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Chronique d'Evariste
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Le discours du siècle dernier des gauches nous entraîne vers le désastre en France, en Allemagne et en Europe

par Évariste

 

Rien n’y fait ! La gauche néolibérale continue comme si de rien n’était. La gauche de la gauche continue son chemin dans la décomposition. Alors que les réunions d’éducation populaire animées par le Réseau Education Populaire se multiplient et pointent les erreurs d’analyse et de stratégie de la gauche de la gauche, les états-majors des gauches maintiennent les lignes stratégiques perdantes. Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? La voie polonaise où il n’y a plus que des députés de droite et d’extrême droite ?

En Allemagne, seule l’extrême droite progresse partout

  • En Rhénanie dont la direction sortante est une alliance SPD-Verts, le recul de la gauche néolibérale est patent : le SPD fait 36,2 % (soit +0,5 %) mais son allié vert perd 10,1 % à 5,3 %. La droite néolibérale recule un peu mais pas tant que cela : la CDU fait 31,3 % (-3,4 %) mais les ultra-libéraux du FDP font 6,2 % (soit +2 %). La gauche de la gauche Die Linke baisse de 0,2  % à 2,8 % et sont donc non représentée.
  • Dans le Bade-Wurtemberg dont la direction sortante est une alliance Verts-SPD, la gauche néolibérale est en recul mais en recul différencié : les Verts font 30,3 % (+6,1 %) mais le SPD fait 12,7 % (-10,4 %). La droite néolibérale recule largement : la CDU fait 27 % (-18 %) alors que les ultras-libéraux du FDP font 8,3 % (+3 %). Avec 2,9 % (+0,1 %), la gauche de la gauche de Die Linke n’est donc pas représentée.
  • Dans la Saxe-Anhalt (situé dans l’ex-Allemagne de l’Est) dont la direction sortante est une alliance CDU-SPD-Verts, la gauche néolibérale est en très fort recul : le SPD perd la moitié de sa représentation avec 10,6 % (-10,9 %) alors que les Verts font 5,2 % (-1,9 %). La droite néolibérale recule légèrement avec 29,8  % (-2,8 %) pour la CDU et 4,9 % (+1,1 %) pour les ultralibéraux du FDP. La gauche de la gauche (ex-PC) est en fort recul avec 16,3 % (-7,4 %).
    Et le grand vainqueur dans les trois régions est… l’extrême droite d’Afd (Alternative pour l’Allemagne) qui entre dans les trois régions pour la première fois avec 12,6 % (+12,6 %) en Rhénanie, avec 15,1 %(+15,1 %) en Bade-Wurtemberg, et avec 24,2 % (+ 24,2  %) en Saxe-Anhalt ! Le spectre des années 30 revient dans les esprits.

En France, effondrement du PS, gauche de la gauche éclatée et décomposée

La participation a été très faible pour ce premier tour de partielles : 35 % dans l’Aisne, 21,7 % dans le Nord, 29,25  % pour les Yvelines. Mais le parti solférinien a un ratio de perte bien supérieur au ratio de la baisse du pourcentage de votants. Le Parti socialiste voit son nombre d’électeurs divisé par quatre dans l’Aisne, par cinq dans les Yvelines, et par six dans le Nord. Son rôle dans le mouvement réformateur néolibéral sera donc d’appeler à voter pour la droite néolibérale dans l’Aisne et dans le Nord où il y aura un duel droite néolibérale-FN et de jouer les faire-valoir face au candidat LR promis à la victoire dans les Yvelines. On a même vu, preuve de la décomposition du PCF, deux candidats PCF se présenter l’un contre l’autre dans l’Aisne !

  • Dans l’Aisne, le candidat de la droite néolibérale 36,29 % sera opposé au candidat FN 28,8 %. Les éliminés sont le PS avec 15,5 %, un candidat divers droite 5,79 %, un sans étiquette sans emploi d’origine algérienne 0,62 %, LO 2,19 %, EELV 3,83 %, le PCF canal historique 3,48 %, le PCF Front de gauche 3,83 %.
  • Dans le Nord, le candidat LR-UDI 46,84 % sera opposé au candidat FN 25,22 %. Les éliminés sont le PS 11,24 % (30,77 % en 2012), LO 2,96 %, le PCF 5,10 %, le MRC 1,24 %, EELV 5,9 %, un divers droite 1,63 %.
  • Dans les Yvelines, le candidat LR-UDI 46,05 % sera opposé au candidat socialiste 12,98 %. Les éliminés sont un divers droite 9,56 %, le FN, 9,38 %, un autre divers droite 4,32 %, un écologiste de droite 1,98 %, EELV 7,27 %, Nouvelle Donne 4,88 % et le PCF 3,58 %.

Les raisons sont connues des lecteurs assidus de ReSPUBLICA mais le conservatisme l’emporte dans la majorité de la gauche de la gauche

D’abord, le capitalisme est entré dans une phase où il n’a plus que l’aggravation des politiques d’austérité et le développement du communautarisme religieux (voire de l’intégrisme religieux) pour garder un taux de profit élevé dans l’économie. Au lieu de promouvoir le lien nécessaire entre les luttes sociales et l’objectif d’une société post-capitaliste (la double besogne de Jean Jaurès) avec une radicalisation des luttes, des stages de formation et des initiatives d’éducation populaire, une perspective « Laïcité et République sociale », seule perspective possible pour le peuple français, la majorité de la gauche de la gauche se fourvoie dans l’altercapitalisme, dans un certain gauchissement du communautarisme anglo-saxon (allié du néolibéralisme), dans le maintien du carcan de la zone euro ou dans le volontarisme d’en sortir demain matin à 8h 30, ainsi que dans de diverses impasses solipsistes. Alors que la prise en compte des lois tendancielles du capitalisme ne peut nous entraîner qu’à nous préparer à la prochaine crise paroxystique du capitalisme, seul moment des ruptures nécessaires. Nous disons par là qu’il ne peut y avoir de bifurcation en termes de système qu’au moment d’une crise paroxystique. Cela n’empêche en rien de se présenter aux élections et même de gagner ces élections pour occuper le gouvernement. Mais il ne faut pas croire qu’un simple volontarisme permettra alors de changer la donne et de « prendre le pouvoir ». L’épisode du 13 juillet 2015 à Athènes est clair à ce sujet. En restant dans l’euro, la continuation des politiques d’austérité était obligatoire. Tsipras est au gouvernement grec mais il n’a pas pris le pouvoir sur l’oligarchie capitaliste. Et Varoufakis fut un illusionniste.1
D’ailleurs les couches populaires ouvrières et employés qui représentent 53 % de la population française ne croient pas en la gauche de la gauche et s’abstiennent aujourd’hui à 60 % environ et la gauche de la gauche n’est que leur 5e choix de vote. Au lieu de réfléchir à de nouvelles pratiques sociales pour combler ce fossé, la majorité de la gauche de la gauche, sans l’avouer et de façon honteuse, fait sienne la thèse de Terra Nova à savoir qu’on ne doit s’occuper que des couches moyennes (39 % de la population salariée) et des catégories discriminés de façon sociétale.
De plus, le mouvement réformateur néolibéral a gagné la bataille de l’hégémonie culturelle. Mais cela ne suffit pas à la majorité de la gauche de la gauche pour engager une ligne stratégique qui renouvellerait la dynamique d’éducation populaire pour reconquérir une hégémonie culturelle favorable au peuple en général et à ses couches populaires en particulier.

Des bases d’appui existent cependant

Heureusement, il reste des parties du mouvement syndical revendicatif qui continuent leur travail de résistance et la nouvelle génération de ceux qui sont nés après l’écroulement du mur de Berlin semble aujourd’hui prendre la mesure de la bataille à venir. La façon dont le déclenchement de la manifestation du 9 mars 2016 a été réalisée ne correspond pas à ce que nous avons connu jusqu’ici. Des initiatives nouvelles ont eu lieu avec cette nouvelle génération particulièrement affectée par l’austérité. Tous ceux qui ne comprendront pas cette nouvelle réalité subjective de la jeunesse dans le peuple passeront à compter de la compréhension du mouvement de fond actuel. Des groupes et associations diverses de cette nouvelle génération prennent contact avec notre Réseau. L’histoire reste à écrire mais il n’est pas exclu que nous tissions des liens avec les classes d’âge qui vont amorcer le tournant.
Alors préparons bien la manifestation du 31 mars 2016 ! Hasta la victoria siempre…

  1. Le problème politique est donc de savoir si dans l’avenir la présence dans un exécutif ou un gouvernement peut aider le processus de changement ou pas. Jean Jaurès avait par exemple défendu la présence d’un socialiste dans le gouvernement bourgeois de Waldeck-Rousseau (1899-1902) car la République était alors encore en danger. Il fut contre la participation gouvernementale des socialistes dans le gouvernement suivant, la République n’étant plus en danger. Donc la présence dans un exécutif ou un gouvernement doit s’apprécier par une analyse concrète de la situation concrète. []
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Manifeste pour un Printemps républicain

par un collectif

 

2015 fut une année tragique. Les attentats qui ont par deux fois ensanglanté Paris ont introduit au cœur de notre pays ce terrorisme islamiste qui répand partout dans le monde son projet mortifère. Face à cette menace désormais pressante et permanente, la réaction de nos compatriotes a été admirable. Il n’y a eu ni panique ni fuite en avant.

Seuls les faiseurs et défaiseurs identitaires de tous bords ont tenté de profiter de l’occasion pour faire encore progresser leurs idéologies délétères. Que ce soit en avançant des explications toutes faites et des causalités douteuses, ou en niant la réalité des faits et leur portée politique. L’extrême-droite comme l’islamisme politique sont à la manœuvre pour tenter de jouer avec les peurs et les tensions qui traversent la société française.

A chaque fois, c’est la République qui est attaquée. A chaque fois, ce sont ses principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité qui sont pris à partie. C’est son esprit laïque qui est mis en cause. A chaque fois, ce sont ses défenseurs qui sont pointés du doigt.

Face à ces attaques répétées et convergentes, il y a urgence. C’est pourquoi nous avons décidé de réagir collectivement en unissant nos forces, celles de tous ceux qui refusent de baisser les bras face aux atteintes contre la République et ses principes. Les principes qui forment notre commun, par-delà nos différences.

Il y a quelques années encore, la laïcité était comme l’air que nous respirons, une évidence. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Remise en cause de toutes parts, manipulée à des fins politiques par certains, attaquée à des fins religieuses par d’autres, ignorée de beaucoup par indifférence, elle ne semble plus défendue que par quelques-uns, dont nous sommes bien évidemment. Mais nous voulons plus et mieux. Nous voulons qu’elle redevienne l’affaire de tous et de chacun, qu’elle reprenne toute sa place au cœur de notre contrat civique et social.

Si nous-mêmes venons de la gauche et sommes soucieux de son état actuel — et plus encore de l’éloignement de certains, en son sein, par rapport à ces principes républicains — , notre démarche s’adresse à tous. Elle n’entend pas nier les différences, nombreuses, d’appréciation ou d’orientation politique. Il nous paraît néanmoins indispensable de repartir du fondement même de notre contrat civique et social : la politique doit redevenir première et primordiale si l’on veut à nouveau pouvoir débattre librement et efficacement des options possibles et souhaitables de notre politique économique et sociale notamment.

Le temps est donc venu de l’affirmation de principes, clairs, précis et déterminés, de principes pour l’action. Une action de citoyens libres et souverains en faveur de la laïcité et, au-delà, de la République.

Pour nous, la République, c’est ce qui nous est commun. C’est à la fois notre bien commun, notre territoire commun et notre projet commun. Ce n’est ni un simple régime politique ni la projection dans les institutions des opinions et croyances de la société. La République s’incarne dans un double combat : pour l’émancipation de chacun et contre toutes les dérives, assignations ou discriminations identitaires.

