marché du travail, donc pas trop d’inflation, et surtout, parce que la position impérialiste des É-U leur a permis de se moquer des dangers du keynésianisme : les faramineux déficits public et extérieur des années quatre-vingt ont fait chuter le dollar, mais comme il avait le statut de monnaie mondiale, les conséquences étaient bénignes et négligeables. C’était les années du « benign neglect » et de « le dollar est notre monnaie et votre problème ».

La Reaganomics fit rapidement long feu, butant sur les turbulences monétaires et financières de la fin des années 80 et le repli sur les intérêts nationaux des « partenaires » occidentaux. Dans le même temps, le monétarisme friedmanien, quelque peu disqualifié, laissa la place idéologique au « monétarisme II », qui, fondé sur la théorie des anticipations rationnelles, contestait le peu de réalité des mécanismes keynésiens que leur accordait le monétarisme I.  Ces « nouveaux classiques » voulaient durcir les recommandations austéritaires, mais les faits sont têtus, cependant, et devant l’évident besoin d’encadrer le marché, les « nouveaux keynésiens », dont le plus connu est J. Stiglitz, proposèrent une nouvelle synthèse Keynes-classiques pour réintroduire dans la science « avancée » une certaine efficacité de l’intervention publique. C’était en fait l’heure de l’ordo-libéralisme, qui a pu faire croire au retour de l’interventionnisme et de la gauche.

4. Le keynésianisme et la gauche : du pragmatisme à l’illusion du revival

Le balancier entre austérité pour restaurer la profitabilité et keynésianisme pour ouvrir des débouchés a modifié son cours au Nord avec la reconfiguration de l’économie mondiale : tant que les plans d’ajustement structurels du FMI et les délocalisations dans les pays à bas salaires ont permis de dégager rente et de plus-value rapatriables du Sud, l’austérité a pu préserver un minimum des modèles sociaux du Nord. Dans l’UE, le carcan de l’euro ne serrait pas trop, pour la même raison. Mais la crise de 2007 a changé la donne, quand la crise financière a fait apparaître que la richesse du Nord était largement fictive et qu’il a fallu accélérer la reprise des acquis sociaux. Suivant le précepte de la tradition libérale, mais aussi la rationalité capitaliste, l’impératif était désormais de restaurer les profits, et d’abord ceux des banques, qui gèrent l’argent, et donc de durcir fortement les politiques d’austérité. En Europe, le sauvetage de l’euro ramena de vieux souvenirs de temps oubliés, avec le retour de cohortes de chômeurs, de sans-abri, bref, de la misère (les vols de bois du temps de Marx laissant la place aux vols de légumes), dans les pays les plus faibles, sans que la « bonne fin » soit garantie.

La contestation de l’austérité s’accroît au fur et à mesure que son échec devient plus patent, puisque les mécanismes keynésiens ne peuvent qu’ajouter la récession à la récession, faisant flancher la croissance partout, surtout dans les pays émergents, même si des poches résistent artificiellement grâce au soutien monétaire des banques centrales, BCE comprise. La contestation prospère naturellement à gauche, mais elle atteint jusqu’à des cercles proches de l’oligarchie. Même Ségolène y va de son couplet sur l’urgence d’un moratoire fiscal. Et T. Mandon qui propose de re-défiscaliser les heures supplémentaires va dans le même sens : dégager du pouvoir d’achat pour ne pas transformer la récession en dépression.

Si même la gauche libérale s’interroge, c’est que la situation est grave, pour autant, on peut douter qu’un retour au keynésianisme social puisse ouvrir une réelle perspective de reprise de la croissance. Car les conditions qui ont fait échouer et abandonner les politiques keynésianistes au tournant des années 70-80 se sont aggravées, avec l’impossibilité de la finance elle-même en crise de les masquer encore. Il est curieux que devant l’échec de l’austérité, l’alternative envisagée soit encore ce qui a échoué à éviter les conséquences de ce qui pose problème : comment le keynésianisme en échec à cause de la crise du profit pourrait-il résoudre cette même crise ?

