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Combattre efficacement le FN : avec la gauche de gauche… si elle existe !

par Évariste

 

Ce n’est pas avec le social-libéralisme que le FN sera battu. Car le FN fait son beurre sur les ravages causés par les gestions néo-libérales : insécurités physique, sociale et culturelle, relégations territoriales, dislocation des repères symboliques, absence de perspective politique progressiste. Les promesses économiques du FN sont connues : taxation de 15% des résultats nets des 50 plus fortes capitalisations boursières, nationalisation des banques, création de nouvelles tranches d’impôts sur les hauts revenus, augmentation de 200 euros des salaires inférieurs à 1,4 SMIC, retraite à 60 ans. Ce « programme économique », assorti de l’idée que l’immigration est  l’arme du grand capital  « pour peser à la baisse sur les salaires et les droits sociaux des travailleurs français », ne peut être que populaire. Il a fait partie des munitions dont le FN s’est doté pour récupérer le 6 décembre 2015 des centaines de milliers de votes ouvriers et employés qui allaient naguère à la gauche. Avec sa phraséologie huilée et bien adaptée aux souffrances sociales, il peut aujourd’hui escompter, pour les prochaines échéances électorales, accentuer le passage des couches populaires de la gauche à l’extrême droite, en conquérant les suffrages d’ouvriers et employés qui se sont abstenus le 6 décembre.1

C’est pourquoi le premier axe de notre travail d’éducation populaire est de montrer que le programme économique du FN est une immense escroquerie, puisqu’il ignore la réalité de la crise structurelle qui mine le capitalisme et qu’il impute l’austérité aux seuls intérêts du capital et de la finance. Au lieu de proposer une autre politique favorable aux couches populaires, il maintient la croyance fataliste dans la légitimité des possédants.

Contre le FN, qui essaie ainsi de faire croire, comme certains courants de gauche ou gaullistes, que le repli de la France sur l’hexagone sans changer le rapport social de production est possible, nous devons également montrer, deuxième axe, que le capitalisme (et donc son oligarchie) imposerait le libre-échange à toute volonté de protectionnisme, sauf pour le plus fort, qui lui pourra se protéger.

Un objectif politique du FN, comme de toute extrême droite, est de diviser les couches populaires, aujourd’hui en fustigeant les couches populaires de culture musulmane. Les islamo-gauchistes, qui font l’inverse, rejoignent en cela le FN dans ce même travail néfaste de division. Cette prétendue « gauche de la gauche » ne sera donc pas plus efficace que le néo-libéralisme pour faire reculer le FN. À l’inverse, notre troisième axe de la lutte contre le FN est le rassemblement du peuple, quelle que soit l’origine culturelle des citoyens et des travailleurs, contre les diviseurs FN, néolibéraux et islamo-gauchistes.

Notre quatrième axe se règle sur Jaurès pour qui « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. ». L’application de cette ligne demande de réévaluer la nation et de soutenir les mouvements des peuples en lutte contre l’austérité et pour leur émancipation.

Un cinquième axe d’éducation populaire consiste à dissocier les personnes qui, après s’être reconnues dans la gauche, se rallient au FN pour les raisons évoquées ci-dessus, et la toxicité politique du FN. Avec le FN sont directement réactivées la xénophobie de la France de la première moitié du XXe siècle et les haines de la guerre d’Algérie.2 Désormais, la marge de manœuvre stratégique du FN, sur le long terme, ne lui vient pas seulement de son incrustation nationale, mais aussi de sa participation décisive à la montée des extrêmes droites européennes autoritaires, anti-modernes et xénophobes. Ce deuxième enjeu importe à tous les peuples d’Europe et de Méditerranée.
Oui, nous estimons que le plan A de la possibilité de l’euro social est une impasse, que le plan B de la sortie de l’euro demain matin à 8h 30 en est une autre, et que le retour à la monnaie commune comme du temps du SME, en est une troisième.3
Oui, l’euro est un carcan qui empêche toute politique progressiste, mais en sortir n’est possible qu’en cas de collapsus économique ou d’une crise politique paroxystique. Et il est urgent de s’y préparer pour ne pas être aussi démuni qu’en septembre 2008.
Il importe de concrétiser la formule historique déjà citée de Jaurès : oui, après l’implosion de l’euro et la sortie du carcan de l’Union européenne, il faudra être capable de développer les grandes coopérations européennes et méditerranéennes indispensables, soit sous forme d’États-Unis d’Europe, soit sous une autre forme à débattre, pourvu qu’elles permettent les transferts économiques et sociaux nécessaires à la reprise du progrès social.
Tout cela demande de passer d’une gauche de la gauche moribonde à une gauche de gauche capable alors de mobiliser les couches populaires.

  1. Voir la chronique d’Evariste dans le n° 798. []
  2. Voir Nonna Mayer, « Le mythe de la dédiabolisation du FN » : http://www.laviedesidees.fr/Le-mythe-de-la-dediabolisation-du-FN.html. []
  3. Voir http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/zone-euro-le-plan-c-entre-dans-le-debat/7396901. []
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La déchéance de nationalité dans la Constitution : s’y opposer de toutes nos forces

par Alberto Serrano

 

Sur le sujet de la déchéance de nationalité et de la révision annoncée de la Constitution, nous avons publié fin décembre 2015 un  important article de Didier Hanne appelant à « raison garder » face aux émois d’une grande partie de la gauche, et concluant sur la force symbolique de l’octroi ou du retrait de la nationalité française. Nous indiquions aussi que les membres de la Rédaction n’étaient pas unanimes : ce numéro 800 complète le dossier avec deux textes qui – sans se contredire dans l’esprit – prennent des angles d’analyse différents pour aboutir à des solutions éloignées : pour Alberto Serrano (texte ci-contre), la déchéance de nationalité s’inscrit dans un ensemble de figures idéologiques qui l’apparentent irrémédiablement au racisme anti-arabe, il faut donc la refuser ; pour Bernard Teper (ici), le piège tendu aux opposants à la déchéance de nationalité est ourdi par le gouvernement, il convient de l’éviter en proposant de substituer à la déchéance une peine d’indignité nationale valable pour tous les « total-terroristes ».
La rédaction de ReSPUBLICA

Qu’il me soit permis de commencer par un propos personnel. Je suis né à Paris de parents espagnols, comme mes deux frères aînés. Droit du sol : j’ai grandi avec la nationalité espagnole, vécu de 16 à 18 ans avec la carte de séjour. Puis à 18 ans, nous devenions automatiquement Français – sauf si avant les 18 ans nous sollicitions le maintien de notre nationalité espagnole, auquel cas la France nous répudiait (c’est le terme légal) en l’absence d’accord entre les deux États permettant la double nationalité.

À nos18 ans, en pleine crise d’adolescence et cons comme nous pouvions l’être, ce choix à faire sur notre nationalité, notre identité, quel déchirement ! Je me souviens de l’envie irréfléchie de s’affirmer contre, pleine de passion et nourrie des quelques humiliations administratives. Je garde gravées les remarques et bons conseils reçus d’enseignants et autres éducateurs, leur injonction à être Français, que nous entendions empreinte d’une certaine morgue vis-à-vis de notre identité du Sud… Notons que ce couperet des 18 ans a plus tard été émoussé, devenant une période de plusieurs années et donnant au jeune le temps de mûrir ; un grand merci à… Charles Pasqua.

Un ado espagnol en crise identitaire dans les années soixante-dix, ça pouvait revendiquer « face à l’identité française » le PCE et l’eurocommunisme, l’anti-franquisme et l’anticléricalisme, l’égalité hommes/femmes et la justice sociale, la paix et le désarmement. Mais pour un ado né en France de parents nord-africains ou subsahariens, quelle est aujourd’hui l’identification alternative à la nationalité française ? Elle est tout le contraire de ce que pouvait revendiquer un jeune Arabe dans les années 60 et 70, quand les courants progressistes dominaient.

Je n’ai jamais eu à souffrir de racisme. En France – dans ma banlieue parisienne en tout cas – un Espagnol était comme chez lui. Je me souviens du père de mon copain Ludo qui me disait « mais vous (les Espagnols) c’est pas pareil, vous êtes comme nous ». C’était les années soixante-dix, le Premier ministre, le maire de Paris, le présentateur du JT, nombre d’acteurs ou le syndicaliste star d’Arcelor Mittal n’étaient pas encore d’origine espagnole. « Arabe », par contre, c’était une autre affaire, et ça l’est toujours. Les discriminations à l’embauche, les contrôles au faciès, la façon « familière » et naturellement agressive de parler qu’ils devaient subir de la police comme délinquants présumés, etc. J’ai vu les efforts énormes pour l’intégration et la réussite, poussés par des parents qui parlaient à peine ou pas du tout le français et ne connaissaient pas l’école mais attendaient de leurs enfants qu’ils deviennent les meilleurs Français, et je vois mes amis d’enfance issus de familles nord-africaines comme la démonstration du succès éclatant de cette intégration.

Aujourd’hui tout cela est comme effacé par la structuration spectaculaire de tant de quartiers populaires en nouveaux ghettos organisés et mis en scène avec tout le décorum salafiste – femmes « bâchées » pour reprendre la bonne expression de Gilles Kepel, plus aucun commerçant non hallal, barbus qui patrouillent… Car ce qui est reçu et appelé « islam modéré » en France ou en Europe, c’est le wahhabisme, la lecture extrémiste promue par les pays du Golfe notamment, qui a balayé la culture musulmane que nous connaissions.

Le journaliste espagnol Ilya Topper a bien raison, je crois, de constater que « durant des décennies, l’Europe a islamisé la société immigrante, religieusement indifférente, qu’elle a reçue. En pleine complicité avec les cheiks arabes et leurs empires médiatiques. Les gouvernements ont recouvert leur attitude d’un néologisme vénéré jusqu’à la nausée : le multiculturalisme. Une belle formule pour exprimer le racisme de toujours […]. L’Europe, ses gouvernements, ses intellectuels, ses démagogues sont les alliés utiles des dirigeants de l’hégémonie islamiste financée avec les pétrodollars […]. L’Europe n’est pas victime, elle est complice. » (« Respecter les cannibales », M’sur, janvier 2015 – en espagnol).

Pour le résumer très vite, c’est bien un puissant courant fasciste qui se répand au sein des peuples des pays officiellement musulmans – à partir de la révolution iranienne sans doute, mais aussi à partir du surgissement des dynasties moyenâgeuses du Golfe persique, devenues richissimes avec l’exploitation du pétrole. Nous avons pu voir, en vingt ans, l’expansion au ralenti des ondes de ce tsunami, par cette transformation qui a frappé les quartiers populaires, écrasant sous le diktat intégriste la vie collective et la liberté d’abord des femmes. Dans son dernier ouvrage Terreur dans l’hexagone – Genèse du djihad français, Gilles Kepel en donne une description complète et saisissante.

C’est cela qui est devenu le pôle identitaire pour les jeunes d’origine nord-africaine déchirés entre deux mondes, c’est cela qui a été favorisé par l’État – et pire encore applaudi et accompagné aveuglément par tant de militants de gauche. Des jeunes entre deux mondes, que l’on place maintenant entre Charybde (« Arabi fora ») et Scylla (Djihad).

