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Faut-il dissoudre le peuple ?

par Évariste
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A écouter les commentateurs médiatiques aux ordres, et même certains militants politiques et syndicaux, sur l’élection de Brignoles ou sur la révolte des « bonnets rouges » en Bretagne, ne faudrait-il pas en effet se poser la question de Bertolt Brecht : « Ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple » ?
Que se passe-t-il à l’élection de Brignoles ? Une partie significative des couches populaires habituées au vote à gauche choisit l’abstention. Elle en a assez de l’alternance sans alternative entre les néolibéraux de droite et de gauche alors que sa situation se dégrade. La droite ne mobilise pas. Le front pseudo-républicain de deuxième tour entre les néolibéraux de droite et de gauche ne fonctionne plus. Il n’y a pas de gauche de gauche sur place. L’extrême droite du FN, en embuscade, ramasse la mise.
Que se passe-t-il chez les « bonnets rouges » bretons ? Le refus de l’écotaxe n’a été que la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Rien de plus. Nous avons dit dans notre dernière chronique d’Evariste tout le mal que nous pensons de cette écotaxe, qui n’est qu’une façon que de mettre du péage sur des routes gratuites, car le raisonnement capitaliste de la taxe qui fait changer les comportements n’est plus de mise. Cela n’est défendu que par les capitalistes verts.

Le modèle productiviste du monde agricole et agro-alimentaire breton est à bout de souffle. Les difficultés du tissu industriel breton laissent présager des lendemains de misère. C’est la conséquence de la logique hyper européiste qu’ont suivie le petit patronat breton, les agriculteurs de la FNSEA et les élus solfériniens et UMP, bretons et hexagonaux. Il est à noter que les bassins d’emploi bretons sont beaucoup plus segmentés que dans la moyenne des bassins d’emplois hexagonaux, ce qui accroît la désespérance en cas de crise. Certains cantons n’ont qu’un seul employeur !1
La filière porcine, par exemple, est prise en étau entre les promesses et les subventions néolibérales et le dumping salarial organisé en Allemagne par le « socialiste » Gerhard Schröder avec ses réformes Hartz et poursuivi par la réactionnaire Angela Merkel. On ne dira jamais assez que l’Union européenne, c’est l’instauration de « la guerre des territoires ».

Mais ce n’est pas tout ! Toute cette désespérance est amplifiée par le fossé qui ne se comble pas entre les couches populaires ouvrières et employées et les couches moyennes intermédiaires d’une part et les organisations syndicales revendicatives et la gauche de la gauche d’autre part. La faible mobilisation, pour ne pas dire plus, de la manifestation sur les retraites d’octobre 2013 en est l’illustration.
Devant cette réalité, soit nous proposons de dissoudre le peuple qui n’accepte plus certains discours soit, au lieu d’injurier les salariés qui ont manifesté avec les « bonnets rouges » en Bretagne, au lieu de répéter les pratiques militantes sans prise avec le réel, nous constatons tous ensemble la nécessaire révolutionnarisation des pratiques sociales et militantes, syndicales et politiques.

Alors que le rapport des forces de la lutte des classes est aujourd’hui défavorable aux couches populaires et aux couches moyennes intermédiaires, alors que l’intensification des politiques de désespérance est à l’œuvre, alors que toutes les “rustines » sautent les unes après les autres, alors que toutes les idées simplistes à la mode prônant la prééminence surplombante (qui résout tout à elle toute seule) se dévaluent rapidement, il faut ouvrir le débat démocratique sur la question centrale : « Que faire ? »