Les libéraux de droite sont des libéraux « naturels », par individualisme, qui se réfèrent à des théories en termes de marché, et les mécanismes keynésiens y sont présents, mais à la marge. À l’opposé, en tant qu’elle est de gauche, la gauche libérale raisonne en termes de système et le keynésianisme y a toute sa place, et si elle reconnaît qu’il y a bien un problème de l’offre (compétitivité, etc.), la problématique structurelle n’est pas prééminente. Ce qui la conduit à ne pas écarter les questions de justice sociale, car elle continue de considérer qu’il ne s’agit pas du seul problème des salaires, mais aussi de la répartition, des inégalités de revenu, etc. Cependant, puisqu’elle a renoncé à changer de système et qu’il s’agit donc pour elle de le gérer, les lois du capitalisme la contraignent finalement à mener la même politique économique que la droite.

La gauche social-libérale est ainsi une gauche ordo-libérale, au sens où des dirigeants soucieux d’efficacité économique doivent garantir la cohésion sociale et non mener une guerre sociale, ainsi que le font les libéraux de droite. Mais cette gauche est prise dans la nasse néo-libérale du marché, conçu comme verrou contre les tentatives des politiques pour échapper à la contrainte économique. Ainsi la gauche social-libérale est bien représentée dans les instances de régulation internationale (FMI, OMC, etc.), de même qu’elle a largement participé à la construction et à la gestion de l’UE (Delors, etc.), totalement orientée, surtout depuis la création de l’euro, vers le blocage de toute politique « keynésienne ». Surtout ne pas rééditer l’épisode Mauroy 81. Si la social-démocratie « moderne » en est là, c’est que les choix politiques sont dictés par les circonstances, qui amènent au pouvoir ceux qui prendront les « bonnes décisions »

C’est ce que ne comprend pas la gauche de la gauche, qui se veut « keynésienne » et qui propose un simple retour aux conditions passées de maîtrise de la marche de l’économie, que ce soit par une Europe sociale ou par la sortie de l’euro. Elle nie par là la réalité de la crise structurelle du capitalisme qui s’est ouverte au tournant des années 60-70 et que la financiarisation a jusqu’ici éludée, dans le cadre de la mondialisation et de la révolution numérique.

Deux doctrines opposées peuvent produire des effets semblables, car des décisions prises au nom d’une théorie fausse peuvent enclencher des mécanismes externes à ladite théorie et obtenir les effets recherchés. Et avoir les mêmes conséquences : ainsi, fondée sur une doctrine ultra-libérale, la Sarkonomics a tout autant creusé les déficits que la très keynésianiste relance Mauroy de 81. En économie, la « science » voit le système comme une boîte noire, elle voit les commandes et les effets, et la science du moment c’est l’idéologie qui enclenche les mécanismes en sorte d’avoir le résultat espéré. Mais comme ces mécanismes ont des effets pervers, les politiques doivent s’adapter en permanence et ne peuvent que suivre les événements (dépassés, ils feignent alors de les organiser, comme disait Cocteau). D’où les modes scientifiques successives, présentées à chaque fois comme un progrès de la science : keynésianisme, monétarisme, néo-keynésianisme, nouvelle économie classique (monétarisme II), nouvelle économie keynésienne, etc., qui ne sont qu’un mouvement de balancier continu entre les pôles austérité quand il y a inflation et intervention en cas de récession.

Le sérieux de la crise de 2007, que nul pôle n’a su (ou voulu) prévoir, ni expliquer, fait aujourd’hui taire la « science » et laisse le champ à la seule action des banques centrales et gouvernements : c’est l’heure du pragmatisme en faisant fi des théories ou des principes. Les positions anti-austéritaires n’expriment pas un changement de doctrine, simplement l’échec de l’austérité.

Les keynésianistes « alter » réfutent, avec raison, toute idée de chômage structurel dû aux rigidités du marché du travail et à des salaires trop élevés et refusent donc l’austérité et son cortège de conséquences anti-sociales : casse des services publics, de la protection sociale, etc. Mais réfuter la théorie monétariste ne supprime pas ce à quoi elle veut répondre : la crise de l’exploitation du travail. Certes, l’austérité impose une désocialisation progressive, inacceptable, alors que la crise appelle au contraire plus de socialisation, mais une socialisation qui conduise, non vers l’illusion d’une « meilleure » gestion, plus juste, égalitaire, du capitalisme, mais vers son dépassement : la seule vraie bonne alternative est anti-capitaliste.