L’identité française, la Nation et le Peuple français, sont des constructions subjectives, culturelles. Comme l’ont rappelé Chantal Mouffe et Ernesto Laclau en actualisant Gramsci, il s’agit d’un montage toujours changeant et travaillé par les mutations profondes de la société et la lutte idéologique ; un montage qui délimite un dedans et un dehors, qui a besoin d’un opposé ou ennemi pour définir et unifier le groupe qui se construit en Peuple. Quelque chose est certainement à dénouer, dans la construction de l’identité française, sur la relation avec la population d’origine nord-africaine de ce pays, au moins depuis la colonisation, et sans aucun doute depuis la guerre d’Algérie. Ce n’est pas un hasard si le parti qui a le vent en poupe aujourd’hui, le FN, est issu directement des tortionnaires de l’armée française en Algérie et autres nostalgiques des « ratonnades » – comme on appelait dans les années soixante-dix encore les meurtres racistes souvent impunis d’Arabes.

Et c’est là qu’arrivent Hollande et Valls and Co, avec leurs mesures « symboliques ».
Car c’est bien de symbolique qu’il s’agit. Ce dont il est question, c’est d’une démarche profondément politique, destinée à agir sur les consciences et opérant sur le terrain de la culture.
Personne ne cherche à faire croire qu’il s’agirait de lutte antiterroriste, d’efficacité du renseignement et de coopération policière européenne, d’adaptation des méthodes et moyens de la Police et de la Justice aux nouveaux défis, etc. C’est pourquoi je trouve un peu vaine l’exégèse de la généalogie du droit de la déchéance de nationalité.

Voyons donc les symboles :

  • Hollande avait promis durant la campagne présidentielle qu’il ferait inscrire la laïcité dans la Constitution : il n’en est plus question, silence total.
  • Maintenant il veut inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, ce qui ne sert à rien du tout : l’état d’urgence a été appliqué en 1985 en Nouvelle-Calédonie et, bien avant, en… Algérie (loi du 3 avril 1955 sur les pouvoirs spéciaux), sans aucune difficulté ni censure du Conseil constitutionnel dans la cinquième République, au contraire.
  • Le président de la République veut aussi inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les auteurs d’actes terroristes ayant acquis la nationalité française (ce qui concerne aussi ceux qui se la sont vue attribuée à leur naissance, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel dit qu’ils sont dans la même situation).

Triple intervention symbolique donc, cette initiative, avec force mise en scène solennelle prévue à Versailles, que signifie-elle ? De quelle façon intervient-elle dans la perception de l’identité nationale, dans l’interpellation des habitants de ce pays en tant que citoyens – ou pas -, dans la délimitation du Peuple et de la Nation françaises par la définition de ses ennemis ?

Sur le plan, non pas de l’analyse juridique, mais du signifiant, c’est-à-dire de ce que le peuple entend et comprend, je crois que nous avons :

  • Renoncement à la laïcité = consécration du « multiculturalisme ». Ce modèle raciste de séparation de la société française, entre d’une part celles et ceux qui ont droit à l’égalité des sexes/la contraception/l’avortement/l’éducation/la liberté sexuelle/le mariage pour tous/la lutte contre les violences faites aux femmes, et d’autre part celles et ceux qui n’ont pas le droit d’être soumis aux lois françaises mais sont livrés pieds et poings liés à la prison religieuse.
  • Constitutionnalisation de l’état d’urgence = guerre d’Algérie, République coloniale, corps d’Algériens flottant dans la Seine en octobre 1961…
  • Déchéance de nationalité = Arabes pas Français…

Car, que personne ne se voile la face : aucun fils d’Espagnol, de Portugais, de Chilien, de Serbe, de Roumain ou de Polonais, de Vietnamien ou de Chinois, aucun d’entre nous n’est visé par cette mesure « antiterroriste ». Les terroristes, ici et maintenant, ce sont les « Arabes ». Ce sont ceux qui ont exécuté des enfants juifs à la sortie d’une école à Toulouse en se filmant à la Gopro, qui ont abattu policiers et militaires français, qui ont assassiné nos frères de Charlie Hebdo et nos concitoyens juifs de l’Hyper Casher porte de Vincennes, qui ont rafalé à la kalach les terrasses de café de Paris et massacré le public du Bataclan, qui se sont fait sauter au stade de France. Ce sont les mêmes que ceux qui ont fait exploser des trains de banlieue à Madrid et des métros à Londres, qui ont détourné l’Airbus d’Air France il y a vingt ans déjà, qui ont foncé avec des avions plein de passagers dans les Twin Towers de New York, qui vont et viennent en Syrie pour massacrer allègrement au nom d’Allah.

La constitutionnalisation de la déchéance de nationalité pour les crimes terroristes sépare symboliquement, en France, les « non Arabes » des « Arabes », c’est-à-dire qu’elle désigne symboliquement tous les jeunes nord-africains de ce pays comme les ennemis intérieurs et les déchoit déjà, sur le terrain de la culture et de l’identité, de leur place au sein de la Nation française. Avec le fantôme de l’État colonial français et au choix du multiculturalisme, le dispositif symbolique choisi par Hollande et Valls précipite et approfondit la déchirure historique du peuple français au cœur de la Nation.

Voilà ce que font ce gouvernement, ce président de la République. Voilà pourquoi nous devons nous y opposer, de toutes nos forces.

N’attendons pas la moindre hauteur de vue de ceux qui ont ourdi ce saccage symbolique sur le terrain de l’identité française ! Ces gens-là, ça fait de la politique « à l’américaine », ça scrute les sondages, ça joue au tacticien habile pour se placer dans la course électorale, ça se fait conseiller par des « créatifs » d’agences de publicité (vous savez ? Ceux qui vous mettent une femme à poil et plein de clichés machistes pour vendre des voitures, des paquets de lessive, des flacons de parfum à Noël… et des premiers ministres présidentiables aussi…).

Ces gens-là, ils prennent la pose des « grands hommes d’État » pour que ça y ressemble à la télé, mais en vérité ils manipulent la culture et l’identité française en toute irresponsabilité, pour des calculs à courte vue, dévoilant la stupéfiante portée de cet axiome découvert par Michel Audiard et affirmé par Jean Gabin : « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » !

Nous y opposer requiert de concevoir la contre-offensive sur ce même terrain de la culture. C’est-à-dire dépasser les postures morales sans aucune prise sur le réel pour faire de la politique, élaborer les termes d’une construction contre-hégémonique capable d’unifier symbolique, avec toute la puissance du symbolique dans la réalité concrète, la majorité des habitants de notre pays au sein d’une nouvelle définition du Peuple et de la Nation. C’est ce type d’intervention politique que le dirigeant de Podemos Iñigo Errejon appelle « construire du Peuple (construir pueblo) ».

Cela suppose de faire face au défi historique de l’intégration des Nord-Africains de France et des autres Français dans une même identité nationale, à rebours de la promotion insensée et catastrophique du multiculturalisme et de la destruction de la laïcité.

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Politique sécuritaire de Hollande. La majorité de la gauche de la gauche accepte le jeu de rôle qui lui est assigné

par Bernard Teper

 
Sur le sujet de la déchéance de nationalité et de la révision annoncée de la Constitution, nous avons publié fin décembre 2015 un  important article de Didier Hanne appelant à « raison garder » face aux émois d’une grande partie de la gauche, et concluant sur la force symbolique de l’octroi ou du retrait de la nationalité française. Nous indiquions aussi que les membres de la Rédaction n’étaient pas unanimes : ce numéro 800 complète le dossier avec deux textes qui – sans se contredire dans l’esprit – prennent des angles d’analyse différents pour aboutir à des solutions éloignées : pour Alberto Serrano (ici), la déchéance de nationalité s’inscrit dans un ensemble de figures idéologiques qui l’apparentent irrémédiablement au racisme anti-arabe, il faut donc la refuser ; pour Bernard Teper (texte ci-après), le piège tendu aux opposants à la déchéance de nationalité est ourdi par le gouvernement, il convient de l’éviter en proposant de substituer à la déchéance une peine d’indignité nationale valable pour tous les « total-terroristes ».
La rédaction de ReSPUBLICA

François Hollande a su se servir de l’horreur suscitée par les attentats de 2015 pour se remettre en selle pour la présidentielle de 2017. Alors que nous nous acheminions très tranquillement vers l’explosion de la gauche solférinienne et à la décomposition de la gauche de la gauche bien entamée lors des élections de 2014 et 2015 et vers un deuxième tour Le Pen-droite néolibérale qui aurait vérifié un nouveau bond en avant du FN et une victoire in extremis du candidat de la droite néolibérale (sans oublier un centre tout aussi néolibéral), les stratèges solfériniens ont renversé la donne. Ils ont engagé un processus visant à produire un deuxième tour Le Pen-Hollande, avec toujours le bond en avant du FN mais avec la victoire finale des solfériniens dégagés des poids morts que sont les mots « gauche », « socialisme » et « République ».
Dans cette nouvelle stratégie du PS, il s’agit de casser la droite néolibérale – non pas comme François Mitterrand en suscitant la montée du FN (déjà très haut !), mais cette fois-ci en « étouffant » l’ancienne droite en tentant une alliance avec une partie de la droite et du centre pour in fine former une « droite solférinienne », sous une forme à déterminer.
Mais il s’agit aussi de placer la gauche de la gauche dans une posture moraliste pour l’empêcher d’être une opposition de gauche au « solférinisme » et pour accélérer sa décomposition. Dans ce cas, la décomposition de cette gauche de la gauche est assurée puisqu’elle ne réussira pas à rencontrer les couches populaires de gauche qui s’abstiennent depuis des années et ne servira que d’épouvantail au peuple. François Hollande pourra alors remercier d’abord Nicolas Sarkozy puis le magma de la majorité de la gauche de la gauche qui aura accepté de jouer le jeu de rôle que François Hollande leur assigne.

Alors, ce rassemblement hétéroclite de la majorité de la gauche de la gauche préférera s’occuper des pauvres plutôt que de rassembler tous les exploités du capitalisme, tentera de gauchir le communautarisme anglo-saxon plutôt que d’utiliser la matrice de la République sociale comme le mouvement ouvrier avant lui, concevra le rassemblement du peuple autour de l’islam voire de l’islamisme plutôt que de rassembler toutes les couches populaires sans exception y compris ceux de culture arabo-islamique grâce à l’application du principe de laïcité (qui protège toute l’humanité et donc tous les musulmans mais pas les religions), se perdra dans les délices du sectarisme, du solipsisme, du gauchisme, dans la marginalisation politique autour de solutions simplistes et toutes contradictoires entre elles : le revenu universel, le plan A de l’euro social, le plan B de la sortie de l’euro demain matin à 8h 30, le concordat, l’animation en lieu et place de l’enseignement et de l’éducation, la haine de la nation et de la République sociale, l’amour de l’éparpillement et du «small is beautiful », le culte de la repentance plutôt que l’Internationale et la Marseillaise, le rêve de la maison bleue adossée à la colline, le refus de la déchéance de la nationalité en 2016 mais l’acceptation de cette même déchéance de la nationalité de 1848 à nos jours, etc.).

Le moralisme de la gauche de la gauche servira, contre son gré (mais cela nous fait une belle jambe), le noir dessein de François Hollande en vue de n’avoir sur sa gauche que postures sans cohérence populaire plutôt qu’une véritable opposition de gauche capable de renverser la table en liaison avec les couches populaires. Et les ruptures démocratiques, laïques, sociales et écologiques attendront plus tard…

Il faut en finir avec cette gauche de la gauche qui fustige la déchéance de la nationalité des binationaux nés en France mais pas celle des binationaux naturalisés pourtant inscrite dans le Code civil depuis des décennies. Pour eux, il n’est pas choquant de savoir que mes parents qui ont été naturalisés n’étaient pas des Français comme les autres ? Voilà pourquoi je suggère, pour tous les total-terrorristes français sans exception, qu’il n’y ait pas de déchéance de la nationalité du tout1 mais une peine d’indignité nationale inscrite dans la Constitution.