Pour nous, la laïcité est le ciment du contrat social républicain. Elle lie étroitement la liberté de conscience de chacun (puisqu’elle permet à chacun de croire, de ne pas croire ou de ne plus croire, et de le faire de manière totalement libre dans la société), l’égalité de tous devant la loi (puisqu’elle permet de mettre en avant chez chacun d’entre nous le citoyen), et la fraternité (puis- qu’elle rend possible la solidarité entre individus et groupes sociaux sans qu’aucun lien particulier ou identitaire ne permette de privilégier tel ou tel). La laïcité ne se résume pas à la neutralité de l’Etat, elle est une activité vivante et permanente, à travers l’attention et l’action des laïques dans la société, quelle que soit leur origine ou leur croyance.

Pour nous, la Nation est à la fois une histoire et un destin communs. C’est le contrat civique et politique qui se noue dans ses grandes heures comme au quotidien, par l’adhésion sans cesse renouvelée de chacun de ses membres à ses principes. Elle ne se conçoit qu’au travers du lien étroit et indéfectible avec la citoyenneté, dans le droit du sol et la souveraineté pleine et entière de la communauté des citoyens qui la composent.

Pour nous, l’universalisme se déduit des aspirations à une humanité commune, des luttes pour la même liberté au sein de chaque peuple, dans chaque société, en faveur de chacun. Il ne vient jamais s’imposer en surplomb et uniformément, partout et à tous.

Pour nous, le combat contre le racisme, l’antisémitisme ou tout autre préjugé à raison du sexe, de l’origine, de la couleur de la peau, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la culture est sans répit ni repos. Toute discrimination à raison de l’identité de la personne est par définition antirépublicaine et antilaïque. Contre l’assignation identitaire, contre l’alibi des différences prétexte à la différence des droits, il y a la République.

Pour nous, le principe de l’égalité entre hommes et femmes, et plus encore le combat permanent pour sa réalisation effective, sont au fondement des sociétés modernes. Ils ne sauraient être remis en cause pour des raisons de coutume, de croyance ou d’opinion.

Pour nous, c’est le printemps républicain !

Pour signer : ici.
Le lancement sera le 20 mars à la Bellevilloise : ici.

Les initiateurs du Manifeste : Bassem Asseh, cadre du secteur privé, adjoint PS à la maire de Nantes. Pierre Bouchacourt, cadre du secteur privé. Fatiha Boudjahlat, secrétaire nationale du MRC. Laurent Bouvet, professeur de science politique, Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Frédérique Calandra, maire PS du 20ème arrondissement de Paris. Gilles Clavreul, haut fonctionnaire. Marc Cohen, journaliste à Causeur. Jérôme-Olivier Delb, architecte, animateur du blog « L’abeille et l’architecte ». Adrien Dubrasquet, étudiant, élève à l’ENS de la rue d’Ulm. Amine El Khatmi, adjoint PS à la maire d’Avignon. Denis Maillard, cadre du secteur privé. Valérie Maupas, adjointe PS au maire du 14ème arrondissement de Paris. Yael Mellul, fondatrice de l’association Femme & Libre. Jean-Marc Mojica, avocat au Barreau de Paris. Denis Moscovici, dirigeant d’entreprise. Simon Olivennes, étudiant, élève à l’ENS de la rue d’Ulm.

Education populaire
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Cinéma et éducation populaire

Ce que le Réseau Education Populaire (REP) peut faire pour vous

par le REP

 

Nous animons vos cinés-débats. Nous suivons plus particulièrement en ce moment ces deux films d’éducation populaire :

– Voici le lien pour la bande annonce de « Peuple et pouvoir » de Marie Pialat et Jean Valentin : https://vimeo.com/156238346

– Voici le lien avec la bande annonce de « Peuple et profit » de Marie Pialat : https://vimeo.com/156239913

Mais nous intervenons aussi sur « Comme des lions » de Florence Davisse sur la lutte syndicale de la grève de PSA Aulnay animé par la CGT,

Voici le communiqué de la CGT-PSA et de l’équipe du film :

« La mobilisation contre la réforme d’un droit du travail s’engage. Des appels à la grève et une première manifestation d’envergure sont annoncés à partir du 9 mars. Partout dans le pays, la nécessité de l’action se fait sentir. Et les discussions se multiplient sur comment lutter, comment rassembler les énergies qui s’expriment.

Pendant des mois, entre 2012 et 2013, des centaines de salariés de l’usine PSA Aulnay ont organisé une importante lutte à travers un comité de grève. Ils s’appellent Ahmed, Samir, Jean Pierre, Agathe, Salah, Ghislaine, Didier, Philippe, Nabil… Tous ouvriers de cette usine du 93 qui comptait 3000 salariés et quelque 47 nationalités. Tous protagonistes du film « Comme des lions » de Françoise Davisse qui s’est immergée parmi eux pour donner à voir et à entendre l’humanité de leur combat.

Projeté en avant première en ce moment, avant sa sortie en salles le 23 mars, le film fait manifestement du bien et galvanise toutes celles et tous ceux qui le voient. Il porte aussi les débats et les questionnements que toute lutte nécessairement soulève. Afin d’apporter leur pierre au mouvement qui se déploie, la CGT PSA et l’équipe du film « Comme des lions » proposent de venir le diffuser gratuitement dans les usines et les universités mobilisées, dans les services et sur tous les lieux de travail, unions locales, bourses du travail qui nous solliciteront, partout où c’est possible.

Au plaisir de se battre ensemble.

Mais aussi :

  • « The big short » sur la crise de 2007-2008,
  • « Inside job » sur la crise économique,
  • « l’Humour à mort » de Daniel et Emmanuel Leconte sur les attentats à Charlie Hebdo,
  • « Une histoire populaire américaine » de Howard Zinn sur la lutte syndicale aux EU entre 1860 et 1814,
  • différents films sur la Grèce, etc.

Mais également le film « Demain », bien décrit par Jean-Jacques Mitterrand :

« Ce documentaire cosigné par Mélanie Laurent (actrice-réalisatrice) et Cyril Dion (cofondateur du mouvement Colibris, avec Pierre Rabhi) prend le parti d’inverser le sentiment d’impuissance face à la philosophie catastrophique engendrée par l’écologie et l’économie néolibérales. De par le monde, nombreux sont celles et ceux qui se mobilisent pour pallier à la crise qui les touche. Le film montre en cinq épisodes ; nourriture, énergie, économie, démocratie, éducation, le possible de l’action en réinventant : l’alternative.

Ainsi fleurissent des milliers d’initiatives : monnaies locales, jardins communautaires, coopératives, etc. Un vent de renouveau souffle, éveille les consciences, redonne espoir, favorise l’utopie. C’est un AGIR commun local en naissance.

N’hésitez pas à nous contacter pour utiliser nos intervenants mais aussi pour des conseils dans la stratégie de mobilisation avec les différentes formes d’éducation populaire.

Une seule adresse, un numéro de téléphone : 06.08.10.44.52

Combattre le racisme
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Le petit fusil braqué sur la République

par Didier Hanne

 

Quoi ? Qu’est-ce ? Un livre : Les Blancs, les Juifs et nous, par Houria Bouteldja  (La Fabrique, mars 2016). Avec comme sous-titre alléchant : « Vers une politique de l’amour révolutionnaire ». Le dernier opuscule du groupuscule Parti des indigènes de la République (PIR), signé Houria Bouteldja.1

J’ai souvent trouvé qu’à gauche, un défaut était répandu : on ne lit que les auteurs avec lesquels on sait qu’on sera d’accord, on cherche des confirmations, on oublie de lire ce que produisent les adversaires, on ne se renseigne pas, on n’est pas assez curieux, on tourne en rond, au risque de perdre de vue ce que sont les forces adverses…

« Les blancs, les juifs et nous ». Rien que le titre est un programme. Celui d’une sécession racialiste : il y a “nous”, et puis il y a, hors de ce « nous », les mal colorés  et les mauvais croyants. Et tout le reste à l’avenant.

Alors, pour les curieux qui veulent bien savoir à qui nous avons affaire, nous, les Républicains de gauche, ci-après quelques extraits du doux chant d’amour entonné par Houria Bouteldja…

Pourquoi j’écris ce livre ? Parce que je partage l’angoisse de Gramsci : “le vieux monde se meurt. Le nouveau est long à apparaître et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres”. Le monstre fasciste, né des entrailles de la modernité occidentale. D’où ma question : qu’offrir aux Blancs en échange de leur déclin et des guerres qu’il annonce ? Une seule réponse : la paix. Un seul moyen : l’amour révolutionnaire.
(…)
La bonne conscience blanche de Sartre… C’est elle qui l’empêche d’accomplir son œuvre : liquider le Blanc. Pour exterminer le Blanc qui le torture, il aurait fallu que Sartre écrive : « Abattre un Israélien, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. » Se résoudre à la défaite ou à la mort de l’oppresseur, fût-il Juif. C’est le pas que Sartre n’a pas su franchir. C’est là sa faillite. Le Blanc résiste. Le philosémitisme n’est-il pas le dernier refuge de l’humanisme blanc ?
(…)
Si la gauche actuelle était à l’image de ses engagements, nous ne pourrions que nous en féliciter. Mais, on est malgré tout en droit de penser que sa blanchité en a dessiné l’inflexion.
(…)
Ce que j’aime chez Genet, c’est qu’il s’en fout d’Hitler. (…) Il y a comme une esthétique dans cette indifférence à Hitler. Elle est vision. Fallait-il être poète pour atteindre cette grâce ?
(…)
Je déteste la bonne conscience blanche. Je la maudis. Elle siège à gauche de la droite, au cœur de la social-démocratie.
(…)
C’est pourquoi je vous le dis en vous regardant droit dans les yeux : je n’irai pas à Auschwitz.
(…)
Il arrive parfois que la distance entre mon crime et moi se rétracte. Des bombes explosent dans le métro. Des tours sont percutées par des avions et s’effondrent comme des châteaux de cartes. Les journalistes d’une célèbre rédaction sont décimées. Mais immédiatement la bonne conscience fait son oeuvre. “Nous sommes tous américains!” “Nous sommes tous Charlie”. C’est le cri du coeur des démocrates. L’union sacrée. Ils sont tous Américains. Ils sont tous Charlie. Ils sont tous blancs.
(…)
Il faut en finir. “Fusillez Sartre!”. Ce ne sont plus les nostalgiques de l’Algérie Française qui le proclament. C’est moi, l’indigène.
(…)
Je méprise la gauche qui vous méprise sûrement autant, peut-être plus. Je la méprise férocement.

Certains disent : « il ne faut pas lire, il ne faut pas lui faire de publicité. » Je pense le contraire. Le pire, on ne doit pas l’esquiver : on doit en prendre connaissance. Dans la période actuelle, les œufs du serpent ne sont pas logés à un endroit précis : ils sont un peu partout répandus.

Alors il faut lire. Relire. Et encore.

Petit à petit, on voit que c’est un palimpseste. Sous le texte apparent, mélange d’envolées lyriques et confuses, derrière la littérature poussive, le « regardez-moi comme je vous provoque » –  qui permet de prononcer les mots inouïs d’un racialisme agressif – le sous-texte, qui est le texte maître, apparaît. Redoutable. A peine enfouis derrière l’ironique proclamation de paix : les mots de l’affrontement racial, les mots d’une guerre civile.

Ce discours belliqueux qui cherche à fusiller la laïcité et offre à l’intégrisme islamiste une sorte de ceinture de protection intellectuelle, c’est à Paris, France, en mars 2016, quatre ans pile après les assassinats de Merah.