Vous connaissez notre thèse : nous serions à la fin d’un pli historique et donc la centralité politique est d’engager la bataille pour l’hégémonie culturelle, au sens d’Antonio Gramsci. Pour cela, de notre point de vue, il faut :
- engager le processus de transformation de la gauche de la gauche en gauche de gauche ;
- comprendre pourquoi la bataille du Front de gauche contre l’abstention et le FN est à court terme perdue et comprendre ce qu’il faut faire pour la gagner à moyen terme ;
- comprendre pourquoi les couches populaires ouvrières et employées (53 % de la population) ne prennent le vote Front de gauche qu’en 5e choix, ce qui empêche la transformation sociale et politique ;
- réagir contre  le phénomène de gentrification (déport des couches populaires vers les zones périurbaines et rurales) et de prendre les mesures politiques qui s’imposent ;
- faire de  l’éducation populaire  une priorité pour gagner la bataille de l’hégémonie culturelle ;
- engager le débat démocratique sur les sujets qui intéressent les couches populaires ouvrières et employés et les couches moyennes intermédiaires : santé et protection sociale, école, services publics, laïcité, union européenne, chômage et emploi, politique industrielle, immigration et droit de la nationalité, démocratie, etc. Puis, mais seulement dans un deuxième temps, globaliser l’analyse sur les causes économiques, politiques et culturelles de la désespérance et des injustices ;
- penser  un nouveau modèle politique alternatif au modèle politique néolibéral (car le capitalisme n’est plus réformable). Pour nous, ce modèle alternatif, est le modèle politique de la République sociale

Pour nous, ce modèle alternatif, est le modèle politique de la République sociale, actualisation sociale, actualisation au XXIe siècle de ce concept étudié en son temps par Jean Jaurès, dont beaucoup méconnaissent la pensée profonde (notamment ceux qui l’instrumentalisent contre ses vraies idées !). Ce modèle, qui a resurgi en juin 1936, puis de nouveau le 15 mars 1944 avec le programme du Conseil national de la Résistance, permet aujourd’hui de penser le processus de sortie du capitalisme selon la stratégie jaurésienne de l’évolution révolutionnaire, de ses ruptures nécessaires, de ses exigences fondamentales.
Si vous êtes gagné à ces idées, continuez à nous lire, contactez-nous…

Post-scriptum au soir du 11 novembre

Ce week-end du 11 novembre aura vu une augmentation de la tension en France.  D’abord, dans la droite ligne des années 30,une instrumentalisation par l’extrême droite, de la commémoration du 11 novembre dans le scandaleux chahut organisé contre le président Hollande sur les Champs-Élysées. Ensuite, une instrumentalisation des « bonnets rouges », dénoncés, aussi bien par le maire « divers gauche » de Carhaix, l’un de leurs porte-parole, que par toute la gauche bretonne, celle qui a manifesté à Quimper et celle qui a manifesté à Carhaix.
Nous aurions tort de prendre cela à la légère, tant l’analogie avec les années 30 est forte. De plus en plus, il faut lier la bataille contre les politiques néolibérales et contre l’extrême droite, car cette dernière sait qu’elle peut devenir l’ultime recours des néolibéraux. De plus, cette extrême droite joue double jeu (avec une sorte de takia comme chez les intégristes islamistes). D’un côté, Marine Le Pen a repeint la façade du FN pour faire croire que derrière le Rassemblement Bleu Marine, le FN est devenu un parti comme les autres, et de l’autre côté, des organisations formellement séparées font le travail de provocation. Mais leur séparation, comme dans toute période de crise, ne trompe que ceux qui manquent de culture historique et politique.
Nous avons déjà suffisamment dit que le mouvement syndical revendicatif, et même le Front de gauche, n’avait pas été à la hauteur des enjeux en laissant l’initiative à d’autres forces. Alors nous pouvons saluer le mot d’ordre de la marche du 1er décembre, lancé par Jean-Luc Mélenchon. Oui, il faut s’opposer aux politiques fiscales néolibérales de Nicolas Sarkozy et de François Hollande,  et revendiquer une révolution fiscale républicaine. Oui, il faut s’opposer aux cadeaux fiscaux demandés par le Medef et faire une politique favorable aux couches populaires et aux couches moyennes intermédiaires. Mais là, bien sûr, l’engrenage de la crise globale nous obligera à intégrer cela dans l’émergence d’une République sociale comme alternative anticapitaliste au modèle économique et social néolibéral.