Finissons par une lueur d’espoir : comme dans le passé, en partant du peuple, une nouvelle force progressiste jaillira à un moment donné, qui reprendra le flambeau de l’émancipation, éclairé par notre histoire mais ressourcé dans la réalité du XXIe siècle.
Allez, ne vous laissez pas aller au défaitisme, il faut tout reconstruire comme l’ont fait nos aînés, laissons la gauche de la gauche agoniser et utilisons l’éducation populaire pour semer pour une future gauche de gauche. Haut les cœurs et Hasta la victoria siempre !

  1. Ce qui exigerait un changement dans le Code civil actuel. Voir l’article de Didier Hanne http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/decheance-de-nationalite-etat-durgence-raison-garder/7397246. []
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La COP 21 : le climat devra s'adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique

par Michel Marchand

 

NDLR – Voir l’article de l’auteur publié dans ce journal peu avant la COP21 : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/cop-21-les-raisons-dun-echec-programme-ou-pourquoi-la-conference-sur-le-climat-naura-pas-lieu/7397051

La COP21 s’est achevée par les superlatifs « moment historique », « rendez-vous avec l’histoire », « premier texte universel dans l’histoire des négociations climatiques », « génie diplomatique » de la France ou encore « premier accord universel et contraignant portant sur le changement climatique » selon F. Hollande1. Les commentaires négatifs ont été tout aussi marqués par d’autres superlatifs « cette COP21 est un échec total », « pour arriver à quoi ? A rien ou pas grand chose », « l’Accord de Paris est une escroquerie intellectuelle ». Plus mesurés ont été certains commentaires comme celui par exemple du Monde Diplomatique qui y voit le premier signe vraiment tangible d’une prise de conscience universelle, sans manquer toutefois de relever un sommet d’ambiguïté. Il n’en demeure pas moins que c’est la première fois qu’un accord sur les changements climatiques est signé par l’ensemble des pays membres de la Convention de l’ONU sur le climat. Pour Alain Grandjean, membre de la Fondation Nicolas Hulot, les travaux de la COP21 « marqueront notre histoire collective » et constituent « un véritable tour de force diplomatique »2. S’il est indéniable que l’achèvement de la COP21 marque un réel succès de la diplomatie française, l’Accord de Paris représente-t-il réellement l’embryon, l’amorce d’une planification écologique à l’échelle mondiale ? La bouteille est-elle pleine (nul ne s’y est risqué à l’affirmer), à moitié pleine, à moitié vide ou totalement vide  : à chacun de se faire sa propre opinion sur la portée et les conséquences de cet accord international, au-delà de la longue série d’auto-congratulations que n’ont pas hésité à s’adresser les chefs d’États et de gouvernements des 195 pays et de l’Union européenne réunis à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015.

Rappelons l’objectif de cette 21e Conférence cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) : aboutir à un accord international sur le climat afin de maintenir le réchauffement climatique en-deçà de la barre des 2°C. Autrement dit, la Conférence de Paris doit poser le cadre d’une transition énergétique vers des économies bas carbone. Pour parvenir à un tel objectif, tous les pays3 doivent proposer, de manière volontaire, un programme de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Les enjeux pour la réussite d’un tel accord étaient de plusieurs ordres :

(i) l’accord sera-t-il juridiquement contraignant,

(ii) les engagements de réduction des émissions de GES permettront-ils de limiter le réchauffement climatique en-dessous de 2°C,

(iii) y-aura-t-il une révision périodique, et selon quel rythme, des engagements des États pour se mettre en conformité avec l’objectif visé des 2°C,

(iv) l’aide promise aux pays les plus vulnérables sera-t-elle effective et si oui, comment,

(v) y-aura-t-il l’intégration du respect des droits humains pour guider l’action des politiques climatiques des États.

C’est sans doute aux réponses apportées à ces cinq questionnements et aux conséquences probables qu’il faut analyser cet accord, en comprendre la logique et y trouver des éléments pour infléchir les politiques énergétiques actuelles. Voici, après d’autres, quelques éléments de réflexion pour souligner la portée immédiate et à plus long terme de la COP214.

1- Réponses aux questions posées.

Pour répondre aux enjeux de la Convention, l’atténuation et l’adaptation sont les deux types de réponses aux changements climatiques. L’atténuation regroupe techniques et méthodes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation consiste surtout à limiter les aspects négatifs des impacts, nécessitant une aide des pays riches pour les pays les plus vulnérables. Cette approche s’appuie sur l’un des principes premiers de la Convention des Nations Unies sur le climat, à savoir la responsabilité commune mais différenciée des États. En clair, tous les pays sont responsables du réchauffement climatique, mais certains évidemment plus que d’autres. Si la situation était relativement simple à la signature de la Convention en 1992 pour distinguer pays développés et pays en développement, elle l’est moins à présent. Les pays émergents relâchent aujourd’hui plus de 50 % des rejets carbonés mondiaux, alors que ceux-ci n’étaient que de 25% dans les années 1990. Mais ce constat de répartition est loin d’être simple, les émissions des GES des pays émergents, sous l’effet des délocalisations industrielles menées depuis plusieurs décennies par le système économique actuel, concernent la production de nombreux biens consommés dans les pays riches.

Atténuation : un texte final insuffisant pour enrayer le réchauffement climatique. Le texte adopté à l’issue de la COP21 fixe un objectif de stabilisation du réchauffement climatique, plus ambitieux qu’à Copenhague, il vise à être « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels » et si possible à 1,5°C pour répondre à la demande des États les plus vulnérables, notamment nombre de pays insulaires menacés par l’élévation du niveau de la mer. L’objectif des 1,5°C est déjà dépassé au vu des quantités de gaz à effet de serre (GES) déjà émises dans l’atmosphère. Rester sous 1,5°C n’est plus possible. L’objectif des 2°C se trouve également mis à mal par le résultat des contributions volontaires des pays pour réduire les émissions de GES (INDC ou « intended nationnally determined contributions » en jargon onusien) qui conduit, selon l’évaluation réalisée par l’ONU, ainsi que par d’autres études, à un réchauffement climatique aux alentours de 3°C d’ici la fin du siècle. Nulle négociation n’a été engagée pour parvenir durant la COP21 à une réduction plus ambitieuse des émissions de GES pour se situer en conformité au but visé des 2°C. L’objectif de l’Accord de Paris qui doit entrer en vigueur en 2020 n’est donc pas tenu. On sait d’ores et déjà que les efforts engagés par les pays développés d’ici à 2020 sont insuffisants mais il n’a pas été question de les rehausser. Selon les conclusions du GIEC, atteindre les 2°C implique un pic mondial des émissions de GES aux environs de 2020 et de réduire celles-ci de 40 à 70 % d’ici à 20505. Cet objectif de long terme n’apparaît pas dans le texte de l’accord.

Autre grande absence dans l’Accord de Paris, toute référence aux mots « énergie », « énergies fossiles », « énergies renouvelables », « désinvestissement des énergies fossiles » qui sont pourtant les pierres angulaires de la transition énergétique, mais qui en même temps soulèvent bien entendu des enjeux politiques considérables : le maintien ou non des subventions publiques (700 milliards de dollars) accordées chaque année aux majors des compagnies pétrolières, la décision de geler l’extraction des combustibles fossiles comme le recommande le GIEC (laisser 80 % des ressources fossiles dans le sol) et le réclament un grand nombre d’organisations de la société civile6. Troisième grande absence  : la contribution du commerce international pour lutter contre le réchauffement climatique. L’aviation civile et le fret maritime qui contribuent à près de 10 % des émissions mondiales de GES ne figurent pas dans l’Accord de Paris et sont exemptés de tout objectif. Enfin, dernière absence : l’agriculture qui contribue à près du quart des émissions de GES, comme si il fallait éviter de mettre en cause l’agrochimie et les pratiques agricoles fortement mécanisées, à base d’intrants (engrais, pesticides), au final grands consommateurs de combustibles fossiles.

Malgré cet écart entre l’objectif visé (2°C) et les programmes de réduction des émissions de GES (INDC), l’Accord de Paris laisse au bon vouloir des États la possibilité de revoir leurs engagements à la hausse. Bien sur, un mécanisme de révision des engagements des États est prévu tous les cinq ans, mais ceux-ci resteront volontaires et la première révision obligatoire n’interviendra qu’en 2025, soit une décennie d’attente pour que l’irréversibilité des changements climatiques soit encore plus accentuée. Ce bon vouloir montre que l’Accord de Paris n’est pas juridiquement contraignant comme veut l’affirmer F. Hollande. Certes, le texte engage les parties (les pays signataires de la Convention climat) mais peut-on le qualifier de contraignant lorsqu’il ne prévoit aucun mécanisme de sanction (comme peuvent si bien le faire les traités commerciaux). Certains prétendent que l’Accord de Paris est politiquement contraignant. Si c’est le cas, il ne faut pas perdre de vue dans ce cas que 10 % de la population mondiale produit 50 % des GES et que celle-ci vit essentiellement dans la partie occidentalisée de la planète.

Adaptation ou l’aide promise aux pays vulnérables. L’aide aux pays les plus vulnérables pour financer leurs politiques climatiques, décidée à Copenhague en 2009 pour un montant de 100 milliards de dollars par an (Fonds vert) à partir de 2020 reste un engagement flou qui ne clarifie pas la nature et la répartition de l’aide entre fonds publics et fonds privés. L’aide publique promise est loin d’être atteinte et les sommes rassemblées sont souvent un redéploiement d’aides au développement déjà votées. Le financement privé signifie prêts bancaires et assujettissement des pays du Sud. L’objectif de 100 milliards de dollars par an est désormais considéré comme un « plancher » mais sans que soit détaillé l’effort à consentir après 2020. Les pays développés ne veulent plus être les seuls à payer et demandent une contribution aux pays émergents. Là encore, le soutien est encouragé par l’accord sur une base volontaire. L’échec du financement du Fonds vert aura des répercussions sur les engagements de réduction des émissions de GES de nombreux pays.

La question des droits humains toujours hors champ climatique. La justice climatique, notion mise en avant par les mouvements sociaux, qui intègre la question primordiale des droits humains, des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants indigènes, le droit à la santé, à la sécurité alimentaire figure bien dans l’Accord de Paris… mais seulement dans son préambule, c’est à dire sans aucun caractère juridiquement contraignant. Le bilan est « très faible » selon la Rapporteur spéciale des Nations Unies sur les droits humains. A quand donc le droit universel à un environnement sain? La seule avancée notable, mais bien modeste, est un début de réponse aux « déplacements de populations liés aux effets néfastes des changements climatiques » qui figure dans le chapitre dédié aux « pertes et préjudices ». On reste encore loin de l’adoption d’un statut aux migrants climatiques qui sont estimés à être, selon l’ONU, 250 millions en 2050 !