  1. Le Parti des Indigènes de la République a été fondé en 2010, dans la foulée d’un appel des indigènes lancé après les émeutes de 2005. Son programme consiste à lutter « contre toutes les formes de domination impériale, coloniale et sioniste qui fondent la suprématie blanche à l’échelle internationale ». Son objectif est « de construire une force politique indigène autonome ». A cette fin, ses porte paroles préconisent par exemple de créer des syndicats non-mixtes (réservés aux non blancs) et se livrent à une ethnicisation systématique de la question sociale, ramenée à une question coloniale qui perdurerait en France.
    A ses yeux, le clivage fondamental de la société est celui qui existe entre “indigènes” et “non-indigènes”…
    Résolument anti-républicain et anti-laïque, le PIR estime que la République est un système politique, idéologique et social basé sur les inégalités raciales à l’encontre plus spécifiquement “des Noirs, des Arabes et des musulmans ». Plus que complaisant à l’égard des mouvements intégristes musulmans, et ayant adopté une attitude fort ambiguë au moments des attentats de 2015, il regroupe quelques centaines d’adhérents. Certaines organisations d’extrême-gauche ont participé à des initiatives soutenues (et dirigées en sous-main) par le PIR. []
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Épistémologie du travail productif, suite du débat avec Michel Zerbato

par Jean-Marie Harribey

 

La revue électronique ReSPUBLICA a publié dans son édition du 2 février 2016, n° 803, le texte « Retour sur le travail productif » que je lui avais adressé pour discuter la thèse qu’y défend régulièrement l’économiste Michel Zerbato. Celui-ci y a répondu dans le même numéro par une version courte « Travail productif : Jean-Marie Harribey révise Marx » et par une version longue « Jean-Marie Harribey révise Marx sur le travail productif »1.

La question en débat concerne le travail effectué pour produire des services non marchands. La thèse que je développe depuis une vingtaine d’années est que ce travail, étant une fraction du travail social validé – en l’occurrence par décision politique et non par le marché pour le capital –, est productif de valeur qui s’ajoute à la valeur produite dans la sphère proprement capitaliste et n’est donc pas prélevée sur celle-ci. Cette thèse s’oppose bien sûr à la théorie économique libérale, toutes variantes confondues, mais aussi à une certaine tradition marxiste qui voit les services non marchands financés par prélèvement sur la plus-value capitaliste. La thèse de Michel Zerbato (MZ) est fidèle à cette dernière, poussée jusqu’à sa version la plus extrême, puisqu’il en affirme d’emblée le noyau dur : la richesse mesurée par la valeur économique est matérielle, ou, en d’autres termes, « l’industrie paie les services » (p. 1), que ceux-ci soient marchands ou non marchands.

Je ne reprends pas ici la totalité de ce que le lecteur peut retrouver facilement ailleurs et qui est synthétisée dans La richesse, la valeur et l’inestimable2, j’essaie de cerner ce qui paraît essentiel pour comprendre la nature et l’enjeu du débat. MZ me donne acte de me « référer très correctement aux notions de base définies par Marx » (p. 1). Comme il le dit, comment puis-je, sur la même base analytique que la sienne, aboutir alors à une conclusion opposée ? Je vais répondre en trois temps. D’abord, en examinant le problème soulevé par les services dans la théorie de la valeur, ensuite en abordant la question de la monnaie sous-jacente à celle de la valeur, enfin en me demandant s’il y a des conclusions politiques à tirer de considérations théoriques, ce qui permettra de suivre d’assez près la construction du texte de MZ.

1. Les services et la valeur

La démarche que j’ai proposée consiste à revenir aux fondements de la critique de l’économie politique et à distinguer l’idéal-type du capitalisme et le capitalisme réel. La recherche d’un critère de définition du travail productif passe par un retour sur l’irréductibilité entre richesse et valeur.

Richesse et valeur

Le triptyque théorique de Marx sur la valeur qui nous réunit, MZ et moi, est : la valeur d’usage est une condition de la valeur en tant que fraction du travail socialement validé, laquelle apparaît dans l’échange par le biais d’une proportion, la valeur d’échange qui est mesurée par la quantité de travail nécessaire en moyenne dans la société considérée. MZ ajoute que « les marchandises (…) sont le produit du travail social, abstrait, et c’est ce qui fait leur valeur économique » (p. 2), ce qui correspond parfaitement à ce que j’écris moi-même, à la nuance près, sur laquelle je reviendrai, que cela ne résume pas tout le travail social. Mais il affirme ensuite que, selon Marx, « la valeur d’usage d’une marchandise simple, prise sous l’angle des échanges marchands, fonde sa valeur d’échange » (p. 2). Or, même dans une société marchande simple, la valeur d’échange n’est pas « fondée » sur sa valeur d’usage, sauf à voir dans « fondée », la motivation de la produire, mais en aucun cas sa mesure.

Pour bien montrer la différence entre le mode de production pré-capitaliste et le mode de production capitaliste, MZ insiste : « (s’il [le client] achète le même produit chez un capitaliste, fabriqué par des salariés, le même travail concret est productif (de valeur, donc de plus-value) » (p. 3). À mon sens, il y a là une première entorse à la critique de l’économie politique marxienne. Le travail concret produit des valeurs d’usage, mais l’analyse de la valeur relève d’une autre conceptualisation : la valeur est du travail rendu abstrait par l’échange marchand. On verra plus loin que cela a à voir avec la relation entre valeur et monnaie.

La distinction faite par l’économie politique classique, reprise sans retouche par Marx, entre richesse et valeur est la pierre d’angle sur laquelle est bâtie la critique de cette économie politique. MZ écrit trop vite (je ne le soupçonne même pas d’ignorer ce point) car il assimile les deux notions : « Chez Marx, l’argent étant une forme de la valeur, elle-même forme abstraite de la richesse, la quantité d’argent mesure la quantité de travail de production de cette richesse socialement validé » (p. 8, souligné par moi).3 Or Marx n’a jamais cessé de noter la différence entre les deux notions4, bien qu’il lui soit arrivé parfois (mais rarement) d’utiliser un mot pour l’autre. MZ commet un glissement de sens puisqu’il nous dit que « les services du type du tailleur [à son compte] consomment de la richesse matérielle pour lui donner une autre forme concrète, ils ne produisent pas une richesse supplémentaire » (p. 5).

De trois choses l’une. Ou bien on reproduit ici le raisonnement physiocrate tenu sur l’agriculture. Ou bien on assimile richesse et valeur, mais on abandonne la critique marxienne de l’économie politique. Ou bien on retient, comme Marx, la distinction entre richesse (les valeurs d’usage) et valeur, et alors on doit dire que le tailleur produit une richesse (la valeur d’usage, cette « autre forme concrète ») et se poser la question de savoir s’il produit une valeur. Autrement dit, avant même de répondre à cette dernière, dans le cadre de la critique de l’économie politique, la valeur n’est pas une forme abstraite de la richesse, mais d’une partie de la richesse. L’unité/contradiction entre richesse et valeur ne peut être réduite à une identité.

À la recherche d’un critère de définition du travail productif : matérialité versus rapports sociaux

De l’assimilation abusive entre richesse et valeur, on va passer au cœur de notre affaire. En effet, les services (pour l’instant, peu importe leur caractère marchand ou non) qualifiés d’improductifs de valeur, mais que MZ n’ignore pas, sont considérés par lui comme des consommations qui « détruisent de la richesse ». Arrive alors une série d’affirmations sur lesquelles il faut s’arrêter : « Quand il est salarié et acheté par un capitaliste en vue de valoriser son capital, le travail dans les services est donc productif, mais sans qu’il y ait production de marchandises, sans production de richesse économique, donc. » (p. 6, souligné par moi). Jusqu’ici, on avait cru que, pour MZ, productif était attaché à marchandise et que marchandise égalait richesse. MZ défait donc ce qu’il avait lui-même établi. Mais il poursuit : « La valeur sociale étant l’expression de cette richesse, elle n’augmente pas, ce qui fait que l’argent engagé par l’employeur est bien de la valeur-capital qui s’auto-valorise, mais sans augmentation de la valeur sociale. » (p. 6, souligné par moi). Comment le capital s’auto-valorise-t-il sans qu’il y ait de valeur sociale ajoutée ?

Tout cela me semble fragile. Parce que le postulat posé au départ ne peut que nous conduire à ces contradictions : seul serait productif le travail qui fabrique des biens matériels, leitmotiv de la croyance de MZ. Il faut produire du « concret » (p. 6), qui a une « trace palpable » (p. 5). Et, comble de l’imbroglio : « un prestataire de services qui exécute son travail en tant que salarié d’un capitaliste devient productif de capital, non seulement sans rien produire de concret, mais, en plus, en détruisant de la richesse, dans la mesure où son travail consomme des marchandises nécessaires à sa mise en œuvre » (p. 6). Donc, la valeur définie comme produisant du capital et le capital ne pouvant venir que de la valeur produite par le travail, il y aurait du capital produit sans valeur !

De ce fait, l’idée que la consommation de matières ou de services constituerait un argument pour réfuter la « productivité » du travail consacré à leur production est sans fondement. D’ailleurs, si ces services n’étaient que « consommés » et leur production était « sans valeur », pourquoi le capital veut-il s’en emparer jusqu’à phagocyter tous ceux qui sont produits artisanalement et tous ceux qui sont encore non marchands ?

Dans un tableau d’échanges inter-industriels, on voit que toute activité est consommatrice d’intrants matériels ou immatériels, mais cela n’implique aucunement une caractérisation sur la nature productive ou non du travail qui en est la source. Et, si le raisonnement de MZ était pertinent, à la limite, une unique branche industrielle consommatrice d’intrants provenant de toutes les autres branches pourrait être considérée comme seule productive dans l’économie. Je pense que cela n’a aucun sens et que la distinction analyse abstraite/analyse empirique ne peut sauver ce raisonnement. Que signifie la succession des propositions comme « un travail salarié qui fournit des services à un capitaliste n’est pas productif dans la mesure où il n’entre pas dans le procès de production de marchandises contenant de la plus-value » (p. 4, souligné par moi) et « ce travail est évidemment utile, et on peut le dire indirectement productif de richesse, si on veut, mais ce n’est pas le problème » (p. 7, souligné par moi) ? Si, c’est le problème justement. Le capitaliste A produit un bien x, le capitaliste B produit un bien y, le capitaliste C produit un service z. A achète y à B et z à C. Selon MZ, chez A et chez B, on produit de la valeur, mais pas chez C, parce que… z est immatériel et ne peut être que consommé et qu’il entrera dans le prix de x ! Et si C achète du x et du y, n’entreront-ils pas comme intrants dans la production de z et dans son prix ? Être intrant n’est-il pas le lot de toutes les marchandises5 ? Et les services achetés ne sont-ils pas par définition des marchandises ?6

La réponse à cette dernière question est donnée par MZ à propos du cas de l’école privée, en contredisant l’intégralité du reste de son texte : « L’enseignement est un service qui transforme les valeurs d’usage qu’achète l’employeur capitaliste en force de travail, tout comme le feraient les parents qui achèteraient gommes, crayons et papier pour former eux-mêmes leur progéniture. Que l’enseignement soit public ou privé ne change rien à l’affaire. Mais dans le second cas, les enseignants sont productifs de valeur pour leur employeur, même si leur produit n’étant pas séparable de leur personne, il n’y a pas de marchandise à la sortie, seulement une valeur d’usage sans valeur d’échange. » (p. 6, souligné par moi). Donc, on aurait un service théoriquement qualifié d’improductif, mais qui serait productif de valeur…, tandis que le capital qui emploie le travailleur produisant le service ayant une valeur serait « oisif » (p. 6). Où est la cohérence ?