Retraites
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Réforme des retraites : des mesures en trompe-l’oeil pour les femmes

par Christiane Marty
Membre de la Fondation Copernic et d'Attac.
Co-auteure du livre "Un impôt juste pour une société juste". Éditions Syllepse, 2011, 144 pages, 7 euros.

 

Le gouvernement avait promis une réforme des retraites basée sur l’équité et qui réduirait les injustices. La fausse équité des mesures annoncées est pointée à juste titre par de nombreuses réactions à gauche, mais peu commentent les mesures à destination des femmes. Ces dernières sont pourtant très loin de répondre à l’objectif affiché tant elles sont marginales.
Selon le document du Premier ministre présentant la réforme1, trois mesures rendront le système plus juste pour les femmes : il s’agit de la validation de trimestres pour les petits temps partiels, la meilleure prise en compte de la maternité et la refonte des majorations de pension pour enfants. De quoi s’agit-il ?

1- « Valider des trimestres pour les petits temps partiels, qui touchent essentiellement les femmes »

Actuellement, au régime général et dans les régimes alignés, le nombre de trimestres validés par an pour la retraite n’est pas établi en fonction de la durée de travail réalisé mais en fonction du montant de la rémunération annuelle soumise à cotisation. Sont validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures de travail rémunérées au SMIC, avec au maximum quatre trimestres par an. Ce niveau de 200 heures correspond en gros à un emploi à temps partiel à 43% de temps complet (c’est-à-dire 15 heures hebdomadaires). Les personnes en dessous de ce seuil ne valident donc pas intégralement la période travaillée aujourd’hui. Désormais, il sera possible de valider un trimestre à partir de 150 heures payées au SMIC, ce qui correspond à un emploi avec un temps partiel supérieur à 32 % de temps complet (11 heures hebdomadaires environ). C’est une mesure juste et bienvenue. Mais elle ne concerne que très peu de salarié-es : en 2011, selon l’Insee, parmi les personnes en emploi, 4,4% des femmes et 1,1 % des hommes ont un travail à temps partiel de moins de 15 heures par semaine.

Pour toutes les personnes à temps partiel (soit parmi les actifs, un tiers des femmes et 7 % des hommes), le problème récurrent est celui du niveau de la pension. Or rien n’est prévu pour l’améliorer dans la réforme présentée. Alors que le temps partiel est dans un cas sur trois imposé par l’employeur pour qui il est très bénéfique, une véritable mesure d’équité aurait été l’instauration d’une surcotisation patronale pour les emplois à temps partiel, qui permettrait de majorer le montant de la pension.

Cette modification des modalités de validation d’un trimestre contient aussi une disposition qui prévoit « la création d’un plafond afin de limiter les effets d’aubaine » : ne seront prises en compte que les cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC »2. En pratique, il n’est pas dit si cette mesure avec ses différentes composantes constitue un coût ou une économie pour les caisses de retraite, avec d’un côté le coût supplémentaire lié à l’assouplissement des conditions de validation d’un trimestre, et de l’autre, le gain réalisé par l’instauration du plafond à 1,5 SMIC.

2- « Refondre les majorations de pension pour enfant »

La majoration de 10 % de pension accordée aux parents de 3 enfants, qui représente un montant non négligeable de 6 milliards par an, est doublement injuste. Calculée au prorata de la pension, elle rapporte plus aux hommes qu’aux femmes alors que c’est la carrière féminine qui est pénalisée par les enfants. Proportionnelle, elle est plus forte pour les retraites les plus élevées et elle n’est pas imposée. Le gouvernement avait annoncé qu’elle serait revue et mieux dirigée vers les femmes. Que prévoit la réforme aujourd’hui ?

Le gouvernement annonce simplement qu’il « souhaite engager une refonte de cette majoration afin qu’elle bénéficie davantage aux femmes et puisse intervenir dès le premier enfant »3. Mais ce n’est qu’au delà de 2020 que « la majoration actuelle sera progressivement plafonnée et transformée en majoration forfaitaire par enfant ». Elle bénéficiera principalement aux femmes ». La refonte de cette majoration est renvoyée à plus tard, et on reste dans le flou complet sur son contenu !