Échec. C’est donc à nouveau un constat d’échec, tant à la fois sur la trajectoire de réduction des émissions de GES afin de limiter le réchauffement en dessous des 2°C que sur les aides pour permettre aux pays pauvres et les plus vulnérables d’affronter les conséquences environnementales et sociales du réchauffement climatique qui se dirige aux alentours de 3°C. Les droits humains pour une justice climatique sont ignorés. L’Accord de Paris ne prévoit aucune contrainte et sa mise en œuvre est conditionnée à la bonne volonté des États. La prise de conscience universelle du réchauffement climatique, vu par certains comme une avancée politique majeure, peut en même temps constituer un encouragement légal aux fausses solutions (finance, techno-science) pour se substituer aux décisions politiques défaillantes (politiques d’atténuation). A la prise de décision politique contraignante, il a été préféré les vertus de la concurrence du marché, habillé sous le signe du volontariat.

2- Les fausses solutions : les logiques financières, le retour de la géo-ingéniérie et la promotion de l’agriculture « intelligente ».

Les solutions COP21 ont fait florès, notamment à l’occasion de l’exposition au Grand Palais à Paris pour montrer au public les solutions qui contribuent à lutter contre le changement climatique, avec l’aide d’entreprises, de collectivités locales, d’associations. Mais au-delà du greenwashing qui consiste notamment pour les entreprises à des actions de communication pour soigner leur image, des tendances lourdes de la techno-science s’invitent pour pallier l’échec de l’accord international politique de la COP 21 : la géo-ingéniérie et l’agriculture dite « intelligente », autant dire que l’invitation s’adresse aux grands groupes des industries multinationales. Cette invitation répond à l’article 4 de l’Accord de Paris qui stipule de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la seconde moitié du siècle ». La COP21 fait ainsi resurgir des projets que l’on croyait enterrés depuis longtemps, et particulièrement les technologies de géo-ingénierie. Par ailleurs, les océans, les terres agricoles et les forêts sont réduits à des puits et réservoirs de carbone, ce qui est une ouverture à la financiarisation accrue de la nature et à des logiques d’accaparement des terres. La recherche d’un tel « équilibre » signifie la renonciation de vouloir atteindre les objectifs politiques de réductions d’émissions de GES dans l’atmosphère, d’où l’importance accordée aux « biens naturels » qui deviennent des titres financiers en puissance, négociables dans les politiques climatiques et à la techno-science comme solution pour la recherche de ce soi-disant « équilibre » artificiel. L’ensemble de cette panoplie, encouragé par les décisions de l’Accord de Paris, constitue un pari bien périlleux pour l’avenir de l’humanité.

Le maintien des mécanismes financiers. Les grandes institutions financières entrevoient avec l’Accord de Paris de nouvelles sources de profit au niveau des marchés du carbone : les échanges des droits à polluer et la compensation carbone. Une reconfiguration de la finance carbone va s’opérer au niveau mondial autour de trois marchés régionaux de quotas de GES : le marché européen (11 000 sites industriels émettant chaque année quelques 2 milliards de tonnes de CO2) mis en place en 2005 pour l’application du Protocole de Kyoto, un futur marché chinois (10 000 entreprises émettant chaque année 4 milliards de tonnes de CO2) prévu pour ouvrir en 2017 et la restructuration des marchés nord-américains. La financiarisation de milieux naturels capables d’absorber le gaz carbonique (sols, forêts) conduit à l’organisation du marché de la « compensation carbone » que l’on peut résumer ainsi : l’achat d’un tel titre financier sert de sauf-conduit pour continuer à émettre des GES dans l’atmosphère.

Le retour de la géo-ingéniérie. Le captage-stockage géologique de CO2 (CSC) intéresse l’industrie lourde (cimenteries, aciéries) et le secteur de l’électricité (centrales à charbon) pour décarboniser leurs installations. Cette approche a été l’une des solutions de prédilection de l’Union européenne pour réduire son bilan carbone. La technologie, jugée aujourd’hui mature, reste coûteuse et n’exclut pas les risques liés au transport et au stockage du CO2 dans le sous-sol. D’autres projets de géo-ingéniérie sont dans les cartons. Le concept en a été défini par le GIEC comme « toute technique de manipulation délibérée et à grande échelle de l’environnement, dont le but est de contrecarrer le réchauffement climatique ». Certaine de ces techniques semblent surgir de livres de science-fiction comme repeindre les toits des maisons en blanc pour augmenter la réverbération, fabriquer de la mousse blanche et la déverser à la surface des océans, créer des nuages de particules soufrées entre la terre et le soleil, placer en orbite des dizaines de milliers de miroirs autour de la terre, peindre avec de la chaux les glaciers du Pérou, déverser du fer en grandes quantités dans les océans pour dynamiser la production de plancton végétal et augmenter ainsi la capacité d’absorption du gaz carbonique, modifier l’orbite de la terre pour refroidir la planète. La conclusion principale qui ressort sur la mise en œuvre de tels projets est que l’on ne peut pas modifier quelque chose sans toucher à autre chose. A l’heure actuelle, un seul moratoire a été adopté il y a 5 ans sur les expérimentations de fertilisation des océans par le déversement de fer7. Si ce texte est un premier pas, il n’est pas contraignant. A la sortie de la COP21, la porte reste ouverte sur la croyance qu’une régulation du thermostat de la planète est possible. N’est-il pas préférable et salutaire que les sociétés tentent au préalable de reprendre leur avenir en main plutôt que de jouer les apprentis sorciers.

L’agriculture « intelligente ». Il est estimé que l’agriculture est responsable de près du quart des émissions mondiales de GES. La COP21 a fait donc émerger un nouveau concept, celui de l’agriculture « climato-intelligente » en vue de produire mieux et plus, et en même temps de séquestrer plus de CO2 dans les sols. Ce nouveau concept fait appel à des « engrais intelligents » et des plantes OGM tolérantes à la sécheresse. Les promesses sont effectivement alléchantes, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prévoit un accroissement de la production agricole de 70 % d’ici 2050 pour satisfaire la demande alimentaire. Un tel pronostic se heurte toutefois à la réalité de la cause principale de la faim dans le monde qui touche près d’un milliard de personnes ; celle-ci n’est pas à rechercher dans la défaillance de la production agricole mais plutôt dans l’absence de ressources financières pour acheter la nourriture. Ceci est attesté par le Rapporteur des Nations Unies pour l’alimentation, Olivier De Schutter qui milite depuis plusieurs années pour une agriculture familiale et non pour une agriculture productiviste, mécanisée à outrance, basée sur les intrants chimiques (engrais, pesticides) et au final grande consommatrice d’énergies fossiles.

Développer l’agriculture au nom de la lutte climatique est le projet « 4 pour 1000 » qui vise à favoriser la séquestration du carbone dans les sols. Lancé en grande pompe par notre ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, à l’occasion de la COP21, il s’agit d’agir sur la matière organique des sols, en affirmant qu’une augmentation de 4 pour mille par an suffirait à stocker 75 % des émissions de GES de la planète. De nombreuses critiques se sont élevées contre ce concept d’agriculture « climato-intelligente » qui n’est définie par aucun critère. Malgré les mises en garde de la mise en œuvre de nouvelles techniques qui risquent de poser plus de problèmes qu’elles n’en résolvent, le gouvernement français a décidé de s’engager dans une direction qui laisse les portes ouvertes à une agriculture plus industrielle que familiale. Le projet « 4 pour mille » peut ainsi devenir un outil financier de compensation des émissions de GES pour les entreprises industrielles. La finance carbone va s’inviter dans les politiques agricoles et il y a tout à craindre dans une telle évolution, d’autant que les droits humains ne font l’objet d’aucune garantie dans le texte de l’Accord de Paris. Pour la Confédération paysanne, ce concept d’agriculture « climato-intelligente » est une coquille vide dans laquelle viennent s’engouffrer multinationales et gouvernements.

3- Les raisons de l’échec.

Les raisons de l’échec de la COP21 sont évidemment multiples, dans un monde multipolaire où les les politiques nationales, les enjeux géopolitiques sont parties prenantes dans la rédaction d’un accord international qui vise à faire consensus entre 196 délégations présentes. Mais avant tout, espérer que la COP 21 soit l’amorce d’un changement réel d’un problème qui se situe à l’échelle planétaire aurait nécessité la remise en cause d’un modèle productiviste mondialisé qui lui-même se situe à la même échelle. La COP21 a fait le choix de la fuite en avant pour corriger la dérive climatique, à savoir le pari du progrès technique (géo-ingéniérie, agriculture « intelligente ») et la gestion par la finance qui aborde le changement climatique, externalité négative, comme une « défaillance du marché ». Si le système Terre possède la capacité d’absorber une partie du CO2 accumulé dans l’atmosphère (forêts, sols, océans), il suffirait d’y mettre un prix pour restaurer son utilisation optimale. Nulle question ici de modifier le logiciel économique qui a conduit à la situation actuelle.

L’échec programmé de la COP21 est à rechercher dans le texte initial de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adopté en 1992. On y trouve un élément central, à savoir l’article 3.5 de la Convention qui stipule que le climat doit s’adapter au système économique capitaliste et non l’inverse : « il appartient aux Parties de travailler de concert à un système économique international qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et à un développement durables de toutes les Parties, en particulier des pays en développement, pour leur permettre de mieux s’attaquer aux problèmes posés par les changements climatiques. Il convient d’éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires et injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». La messe est dite pourrait-on dire, tous les ingrédients pour consolider le système économique actuel qui contribue aux changements climatiques sont présents et se retrouvent ipso facto dans l’Accord de Paris : un système économique international, une politique de croissance, l’acceptation des changements climatiques, l’absence de toute remise en cause du libre échange du commerce international, le refus de toute mesure protectionniste, l’absence de toute contribution demandée à l’aviation civile et au fret maritime, la prédominance du commerce sur les droits humains, etc …

Au moment de la Conférence de Copenhague sur le climat en 2009, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) publiait la même année un rapport pour affirmer haut et fort que le salut climatique ne pouvait se concevoir sans une politique accrue de libre échange du commerce international. Le même credo est resservi cette année par le Directeur général de l’OMC à l’occasion de la COP21, rappelant que le monde a besoin du commerce (ce que personne n’entend contester) et qu’il convient de promouvoir « un cercle vertueux des politiques commerciales et environnementales pour promouvoir la production et la consommation durables tout en favorisant la croissance et le développement »8. On retrouve les mêmes positionnements idéologiques du modèle néo-libéral actuel, déjà inscrit dans le texte de la Convention cadre des Nations Unies.

Il n’est donc pas étonnant que nulle allusion ne fut faite durant la COP21 sur les conséquences des traités de libre-échange bi-latéraux sur l’évolution du climat. Ceux-ci sont menés tambour battant par les États-Unis, d’une part le Partenariat transpacifique conclu en octobre 2015 par 12 pays (États-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande) qui prévoit la suppression de 18 000 droits de douane (sur le plan diplomatique cet accord aussi vise à contrebalancer l’influence chinoise), d’autre part le traité transatlantique de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne (TAFTA ou TTIP selon l’appellation), négocié dans le plus grand secret par la Commission européenne et appelé il y a peu par F. Hollande à un aboutissement rapide. Quelques jours avant l’ouverture de la COP21, la Commission européenne donnait mandat à ses négociateurs de refuser toute mention du commerce dans l’accord final : le climat doit s’adapter au marché.

4- La solution aux changements climatiques amène à concevoir une autre pensée politique.