Mais ce n’est pas terminé : MZ m’objecte que le fait que la production matérielle soit devenue minoritaire ne peut pas être retenu pour refuser l’idée que l’industrie paie les services majoritaires. Il écrit : « il y a quelques millénaires, la production matérielle représentait 100 % de la production totale, c’est-à-dire que la productivité du travail était égale à un, et puis avec les progrès de ladite productivité, l’humanité s’est offert le luxe de services non marchands, rendus par des sorciers, des chefs, etc., et elle a fini où elle en est aujourd’hui, avec une telle productivité qu’elle peut s’offrir en parallèle des luxes immatériels, les productions d’artistes, d’écrivains, d’auteurs de divers textes plus ou moins utiles, etc. Qu’est ce donc qui empêcherait que le temps nécessaire à la reproduction des forces productives diminue sans cesse ? » (p. 11). Or, la productivité du travail est le rapport de la production à la quantité de travail, et non pas le rapport de la production matérielle à la production totale. De plus, on avait cru comprendre que les services, bien qu’immatériels, entraient dans la reproduction de la force de travail ; or, dans celle-ci, il n’y a plus maintenant selon MZ, implicitement, que les biens matériels. S’il est indéniable que, dans le capitalisme, par le biais notamment des mécanismes d’affectation de la plus-value en fonction de la composition organique du capital, il existe en permanence de la captation de valeur par certains secteurs au détriment d’autres, tout ne relève pas de la captation, sinon on devrait dire que les gigantesques mastodontes de l’internet captent tous leurs profits7 pris sur les lilliputiens que sont devenus par exemple les constructeurs automobiles relativement aux premiers. On peut donc se demander si MZ ne reproduit pas pour l’industrie la problématique de Quesnay, qui voyait toutes les classes stériles hormis les agriculteurs.

Je maintiens donc intégralement le raisonnement que j’ai nommé « passage à la limite », à savoir qu’on ne peut, logiquement, dire qu’une production devenue minoritaire (celle des biens matériels) « paie » la production devenue majoritaire (celle des services). Sauf à tomber dans un autre non-sens : à la limite, un bien matériel paierait (parce que sa production commande de les acheter et de les consommer) tous les autres biens matériels et services. On en vient donc au cœur de notre discussion. Le caractère productif de valeur n’a strictement rien à voir avec la matérialité de la production (ni avec l’« autonomie de la marchandise », p. 5, ou la « séparabilité de la personne », p. 6) et la conclusion de MZ « pour Marx, clairement, l’industrie paie les services, c’est une loi du capitalisme » relève de sa part d’une conception philosophique faussement matérialiste.8 Je ne me prétends pas être détenteur de la « bonne » parole de Marx, et même je considère qu’il ne suffit pas que Marx ait prononcé une parole pour qu’elle soit exacte, mais s’il y a une chose de sûre, c’est qu’il a exclu de sa définition du travail productif le caractère matériel de son résultat. Le critère qu’il retient est celui des rapports sociaux dans lesquels le travail est effectué. Il faut vraiment revenir en arrière, c’est-à-dire à l’économie politique classique, pour considérer la matérialité comme critère de définition du travail productif.9 Autrement dit, faire de la matérialité de l’objet le critère du travail productif, c’est faire de la production de valeur un résultat du travail concret et non pas celui du travail abstrait. Exit Marx ! Et si, pour MZ, il suffit que Marx l’ait dit pour que ce soit exact, alors : « Les caractéristiques matérielles du travail, et par conséquent de son produit, n’ont rien à voir avec cette distinction entre travail productif et travail improductif. Ainsi, par exemple, les cuisiniers et waiters (garçons) d’un hôtel public sont des travailleurs productifs dans la mesure où, pour le propriétaire de l’hôtel, leur travail se transforme en capital. Les mêmes personnes sont des travailleurs improductifs en tant que menial servants (serviteurs) dans la mesure où je dépense du revenu pour acheter leurs services au lieu de créer du capital. Et de fait ces mêmes personnes sont pour moi, consommateur, dans l’hôtel, des travailleurs improductifs. »10 Donc, on reverra plus loin la distinction entre l’argent-capital et l’argent-dépense de revenu, mais la question de la matérialité est tranchée.

D’où mon insistance à souligner le concept de validation sociale du travail dans le passage entre les trois temps du triptyque de la valeur rappelé en commençant. Et, malgré son étonnement vis-à-vis de cette insistance, MZ est bien obligé d’y revenir et d’en convenir : « La caractérisation de productif par Marx n’est pas technique [je demande à MZ alors pourquoi elle serait matérielle ?], mais économique, elle renvoie au rapport social de production dans lequel s’exerce le travail » (p. 7). « C’est le marché qui valide le caractère social du travail acheté par un capitaliste individuel » (p. 2). Mais il oscille constamment entre le caractère social et le caractère concret pour savoir celui qui est déterminant.

Reste alors le problème auquel j’ai essayé de réfléchir et dont j’ai proposé une reformulation en dehors du dogme dominant. Problème largement déminé une fois qu’on a réfuté radicalement la matérialité du produit comme critère de définition du travail productif et qu’on a réaffirmé à la place la validation sociale du travail, la valeur devenant non une caractéristique intrinsèque du produit (thèse totalement étrangère à Marx, car relevant très exactement de ce qu’il appelait le fétichisme), mais une fraction du travail social (j’ajoute souvent « validé » par souci pédagogique, bien que ce soit une redondance car il n’y a de travail « social » que « validé »).

Modèle idéal-typique et société concrète

Je pars d’un constat matériel objectif : à côté de la sphère capitaliste dans laquelle la force de travail exploitée valorise le capital lorsque celui-ci réussit à vendre ses marchandises (validation des décisions capitalistes par le marché), il existe une sphère non marchande dans laquelle la collectivité a décidé d’anticiper l’existence de besoins collectifs, d’investir et d’embaucher pour produire des valeurs d’usage et de la valeur non destinée à grossir le capital, s’ajoutant à celle allant à l’accumulation privée et non pas prélevée sur celle-ci.11 Sacrilège ! Je « révise » Marx ! Je ne sais pas dans quel sens je le révise (le Robert donne trois sens au verbe « réviser »), ni même si seulement je le révise, mais, oui, je révise complètement la tradition qui a été véhiculée depuis Marx pendant un siècle et demi. Parce que s’en tenir aux « faux frais de la production capitaliste » pour parler de l’éducation non marchande ou des soins non marchands ne permet pas de surmonter les apories, c’est-à-dire les impasses logiques, que j’ai relevées. J’ai souvent répété qu’il fallait distinguer le modèle abstrait, idéal-typique, du Capital que dresse Marx au début du Livre I et qui contient la définition du travail productif dans le cadre de ce modèle pur (que je ne « révise » absolument pas et à laquelle je me range totalement), et l’analyse d’une société concrète. Cependant, quitte à pousser le sacrilège jusqu’au bout, que je sache – et ce n’est pas étranger à notre discussion – la théorie de l’État et de ce qui se déroule sous son égide n’est pas ce qui est le plus achevé dans l’œuvre de Marx.

Dès lors, la typologie que j’ai proposée pour élucider le problème laissé en suspens par Smith et aussi, à mon avis, par Marx est susceptible de rendre compte de l’imbrication de rapports sociaux potentiellement différents, au sein même d’une société globalement capitaliste. D’abord, ma typologie ne fait que confirmer ce que Marx disait de la chanteuse embauchée par un capitaliste : elle produit un service et de la valeur pour le capital. Ce n’est pas ce que pense MZ, puisqu’elle ne produit pas un bien matériel. Ensuite, ma typologie aborde le point aveugle de toutes les théories économiques : que produisent les musiciens, les professeurs, les médecins embauchés par l’État, les collectivités territoriales ou l’hôpital public ? Je réponds : de la valeur, au sens d’une fraction du travail socialement validé.

Au final, pour le lecteur qui pourrait croire que tout cela ne serait que rhétorique stérile, les choses pourraient être résumées ainsi : les forces de travail et les ressources matérielles consacrées à produire des services non marchands ne sont plus disponibles pour aller produire des marchandises porteuses de valeur grossissant le capital ; il s’agit donc d’un manque à gagner indiscutable pour le capital, ce qui explique sa frénésie à s’en emparer, mais un manque à gagner ne doit pas être confondu avec un prélèvement sur ce qui est produit par ailleurs. Les impôts sont le prix socialisé des services non marchands, validés dès la décision politique de les faire produire, sous l’hypothèse que les décideurs aient reçu un aval démocratique pérenne.12

Dans le petit texte précédent pour ReSPUBLICA, je n’ai pas abordé une question que j’ai longuement développée dans La richesse, la valeur et l’inestimable : j’approuve l’idée de Marx sur la non-productivité du travail employé par le capital commercial et financier. J’y écris : « Le capital engagé dans la sphère de circulation et tout particulièrement dans la sphère financière, qui emploie pourtant de la force de travail salariée, n’aboutit à la production d’aucune valeur d’usage. Sans valeur d’usage, point de porte-valeur et donc point de valeur. Les services rendus dans la phase de circulation du capital sont, il est vrai, utiles à la classe capitaliste dans son ensemble puisqu’ils permettent au système de mieux se reproduire en facilitant la rotation du capital. Mais à aucun moment ils ne sont des marchandises présentant à la fois les deux formes décrites par Marx : objets d’utilité et porte-valeur. Ils n’interviennent pas dans le procès de production des marchandises, mais ils interviennent dans le procès de reproduction du capital et leur fonction est d’aider à transformer les marchandises en capital-argent. […] Le “commerce d’argent” n’a donc que l’apparence d’un commerce de marchandise : ce commerce, où s’échange de l’argent aujourd’hui contre un peu plus d’argent demain, n’est fondé que sur la possibilité qu’il offre ensuite d’acheter des valeurs d’usage (que ce soit celle des produits ou celle de la force de travail) ou bien de posséder de la liquidité en vue d’un usage ultérieur. C’est une des manifestations du fétichisme de l’argent que d’attribuer à celui-ci le même statut qu’aux autres marchandises. L’argent n’est pas porte-valeur comme les marchandises ordinaires, il est valeur, sous-entendu valeur déjà réalisée ou anticipée. »13

2. Valeur et monnaie

Dès l’instant où l’on a défini la valeur par le travail social validé, et que cette validation trans-forme travail abstrait et valeur en argent, il est nécessaire d’examiner le statut de la monnaie. À cette occasion, on reverra que l’assimilation capitalisme, monnaie et marché est fausse.

Deux valeurs ? Une monnaie

Michel Zerbato écrit que, parce que j’analyse et nomme deux modes de validation de la valeur, l’une, dominante, par le marché, l’autre, minoritaire, par décision politique14, je ne dirais pas quel rapport social existerait dans la sphère non marchande. J’ai longuement répondu à cette question15 : ce rapport social pourrait être dit hybride, car la force de travail qui y est employée s’échange dans un rapport marchand, tandis que son résultat (les services) est non marchand. Mais l’important est de considérer que c’est l’emploi de la force de travail qui est décisif : ce rapport est-il marchand, bien qu’il n’engendre pas de plus-value ? Le salaire des fonctionnaires est monétaire et il est fixé politiquement, en fonction de normes et de rapports de force ; mais on pourrait en dire autant du salaire des travailleurs employés par le capital, qui n’est le pas simple résultat d’une confrontation entre offre et demande, puisque beaucoup de normes, de règles et de confrontations sociales l’entourent. Aussi, je penche pour analyser l’emploi de la force de travail dans la sphère non marchande comme faisant partie du rapport social marchand. D’où la complexité de ce rapport monétaire marchand appelé à engendrer des services monétaires non marchands.16 Et MZ se trompe quand il croit déceler que j’analyse ce rapport comme non marchand et que « de l’argent est généré par un rapport social non marchand, c’est tout de même une nouveauté théorique d’importance ! », dit-il ironiquement (p. 8). L’ironie est que je ne fais que reprendre l’idée que la monnaie dépasse le capitalisme. Venons-en à celle-ci.