  1. Voir ce qu’en dit le géographe Ch. Guilluy : « Le pays est scindé en deux. Il y a d’un côté les métropoles – qui réalisent 80 % du produit intérieur brut - et le reste du pays, la France rurale des employés, des fragiles. Ce qui se passe en Bretagne illustre cette fracture. Certes, il y a de grandes agglomérations dynamiques, comme Rennes et Nantes, à côté de territoires sinistrés. Et un plan social dans un territoire comme celui-ci fait des ravages. Parce que les gens ont compris que ce qui les attend, c’est le chômage total. Pour la première fois dans l’histoire, la majorité de cette classe moyenne basse, ces nouvelles catégories populaires (ouvriers, employés, retraités qui vivent avec le niveau du salaire médian c’est-à-dire autour de 1500 euros) sont exclus des territoires actifs. » ]
Economie
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Vers un nouveau krach

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Dormez, braves gens, l’oligarchie s’occupe de tout !
Elle s’occupe même de promouvoir l’idée que son but serait le retour de la croissance et de la prospérité. Un mensonge de plus. En réalité, son seul but est de se reproduire, et à cette fin elle doit faire se reproduire le système, ce qui passe par la restauration du profit. La profitabilité des entreprises étant en berne, le capital s’est financiarisé, mais les bulles financières éclatent, et l’augmentation des profits se fait de nouveau classiquement par la baisse des salaires, socialisés et directs, (pudiquement parlant, la dévaluation interne), avec le secours de l’accroissement de la dette publique. La violence de la lutte des classes à l’état pur.
L’oligarchie s’occupe à faire croire que son but est de diminuer la dette publique et il y en a qui le croient !  La France va bientôt avoir une dette de 100 % de son PIB. La Grèce est passée d’une dette de 130 % du PIB en 2009 à 157 % en 2012 et 175 % en 2013 ! Le chômage grec est passé de 12,6 % en 2010 à 27 % en 2013 ! Et ce n’est pas fini ! En Espagne, 10 % des familles ont tous leurs membres au chômage !

La masse monétaire augmente fortement aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Chine, au Japon. Cela nourrit de nouvelles bulles, en poussant à la hausse des prix de l’immobilier et des actions. Mais dans le même temps, la croissance est atone aux États-Unis et en Europe, et plus faible qu’habituellement dans le monde : la crise réelle est toujours là. En Europe, la BCE assure aux banques privées et à leurs actionnaires des gains faciles, en les refinançant à moins de 1% pour prêter à la Grèce à près de 5 % sur trois mois ! Est-ce que cela peut durer comme cela longtemps ? Rien n’est moins sûr !

Et pendant ce temps, la zone euro s’élargit. Au premier janvier 2014, nous serons 28 pays avec l’entrée de la Lettonie. Cet élargissement est du rabiot de pain bénit pour l’oligarchie et le patronat : voilà un supplément de salariés utilisables dans le cadre de la directive « détachement », c’est-à-dire aux conditions salariales de leur pays d’origine. Plus besoin pour les patrons de délocaliser au bout du monde : avec l’Union européenne et la zone euro, le marché unique possède ses disparités salariales grandissantes en son sein, entre les pays (lire en annexe).

Ainsi, le carcan de la zone euro se resserre sur les salariés. Ne pouvant pas faire de dévaluation externe à cause de l’euro, le patronat et les néolibéraux de droite et de gauche alourdissent la dévaluation interne, c’est-à-dire la baisse des salaires ! Résultat : écart de 1à 9 des salaires minimaux, 7,5 millions de salariés en Allemagne avec 400 euros par mois, budget européen correspondant à celui de la Belgique (rapport de population de 1 à 50 !) ne permettant aucun aménagement du territoire. S’ajoute à cela, le processus d’harmonisation par le bas de la sphère de constitution des libertés (protection sociale, services publics, école)

Ainsi, nous constatons que conformément à l’analyse de Marx, la réponse à la crise dans l’Union européenne est à la fin la baisse des salaires (directs et socialisés) : il apparaît on ne peut plus clairement que la construction européenne favorise le patronat dans la lutte des classes au sein de l’UE. l’UE.