La mobilisation citoyenne, autant à Copenhague il y a six ans qu’en 2015 à Paris, s’est montrée inopérante vis-à-vis des décisions prise lors de la COP21. La « Coalition climat » regroupant de multiples organisations associatives et syndicales, décrétée en début d’année 2015 « grande cause nationale » par le gouvernement actuel9 a montré les limites de son action. A défaut de peser sur les décisions, au moins a-t-elle accentué une plus grande prise de conscience pour revendiquer une « justice climatique ». Mais l’indignation ne suffit pas. Elle doit se traduire par des choix politiques qui soient l’amorce de changements profonds dans le fonctionnement de nos sociétés, des changements qui nécessitent l’abandon des logiciels économiques et politiques actuels qui conduisent à la situation présente. La poursuite du modèle de croissance du capitalisme néolibéral est devenue une véritable menace pour l’avenir de l’humanité et de la planète. La crise climatique reflète le vide idéologique dans lequel se trouve une grande partie de la gauche. Il faut nécessairement briser la spirale de la mondialisation qui a servie à donner tous les pouvoirs aux grandes entreprises multinationales. Changer de cap, vouloir changer le cours des choses, peser dans le débat politique (faut-il rappeler le silence des partis politiques au moment de la COP21) nécessite de véritables ruptures politiques, oser mettre en débat une autre pensée politique tant au niveau international que national.

Au niveau international, la question centrale est celle du libre-échange et de la libre circulation des capitaux qui conduit aux délocalisations et à un productivisme basé le plus souvent sur un moins disant social et environnemental, avec les conséquences que l’on connaît pour nos sociétés, à savoir la désindustrialisation, le chômage et la précarité, couplée avec l’exploitation effrénée des ressources naturelles et une consommation énergétique sans cesse amplifiée. La crise écologique et la crise sociale sont étroitement liées l’une à l’autre. Il est nécessaire d’ouvrir le débat sur la mise en place d’un protectionnisme écologique et social et d’inscrire de nouvelles solidarités entre les peuples. Taxer les importations en fonction de critères sociaux et environnementaux permet de responsabiliser en réintroduisant les externalités dans les prix ou en interdisant certains produits et ôte aux grands groupes l’argument de la concurrence internationale qui justifie l’alignement par le bas. Une partie de telles taxes pourrait être affectée au développement de projets écologiquement et socialement responsables dans les pays taxés. La perspective de mettre en place un protectionnisme écologique et social ne correspond en rien à un repli sur des frontières nationales. Le commerce international doit être basé sur la coopération entre les peuples et non sur le principe de concurrence systématique. Ces principes sont inscrits dans la Charte de La Havane du 24 mars 1948 qui devait donner naissance à l’Organisation internationale du commerce (OIC) si les États-Unis n’avaient pas mis leur veto, et non à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) que nous connaissons actuellement.

Le second point clé, ignoré lors de la COP21, est le respect des droits humains en matière de développement et de protection de l’environnement. Là encore, il est possible de faire référence à un texte des Nations Unies intitulé la Déclaration de Cocoyoc d’octobre 1974, se situant dans le prolongement de la première Conférence internationale sur l’environnement de Stockholm de 1972. Sitôt publiée, elle fut rejetée en totalité et unilatéralement par les États-Unis. La Déclaration de Cocoyoc est le seul texte international sur l’environnement à vouloir rompre avec l’ordre économique actuel. La souveraineté nationale est au cœur de cette déclaration : les États doivent garder la maîtrise de leurs ressources naturelles, assurer leur autonomie dans le processus de développement et répondre aux problèmes environnementaux. Le texte conserve aujourd’hui encore toute son actualité quarante ans après sa parution10.

Au niveau national, la sortie du carcan néolibéral de l’Union européenne est la seule solution pour envisager de nouvelles politiques publiques hors du champ permanent de la concurrence érigé en dogme. Le point clé est de redéfinir le rôle de l’État pour qu’il soit le garant de l’intérêt général, qu’il lui soit permis de trouver les investissements à long terme pour s’engager dans une réelle transition énergétique. Toute cette réorientation du champ politique, à la hauteur des enjeux décrits lors de la COP21, appelle à la réindustrialisation de notre pays, à une réorientation des politiques agricoles pour assurer la sécurité et la santé alimentaire. Ceci nécessite de retrouver une souveraineté monétaire et une souveraineté nationale et populaire garante de l’expression de la démocratie. Le mérite de la COP21 est d’avoir entériné au niveau international les enjeux liés aux changements climatiques et d’en préciser les objectifs pour en limiter les conséquences. Il est à nos pays de définir à présent quelles sont les trajectoires énergétiques, économiques et sociales pour y parvenir. Le combat politique se situe à présent après la COP21 pour définir le modèle de société qui permet d’y parvenir.

Notes

1Le premier accord international sur le climat fut l’adoption du Protocole de Kyoto en 1997 qui reste en vigueur jusqu’en 2020 ; seuls les États-Unis ont refusé de ratifier le Protocole qui ne met sous contrainte que les États du Nord.

2Le commentaire optimiste est toutefois assez en décalage avec l’injonction médiatique de Nicolas Hulot « Chef d’États, soyez à la hauteur. Entrez dans l’histoire.Osez ! ».

3A présent, il n’existe plus de distinction entre pays développés, pays émergents, pays en développement. Le Protocole de Kyoto qui avait introduit cette distinction n’a plus cours.

4Le texte de 49 pages issu de la COP21 est constitué de deux parties distinctes : 22 pages relatives à des décisions qui prennent effet avant 2020 et constituent en quelque sorte une « feuille de route » pour les États dès 2016, et 17 pages qui constitue en 29 articles l’Accord de Paris lui-même qui prend effet à partir de 2020. L’accord doit être ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

5Autre mode de présentation : selon le GIEC, atteindre l’objectif des 2°C nécessiterait de ramener d’ici 2030 les émissions de GES à 40 gigatonnes (40 milliards de tonnes), alors que le niveau actuel sur la base des contributions nationales avancées se situe à 55 gigatonnes, soit déjà un dépassement de 15 gigatonnes !

6Dès la fin de la COP21, la Chambre des représentants américains votait le 18 décembre 2015, un texte qui ouvre la voie à la levée de l’interdiction d’exporter du pétrole, décision prise en 1975 lors du premier choc pétrolier suite à la guerre du Kippour en 1973. Le lobby du pétrole de schiste au États-Unis n’a cessé de réclamer la levée de cette mesure jugée obsolète alors que le pays a désormais accès à une ressource abondante : la production américaine de pétrole a augmenté de près de 90 % depuis août 2008.

7Selon la Fondation sciences citoyennes, ces expériences montrent des rendements extrêmement faibles : 200 tonnes de carbone captées pour une tonne de fer déversée ; pour compenser les émissions humaines de carbone, ce serait quelques 50 millions de tonnes de fer qu’il faudrait déverser chaque année dans les océans !

8Le Directeur général de l’OMC cite cet exemple concret dans une interview aux Echos le 14 décembre 2015 pour justifier les politiques de libre-échange : « en simplifiant les formalités douanières, nous pouvons réduire certaines émissions imputables aux transports et réduire l’énergie nécessaire pour garder au frais les produits périssables lorsqu’ils sont en attente à la frontière ». Chacun appréciera la force de l’argumentation pour plaider le libre-échange commercial !

9Ce qui n’a pas empêché le même gouvernement à assigner à résidence plus d’une vingtaine de militants écologistes, en ce temps d’état d’urgence, sous le prétexte qu’ils portent menace à l’ordre public. Les arrêtés d’assignation mentionnent pour certains des faits imaginaires et ces militants n’ont jamais été condamnés pour leurs engagements.

10Voir : « L’Encyclique « Laudato Si  » (2015), la Déclaration de Cocoyoc (1974), même constat, même combat », http://ms21.over-blog.com/2015/09/protection-et-gestion-de-l-environnement.html

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Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l'action pédagogique, de S. Garcia et A.-C. Oller

par Alain Planche

 

Tout le monde est aujourd’hui obligé d’admettre que notre système éducatif connaît de graves difficultés. Très médiatisées, les enquêtes internationales montrent en effet sans conteste (malgré tous leurs défauts) que ses résultats d’ensemble sont très médiocres et qu’il contribue à aggraver, au lieu de les atténuer, les inégalités scolaires d’origine sociale. Ces inégalités se développent dès l’école primaire et, à l’entrée en sixième, environ 20 % des élèves, dont la grande majorité est issue de familles défavorisées, ne maîtrisent pas du tout les fondamentaux (lecture, écriture et calcul). Cet échec persistant (sinon même grandissant) de notre école a suscité au fil des années, sans pour cela d’ailleurs entraîner la moindre remise en question officielle des normes pédagogiques en vigueur, bien des polémiques, portant notamment sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Mais, avec Réapprendre à lire1, le livre des sociologues Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, nous sommes bien au delà de la simple polémique. Celle-ci apparaît dans le livre comme beaucoup trop simpliste (méthode syllabique contre méthode globale ou mixte, enseignement explicite contre enseignement implicite, etc.) pour déboucher sur de véritables solutions.

Ce livre est une très sérieuse remise en cause des principes qui gouvernent actuellement notre enseignement primaire et déterminent en particulier l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Une véritable mise en accusation même, d’autant plus grave qu’elle est très argumentée et s’appuie sur un travail de recherche de trois ans minutieusement décrit dans le livre. C’est d’ailleurs à la fois la force et la faiblesse de l’ouvrage. Sa force, car le lecteur a tous les éléments qui lui permettent de juger de l’ampleur du problème, pourtant circonscrit au seul apprentissage de la langue en début de primaire, et d’apprécier la qualité du travail réalisé, à la fois pour traiter ce problème de manière approfondie et proposer des solutions ; sa faiblesse, car sa lecture est un peu rebutante pour qui n’est pas habitué aux travaux universitaires actuels. Disons-le tout de suite, ce livre est trop enrichissant pour qu’on se laisse arrêter par cette difficulté. Il devrait être lu par tous ceux qui s’intéressent aux problèmes de notre système éducatif, car ils y trouveront pour le moins matière à douter sérieusement des « conceptions scolastiques » dominantes : contrairement à ce que prétendent leurs « experts », leur « légitimité » ne repose sur aucune justification scientifique, et leurs conséquences sont affligeantes.

Le cœur du travail de recherche de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, qui, rappelons-le, a duré trois ans, est décrit en détail dans le chapitre 2. La première année, elles ont commencé par observer attentivement comment les enfants apprennent à lire, observation menée dans une école d’application2, soutenue par des interviews de parents, des entretiens avec les enseignants et une participation active au dispositif, déjà existant, d’aide aux élèves en difficulté. À partir de la deuxième année, elles ont mis en place, avec la participation des enseignants de l’école, une expérimentation visant à initier ce qu’elles appellent, dans la tradition bourdieusienne, une « pédagogie rationnelle ». Ensuite cette expérimentation a été étendue à une autre école, située dans un quartier populaire, qui n’est pas une école d’application. D’autre part, des tests de comparaison portant sur le niveau de lecture des élèves ont été régulièrement réalisés avec deux autres écoles témoins où les deux sociologues ne sont pas intervenues.