La critique monétaire essentielle de MZ porte sur le fait que je rendrais homogènes deux types de valeur provenant de deux sphères incommensurables. La critique m’intéresse, car j’ai fondé ma critique socio-écologique du capitalisme sur l’incommensurabilité de la sphère monétaire et de la sphère non monétaire.17 Or, ici, il s’agit de la coexistence de la sphère monétaire marchande et de la sphère monétaire non marchande. Cela veut dire que MZ ne distingue pas les deux niveaux conceptuels suivants : monétaire/non monétaire et marchand/non marchand.18 Ce problème de vocabulaire pourrait être aisément dissipé s’il ne renvoyait pas à une assimilation que toute l’anthropologie et l’histoire ont balayée : le capitalisme ne se confond ni avec le marché, ni avec la monnaie. Fernand Braudel nous a appris beaucoup de choses à ce sujet.19

Michel Zerbato se dit surpris (p. 9) que j’écrive « la valeur comme une représentation monétaire du travail socialement validé » parce qu’il y voit la prémisse que « puisque toute somme d’argent exprime une quantité de travail social20, donc de valeur, et puisqu’on paie les fonctionnaires avec de l’argent, c’est qu’ils ont produit la valeur qu’exprime cet agent » (p. 9). Eh bien, MZ voit très bien. Et s’il refuse la proposition, c’est parce que, pour lui, la monnaie s’identifie à la stricte sphère capitaliste. On ne sort pas de ce raisonnement que je considère comme erroné.

Il s’ensuit que la coexistence d’une sphère marchande et d’une sphère non marchande à l’intérieur même d’une société globalement capitaliste est rendue possible par l’existence d’une et d’une seule monnaie. C’est la monnaie qui homogénéise les travaux effectués dans des sphères au sein desquelles le mode de leur validation est différent. Cette commensurabilité n’est pas « postulée » comme me le dit MZ, elle est inscrite au cœur du concept de monnaie. Pour le dire autrement, s’il y a un postulat, il se situe au niveau de la monnaie, dont la nature ambivalente lui est consubstantielle : la monnaie est bien privé et bien public. La fonction socio-économique de la monnaie est donc d’homogénéiser l’ensemble des travaux effectués dans la société et donc de rendre possible la circulation de leurs fruits. Comment MZ et moi-même pourrions nous recevoir une pension de retraite si des prélèvements n’étaient pas effectués sur l’ensemble du produit des travailleurs, et cela est vrai pour tous les retraités, quelle que soit la caisse dans laquelle les cotisations des travailleurs sont concentrées (Sécurité sociale, caisses des indépendants, budget de l’État…) ?

La conclusion de MZ est donc conforme à son point de départ : on ne peut pas produire de la valeur économique hors de la sphère capitaliste (p. 10). Mais conclure en répétant l’hypothèse n’a jamais valu démonstration. Et MZ croit m’objecter que les impôts prélevés ex post supposent une validation ex ante de l’activité qu’ils vont payer21, ce qui suppose un consentement démocratique à payer l’impôt. Mais c’est précisément ce que j’ai écrit un nombre incalculable de fois et que MZ pourra vérifier.

Financement et paiement des activités

Pratiquement toute la littérature économique, et par suite tout le langage courant, parlent des impôts comme « finançant » les dépenses publiques. Cette appellation est impropre. Et c’est la problématique du circuit de l’économie monétaire de production, d’inspiration marxienne et keynésienne, qui permet de le montrer. MZ comme moi nous référons au schéma qui indique que le système bancaire avance l’argent au secteur productif pour impulser l’investissement, l’embauche et la production. Dirait-on que les acheteurs d’automobiles financent la production de celles-ci ? Non, car elle est financée par les avances de capital en investissements et salaires, avances dont la croissance sur le plan macro-économique est permise par la création monétaire. Les achats des consommateurs permettent de transformer en monnaie la valeur marchande ajoutée par le travail et les capitalistes réalisent une plus-value. Les collectivités publiques effectuent des dépenses : les unes sont de simples achats à des entreprises privées (ex. : construction d’une route), les autres correspondent à une production non marchande. S’agissant de celle-ci, les collectivités publiques, anticipant non pas des débouchés fructueux comme les entreprises mais des besoins sociaux, effectuent ces dépenses en investissant, en embauchant et impulsent alors la production non marchande. Quel rôle joue l’impôt vis-à-vis de celle-ci ? Il est le paiement socialisé de l’éducation, de la santé, de la justice… Le contribuable ne « finance » pas plus le fonctionnement de l’école ou de l’hôpital que l’acheteur d’automobile ne « finance » les chaînes de montage. Car le financement est préalable à la production, que celle-ci soit marchande ou non marchande. Et le paiement, privé ou socialisé, lui est postérieur. En d’autres termes, la redistribution des revenus ne correspond pas à une redistribution de la valeur ajoutée de l’économie marchande, mais de la valeur ajoutée dans l’ensemble de l’économie.

Pourquoi MZ s’offusque-t-il du fait que mon raisonnement laisse entrevoir une critique de la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne (p. 10) ? Serait-il impossible, en théorie, de concevoir que la banque centrale crée de la monnaie pour financer des investissements publics si nécessaire ? C’est MZ lui-même qui renonce en fait à la distinction ex ante/ex post qu’il croyait m’opposer : « la validation sociale est dans le vote du budget des administrations publiques, et les institutions financières n’ont rien à anticiper, du moins tant que le consentement à l’impôt est acquis ». Le consentement à l’impôt est indispensable, il intervient lors de la décision collective de produire une non-marchandise, mais nous discutons ici du moment de l’acquittement de l’impôt qui est ex-post.22

MZ voit les impôts et cotisations sociales uniquement prélevés sur les salaires et profits du secteur marchand (p. 13). Les fonctionnaires n’en paieraient-ils donc pas, leurs salaires étant en quelque sorte prélevés par avance en amont ? Ou alors, pourquoi faudrait-il prélever deux fois les mêmes impôts : une fois pour rémunérer les fonctionnaires et une autre fois pour partie sur ceux-ci ?

Venons-en à la distinction entre dépense de capital et dépense de revenu. Cette distinction court de Smith à Marx sans interruption. Alors, oui, sur ce point, j’assume de réviser le dogme. D’abord, éclaircissons une chose simple, sinon triviale : tout salaire versé est une dépense pour l’employeur, qu’il soit privé ou public. Dans un cas, il achète une force de travail productrice de plus-value pour le capital ; dans le second, il achète une force de travail non productrice de plus-value pour le capital. « Toute dépense de salaire est dépense de revenu » (p. 13), dit MZ. Bien sûr, mais ce n’est pas une dépense de revenu-valeur préexistant ; c’est une dépense de revenu-valeur engendré par l’activité. Sinon, on raconterait une fable analogue à celle de Jean-Baptiste Say et de ses successeurs néoclassiques sur l’épargne préalable.

Où est le problème théorique ? On est revenu au point de départ. Le problème n’existe que si on postule valeur  capitalisme  rapport marchand. Ces identités sont intenables au regard de l’histoire humaine et de l’histoire des rapports sociaux. Ces identités ne se vérifient que dans le modèle idéal-typique du capitalisme. CQFD. Et l’adoubement nous est donné par Marx lui-même, qui a constamment distingué procès de travail en général et procès de travail capitaliste. Et MZ aura beau répéter que « comme toute dépense de salaire est dépense de revenu, c’est une dépense improductive, à tous les sens du terme, absolu (il n’y a pas de production de richesse matérielle, mais plutôt destruction [j’ai déjà réfuté l’assimilation de la richesse à la matière, et montré que toute production consomme des intrants]) et économique relativement au mode de production capitaliste (il n’y a pas de production de plus-value [évidemment, ce n’est pas cela qui est en discussion !]) » (p. 13), cela ne changera rien à la réalité complexe d’une société capitaliste, qui fonctionne avec une seule monnaie mais en aucune manière de la façon saugrenue où selon moi « chaque sphère produi[rai]t son argent, argent-capital ou argent-revenu » (p. 13), car la monnaie est créée par le système bancaire, anticipant (plus ou moins bien) les besoins du système productif, celui-ci, qu’il soit marchand ou non marchand, engendrant de la valeur sous condition de validation sociale.23

La sentence de MZ est sans appel : ma formulation est « habile, parce qu’une lecture rapide assimile cette valeur aux valeurs d’usage dont il est question, des valeurs d’usage qui sont bien une valeur pour la collectivité mais pas au sens économique, c’est-à-dire du point de vue de la valorisation du capital » (p. 16). Voilà donc le point de départ et le point d’arrivée de MZ réunis : l’économie se résume à la sphère de la valorisation du capital. Nous sommes en désaccord sur ce point. Et quand MZ ajoute : « De plus, c’est méconnaître la théorie monétaire de penser, comme Proudhon, que la banque centrale pourrait fournir gratuitement et ad libitum l’argent correspondant », on se demande où il a trouvé le ad libitum dans mes contributions.

3. Peut-on tirer des conclusions politiques ?

Le texte de MZ se termine en m’adressant une dernière critique. Toute ma « prose » n’aurait d’autre but que de légitimer un projet politique. Si MZ veut dire qu’il y a toujours un certain rapport entre des enjeux théoriques et politiques, il a raison. D’ailleurs, ce ne serait que conforme à l’exhortation de la fameuse XIe Thèse sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières ; ce qui importe, c’est de le transformer. »24 Mais il n’y a pas de raison de penser que la piste théorique que j’explore serait une pure construction rétroactive à partir d’un but politique prédéterminé.

Enjeux théoriques et politiques

Voici un exemple d’articulation entre les deux types d’enjeux. MZ écrit : « la sphère non marchande échappe certes à la loi de l’accumulation du capital, mais son opposition à la logique du capital la lie dialectiquement à cette même logique, dans une relation conflictuelle qui la lie et l’y soumet en même temps. » (p. 13). Exact ! Mais j’ajoute que, si la sphère capitaliste soumet grandement toutes les sphères de la société à sa logique, elle ne pourrait sans doute pas exister sans elles, et en particulier sans celle maîtrisée par la collectivité pour fournir nombre de services qui ne sont « gratuits » qu’en apparence. La dialectique, ça marche dans les deux sens. Je sais que Polanyi n’est pas toujours en odeur de sainteté chez les marxistes très orthodoxes, mais il voyait sans doute assez juste quand il disait que la marchandisation totale de la société serait mortifère pour celle-ci.25

Un projet politique de quelle nature ?

Il s’ensuit que la caractérisation par MZ que tout projet politique cherchant à borner et restreindre radicalement la logique du profit et au contraire à élargir la sphère non marchande serait un « objectif politique petit-bourgeois » (p. 13-14) relève de la polémique plus que de l’analyse scientifique. Je me garderais bien de récuser le projet politique exprimé par MZ de « réduire les inégalités sociales » de façon à ne pas déclasser les classes moyennes et puis aussi les classes populaires.26 Bien que les classes moyennes soient curieusement citées en premier, ce projet politique très réformiste, où la sortie du capitalisme est absente, est tout de même fondé en termes de transition et de rupture avec la période néolibérale. Dans un texte plus ancien, MZ analysait ainsi la possibilité d’une « économie administrée » : « L’avenir de l’économie administrée dépend de la capacité à soumettre le marché à la délibération démocratique. Cet avenir sera socialiste si une articulation de la démocratie par rapport au social (problème de la citoyenneté), dans l’entreprise, dans la sphère monétaire, dans le monde, etc., permet aux hommes de se réapproprier le politique et de faire leur histoire en sachant comment. »27 Quoi de plus réformiste démocratique (petit-bourgeois-classe moyenne ?) que ce plaidoyer humaniste, que je peux faire mien parce qu’il est assez réaliste ? De plus, de mon point de vue, la limitation de la sphère capitaliste entre dans le cadre de l’arrêt de l’extension du régime de la propriété privée pour, au contraire, étendre les biens publics-collectifs-communs28. Le problème qui reste à surmonter concerne les formes politiques que revêtira la socialisation.

Dans le commentaire « politique » que m’adresse MZ, il me donne raison sur la critique que je porte aux thèses du cognitivisme ou du revenu d’existence, alors qu’elle n’est qu’un prolongement du concept de validation sociale du travail, simple manière de rendre accessible un concept a priori plus difficile à cerner, à savoir le travail abstrait.29 Je lui accorde qu’il pose une question intéressante : « pourquoi, par exemple, exclure de ce champ le travail bénévole dans des associations diverses, culturelles, sportives, etc. » (p. 16). J’ai moi-même posé ailleurs cette question et y ai répondu, notamment pour critiquer le revenu d’existence : tant que des activités réalisées par des bénévoles restent du domaine privé, elles échappent par définition à la validation sociale qui est d’ordre collectif.