La seule modification concernant cette majoration de 10 % qui prend effet immédiatement est… sa fiscalisation ! Elle rapportera 1,2 milliard d’euros dès 2014, et 1,5 milliard à l’horizon 2030, montants qui seront donc prélevés sur les revenus des retraités, femmes et hommes, ayant élevé 3 enfants. Cette baisse de leur revenu s’ajoutera à celle qui découle du report de six mois de la revalorisation des pensions et qui représentera une perte de 600 millions d’euros en 2014 (1,4 milliard en 2020) selon le chiffrage du gouvernement. Il est assez paradoxal de voir présenter au rang des mesures de justice envers les femmes un vague projet de refonte de la majoration renvoyé après 2020, alors que l’impact immédiat de sa fiscalisation sera dès 2014 une baisse du revenu des mères (pères aussi) de trois enfants. Remarque : s’il est juste de revoir la majoration de 10 %, la démarche qui vise à mieux la diriger vers les femmes ne s’inscrit pas dans une politique en faveur de l’égalité de genre.

D’une manière générale, les dispositifs familiaux sont indispensables pour majorer les pensions des femmes. Mais ils ne font que compenser a posteriori les inégalités de retraite entre les femmes et les hommes sans agir sur leur source. Pire, ils les entretiennent car ils enferment les femmes dans le rôle de mère. De plus, certains dispositifs ne sont attribués que s’il y a interruption d’activité. Cette conditionnalité incite les femmes à se retirer du travail, ce qui nuit à leur carrière, puis ensuite… au calcul de la pension. Au bout du compte, les rôles sexués sont pérennisés ; les femmes se voient attribuer des droits complémentaires… au détriment de leurs droits directs ! Une politique cohérente en faveur de l’égalité doit favoriser l’évolution vers un système de protection sociale qui rompt avec le modèle patriarcal. Ce qui implique, non pas d’étendre les droits dérivés pour les femmes, mais de renforcer leurs droits directs à une pension4. Les mesures proposées dans la réforme de 2013, avec notamment la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation, vont continuer à pénaliser le droit direct des femmes à une pension.

3- « Mieux prendre en compte les trimestres d’interruption au titre de maternité ».

Cette meilleure prise en compte de la maternité concerne le dispositif de retraite anticipée à 60 ans pour carrière longue. Rappelons qu’en 2010, le PS était opposé au recul de l’âge de départ en retraite de 60 à 62 ans. Il avait promis, s’il revenait au pouvoir, de rétablir la possibilité de retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler tôt5. C’est ce qui a été fait en juillet 2012, avec un décret entré en application le 1er novembre qui élargit l’accès à la retraite anticipée prévu par la loi de 2003.

Mais les conditions pour être éligible à ce dispositif de retraite anticipé sont restrictives. L’une d’entre elles est d’avoir le nombre de trimestres cotisés requis pour la pension à taux plein6 et une distinction est faite entre les trimestres cotisés et les trimestres assimilés7. Pour un départ anticipé à la retraite, sont pris en compte les trimestres cotisés et aussi quelques trimestres assimilés, qui sont alors « réputés cotisés », mais dont le nombre est limité : selon le décret de 2012, il est possible de prendre en compte 4 trimestres au maximum au titre du service militaire, 6 trimestres au total pour les périodes d’arrêt de travail pour maladie, maternité et accident du travail. Les majorations de trimestres pour enfant ne sont pas prises en compte dans ce dispositif…