Nous nous acheminons, à l’échelle de l’histoire, vers un krach majeur. Plutôt que de faire croire, comme les auteurs à la mode (atterrés ou atterrants, au choix !) qu’il y a telle ou telle solution technique qui peut tout régler, sans se demander si les  conditions de la transformation sociale et politique sont réunies, ne serait-il pas préférable de préparer les travailleurs et les citoyens à réagir lorsque le krach aura lieu ? Voilà pourquoi le développement de l’éducation populaire, aujourd’hui trop peu utilisée, est nécessaire.

Annexe : Xavier Bertrand s’emballe sur les travailleurs détachés, par Cédric Mathiot (Libération - 8 novembre 2013)

L’ancien ministre UMP reproche au gouvernement d’avoir reculé sur un nouveau texte européen censé réformer la directive concernée. Ce serait plutôt l’inverse…
Sept ans après Bolkestein, c’est le sujet qui (re)monte : l’Europe malade de ses travailleurs low-cost. Une dérive illustrée par le recours massif des abattoirs allemands à des ouvriers venus de l’Est, ou les cas des intérimaires roumains des abattoirs bretons Gad. En cause cette fois, une directive de 1996 encadrant les droits des travailleurs détachés, ou plutôt le comportement des entreprises qui contournent allègrement ladite directive. Lire la suite

 

Société
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Classes moyennes et vote "privatif" 

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Selon Luc Rouban, dans une étude sur les enjeux des municipales 2014 (Du vote de classse au vote privatif, CEVIPOF, oct. 2013), « il devient difficile voire impossible de comprendre le vote [des citoyens] en termes collectifs et encore moins en termes de classes sociales », car ce vote « s’organise désormais bien plus autour des intérêts privés que des intérêts collectifs ». Son étude part du constat bien établi que la « liaison historique entre la classe ouvrière et le vote de gauche […] se délite puisqu’une proportion importante d’ouvriers […] préfère le Front national ». Il n’y aurait en effet plus de « « lien mécanique » entre le vote et « une place relativement précise dans la hiérarchie sociale des salaires et des métiers ».

L’étude met en avant la dissolution des classes habituelles au sein d’une vaste classe moyenne très hétérogène, ce qui se se traduirait par la fragmentation des catégories professionnelles, et les recompositions qui en résultent rendraient très difficile l’interprétation des grandes tendances moyennes que décèlent les enquêtes statistiques. En effet, les citoyens ne voteraient plus en référence à des intérêts collectifs, qui n’existent plus, mais se détermineraient de plus en plus en fonction d’un arbitrage entre leurs intérêts individuels, principalement la stratégie de carrière et de constitution (ou pas) d’un patrimoine, qui renvoient à l’entourage familial, la culture, etc
À l’appui de cette interprétation, une méthode quantitative spécifique, la régression logistique, permet de discriminer les votes selon un certain nombre de variables explicatives. L’auteur compare le second tour de 1988 à celui de 2012. Il en ressort très nettement qu’en 24 ans, les déterminants du vote ont changé : dans les deux cas, la religion est le premier facteur de décision, mais les facteurs suivants étaient, en 1988, la profession puis le secteur d’activité, alors qu’en 2012, ils étaient la génération et le patrimoine, deux facteurs d’ordre personnel.
Il apparaît de plus qu’en 1988 revenu et patrimoine allaient de pair, en 4e et 5e positions, alors qu’en 2012, le revenu n’intervient plus que marginalement, au 7e rang, dans le choix du candidat. Ce qui confirme que « c’est bien la question du capital économique acquis, espéré ou inexistant qui motive l’électeur, bien plus que le revenu ».
En conclusion, les politologues sont dans l’obligation de redéfinir leur méthodologie de recherche, puisqu’« au final, la société politique française […] s’est considérablement opacifiée ».