Production et soutenabilité

Un dernier différend, qui relève sans doute d’un malentendu, doit être levé. Dans la « digression » par laquelle MZ termine son texte, il dénonce « l’illusion d’une société de services » (p. 16-17). Mais cette illusion n’est pas mienne. À aucun moment je n’ai laissé entendre qu’une société pouvait se passer d’industrie. J’ai même souvent répété qu’il ne fallait pas confondre la conceptualisation du travail productif avec le constat du lieu où les gains de productivité du travail étaient les plus importants. Il est certain que ces gains sont généralement beaucoup plus grands dans l’industrie que dans la plupart des services, et que les gains qui pouvaient être réalisés dans ces derniers sont largement dus aux équipements provenant de l’industrie. C’est ainsi que je me suis démarqué des travaux d’un côté de Postone et de l’autre des cognitivistes comme Negri ou même Gorz.30 La critique conjointe du capitalisme et du productivisme à laquelle j’ai contribué est basée justement sur la dénonciation de l’illusion que la soutenabilité du développement pourrait être bâtie sur cette utopie impossible d’une société exclusivement de services. Une dernière fois, je répète qu’écarter la matérialité de la production comme critère de définition du travail productif ne signifie en rien une négation de la production matérielle.31

Conclusion

Sans vouloir à tout prix employer de grands mots, cette discussion de fond qui dépasse celle que j’ai en ce moment avec Michel Zerbato, puisque d’autres auteurs s’en sont également saisis, est finalement d’ordre épistémologique. Pour ma part, je trouve une cohérence entre les principes suivants :

  • Le matérialisme n’est pas un économicisme qui supposerait une absence de dialectique d’une part entre les forces productives et les rapports sociaux et d’autre part entre infrastructure et superstructures.
  • La matérialité du produit ne définit ni le statut de marchandise, ni la création de valeur.
  • La théorie de la valeur de Marx n’est pas fondée sur les caractères intrinsèques de l’objet, mais sur le type et l’état des rapports sociaux. D’où l’importance de la validation sociale dans l’articulation valeur d’usage/valeur/valeur d’échange.
  • La société ne se réduit pas à l’économie et l’économie ne se réduit pas à sa partie capitaliste, pas plus que, historiquement, l’économie ait toujours été capitaliste.
  • Ni le marché, ni la monnaie ne sont assimilables au capitalisme. Comme toute valeur économique est monétaire, il s’ensuit que le périmètre de la production de valeur ne se réduit pas au périmètre de valorisation du capital, sauf dans le modèle idéal-typique du capitalisme.
  • Le champ ouvert à la valorisation du capital n’obéit à aucun mécanisme naturel ou déterminé automatiquement par une force immanente à la logique de ce champ. Corrélativement, le champ d’activités de la société soustraites à la logique du capitalisme est le résultat d’un choix politique. La frontière entre les deux est affaire de rapports de force entre les classes sociales.
  • C’est bien parce que cette frontière résulte d’une confrontation sociale qu’il reste une possibilité de continuer de penser et de préparer un dépassement de la logique capitaliste.

 

  1. C’est cette version longue que je suis pour répondre ici. []
  2. J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013. Michel Zerbato n’est pas le premier avec qui j’ai discuté de cette question : on pourra se reporter notamment au débat ancien avec Jacques Bidet ou, plus récemment, avec Antoine Artous, avec une suite. []
  3. Je reviendrai plus loin sur le début et la fin de cette phrase, je me concentre d’abord sur son cœur : valeur et richesse. []
  4. Voir par exemple : K. Marx, Le Capital, Livre I, Œuvres, Gallimard, La Pléiade, tome I, 1965 p. 571 ; Critique du programme du parti ouvrier allemand, Œuvres, op. cit., tome I , p. 1413 ; Le Capital, Livre III, Paris, Éditions Sociales, 1974, tome 3, p. 195, ou dans Œuvres, op. cit., 1968, tome II, p. 1430. []
  5. Les biens et services de consommation finals entrent dans la reproduction de la force de travail. []
  6. Comment ne pas s’interroger devant cette phrase de Marx : « En revanche, employé par son marchand, le service que le même ouvrier tailleur rend à ce capitaliste réside dans le fait qu’il travaille douze heures et n’est payé que pour six. Par conséquent, le service qu’il rend consiste à travailler six heures gratuitement » (Matériaux pour l’économie, La Pléiade, II, p. 396, note ? Un surtravail de « service » de six heures ne générerait-il pas une plus-value, donc une valeur ? []
  7. Je ne parle pas de leur capitalisation boursière qui est du capital fictif. []
  8. Je n’ai pas la place ici de développer l’idée que l’infrastructure d’un mode de production n’est pas constituée seulement des forces productives, mais des forces productives et des rapports de production dans lesquels les premières sont mises en œuvre. []
  9. Par exemple, chez T.R. Malthus, Principes d’économie politique considérés sous le rapport de leur application pratique, 1820, Paris, Calmann-Lévy, 1969, p. 13 et 14 : « Le fait est, véritablement que, si l’on ne tient pas compte de la matière en définissant la richesse, il n’est possible d’établir aucune ligne de démarcation distincte, ni de la tracer avec quelque profondeur ; on doit alors en exclure cette masse d’objets immatériels qui rendent la signification du terme entièrement confuse et imposent l’obligation de ne jamais parler, avec quelque précision, de la richesse des différents individus ou des différentes nations. Si donc, avec M. Say, nous voulons faire de l’économie politique une science positive fondée sur l’expérience et susceptible de donner des résultats précis, il faut prendre le plus grand soin d’embrasser seulement, dans la définition du terme principal dont elle se sert, les objets dont l’accroissement ou la diminution peuvent être susceptibles d’évaluation ; et la ligne qu’il est le plus naturel et le plus utile de tracer nettement est celle qui sépare les objets matériels des objets immatériels. […] Un pays sera donc riche ou pauvre, selon l’abondance ou la rareté des objets matériels dont il est pourvu, relativement à l’étendue de son territoire ;  et un peuple sera riche ou pauvre, selon l’abondance ou la rareté de ces mêmes objets, relativement à sa population. » []
  10. K. Marx, Théories sur la plus-value, Livre IV du Capital, 1861-1865, Paris, Éditions sociales, tome I, 1974, p. 169. Dans La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit., p. 385, je cite longuement le passage où Marx explique, à propos des services de transports, que la création d’une valeur d’usage est une condition nécessaire à leur caractère productif (Le Capital, Livre II, 1885, dans Œuvres, Paris, Gallimard, La Pléiade, tome II, 1968, p. 583-584). []
  11. MZ me fait dire que ce travail dans les services non marchands « produit de la valeur (donc de la plus-value) » (p. 9). J’attribue ce contresens (« donc de la plus-value ») à l’inattention ou au lapsus mais qui est parfaitement réussi comme disait Lacan. []
  12. MZ me reproche de dire que les impôts sont prélevés sur un PIB déjà augmenté du fruit de l’activité non marchande parce que je confondrais abstraction et notion empirique. Je lui dirais qu’il arrive que le regard empirique serve à vérifier des abstractions hasardeuses. Et que continuer à assumer l’idée que le PIB ne devrait comptabiliser que le produit matériel ne me paraît pas relever d’une conceptualisation très solide. Si on suit MZ, la comptabilité nationale ne devrait additionner que les valeurs ajoutées par les entreprises capitalistes produisant des biens, mais on aurait un peu de peine à établir l’égalité (hors solde extérieur) entre produit, revenu et dépense. []
  13. La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit., p. 384-386. On peut vérifier que j’examine ensuite dans ces pages le rôle que joue le crédit. []
  14. À deux lignes d’intervalle (p. 7), MZ écrit que je ne « nomme par le mode de validation du travail dans la sphère non marchande », puis me cite : « c’est la décision collective de faire produire des services non marchands ». []
  15. Si MZ avait ne serait-ce que feuilleté mes ouvrages, il y aurait vu cette réponse que je n’avais pas précisée dans un petit texte de deux pages adressé à Respublica. Et je plaide coupable pour ne pas y avoir anticipé cette remarque. []
  16. Il n’est pas possible ici d’examiner en quoi cette dualité pourrait être une figure du couple « marché/organisation » que théorise Jacques Bidet dans ses nombreux ouvrages. Il en présente une synthèse dans « Le Capital, comme économie et théorie de la société moderne », Les Possibles, n° 5 et 6, automne 2014 et hiver 2015, 1ère partie et 2e partie. []
  17. C’est l’objet de La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. []
  18. Pourquoi, le plus souvent, ne précise-t-on pas que la sphère marchande est monétaire ? Parce qu’elle l’est obligatoirement : l’échange marchand suppose la monnaie. Tandis qu’il existe des produits non marchands qui ont une évaluation monétaire et des produits non marchands non monétaires (le fruit du travail domestique, ou du travail bénévole, par exemple). []
  19.  Voir entre autres, F. Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985. []
  20. On remarquera que MZ dit la même chose que ce qui le surprend chez moi. []
  21. Je dis « payer » et non pas « financer » pour une raison que j’examinerai plus loin. []
  22. Je passe sur l’idée, parce qu’elle demanderait un développement encore long, que l’investissement net au niveau macroéconomique exige une création monétaire, idée que je crois être aussi celle de MZ. []
  23. MZ me reproche de ne pas distinguer travail social et travail collectif (p. 12). Qu’il n’y ait pas un malentendu de plus : je raisonne au plan macro-socio-économique, je ne m’occupe pas ici de l’organisation du travail dans l’entreprise qu’évoque MZ. Je me sens donc fondé à tenir, sur le plan qui m’intéresse, les deux adjectifs pour synonymes. []
  24. K. Marx, 1845, Œuvres, Paris, Gallimard, La Pléaide, tome III, 1982, p. 1033. []
  25. K. Polanyi, La grande transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, 1944, Paris, Gallimard, 1983. []
  26. M. Zerbato, Entretien pour l’UFAL. []
  27. M. Zerbato, « L’économie administrée : une alternative au libéralisme ? », Économie et politique, mars avril 2000. []
  28. J.-M. Harribey, « Pour une conception matérialiste des biens communs », Les Possibles, n° 5, Hiver 2015. []
  29. MZ me dit que le Marx original suffit pour disqualifier les thèses d’A. Orléan (p. 15). Mais, si MZ acceptait de prendre connaissance du travail critique que j’a réalisé sur ces thèses-là « La valeur, ni en surplomb, ni hors-sol », Revue de la Régulation, n° 10, 2e semestre 2011, repris dans La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit, il verrait immédiatement que c’est sur la base du strict Marx que je l’ai menée. D’ailleurs, Orléan ne s’y est pas trompé : « Réponse à Jean-Marie Harribey ». []
  30. Voir J.-M. Harribey, « Ambivalence et dialectique du travail, Remarques sur le livre de Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale », Contretemps, n° 4, 4e trimestre 2009, p. 137-149 ; et La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. []
  31. On serait curieux de voir comment MZ intègre la question de l’écologie dans la problématique de la valeur. On en reparlera quand il commentera, s’il en a l’envie, La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. []
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J-M Harribey sur le travail productif : entre incompréhension et imposture

par Michel Zerbato

 

D’entrée, le titre surprend : “épistémologie du travail productif “. Diable ! une nouvelle discipline du savoir ? Et puis, réflexion faite, il s’agit d’une métonymie : dans le langage familier, voire journalistique, on peut boire un verre, le contexte signifiant quel est le contenu, mais scientifiquement parlant, on boit le contenu précis du verre. L’épistémologie étant la science du savoir, il s’agit donc ici de l’analyse critique des méthodes d’obtention du savoir sur le travail productif. JMH semble donc souhaiter reprendre notre discussion sur ce terrain, mais c’est précisément celui sur lequel je m’étais situé pour lui répondre. Peut-être ne s’en est-il pas rendu compte, parce que ce n’est pas sur celui-là qu’il répond à son tour.