Le décret de 2012 a en réalité traduit une reculade du gouvernement : la promesse de retour à 60 ans pour les carrières longues s’est avérée, à l’étude, assez coûteuse et les conditions pour y accéder ont été de ce fait restreintes. Ainsi, la distinction entre trimestres cotisés et trimestres assimilés qui existait dans la loi de 2003 a été maintenue : pourtant cette distinction, en limitant la prise en compte des trimestres assimilés, élimine de fait la plupart des salariés et surtout salariées qui ont eu des interruptions de carrière, de l’accès à une retraite anticipée. Le décret de 2012 aurait pu rompre avec cette logique, il ne l’a pas fait. Au final, la mesure qui aujourd’hui prévoit que tous les trimestres attribués au titre de la maternité seront « réputés cotisés » n’est qu’un rattrapage de l’injustice de ce décret qui en a limité le nombre8. Depuis son instauration en 2003, le dispositif de retraite anticipée concerne essentiellement les hommes puisqu’ils représentent 79 % des bénéficiaires sur la période 2004-2010. « Les conditions d’octroi de la retraite anticipée excluent de fait la grande majorité des femmes9 ». Ce n’est pas le petit aménagement aujourd’hui proposé qui changera concrètement cette réalité. Si l’on veut vraiment ouvrir la possibilité de retraite anticipée aux femmes, pourquoi ne pas inclure parmi les trimestres « réputés cotisés » les majorations de durée d’assurance (MDA) attribuées au titre des enfants qui en sont aujourd’hui exclues ?

La preuve par le coût

Le Premier ministre produit un tableau du financement de la réforme, où apparaissent les coûts des différentes mesures. Celles en faveur des jeunes, des femmes, des carrières heurtées et des petites pensions sont comptabilisées en un seul poste. Le tableau confirme, si l’on avait un doute, que les mesures en direction de ces populations relèvent surtout de l’affichage : leur coût reste nul jusqu’en 2030. Notons pourtant qu’il est prévu une amélioration du minimum contributif, dont le seuil est relevé de 1028 à 1120 euros, ce qui est une mesure bienvenue, favorable aux petites pensions, c’est-à-dire principalement aux femmes10.

La pénibilité au féminin

La réforme prévoit une prise en compte de la pénibilité. Les dix facteurs retenus sont ceux qui ont été définis par les partenaires sociaux en 2008. Il y a un enjeu majeur à veiller à ce que ces facteurs n’oublient pas la pénibilité qui caractérise les métiers à dominance féminine, mais qui reste encore trop souvent ignorée. Les résultats de l’enquête SUMER (surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) menée en 2003 puis en 2010 ont permis de lever le voile sur la pénibilité et les pathologies qui touchent plus particulièrement les femmes. En mars 2013, une étude du Conseil économique, social et environnemental « Femmes et précarité » note que « les risques les plus souvent associés au travail dans les représentation sociales traditionnelles – efforts physiques intenses, expositions au bruit, aux intempéries, aux produits nocifs - concernent majoritairement les hommes. Les conditions de travail de nombreuses femmes sont autant marquées par la pénibilité physique ou mentale : postures contraignantes, gestes répétitifs, fond sonore permanent d’un niveau trop élevé, tâches morcelées, manque d’autonomie ou de latitude décisionnelle. Toutefois cette pénibilité reste largement occultée. »

Des mesures en trompe-l’oeil

En résumé, sur les trois mesures mises en avant pour les femmes, celle qui concerne la meilleure validation de trimestres pour les petits temps partiels ne va concerner que très peu de femmes ; surtout, rien n’est prévu pour diminuer la pénalisation de la pension résultant des faibles salaires liés aux emplois à temps partiel. La mesure qui permet de mieux prendre en compte la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue ne fait que corriger les dispositions injustes du décret pris en 2012 par ce même gouvernement. Enfin, la soi-disant refonte de la majoration de 10 % de la pension relève de l’entourloupe : rien de concret n’est décidé… si ce n’est la fiscalisation de cette majoration qui va amputer dès 2014 les revenus des retraités et retraitées de 600 millions d’euros !

La faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, de mesures réellement en faveur des femmes ajoute au caractère inéquitable de la réforme qui, si elle devait être mise en oeuvre, pèserait une nouvelle fois sur les actifs et les retraité-es en épargnant les entreprises et les actionnaires.