Ces trois ans de travail sur le terrain montrent que, même s’il n’est pas possible d’éliminer complètement les déterminismes sociaux, on peut au moins atténuer leurs effets beaucoup plus efficacement qu’aujourd’hui. Il faut pour cela adopter un enseignement explicite du décodage et du déchiffrage3, et encourager les élèves à pratiquer un entraînement aussi intensif que possible, par exemple consacrer du temps à la lecture à haute voix, en insistant de manière à améliorer sa fluidité, et pratiquer l’écriture de mots, d’abord recopiés puis sans le modèle. De telles activités systématiques développent la mémoire de travail des élèves, quelquefois défaillante en début de CP, elles les sécurisent, permettant à l’enseignant de les confronter à des difficultés qu’ils apprendront à surmonter, et favorisent ainsi leurs progrès. Certains élèves peinent quand même, bien sûr, à suivre le rythme imposé. Il faut les détecter précocement et leur accorder, en petits groupes, un temps scolaire supplémentaire (ateliers), mais sans modifier la méthode pédagogique adoptée ni abaisser le niveau d’exigence. Ils peuvent ainsi continuer à s’intégrer à la progression d’ensemble de la classe. Comme ces élèves sont majoritairement issus de milieux défavorisés, le résultat sera encore meilleur si l’on accompagne les parents dans l’aide qu’ils peuvent accorder à leurs enfants (révision des acquis) en dehors du temps scolaire, notamment pendant les vacances.

Une telle « pédagogie rationnelle », qui est aussi très conforme au bon sens, ne va certes pas dans le sens du vent de la modernité, mais elle va résolument dans le sens d’une démocratisation qualitative, c’est-à-dire une véritable atténuation des inégalités sociales. Elle est aussi, bien sûr, coûteuse en énergie et en investissement personnel de la part des enseignants, mais pas plus que les méthodes actuelles, dont les résultats ne sont pas du tout satisfaisants.

Actuellement, la doctrine pédagogique dominante tient un double discours qui ne peut mener qu’à des absurdités. Elle affirme « l’importance de la maîtrise du déchiffrage et de sa qualité […] tout en niant la nécessité de son apprentissage systématique ». L’enseignement systématique du code est même méprisé, ainsi que les exercices répétitifs, qualifiés de « mécaniques » et donc opposés à l’exercice de l’intelligence. Même si le code est toujours enseigné, il s’accompagne, dans des mesures diverses suivant les professeurs, d’un apprentissage des mots par devinette, car il faut impérativement se focaliser sur la fonction de communication de la langue et proposer directement aux enfants des supports de lecture issus de la littérature pour la jeunesse, qui n’ont pas été spécifiquement conçus pour apprendre à lire. C’est grâce au contexte d’un  mot qu’ils ne connaissent pas que les élèves peuvent deviner son sens. Ils sont censés pouvoir alors accéder plus directement au contenu sémantique du texte qu’ils lisent et, ainsi, prendre plus de goût à la lecture.

Mais la réalité observée par les deux sociologues n’est malheureusement pas aussi idyllique. Le déchiffrement de ces textes étant difficile, le professeur est d’abord obligé d’en faire lui-même une lecture à haute voix et, éventuellement, de les expliquer, ce qui diminue le temps effectif consacré par les élèves à l’apprentissage de la lecture, alors que les instructions officielles le limitent déjà beaucoup trop. Ceux qui ne peuvent pas compenser cette carence dans leur environnement familial ou grâce à des séances d’orthophonie perdent pied, ne développent pas suffisamment leur mémoire de travail et accumulent ainsi les difficultés, prenant de plus en plus de retard par rapport au rythme normal de la classe. Comme ils essayent malgré tout de suivre ce rythme, ils font des erreurs qu’ils apprennent et incorporent à ce qu’ils pensent être leur savoir, ce qui les déstabilise encore plus. C’est alors un engrenage fatal qui s’enclenche, que les dispositifs d’aide ne pourront stopper car, dans ces dispositifs, les élèves rompent avec la progression d’ensemble de la classe, et le niveau d’exigence y est plus faible. Même à l’intérieur de la classe on trouve un problème analogue. Comme les difficultés scolaires sont en quelque sorte naturalisées par la doctrine dominante, les enseignants sont censés s’adapter à la « stratégie d’apprentissage » de chacun de leurs élèves en pratiquant la « différenciation pédagogique », mais en conservant pour tous le même niveau d’exigence. Or, cette injonction est contradictoire et, en pratique, faute de moyens humains, la différenciation pédagogique se traduit nécessairement par une différenciation des objectifs et une diminution du temps d’apprentissage de chaque élève. Tout le monde est perdant, même les meilleurs élèves, mais ce sont ceux dont l’environnement culturel est défaillant qui en souffrent le plus, car leur devenir scolaire est ainsi gravement compromis dès le CP.

On est en droit de se demander comment une doctrine pédagogique aussi catastrophique a pu se développer. C’est à cette question qu’est consacré l’essentiel du chapitre 1. Avant de le présenter, pour ne pas rompre le fil de l’exposé puisqu’il s’agit d’absences, j’avancerai deux critiques. À mon sens, il manque à l’analyse des deux sociologues la prise en compte, d’une part du rôle de l’État, mais nous reviendrons sur ce sujet en fin d’exposé, d’autre part de la complicité, à des degrés divers et à tout le moins passive, d’une grande majorité d’entre nous. Notre « société du tout-à-l’égo », selon l’expression  de Régis Debray, tend à favoriser le bien-être immédiat des enfants au détriment des exigences scolaires, qu’elle qualifie souvent de trop élitistes, et s’accommode, finalement, assez facilement des défaillances de l’école dans la lutte contre les inégalités sociales. Ce sont essentiellement les associations de parents d’élèves qui portent son influence au sein du  système éducatif, mais les syndicats d’enseignants (et trop souvent les enseignants eux-mêmes), les partis politiques et les médias en sont aussi des relais non négligeables. Il n’empêche que, s’ils soutiennent la doctrine, ils n’ont pas contribué directement à sa création et à son évolution, qui sont analysées très en détail dans le livre.

Donnons-en juste les grandes lignes. Tout commence avec le développement, dans les années 1970, de la linguistique structurale, qui devient une référence scientifique incontournable pour l’ensemble des sciences sociales. Elle apparaît comme une solution aux difficultés de notre système scolaire, débordé par la massification. Avec le concours de professeurs de « lettres modernes », de plus en plus nombreux, qui ne se reconnaissent pas dans l’enseignement classique (trop marqué par les langues anciennes et qualifié d’élitiste) et investissent la formation des instituteurs puis des professeurs des écoles, s’élabore une véritable révolution de l’enseignement du français au primaire. On passe d’un ensemble d’apprentissages partiels (lecture, orthographe, grammaire, etc.) à un objectif global qui est la maîtrise de la langue. Tout ce qui est considéré comme répétitif, mécanique ou technique, comme le déchiffrage, est dévalorisé ainsi que l’autorité du maître : ce ne serait que du dressage ! Le temps qui est affecté aux activités traditionnelles est donc diminué au profit d’activités beaucoup plus nobles : compréhension du texte, travail sur son contenu implicite, communication ou production d’écrits. Toutes ces activités nouvelles justifient une formation plus longue des professeurs des écoles, dont le contenu est défini par des experts qui deviennent donc producteurs de normes. La « modernisation » passe très bien chez les enseignants car le discours tenu par les formateurs et l’allongement de leur formation les valorisent, tandis que les directeurs deviennent beaucoup plus pour eux des animateurs d’équipe que des supérieurs hiérarchiques. De plus, l’influence des experts est d’autant plus efficace que ces producteurs de normes, ne craignant pas les conflits d’intérêts, sont aussi souvent producteurs de supports pédagogiques (livres du maître, méthodes de lecture, etc.) utilisés par les enseignants …

Évidemment, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances ! Les experts commencent par les minimiser. Comme cela ne suffit pas, ils n’hésitent pas à utiliser des arguments qui rappellent d’autres idéologies. Par exemple, si certains élèves ont de grosses difficultés de déchiffrage, c’est parce que l’attention portée par les enseignants au déchiffrage est … encore trop importante ! Étant donnée l’origine sociale majoritaire de ces enfants, ils peuvent aussi mettre en cause la pauvreté de leur lexique. On en revient donc « au leitmotiv de la pauvreté culturelle des familles populaires. » Dans tous les cas, il est admis que l’école n’a pas les moyens de rééduquer ces carences. Pour certains enfants, on fait appel à des orthophonistes, pour d’autres, on considère que leurs problèmes relèvent du handicap ou de l’éducation spécialisée. L’échec scolaire majeur n’est plus le problème de l’école (et n’est donc plus pris en compte dans les statistiques) mais celui de spécialistes des troubles biologiques ou relationnels. C’est de la contribution inquiétante de ces spécialistes à la production des inégalités que traite le chapitre 3. Sans doute le nombre de familles concernées est-il très faible, mais c’est heureux, car la situation décrite dans ce chapitre est un scandale d’autant plus révoltant qu’il est l’aboutissement logique de l’application de la doctrine pédagogique actuelle.

Il est impossible d’entrer ici dans le détail des dispositifs de prise en charge des difficultés scolaires par l’institution, et de leur évolution au fil du temps, depuis la création des GAPP (groupes d’aides psychopédagogiques) en 1970 jusqu’aux multiples CLISS (classes pour l’insertion scolaire des handicapés) actuelles. Mais on en trouvera une description minutieuse dans le chapitre. Ces dispositifs, qui n’ont cessé de se développer, répondent à la nécessité, pour des enseignants débordés par la trop grande hétérogénéité de leur classe, de confier les cas les plus difficiles à des enseignants spécialisés (maîtres E et maîtres G) et des professionnels (centres médico-pédagogiques). L’organisation tout entière repose « sur le déni du rôle des pratiques pédagogiques dans l’échec des élèves », leurs difficultés sont attribuées à leurs caractéristiques propres. Ainsi, les maîtres E mettent en place des remédiations pédagogiques qui se démarquent de ce qui a été fait en classe, puisque cela n’a pas marché, et leur pratique consiste plus à favoriser chez les élèves en échec un sentiment de réussite qu’à chercher à atteindre avec eux les objectifs fixés au reste de la classe. Quant aux maîtres G, dont la mission est de rééduquer les élèves pour leur permettre de s’adapter aux exigences scolaires, ils oublient trop souvent les objectifs scolaires et s’attachent exclusivement au mieux-être de l’enfant. Dans les deux cas, les élèves ont du mal à « recoller » à leur classe et, à terme, comme le montrent plusieurs études, les effets de la prise en charge sont majoritairement négatifs. Une trop grande partie d’entre eux est même orientée vers les dispositifs d’éducation spécialisée.

Il faut alors persuader des parents, dont l’accord est légalement exigé, que leur enfant « entre dans le champ du handicap ». Ils sont souvent récalcitrants, ce qui se comprend, et quelquefois à juste titre, car l’échec de leur enfant résulte en fait d’un véritable « abandon cognitif » de l’école. Il faut donc exercer sur eux une forte pression4, d’autant plus efficace que les parents appartiennent aux classes populaires : ces familles se plient bien sûr plus facilement aux avis des enseignants que les familles socialement favorisées. Les dispositifs de lutte contre l’échec scolaire et la « psychologisation » qui les sous-tend contribuent ainsi aux inégalités sociales. Le pire, c’est qu’en agissant de la sorte, on ne fait parfois qu’enfoncer encore plus les élèves dans leurs problèmes, ce qui justifie a posteriori les décisions d’orientation : on ne pouvait vraiment rien faire !