Au lecteur de ReSPUBLICA, cette étude confirmera « scientifiquement » l’individualisation des comportements et précisera la nouvelle hiérarchie des priorités individuelles, avec, cruciale, la polarisation des couches moyennes selon le critère du patrimoine. Elle lui confirmera aussi que c’est bien l’émergence des classes moyennes qui brouille la conscience de classe et explique la perte de repères des organisations politiques ou syndicales, qui ne savent plus à quel pape se vouer, croyant Marx disqualifié.
L’auteur de l’étude note
que la classe ouvrière est de moins en moins spécifique par rapport aux classes moyennes, tandis que les cadres ne forment plus une catégorie en soi, de même qu’il n’y a plus de vote fonctionnaire. Certes, mais si des salariés qui ne sont plus des prolétaires parce qu’ils ont à perdre (assurance-vie, etc.), ne votent plus comme le « devraient » des salariés, mais de plus en plus à droite ou à l’extrême droite, s’ils peuvent même aller manifester avec leurs employeurs, cela n’empêche pas qu’ils sont toujours des salariés. Leurs acquis sociaux, obtenus de haute lutte par leurs votes de classe, les ont certes faits classe moyenne et les ont intégrés à la société bourgeoise, le consumérisme les retournant de ce fait contre l’idée même de lutte des classes (voir nos articles précédents : Classes moyennes et conscience de classe, n° 731 et 732). Mais le capitalisme en grande crise, qui rabote consciencieusement, depuis trois décennies, leurs avantages, peut de plus en plus difficilement assurer la redistribution sociale qui les a faites et les couches moyennes inférieures tendent à se re-prolétariser, tandis que les couches populaires les plus basses se sous-prolétarisent, seules les couches aisées conservant encore leur statut.

Le capitalisme triomphant à éteint la conscience prolétarienne, mais le vent de la crise va la ranimer, et c’est d’autant plus nécessaire que la bourgeoisie, elle, n’a jamais perdu la conscience de ses intérêts, conscience renforcée par la nécessité de gérer la crise en cassant les salaires. C’est là que l’étude trouve sa limite : elle ne peut rien dire des mouvements de fond qui déplacent les classes sociales : quand il n’y a plus que de l’individuel, les nombreuses déterminations croisées du choix peuvent le faire paraître socialement indéterminé, et la sociologie électorale perd ses repères. En fin de compte, en faisant honnêtement le constat de l’échec de la sociologie électorale, qui n’a rien vu venir de ces recompositions et est aussi impuissante à en dire le futur, Luc Rouban dit l’incapacité de sa discipline à maîtriser les phénomènes sociaux.
Si les politologues sont désemparés, c’est dû à leur volonté de scientificité positiviste et à la méthodologie quantitative qui en découle, en termes de régressions, afin de mesurer avec fiabilité les phénomènes sociaux. Mais ceux-ci changent tout le temps, ce qui ridiculise régulièrement les modèles, tel le fameux modèle sociométrique qui avait prédit (a posteriori) toutes les élections précédentes et conclut que Sarkozy serait réélu en 20121. La « science » sociale étudie des systèmes vivants, dans lesquels le déterminisme est cahotique.
La sociologie des années 60 s’appuyait sur Marx et faisait l’hypothèse d’un vote de classe : ouvrier, fonctionnaire, etc. La montée des « classes moyennes » a brouillé le paysage sociologique, tout comme la crise a brouillé le paysage économique. Sans le secours de sciences sociales « efficaces », l’oligarchie n’a alors plus de prise sur l’économique et le social, mais elle a su stipendier de purs idéologues de ces disciplines, qui ont promotionné l’injonction néo-libérale d’éliminer le politique et de soumettre le social à l’économique, ce qui revient à la proposition brechtienne de dissoudre le peuple.

Avec les premières crises du capitalisme, l’économie politique de Ricardo s’était de même trouvée dans une impasse. L’économie vulgaire de Say, pure idéologie, s’était alors consacrée à l’apologie du marché. À l’opposé, Marx avait cherché à dépasser les limites de l’économie politique et sa méthode dialectique lui avait permis d’en faire la critique pour situer ses limites dans la nature contradictoire du mode de production. La science positive peut prédire les choses pour autant qu’elles ne changent pas, tandis que dans la vraie vie, « il faut que tout change pour que rien ne change ». La vraie science le sait, qui peut dégager le sens de l’histoire, et c’est sur elle que doit s’appuyer l’éducation populaire, car elle seule permet, non seulement de comprendre ce qu’il se passe, mais aussi d’essayer d’en changer le cours.