  1. ]
  2. C’est un peu technique. Aujourd’hui, puisque c’est le niveau de rémunération qui permet de valider un trimestre, il est possible pour certains salariés qui ont un salaire élevé de valider 4 trimestres en ayant travaillé 2,5 mois sur l’année. Ainsi une personne gagnant le plafond mensuel de la sécurité sociale (soit 3086 euros) peut valider 4 trimestres en travaillant moins de trois mois. Le rapport Moreau préconisait donc d’instaurer un plafond visant à « limiter l’acquisition trop rapide de trimestres ». C’est ce qui a été retenu. Il précisait que « les perdants seront des assurés qui, travaillant à temps partiel, sont rémunérés au-delà du plafond spécifique retenu ». Il serait intéressant de connaître le nombre de personnes qui seront concernées par cette restriction et le montant de l’économie qui sera générée par l’instauration de ce plafond. []
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Une proposition bien peu étayée ! Pierre Gattaz Président du Medef : « Pour un système des retraites sans dogme, introduisons une dose de capitalisation »

par Pierre Mascomère
Consultant actuaire

 

Dans l’article qui suit, Pierre Mascomère démonte l’argumentation de Pierre Gattaz, nouveau président du Medef, qui reprend l’antienne du besoin de capitalisation pour “stabiliser” et “pérenniser” le système de retraites par répartition. L’argument de base implicite de P. Gattaz est que dans un système de répartition, les actifs paient les retraites de leurs contemporains, tandis que dans un système de capitalisation, ils paieraient pour eux-mêmes, que leur retraite serait une sorte de salaire différé mis en réserve dans une cagnotte. Cette idée, trop largement répandue, est totalement fausse, car le revenu ne se transmet pas dans le temps : dans un système de capitalisation, les placements sont dépensés en achats de titres (actions, bons du Trésor, etc.), titres qu’il faudra vendre au moment de la liquidation de la retraite : ce sont bien les actifs qui, en achetant ces titres, paieront les retraites du moment. La seule différence entre répartition et capitalisation est le mode d’acquisition des droits, dont dépend qui va payer, le salarié ou l’employeur. En effet, remplacer la cotisation sociale patronale par l’assurance du salarié à un fond de pension, revient à remplacer une partie du salaire socialisé par une dépense de salaire : le fond de l’affaire est la volonté de rogner la redistribution afin de diminuer encore la part salariale dans la valeur ajoutée et augmenter ainsi le profit. Suivant l’argumentation néo-libérale classique, P. Gattaz prétend que le chômage résulte de coûts salariaux excessifs et que la socialisation des revenus bloque l’activité, ce qui fragilise le système de protection sociale par répartition ; PM montre que techniquement c’est une mystification.
NDLR

I) Evolution de l’espérance de vie et retraite par capitalisation

Pierre Gattaz ((cf. la tribune publiée de Pierre Gattaz intitulée “Pour un système des retraites sans dogme, introduisons une dose de capitalisation”))  parle de l’augmentation de l’espérance de vie et de l’augmentation du taux des cotisations au Régime général ( de 8,5 % en 1967 à 16,85 % en 2013). Il rejette toute nouvelle augmentation du taux de cotisation, mais propose l’introduction d’une dose supplémentaire de capitalisation qui permettrait, selon lui, de « stabiliser » et de « pérenniser » le système.
Il faut sans doute mettre à part le fait -extraordinaire- que l’introduction d’une dose de capitalisation se ferait donc sans nouvelles cotisations et que ce serait ainsi une manne qui tomberait du ciel !
Mais quel est le coût et surtout l’évolution du coût d’une rente en capitalisation ?
Sans remonter à 1967, une rente de 1€ servie à partir de l’âge de 60 ans, sans faire intervenir aucun taux d’intérêt, valait dans les années 1980 : 21,3€. Cette même rente, dans les mêmes conditions, valait 29,6€ à la fin des années 1990.
Avec les taux d’intérêt admis et les pratiques alors habituelles des assureurs, la valeur de cette rente est de12,5€ dans les années 1980 et 21,6€ à fin des années 1990.
Une rente viagère tient bien sûr compte de l’espérance de vie des individus et son coût dans le temps suit l’évolution de cette espérance de vie. Les tables de mortalité ou de survie ont évolué…Pierre Gataz parlait de l’évolution du taux de cotisations du régime général
La proposition de Pierre Gattaz d’introduction d’une dose de capitalisation dans le système de retraite semble donc bien peu étayée.