Dans un échange de mails consécutif à ma critique de son « retour sur le travail productif », il m’avait indiqué vouloir prolonger notre débat, et je lui avait signifié que pour moi le débat était clos, ne voyant pas sur quelle base il pourrait bien se poursuivre : « je ne vois pas comment tu pourrais fonder ta position [théorique] sur l’analyse du travail productif que fait Marx […] puisque Marx a répondu par la négative, de manière claire et nette, à la question du caractère productif du travail salarié dans les services publics [et] si tu veux continuer à te réclamer de Marx, tu dois le critiquer sur sa cohérence interne, afin d’arriver à “déceler des contradictions” chez lui. » Il persiste à vouloir débattre, hé bien, « des-bâtons » !

Je rappelle que l’objet de ma réponse à JMH était de montrer épistémologiquement pourquoi il ne pouvait pas s’appuyer sur Marx pour soutenir sa thèse1. Refusant évidemment mes arguments, ignorant délibérément les citations de Marx sur lesquelles je me suis abondamment et rigoureusement appuyé, JMH revient à la charge en développant un propos tortueux qui étale une profonde incompréhension de la méthode de Marx et de ses concepts, qu’il prétend lui emprunter pour élargir leur champ d’application, un propos qui procède par détournement systématique, probablement involontaire, du sens de mes phrases pour parvenir à la conclusion posée d’avance et qu’il prétend établir sur une base marxiste (l’épistémologie moderne qualifie cette démarche de téléologique et s’accorde à l’opposer à toute démarche scientifique). Je pense avoir déjà clairement et solidement établi l’inanité de ce projet pseudo marxiste et je ne vais pas revenir sur l’ensemble de ce nouveau texte qui n’apporte rien de plus que le précédent, si ce n’est qu’étant plus long, il développe davantage de « formulations surprenantes » et donne donc plus de bâtons pour se faire battre. Je ne m’arrêterai ici que sur le premier point qu’il discute, concernant richesse et valeur, cela suffira largement.

• Premier des bâtons : la valeur n’est plus la forme abstraite de la richesse

Selon JMH, p. 2, s’il est vrai que « les marchandises sont le produit du travail social », c’est « à une nuance près », parce « que cela ne résume pas tout le travail social ». Il réitère vers le bas de la page : « la valeur n’est pas une forme de la richesse, mais d’une partie de la richesse ». Ainsi, selon lui, quand j’écris, citations à l’appui, que « Chez Marx, l’argent étant une forme de la valeur, elle-même forme abstraite de la richesse, la quantité d’argent mesure la quantité de travail de production de cette richesse socialement validé », j’assimilerais valeur et richesse.2

En fait d’assimilation3, ce que me reproche JMH c’est de mesurer la richesse par la valeur, ce qui est tout de même la base même de l’analyse marxiste du rapport richesse-valeur, que j’avais rappelée, citations à l’appui : la valeur est la quantité de travail social (abstrait) qui a produit la richesse, c’est-à-dire les marchandises, qui sont des valeurs d’usage dotées d’une valeur d’échange, elle-même fraction de la valeur sociale. Dans la formation sociale capitaliste, la « société bourgeoise » de Marx, la valeur des marchandises est donc une mesure (sociale) de la richesse (sociale) qu’elles constituent.

Si JMH soutient d’emblée que la valeur ne mesure qu’une partie de la richesse, c’est parce qu’il est essentiel pour lui, c’est toute sa thèse, de pouvoir ajouter à la richesse marchande, mesurée par la valeur, la richesse produite par le travail dans les services non marchands, mesurée par le revenu de ce secteur, car il sait très bien que cette richesse n’a pas de valeur, puisque seule la richesse produite en vue de produire du capital est valeur. Il y a donc chez JMH deux sortes de travail productif, celui acheté par le capital, qui produit de la valeur et donc de la plus-value, et celui acheté par la collectivité, qui produit du revenu, deux sortes de travail salarié, donc, tous deux productifs de quelque chose qui est homogène mais valeur-capital pour l’un, revenu pour l’autre.

Quoi qu’en aie JMH, et comme je l’ai déjà rappelé aussi, on ne trouve rien de cela chez Marx : j’ai montré, citations à l’appui, que chez lui cette chose homogène c’est tout simplement le travail social, qui fait la substance de la valeur et qui se manifeste dans l’argent, qui est le même pour acheter la force de travail de tous les salariés, du secteur privé comme du secteur public. Alors, pour payer les fonctionnaires et leurs moyens de production (non marchande), la « collectivité » peut prélever l’impôt sur tous ses membres, indistinctement. Cet argent prélevé est une forme d’une partie du travail social, c’est-à-dire de la valeur créée dans la production de marchandises socialement validées, il est capté pour payer les faux frais de production ou de consommation (les divers services, marchands ou non marchands) et il vient en déduction de la plus-value.

Ainsi, Marx n’ignore pas les services non marchands que la « collectivité » lui impose d’acheter, et quand il réfléchit sur la notion de travail productif, il peut affirmer haut et clair qu’un fonctionnaire, même salarié, par exemple un mercenaire, ne sera jamais productif pour autant (cf les citations dans ma précédente réponse).

• Deuxième des bâtons : le sophisme de composition qui enrichit celui qui consomme

Toute la thèse de JMH repose sur le postulat que tout produit d’un travail salarié socialement validé est constitutif de la richesse sociale, richesse-valeur pour les services marchands, richesse-revenu pour les services non marchands. C’est ce qui explique qu’il veuille absolument que la richesse puisse ne pas être matérielle, afin de pouvoir qualifier de productif (de richesse-revenu) le travail dans les services. Et cela explique aussi qu’il ne puisse pas accepter l’idée que le travail dans les services détruise de richesse matérielle : la perte de valeur se compenserai avec le gain de richesse-revenu apporté par ce travail.

C’est pour cela que JMH doit affirmer que le fait de transformer une richesse en une autre est une production de richesse nette, sans destruction des moyens et objets du travail : ainsi, pour JMH, l’artisan qui transforme des valeurs d’usage (de la glaise, de l’eau, de la teinture, etc.) en une autre (un magnifique pot) produit de la richesse. Ce qui est indiscutable, mais JMH « oublie » que ce faisant il en détruit aussi, assimilant cette production à celle du capitaliste qui produit plus de richesse qu’il n’en détruit en faisant travailler plus longtemps que nécessaire pour (re)produire la force de travail et les moyens de production, richesse nette mesurée par la plus-value4. JMH peut alors ajouter la richesse produite par les services à celle produite par l’industrie. Applaudissons l’artiste qui sort le lapin du chapeau !

En bonne épistémologie, ce qui est vrai de l’un ne l’est pas de tous (et inversement), c’est ce qu’on appelle le sophisme de composition, qui consiste à étendre au tout les propriétés de ses parties5. Si un agent de l’économie produit une richesse nouvelle, elle est un plus au niveau dudit agent, mais il a détruit celles qu’il a utilisées et qu’ont produites d’autres agents, sauf s’il s’agit de travail productif de richesse nette, donc de plus-value. Ce qui n’est pas le cas des services non marchands.

Cela dit, si on suivait JMH dans son idée, il faudrait donc considérer que la destruction de valeurs d’usage pour fournir un service constitue un enrichissement de l’acheteur dudit service, ce qui revient à considérer que la dépense du revenu enrichit celui qui le dépense ! Voilà qui est pour le moins paradoxal. Si l’on suit Marx, au contraire, le salarié qui dépense son revenu en nourriture, breuvage, habillement, etc., dépense en fait la forme argent de la valeur de sa force de travail précédemment vendue et détruite en l’exerçant. En consommant les valeurs d’usage achetées, il reconstitue sa force de travail, qu’il pourra ultérieurement vendre afin de reproduire son revenu, etc. Ledit salarié ne s’enrichit pas dans ce cycle d’utilisation de sa force de travail, c’est le capitaliste qui s’enrichit, parce qu’il achète une marchandise dont l’usage produit de la valeur nette, celle des marchandises produites étant plus grande que celle des marchandises nécessaires à la reproduction du travailleur.

Ainsi, quand un particulier taille un pantalon pour son propre besoin, il consomme du tissu, du fil, etc, et à la fin de ce travail domestique, une nouvelle valeur d’usage, le pantalon, remplace les précédentes ; s’il préfère, parce qu’il peut se le permettre, faire appel à un artisan tailleur, c’est ce dernier qui transforme le tissu et le fil en pantalon, en les détruisant pareillement. Il n’y a globalement pas plus de richesse à la fin, simplement le particulier s’est épargné un effort domestique nécessaire pour se reproduire en tant que personne (et éventuellement en tant que vendeur de force de travail, s’il s’agit d’un salarié) et en contrepartie, une partie de son revenu est passée dans la poche du tailleur, qui la dépensera pour sa propre consommation (achat de tissu, de fil, et de moyens de subsistance). Le travail de service de transformation de la matière hors du procès de production capitaliste ne produit ni valeur ni richesse globale supplémentaire, il change simplement les qualités sensibles des valeurs d’usage, c’est-à-dire la forme concrète de la valeur, même dans le cas où ce travail est socialement validé par l’achat du service.

Le cas du service immatériel, tel ceux liés à « la formation des esprits » par l’enseignement, par exemple un professeur de musique, est plus proche de la pure consommation finale, puisqu’il détruit de la richesse-valeur sans en créer de nouvelle6.

Quant au fait que le service soit marchand ou non marchand, cela ne change rien à l’affaire, que je l’achète parce que j’en ai besoin/envie ou que je l’achète parce que « la collectivité » m’y oblige, cela ne change rien à sa nature de service, c’est-à-dire de valeur d’usage attachée à la personne qui le rend et donc par nature individualisée. Un service n’est pas une marchandise, parce qu’il n’est pas fongible (comme diraient un juriste) et qu’il ne peut donc pas faire l’objet d’un marché.

• Troisième des bâtons : la dialectique de JMH dichotomise le travail et la marchandise

L’approche quelque peu boiteuse de JMH ne cherche pas à découvrir la réalité des choses en appliquant les concepts élaborés par Marx, elle vise simplement à les utiliser formellement pour donner un vernis scientifique aux « formulations surprenantes » de son précédent texte pour étayer sa thèse que la richesse globale se compose de la richesse marchande, qui apparaît sous la forme valeur(-capital), et d’une autre richesse, non marchande, qui apparaitrait sous la forme (valeur-) revenu, les deux pouvant s’additionner sans autre forme de procès. C’est ainsi que selon JMH on ne peut pas « assimiler » valeur et richesse, la différence quantitative entre ces deux notions provenant de la richesse à cause de la richesse issue du travail dans les services, non marchands en particulier. Ainsi cette proposition : « on doit dire que le tailleur [à son compte] produit une richesse […] et  se poser la question de savoir s’il produit une valeur » ; j’ai déjà précisé, citations à l’appui, ce que Marx a répondu il y a bien longtemps déjà.

Le tour de passe-passe de JMH repose sur ce qui ressemble à une totale incompréhension de l’épistémologie de Marx (autre métonymie), qui l’empêche de distinguer correctement les différents niveaux d’abstraction qu’elle implique. Ainsi, il échoue à lier travail concret et travail abstrait, production de richesse et production de valeur, séparant de fait ces deux niveaux d’abstraction, alors que Marx les lie dialectiquement. Tel le monétariste dichotomisant le rapport réel-monétaire, faisant de la monnaie un simple instrument des échanges, JMH dichotomise la marchandise. Comprend-il que la mesure de la richesse par la valeur n’est pas physique mais sociale ? Marx a bien expliqué que l’accroissement de la force productive du travail (concret) peut accroître la quantité de valeurs d’usage sans que la quantité de valeur (sociale) croisse, voire même en la réduisant7.