  1. Voir la prévision : ]
Ecole publique
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Rythmes ou flexibilité scolaire. Impasse ou stratégie libérale ?

par Alcide Carton
Inspecteur de l’Éducation nationale honoraire, instituteur de la République

 

Texte également paru dans l’Huma numérique du 5 novembre 2013.

« Rythmes scolaires : Comment sortir de l’impasse », titrait l’Humanité dernièrement. S’agit-il réellement d’une impasse ou n’est-ce pas plutôt le résultat calamiteux de la décision d’un pouvoir borné ayant accepté l’idéologie néo-libérale et poursuivant, à son tour, de manière sournoise la casse déjà bien engagée du service public républicain d’éducation ?
Il faut rendre hommage à l’Huma d’avoir consacré une pleine page à la question des rythmes scolaires modifiés au moment même où l’actualité met sur le devant la question du travail du dimanche .

On ne peut manquer de faire quelques rapprochements entre ces questions.
Toutes deux concernent la vie familiale de ceux — les mêmes — qui sont directement concernés les pères et les mères qui subissent le travail précaire, la flexibilité des horaires, celles et ceux qui au chômage ont tout perdu y compris leurs repères temporels sociaux d’une part, et désormais leurs enfants d’autre part.
Toutes deux procèdent du même élan libéral, s’accaparer et gérer, à leur place, ce qui reste aux travailleurs du bon usage par soi du peu de temps à soi, car ce temps-là est aussi une marchandise.

Ainsi, au nom de la démocratisation du temps péri-scolaire, au moment même où leurs parents s’épuisent dans des horaires débridés et incertains, le temps consacré à l’école, réduit de deux heures volées par la droite aux bons élèves pour pallier l’impopularité des milliers de fermetures de postes, se prolonge d’un temps d’activisme péri-scolaire censé agir sur les performances des élèves concernés. On arrive même à justifier cette imposture par des arguties pseudo-scientifiques empruntées à la chrono-psychologie. Pour obliger les parents, l’imparable loi économique, pour les enfants l’imparable loi psychologique. En 2008, la droite, si prompte à s’offusquer aujourd’hui, a volé aux élèves, et aux enseignants, (au moins) deux heures de culture scolaire partagée. Or, réduire le temps d’enseignement n’a eu pour conséquence depuis quarante ans que d’exposer de plus en plus, hors de l’école, les enfants aux inégalités sociales et culturelles. L’on persiste aujourd’hui. Le ministre Peillon a ainsi substitué à ces deux heures de culture scolaire volée du « temps éducatif » payé au moindre coût, accroissant les inégalités sur le territoire. Le compte n’y est pas et ce sont les enfants qui subissent les effets de la précarité et de la flexibilité de la situation de leurs parents plus encore que les autres qui paient le prix de ce tour de passe-passe.

Car cette réforme des rythmes scolaires concerne les enfants de ceux que l’on voudrait voir travailler le dimanche. Curieux rapprochement, elle ne concerne en rien ceux des actionnaires et des cadres bourgeois de la grande distribution ou d’autres holdings, qu’ils fréquentent ou non l’école publique. Il y a bien longtemps que leurs activités s’accordent à leurs rythmes soit-disant biologiques. Ils ont un emploi du temps de ministre et dans l’entre soi de leur classe sociale, ils naissent bourgeois et apprennent à le devenir.

Il fallait bien être « énarque », philosophe, ou pour le moins « chrono-biologiste » pour penser qu’on pourrait bousculer la vie quotidienne des petits de maternelle et même des plus grands, par la succession d’une multitude d’intervenants sans compromettre leur fatigabilité et leur attention pendant les heures d’école.

Cette mesure ne souffre pas seulement de son impréparation. Elle ne résoudra en rien la question des inégalités. Elle repose sur une conception économique, hiérarchisée des savoirs et des disciplines scolaires, de la culture et plus généralement de l’être humain réduit à n’être qu’un producteur. On pourrait la considérer comme anecdotique si elle n’était la suite navrante d’une politique d’éducation libérale avançant à pas feutrés depuis des années et soumise aux intérêts du marché et de la compétition.