Malheureusement, l’influence des relations enseignants-familles dans la reproduction scolaire des inégalités sociales ne se limite pas à l’éducation spécialisée. Elle est générale, comme le montre le quatrième et dernier chapitre du livre, qui propose « une analyse systémique de l’échec scolaire ». Une analyse très fouillée, dont je ne peux donner ici que quelques grands traits. On commence par y voir que la disqualification de l’autorité du maître et de la discipline en classe favorise déjà, très insidieusement, les enfants « bien élevés », le plus souvent issus de milieux favorisés : ils ont déjà acquis en dehors de l’école les comportements qui y sont attendus, alors que ceux-ci ne sont obtenus de la part d’autres enfants qu’avec beaucoup de peine. Or, une relation élève-professeur plus facile rend évidemment l’enseignement, de quelque nature qu’il soit, plus efficace ! Mais la pédagogie actuelle accentue considérablement les différences, et c’est tout un système hiérarchique, qui s’efforce de l’imposer, qu’il faut remettre en cause.

L’analyse des entretiens réalisés avec les parents et des questionnaires auxquels ils ont accepté de répondre montre que ce sont « les enfants dont les parents convertissent spontanément leur capital culturel en compétence pédagogique qui peuvent profiter le plus […] des démarches pédagogiques en vigueur ». L’importance accordée par les parents aux savoirs scolaires et le poids de leur investissement personnel sont, plus généralement, des facteurs discriminants, et d’autant plus discriminants que les professeurs s’efforcent de suivre les directives officielles. Des entretiens avec les enseignants et de leurs réactions positives à l’expérimentation décrite au chapitre 2, il ressort en effet qu’ils sont majoritairement insatisfaits, à la fois de la formation qu’ils ont reçue et des directives officielles qu’ils reçoivent : un discours officiel à des années-lumière de la réalité, qui prône la différenciation pédagogique avec conservation des objectifs, même dans des classes très hétérogènes, sans aucune prise en compte des contraintes pratiques, pourtant évidentes. Ce discours place ainsi les professeurs dans des situations que ceux-ci ne peuvent pas maîtriser, engendrant ainsi, de fait, une accumulation d’effets pervers qui peuvent se combiner de manières diverses. Par exemple, l’orientation de certains élèves vers l’éducation spécialisée est une manière de réduire l’hétérogénéité de la classe sans résoudre le problème de fond. Le professeur est quand même conduit, pour essayer d’obéir à l’injonction, de différencier ses objectifs selon les possibilités des élèves, ce qui creuse encore l’écart entre les élèves. Nous sommes très loin d’une stratégie de lutte contre l’échec scolaire, on le favorise même au contraire, car la dispersion de l’enseignant entraîne, en plus, une baisse générale du niveau de ses exigences.

Le professeur se sent inefficace, mais, en plus il souffre de voir que son travail n’est pas reconnu par sa hiérarchie. L’inspection, qui n’oserait jamais s’opposer aux prescriptions officielles, fussent-elles absurdes, continue malgré tout, en effet, à promouvoir une différenciation pédagogique catastrophique dont l’efficacité n’a jamais été, bien sûr, soumise à validation. Il en résulte que les évaluations des inspecteurs mettent les échecs du système sur le dos des enseignants, « professionnels peu compétents, soupçonnés de ne pas appliquer les prescriptions » ou de ne pas savoir les appliquer. Une appréciation qui conforte le sentiment de déclassement déjà éprouvé par une grande partie des professeurs ! Il faut cependant préciser que, même si ce n’est pas pour les raisons avancées par leur hiérarchie, ils ne sont pas totalement innocents, car, comme le reste de notre société, ils placent « l’épanouissement […] des élèves [avant] l’acquisition des connaissances ».

Cette « philosophie de la vie » ne se borne pas à l’enseignement primaire. Elle est à l’œuvre à tous les échelons de notre système éducatif. On peut d’ailleurs prolonger au collège et au lycée la plupart des conclusions de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller sur « le processus de reproduction des inégalités ». Ce sont partout les démarches pédagogiques qu’elles qualifient d’« intellectualistes » qui « mettent en difficulté non pas tous les élèves, mais ceux qui sont les moins disposés […] à réussir avec des pédagogies implicites […] et peu systématiques ». Partout, alors qu’elle est « célébrée comme une sorte d’idéal de la diversité humaine […], l’hétérogénéité des élèves pose de redoutables problèmes pratiques à ceux qui enseignent », et l’on peut toujours chercher à empêcher les classes de niveau et les détournements de la carte scolaire, c’est inefficace, car les familles « les mieux dotées adaptent leurs stratégies » aux règles en vigueur. Partout les apprentissages systématiques, accusés d’être trop mécaniques, sont méprisés, et les enfants de milieux populaires, qui ne peuvent compenser en dehors de l’école les carences qui en résultent, sont freinés dans leur progression. C’est partout enfin, par exemple avec la promotion d’une pluridisciplinarité trop précoce, que « le temps à faible contenu scolaire qu’on propose souvent aux élèves […] renforce le désavantage culturel » des moins favorisés.

Il est donc difficile de comprendre pourquoi les deux sociologues refusent de manière réitérée d’entrer dans un débat politique dont elles n’évoquent que des caricatures : droite contre gauche sur la seule base de la méthode syllabique, ou progressistes fanatiques contre illuminés partisans d’un âge d’or qui n’a jamais existé. Si les réformes successives, de droite comme de gauche, s’inscrivent dans une continuité quasi parfaite (à quelques détails près) au sein d’une NGP (nouvelle gestion publique) élaborée en commun, et si ces réformes sont justifiées par des arguments assénés comme des vérités scientifiques d’évidence alors qu’il n’en est rien, c’est qu’elles sont le fruit d’une action politique qui dépasse les clivages habituels et qu’il faudrait, me semble-t-il, au moins évoquer.

La lecture du livre suggère que cette action repose assez largement sur un discrédit de la raison. Car, qui pourrait raisonnablement s’opposer au principe qui a guidé l’expérimentation de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller et justifié l’écriture de leur livre : pour mettre en œuvre  une pédagogie véritablement rationnelle, il faut « mesurer les effets produits par différentes approches » ? Or, il n’est et il n’a jamais été question, ni pour les « experts » de l’école ni pour les politiques, d’une éventuelle évaluation des pratiques actuelles.

Dans leur conclusion, les deux sociologues font référence à la « peur de l’impensable » de Jean-Claude Passeron, c’est-à-dire « la certitude qu’il vaut fondamentalement mieux […] ne pas se poser cette question-là » pour éviter de voir l’impensable, c’est-à-dire ici de prendre conscience que des réformes réalisées au nom de la démocratie favorisent la reproduction des inégalités sociales.  Mais cela fait presque un demi-siècle que l’on entretient le mensonge, et même qu’on l’approfondit au rythme de la dégringolade des résultats de nos écoliers et de nos collégiens dans les évaluations nationales ou les enquêtes PISA de l’OCDE. N’est-on pas alors assez naturellement conduit à se demander si l’idéologie néolibérale portée et véhiculée par l’OCDE ne contribuerait pas fortement à cultiver ce mensonge, avec la complicité des principaux partis politiques français ?

  1. Sandrine Garcia, Anne-Claudine Oller, Réapprendre à lire – De la querelle des méthodes à l’action pédagogique, Paris, Seuil, 2015. []
  2. C’est-à-dire dans  laquelle enseignent des maîtres formateurs de l’ESPE locale, ancien IUFM, qui encadrent des élèves professeurs en formation. []
  3. Ce que l’on appelle couramment la méthode syllabique. []
  4. On trouvera dans le livre des exemples caricaturaux, mais malheureusement authentiques, d’enseignants qui légitiment leurs décisions ou justifient, par solidarité, celles de leurs collègues en portant des jugements à l’emporte pièce sur l’état pathologique des enfants ou le comportement de leurs parents. []
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La Laïcité, défi du XXIe siècle, de Gérard Delfau

par Pierre Hayat

 

Évoquant les meurtres politiques et antisémites des 7-9 janvier 2015, Gérard Delfau, président de l’association ÉGALE (Égalité. Laïcité. Europe), écrit dans son dernier ouvrage La Laïcité, défi du XXIe siècle (L’Harmattan, 2015) : « Nous sommes entrés dans une période tragique de notre histoire ». Mais le livre ne préjuge pas que le pire serait inéluctable. Prenant appui sur les ressources du peuple français pour défendre l’idéal républicain de liberté, il recherche au contraire les outils intellectuels adéquats pour répondre aux défis présents. Paru quelques semaines avant les massacres à l’aveugle du 13 novembre 2015 et deux mois avant les élections régionales qui interdisent d’exclure une victoire du FN aux présidentielles, ce livre est aujourd’hui d’une urgente actualité.

La laïcité : un devenir porteur d’avenir

Une thèse traverse l’ouvrage. En ce début de siècle, la laïcité cristallise les résistances aux oppressions et peut structurer les combats progressistes à venir, pour la liberté, l’égalité et pour la paix. La réappropriation collective de la laïcité s’impose ainsi comme un enjeu central de notre présent. Le principe démocratique de la souveraineté des peuples, les droits inaliénables de la personne humaine, le principe républicain de l’intérêt général : ces idéaux collectifs sont aujourd’hui menacés par la montée en puissance des extrêmes droites et des intégrismes religieux. La laïcité est appelée à unifier les combats pour maintenir et développer les acquis majeurs de la civilisation. Cela est vrai en France mais aussi dans le monde. Delfau rappelle que là où l’islamisme triomphe, les droits fondamentaux des femmes sont méthodiquement bafoués et qu’en retour le combat des femmes dans ces pays se mène souvent par référence à la laïcité et à la France des droits de l’homme.

Alors qu’il n’est pas historien de métier, Delfau réfléchit à la laïcité dans une perspective historique, renouant ainsi avec une importante tradition d’intellectuels laïques, soucieuse d’inscrire l’idée laïque dans un devenir global. Tout en fixant l’acte de naissance de la laïcité dans la Révolution française et la Déclaration de 1789, il situe les sources de l’idée laïque dans l’Antiquité grecque, puis dans l’humanisme de la Renaissance et la Réforme et surtout dans les Lumières. Il reconstitue pédagogiquement le parcours sinueux de la laïcité en France, faisant apparaître ses progrès, ses saillies et ses contradictions. Les pages consacrées à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (pp. 173-175) sont parmi les plus éclairantes ; elles montrent l’implication réciproque de ce texte fondateur et de la laïcité,conférant au principe de séparation une portée non seulement juridique mais philosophique. La IIIe République est, quant à elle, repérée comme l’ « âge d’or » de la laïcité, dont les grandes lois abolissent le monopole de l’Église catholique sur l’enseignement, les institutions politiques et les services publics.

Cette approche historique conduit Gérard Delfau à présenter la séparation laïque française à partir d’un « Bloc législatif de laïcité », tel qu’il s’est progressivement constitué en France depuis 1789. Ni achevé ni définitivement acquis, cet ensemble législatif s’articule à un principe d’organisation de droit public, par l’imposition de la neutralité confessionnelle aux autorités publiques et de la non-ingérence des religions dans les affaires publiques. Mais il n’est pas que cela. La législation laïque concerne également le droit civil, lui aussi séparé des normes religieuses. De ce point de vue, l’établissement par la Révolution française de l’état civil et du mariage civil ainsi que le droit au divorce, sont des lois laïques, tout comme la loi de 1901 sur les associations, ou celles, plus récentes, relatives à la dépénalisation de l’homosexualité, à la contraception, à l’IVG, à la fin de vie et au mariage homosexuel. Cette méthode historique permet de comprendre la laïcité comme un devenir et de la saisir à travers ses acquis, toujours menacés, et ses progrès possibles. Elle évite un double écueil : une approche simpliste de la laïcité, qui prétend détenir l’essence éternelle de la laïcité, et une découpe de la laïcité en « types » arbitrairement définis. Aujourd’hui, ces deux démarches se retrouvent dans une sociologie rabougrie et une politologie autoproclamée qui présentent divers catalogues aléatoires de « modèles » de laïcités. Mais dans ce bric-à-brac, on décèle sans peine « l’authentique laïcité » : complaisante à l’égard du fanatisme islamiste, doctement baptisée « révolte générationnelle », grande ouverte au communautarisme identitaire, aveugle à ce qui se passe aujourd’hui en France et dans le monde ; inoxydable dans ses dénis, ses certitudes et ses renoncements.