II) Pierre Gattaz parle de l’évolution du nombre d’actifs et du nombre de retraités depuis 1960 et les prévisions pour 2040.

a) Un régime de retraite par répartition est géré non pas en regardant, pour l’année, le nombre d’actifs cotisants et le nombre de retraités mais en équilibrant les flux des cotisations et des prestations sur 10, 20 et 30 ans. Ainsi dès 1972, l’Arrco intégrait dans ses calculs les futurs retraités issus du baby boom, retraités dont on pouvait prévoir le nombre avec une très grande précision. C’était important car ils formeraient une « bosse »dans la pyramide des âges. « Bosse » bien connue depuis le début des années 70 ! Car la démographie, (surtout les actifs et les retraités) est tout à fait prévisible sur 10, 20 ou 30 ans. Ce n’est assurémment pas le cas des marchés financiers ! Et la capitalisation repose en large part sur ces marchès financiers.
Au demeurant, le nombre de jeunes de 0 à 20 ans est en constante progression et induit une démographie très favorable pour la France. Ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne !
Certes ce qui est difficilement prévisible est le chômage tant des jeunes que des salariés déjà cotisants, ce qui a une incidence très forte sur les cotisations à recevoir. Au fait Pierre Gataz ne dit aucun mot sur la crise financière et sur ses conséquences en terme d’emplois. Aucun mot sur le caractère conjoncturel (la crise) ou au contraire structurel -la démographie- des déficits, ce qui conditionnerait logiquement le type de solution. Un oubli sans doute. Rappelons que l’Arrco est en équilibre structurel (cf les études du COR) et que seule la crise et ses conséquences déséquilibrent ce régime.

b) Mais M. Gattaz propose l’introduction d’une dose supplémentaire de capitalisation qui permettrait donc selon lui de « stabiliser et de « pérenniser » le système.
Il n’est pas très difficile de montrer qu’une augmentation du nombre de retraités par rapport au nombre d’actifs provoque une stagnation voire une décroissance de la valeur des « actifs » financiers par simple jeu de l’offre -les retraités par exemple- et de la demande-les actifs. Les « actifs » cotisants et les « actifs » financiers le mot est le même dans la langue française et pour cause….
Il suffit de voir le marché immobilier en Allemagne, atone, où le nombre de jeunes est en décroissance, de voir la valeur des actifs au Japon,de voir le souci constant de cet aspect qu’ont les gestionnaires sérieux de Fonds de pensions aux Etats Unis etc…
La proposition de Pierre Gattaz est bien peu étayée.

III) M. Gattaz indique que toute augmentation de cotisation détruit des postes de travail et nuit à l’emploi, donc aux systèmes de retraite.

C’est l’investissement qui est créateur d’emploi et le taux d’investissement en France ne dépend manifestement pas de la hauteur des marges des entreprises, marges qui ont d’abord servi à augmenter énormément au cours des années les dividendes servis…au détriment de l’investissement possible et donc de l’emploi. (tableaux Insee entreprises non financières)
Mais Pierre Gattaz propose l’introduction d’une dose de capitalisation. Il y a alors au niveau des cotisations comme on l’a déjà vu, une contradiction.
La proposition de Pierre Gattaz n’est pas très étayée.

IV) Pierre Gattaz met en cause des « avantages » de certains salariés relevant de régimes de retraite dits spéciaux.

Il faut sans doute mettre à part cette curiosité de s’attaquer à des « privilégiés » aux petits salaires alors que l’on défend sans cesse les « avantages » salariaux et autres de dirigeants patronaux. Pour évaluer le « coût » d’ un salarié ou pour évaluer un poste de travail, il faut considérer non pas le seul « salaire » perçu mais l’ensemble des « avantages » dont bénéficie ce salarié (retraite supplémentaire ou avantage particulier de retraite, plan d’épargne d’entreprise, actionnariat salarié, jours de congés, avantages spécifiques de certains comité d’entreprise etc..).
Le « revenu global » est le seul élément fiable de comparaison des « salaires ». Et ces calculs (benefits….) sont une spécialité de certains cabinets d’actuaires…de même que le calcul des retraites chapeaux de dirigeants d’entreprises.
La proposition d’introduire une dose de capitalisation ne semble pas en rapport avec cette remarque.

Cette proposition de Pierre Gattaz est finalement bien peu étayée. Il faut souhaiter que le Medef traite de ce sujet en évitant tout dogme et en regardant les chiffres et les données.