Contrairement à toute idée habilement distillée, les enfants des milieux populaires n’ont pas trop d’école. Certes, aujourd’hui, ils n’y sont pas heureux, s’y ennuient souvent, et du moins comme beaucoup de citoyens dans cette république inégalitaire, ils ne s’y reconnaissent plus. Mais la problématique des rythmes n’a guère de rapport avec la question stratégique des finalités de l’école. Rompre avec le déterminisme social est avant tout une question de volonté politique, une question pédagogique globale. C’est dans l’école et à partir de l’école qu’il faut s’y atteler.
Célestin Freinet l’a dit en son temps. Si l’enfant trouve sens dans ses activités il ne voit pas le temps passer à l’école. Et j’ai observé bien souvent, en inspection, des jeunes élèves à l’heure de midi s’étonner et dire « déjà, Madame ? ». La périodicité et l’alternance des activités est avant tout une question d’ordre pédagogique et les maîtres expérimentés savent l’utiliser. Résoudre un problème de création plastique mobilise autant l’attention que résoudre un problème d’arithmétique ou une question scientifique. Toutes les disciplines scolaires, contribuent également à la formation de l’esprit sans hiérarchie entre elles. Toutes demandent un effort qui élève. Et c’est à l’école publique et à ses maîtres, dont c’est le métier de s’en préoccuper, si nécessaire en collaboration avec des partenaires éducatifs. En finir avec les évaluations classant élèves, maîtres et écoles, en finir avec la compétition scolaire, rendre aux maîtres qu’on a « prolétarisés » leur dignité d’ingénieurs de la pédagogie, réduire les inégalités d’équipement des écoles, il y a là du pain sur la planche de la reconstruction d’une école qui se préoccupe des plus pauvres de ses élèves.

On m’objectera que l’effort envers le péri-scolaire tient de ce double souci social et pédagogique, qu’il apporte la variété, l’ouverture culturelle. Il s’agit, en vérité, de remplir le temps précieux des enfants d’heures d’activités, à moindre coût que l’on pourra confier bientôt au privé par l’appel d’offre auprès des mairies. Et, prenant le contrepied de Condorcet qui, au nom de la laïcité, voulait protéger l’école des lobbies et pouvoirs locaux en en faisant un service national, on ouvre grand le boulevard des inégalités territoriales et du marché scolaire et des petits pouvoirs locaux.
Cette « grande mesure » (dixit le ministre) n’est pas aménageable. Il faut la sacrifier. Aussi, si pour sortir de «l’impasse», sans vouloir sauver si cela demeurait encore bien nécessaire le « soldat Peillon », je risquerai trois propositions au risque d’être impopulaire:

1- Revenir aux 4 jours et demi de classe et à 26 heures de présence des élèves. Et le samedi matin n’est pas le plus mauvais moment pour cela.

2- Créer dans chaque canton un observatoire des inégalités scolaires piloté et animé par l’Education nationale et rassemblant des représentants de tous les citoyens concernés. Offrir aux citoyens qui le composent les moyens d’y réfléchir ensemble, d’y débattre, de proposer et de créer. En finir avec les inégalités comme obligation de résultats, la démocratie concrète comme moyen.

3- Traiter d’urgence la question pédagogique chargée de reconstruire l’école en décrétant que tous les enfants sont capables d’acquérir une culture citoyenne commune et que toute forme de compétition libérale scolaire y est interdite.

Au moins, ayant avancé cela, j’aurai la conviction d’avoir véritablement agi pour commencer à reconstruire l’école républicaine qui m’a fait ce que je suis.

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25 novembre : Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes

par ReSPUBLICA

 

Pour la région parisienne, voir Programme-25 nov 2013-Paris des manifestations et événements organisés par la Mairie de Paris, par les différents arrondissements ainsi que par le réseau associatif.

A quelques jours de l’examen de la proposition de loi portant sur la prostitution, de nombreux mouvements appellent pour leur part à une manifestation qui aura lieu le samedi 23 novembre à 14h 30 au départ de Montparnasse.