Quelle « question sociale » pour la laïcité et pour la gauche ?

Gérard Delfau n’est pas seulement historien de la laïcité ; il se fait aussi, modestement et utilement pour nos débats contemporains, historien critique de sa propre approche de la laïcité. A l’inverse des idéologues qui ne se départissent jamais de leur langue de bois, quoi qu’il arrive, Delfau explique dans La Laïcité du XXIe siècle, avoir modifié sa façon de penser la laïcité, à l’aune des derniers événements. C’est que depuis son avant-dernier ouvrage, Éloge de la laïcité, paru en 2012 (Vendémiaire, diffusion PUF), la France a connu non seulement les crimes de janvier 2015 mais aussi la « vague intégriste » de la Manif pour tous, révélateurs d’une situation nouvelle. « J’ai tiré les conséquences, écrit-il dans La Laïcité, défi du XXIe siècle, de ce qui vient de se passer en infléchissant le lien que j’établissais autrefois entre la question laïque et la question sociale. Je me rends à l’évidence : la question religieuse est liée à la question sociale, mais elle ne s’y résume pas. » On peut supposer que les massacres du 13 novembre 2015 n’ont fait que  confirmer ce besoin d’inflexion théorique et politique.

Il y a cependant lieu, nous semble-t-il, de préciser de quoi il est exactement question lorsqu’on évoque la « question sociale ». Lier la question laïque à la question sociale revient-il à « expliquer » la violence fanatique par des causes économiques et sociales ? À décréter qu’un petit-fils de colonisé n’ayant pas bénéficié de « l’ascenseur social » est pour cette raison automatiquement embarqué dans l’islamisme ? Si l’intérêt prêté à la question sociale se résume à cette problématique, il y a lieu, en effet, de mettre au placard « le social », tel qu’il est hélas conçu et pratiqué par une partie de la gauche. On se délestera ainsi d’une idéologie sinistre, potentiellement mortifère, qui victimise une partie du peuple en en culpabilisant une autre, nourrit le ressentiment des uns au nom du châtiment inexorable des autres. Et on libérera un espace politique et culturel pour l’affirmation d’un projet progressiste, qui présume chacun capable de réfléchir par lui-même et de ne pas être irrémédiablement enfermé dans une identité communautaire. On se demandera alors comment il se fait que cette gauche, pourtant si attachée à la « question sociale », dans sa version communautariste, ait été désertée massivement ces trois dernières décennies par les travailleurs les plus exploités qui se reconnaissaient jusque-là en elle. En réalité, cette gauche qui s’est présentée lors des dernières élections régionales comme une gauche « anti serre-tête », à défaut d’être anticapitaliste, n’a pas abusé de la question sociale. Elle s’est, au mieux, focalisée à l’excès sur des questions sociétales, tout en se convertissant au social libéralisme. Lorsqu’elle a trahi la laïcité républicaine et l’universalité antiraciste, au profit du communautarisme, elle désertait aussi le socialisme et le syndicalisme de transformation sociale. Et pourtant, la laïcité peut aujourd’hui valoir comme une force de rassemblement de tous les travailleurs, par-delà leur « communauté d’origine », en même façon qu’elle s’affirme comme un principe d’union de tous les citoyens en dehors de leur appartenance communautaire.

Aussi, y a-t-il lieu de ressourcer historiquement la laïcité non seulement dans la IIIe République, mais également dans la Commune de Paris, le Front populaire ainsi que dans les débuts de la IVe République, telle qu’elle est issue de la Résistance. On retrouve alors l’ancrage simultanément « laïque » et « social » de la République, à travers de solides services publics, un système d’instruction pour tous et une protection sociale universelle. Les principe de l’intérêt général et du bien public sont des principes simultanément sociaux et républicains, qui engagent la laïcité. C’est pourquoi Ferdinand Buisson visait juste lorsqu’il présentait la laïcité comme un principe non seulement politique mais également social. Car la laïcité est impliquée dans les lois civiles par lesquelles la nation garantit aux individus l’exercice de libertés fondamentales, mais aussi par des solidarités économiques objectives, qu’une République sociale a vocation à organiser. Il en est de la laïcité comme de la démocratie : la gauche n’attend pas seulement d’elles qu’elles soient juridiquement constituées. Elles doivent l’être aussi d’un point de vue social et économique. Aujourd’hui, la question sociale ne saurait donc perdre sa place centrale, mais plutôt être remise sur ses pieds, après avoir marché sur la tête.

La Laïcité, défi du XXIe siècle doit être lu et recommandé pour l’exactitude et la clarté de sonpropos, la vigueur de son engagement et pour sa contribution à la définition des enjeux présents de la laïcité, parmi lesquels « la question sociale » mais aussi le rationalisme. Son approche historique et critique de la laïcité prémunit Gérard Delfau d’un rationalisme dogmatique et naïvement déterministe, dont usent aujourd’hui une kyrielle d’idéologues qui excusent les assassins en présentant leurs crimes comme les effets mécaniques d’un état social, ou qui alignent les sophismes pour justifier un antiracisme à géométrie variable. Loin des idéologues médiatiques incapables de se remettre en question, Delfau définit la laïcité comme « la raison se défiant d’elle-même ». Cela signifie assurément, qu’à l’école comme dans la société, la laïcité fait appel à la raison critique et à la libre pensée. Mais elle s’instruit également des méthodes scientifiques et de toutes formes de rationalité, qu’elles soient politiques, culturelles ou techniques. Si la démocratie et le rationalisme sont nés en Grèce et la laïcité en France, la démocratie, le rationalisme et la laïcité s’imposent aujourd’hui comme des exigences universelles et internationalistes.

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A demain Gramsci, de Gaël Brustier

par Olivier Nobile

 

En cette fin d’année morose pour les républicains en général et la gauche en particulier, voila un livre à recommander pour ceux qui croient encore en la possibilité d’une gauche des idées tournée vers l’action. Avec A demain Gramsci (Ed. du Cerf, 2015), Gaël Brustier nous livre une analyse aussi concise (67 pages) que percutante en nous invitant à redécouvrir l’œuvre considérable d’Antonio Gramsci, figure majeure du Parti Communiste italien, et intellectuel majeur de l’Histoire des idées politiques du XXe siècle. Plus encore, l’auteur démontre que la (re)lecture de Gramsci est une formidable clé de compréhension des  causes de la terrible déréliction de la gauche française actuelle, laquelle a été capable de gagner toutes les batailles électorales jusqu’en 2012 sans se rendre compte qu’elle avait perdu la plus importante : celle de l’hégémonie culturelle.

L’auteur commence par rappeler l’apport considérable de Gramsci en matière d’analyse politique tournée vers l’action : sa recherche obstinée d’un « service public intellectuel » au profit d’un « projet politique qui fasse sens commun ». L’auteur revient ensuite sur la situation de crise actuelle, la crise consistant selon Gramsci « dans le fait que l’ancien meurt et que la nouveau ne peut naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Et l’auteur de citer ces phénomènes morbides en question : « le complotisme, le fanatisme religieux la frénésie identitaire, le délire antisémite, ou des mouvements comme les Indigènes de la République ». Autant de phénomènes qui prospèrent sur l’absence de « cadre idéologique crédible » en provenance de la gauche.

Il démontre ensuite comment la gauche social-démocrate française et européenne s’est littéralement sabordée en substituant à la réflexion la « communication, dont l’alpha et l’oméga sont la prise de décision ». Cette même gauche qui n’a pas su comprendre l’enjeu essentiel des évolutions majeures née de la post-industrialisation et de la crise financière de 2008 et qui est désormais partagée entre, d’une part, une frange social-libérale à l’encéphalogramme plat dont le projet européen est devenu l’unique point d’ancrage programmatique et, d’autre part, un gauche radicale tiraillée entre la nostalgie des équilibres socio-politiques des 30 Glorieuses et le désir de création d’une nouvelle hégémonie culturelle.

La droite, à l’inverse, serait devenue, sans le savoir, gramscienne en gagnant d’importantes victoires culturelles, autour de ses valeurs traditionnelles et sécuritaires, comme le prouve l’importance de la Manif pour tous, dont la « force est de proposer des réponses qui donnent un sens à l’expérience quotidienne ». Mais également en martelant un discours rôdé autour du déclin pour mieux proposer des solutions  » identitaires, inégalitaires et autoritaires ». Victoire d’autant plus aisée que le PS s’est totalement compromis dans l’abandon des principes républicains, dans l’accompagnement zélé du néo-libéralisme et dans un discours qui succombe au « césarisme rhétorique » visant à tenir toutes ensemble des forces pourtant contraires » : l’Islamisme, l’extrême droite, l’opposition de gauche radicale …

Gaël Brustier termine son ouvrage en nous invitant à observer deux événements marquants de la période actuelle qui devraient, à gauche, susciter quelque optimisme. Tout d’abord l’éclosion d’un « nouvel héros gramscien (?) », le pape François. L’auteur estime en effet que le discours proprement politique du nouveau pape, lequel rompt avec la tradition réactionnaire et homophobe de l’Eglise catholique tout en s’affichant résolument du côté des plus pauvres, marque un tournant politique et proprement culturel de l’Eglise catholique qui contribue à la diffusion mondiale de la culture de gauche. L’éloge papal, assez discutable au demeurant, n’occupe toutefois qu’une place limitée dans l’analyse gramscienne de l’auteur. En revanche, Brustier observe avec enthousiasme l’émergence des nouvelles forces politiques européennes qui ont su mettre la bataille culturelle au cœur de leur action politique : Syriza et Podemos. Et l’auteur de s’interroger sur ces nouvelles formations politiques qui ont su renouveler les façons de faire de la politique en plaçant la bataille idéologique et la proximité avec le Peuple au cœur de leur fonctionnement tout en affichant une ambition univoque pour l’exercice du pouvoir. Syriza et Podemos seraient-ils les nouveaux hérauts de la reconquête de l’hégémonie culturelle de gauche ? On peut l’espérer mais le cadre européen imposé par l’UE et la question de la sortie de l’euro sont des obstacles d’ampleur que ces mouvements devront, préalablement, être en mesure de surmonter.

A demain Gramsci est un ouvrage stimulant, dont l’analyse ne peut que ravir ceux qui observent la lente agonie de la gauche française, dont l’échec tient au renoncement de son propre héritage culturel issu des Lumières, de la Révolution française, du Front Populaire et du programme du Conseil National de la résistance. Seul bémol, le format extrêmement réduit de l’ouvrage qui ne permet pas à l’auteur d’approfondir des thèmes essentiels qui nécessiteraient de plus amples développements, au risque d’une certaine frustration du lecteur.  Il s’agit néanmoins d’une très belle (et très réussie) invitation à relire Gramsci et à lui rendre la place majeure qu’il n’a jamais cessé d’occuper dans l’œuvre de la gauche.



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