Par exemple, il me reproche (p. 2) d’écrire que « la valeur d’usage fonde la valeur d’échange », au motif que, écrit-il, « la valeur d’échange n’est pas « fondée » sur sa valeur d’usage, sauf à voir dans « fondée », la motivation de la produire, mais en aucun cas sa mesure ». Bien évidemment qu’il s’agit de la motivation de produire, Marx y a consacré tout le début de son Capital, et la méprise serait risible si ce n’était aussi affligeant : notre apprenti épistémologue assimile fonder et mesurer, alors que même « un enfant sait »8, pour peu qu’on lui ait offert un dictionnaire, que fonder c’est « Faire reposer, appuyer quelque chose sur un fondement solide, sûr ; le rendre plus ferme, le renforcer : Asseoir sa réputation sur la compétence. » (Larousse) ou « Faire reposer, asseoir, établir quelque chose sur quelque chose : Sur quoi fondez-vous vos critiques ? »

De même, JMH me reproche d’écrire que le travail concret du tailleur est improductif de valeur tandis que ce même travail exécuté en tant que salarié d’un capitaliste est productif de valeur, parce que désormais productif de plus-value. Fait-il une fois encore semblant de ne pas comprendre que je ne fais que paraphraser Marx, citations à l’appui9 ? JMH insiste : « le travail concret produit des valeurs d’usage, mais l’analyse de la valeur relève d’une autre conceptualisation : la valeur est du travail rendu abstrait par l’échange marchand ». Ainsi travail concret et travail abstrait relèveraient de deux conceptualisations différentes ! Il faudra alors dire où la méthode de Marx ressemble à cela. Toujours la même dichotomie concret-abstrait, toujours le même déni de la réalité matérielle à la base de concepts ainsi vidés de tout contenu concret. Le point II. du premier chapitre du Capital s’intitule « Double caractère du travail présenté par la marchandise » : la conceptualisation est clairement unique, mais dialectique10. Mais JMH doit en passer par là, c’est ce qui lui permet de réduire l’économique aux rapports sociaux et le travail productif à la validation sociale du travail salarié.

• Quatrième et dernier des bâtons : le sophisme de division qui rend impossible l’auto-valorisation d’un capital individuel sans création de richesse sociale nette

Mérité par cette question sublime de naïveté : « Comment le capital s’auto-valorise-t-il sans qu’il y ait de valeur sociale ajoutée ? » Où apparaît le sophisme de division, qui n’est que l’inverse du précédent : ce qui est vrai du tout l’est de ses parties. Ici, JMH semble ne pas pouvoir imaginer qu’un capitaliste puisse valoriser son argent en s’appropriant une partie de la plus-value produite par d’autres, c’est-à-dire que la plus-value globale puisse être redistribuée entre capitalistes individuels. Le jeu du marché, c’est-à-dire des rapports de force liés au pouvoir de marché des uns et des autres, y contribue structurellement, c’est l’origine des monopoles et des profits liés aux situations de rente.

Mais, ainsi que l’ai déjà précisé dans ma précédente réponse à JMH, et qu’il semble nécessaire de le répéter, le cas du capital autonomisé dans la fourniture des services est de cet ordre, particulièrement le capital commercial et le capital financier, qui se valorisent par prélèvement d’une part du profit industriel. Le capital productif (industriel) ne peut pas fonctionner sans ces services, ce qui leur donne le pouvoir de prendre leur part : le profit global est partagé entre profit industriel, commercial et financier (l’intérêt). La propriété foncière donne droit à la rente, et les services publics, non marchandisés, sont payés par l’impôt.

Le capital commercial se charge des services de mise sur le marché (stockage des marchandises, transports, réclame, etc.) en achetant les marchandises au producteur à un prix inférieur au prix de marché et se rémunère sur la différence ; le capital financier se charge des services liés à l’avance du capital et se rémunère en prélevant l’intérêt. Autrement dit, ces fractions du capital se valorisent en rendant des services qui ne participent en rien à la production de marchandises, donc de la valeur et de la plus-value. Pourtant distributeurs, banquiers et financiers valorisent allègrement leur capital. JMH réitère son sophisme de composition, ne comprenant pas, ou ne voulant pas comprendre, que le capitaliste individuel peut faire du profit sans nécessairement participer à la production du profit global, tels le capitaliste commercial et le capitaliste financier qui se servent sur la bête industrielle, comme Marx le développe abondamment, notamment au Livre III du Capital.

Dans sa note 6 p. 3, JMH cite Marx qui explique comment le tailleur dont j’ai parlé plus haut peut être productif de valeur, et donc de plus-value, pour son employeur quand il est salarié, mais il ne comprend pas que ce travail ne produit pas de marchandises : «  les services achetés ne sont-ils pas par définition des marchandises ? » Hé bien non, la réponse est non, car ce n’est que dans l’économie vulgaire que l’on achète des services, pas chez Marx : « Le service n’est que l’effet utile d’une valeur d’usage, que celle-ci soit marchandise ou travail. »11. Ainsi, l’artisan vend non son service, non le pantalon qu’il a fabriqué en se servant de sa force de travail. Ainsi, le capitaliste qui a acheté la force du tailleur dispose des services que peut rendre le tailleur salarié : concrètement, tailler des pantalons ; abstraitement, produire de la valeur, donc de la plus-value.

De même, la « collectivité » n’achète pas les services que fournit le fonctionnaire salarié, elle achète sa force de travail, mais le fonctionnaire ne produit pas de marchandises, sa « production » étant immatérielle et non marchande, et son travail n’est pas productif (de valeur, donc de plus-value). De même encore, quand j’achète (pure hypothèse) les services12 d’un tailleur payé à façon ou d’une cuisinière à demeure, ces services, ni ne sont, ni ne produisent, des marchandises : je ne vendrai ni le pantalon taillé à ma mesure, ni le repas fait pour moi ; j’ai acheté ses services qui ne sont pas des marchandises et qui n’ont pas produit de richesse supplémentaire.

Ainsi que je l’avais indiqué, citations à l’appui, un service attaché à la personne qui l’achète n’est pas une marchandise car il n’est pas séparable de ladite personne, tandis qu’une marchandise est une « chose » séparée de son possesseur, dont il peut « s’emparer », par la force » ou par contrat.13 Un service est une valeur d’usage sans valeur d’échange, ce qui ne l’empêche pas d’avoir un prix. La valeur d’usage de la marchandise est dans la chose matérielle qui répond à un besoin, la valeur d’usage d’un service est dans la personne qui le rend, elle est vendable, mais n’est pas échangeable, elle peut avoir un prix,

Pour conclure

Dans mon précédent commentaire, j’avais fait crédit à JMH de partir correctement des bases analytiques de Marx, et j’avais supposé que son raisonnement avait bifurqué quelque part. Mais c’est plus grave, parce qu’il apparaît maintenant que s’il connaît les mots de Marx, il ne maîtrise pas les concepts qu’ils désignent. Je pensais qu’il tordait plus ou moins sciemment son raisonnement pour arriver à son objectif, déculpabiliser les fonctionnaires de la crise sans la renvoyer à la nature contradictoire du capitalisme (faire croire que le collectivisme peut se développer en parallèle revient à ça). Finalement, je m’interroge, il est possible qu’il croie vraiment faire œuvre d’analyse théorique alors qu’il ne produit que des sophismes trompeurs et dangereux pour le peuple, qui partent certes d’un bon sentiment, déculpabiliser les fonctionnaires, qui ne sont en effet pas responsables de la crise du capital et des difficultés de financement des services publics et de la protection sociale qui en résultent, mais qui les laisse croire qu’il ne s’agit que d’une mauvaise gestion du système, que l’on peut gérer le capitalisme autrement, le volontarisme politique pouvant neutraliser les lois économiques.

Au vu de ces deux premières pages, il est clairement inutile de poursuivre plus avant le commentaire de ce texte, tout est du même tonneau, loin de la possibilité d’un débat, car il n’est pas possible ici de confronter des idées consistantes. Quand je demande quel est le mode « de production monétaire non marchande », JMH me reproche de n’avoir pas lu ses ouvrages, mais si c’est une excuse, elle est puérile ou l’indice d’une incapacité à développer une argumentation suivie, car, désolé, quand je commente un texte, je me fonde sur ce qui est écrit, par sur ce qui est peut-être écrit ailleurs et que je ne suis pas tenu de savoir.

Je précise enfin que ce n’est pas par dogmatisme que je rejette les pseudo notions présentées comme « nouveautés théoriques » : je ne dis pas que parce que Marx l’a dit, c’est vrai, je regarde ce que Marx a écrit et je conclus qu’en conséquence certaines « nouveautés » ne peuvent pas se réclamer de Marx, c’est tout, ou alors il faut me montrer en quoi mon raisonnement est fallacieux. Et cela sans recourir à des notions ad hoc, telle la cette étrangeté absolue qu’est sa sphère monétaire non marchande productrice de revenu, impossible à définir dans les termes du matérialisme historique. Ou alors il faut me montrer que Marx s’est trompé. Mais JMH n’est manifestement pas décidé à s’y atteler, préférant nourrir un sacré paradoxe : prendre le meilleur de Marx et de Keynes pour nier la baisse tendancielle du taux de profit qui explique chez la deux la crise structurelle du capitalisme qui fonde les politiques d’austérité.

Par contre jamais JMH ne discute mes citations de Marx qui vont à l’encontre de sa thèse, jamais il ne discute méthodiquement mes arguments, il les ignore, se contentant d’essayer d’expliciter, en simplement le répétant, son précédent propos, comme si je ne l’avais pas compris, cela afin de pouvoir continuer son chemin comme si de rien n’était. Par exemple, quand il affirme que la richesse n’est pas toute matérielle, que les services vendus sont des marchandises, et autres fariboles, on ne peut que lui conseiller à nouveau de (re)lire les premières pages du Capital, où Marx écrit, dès la deuxième : « Les valeurs d’usage […] forment la matière de la richesse, quelle que soit la forme sociale de cette richesse. »14 J’en avais donné d’autres, on peut s’y reporter (« Il n’est de richesse que matérielle », etc.) et si JMH pense que cette idée est fausse, et cela se peut, il lui faut, en toute logique, soit le montrer à partir de la méthode de Marx, soit renoncer à la soutenir d’un point de vue qui se réclame de cette méthode.

Incompréhension des arguments de l’autre ou refus de les prendre en compte de la part de JMH, il m’est impossible d’aller plus avant dans cette parodie de débat.

NOTES

1 Il s’agit ici pour moi d’établir que la tentative de JMH de situer son argumentation dans le prolongement de Marx est fallacieuse, pas d’établir la fausseté de sa conclusion, même si les deux peuvent aller de pair, car vouloir déduire celle-ci de celle-là ne ferait qu’un sophisme de plus (argumentum ad logicam).

2 Je supposerai ici prend assimiler au sens d’identifier et non de « saisir par la pensée un objet de connaissance et l’intégrer à son propre fonds intellectuel ; acquérir des connaissances nouvelles » (Larousse).

3 Quoi qu’il en soit, mesurer n’est pas assimiler. Qui a fait un peu d’épistémologie élémentaire des mathématiques distingue la surface d’un arpent en tant qu’extension dans deux dimensions de l’espace et l’arpent en tant que la mesure de sa superficie ; de même qu’il distingue la largeur comme extension dans une dimension de l’espace et la longueur de cette largeur, en tant que résultat de sa mesure, bien qu’il l’appelle aussi sa largeur.

4 J’ajoute ici au mot richesse l’adjectif nette, bien que le contexte en ôte tout besoin au lecteur de bonne volonté.

5 Paul Anthony Samuelson, poutant pape de la théorie néoclassique moderne, dénonçait déjà ce sophisme en économie dans les années quarante. Je l’expliquai aux étudiants en leur disant que si l’un d’entre élevait la voix pour mieux se faire entendre de son voisin, il entendrait mieux, mais les autres seraient gênés, élevant la voix à leur tour, moi y compris, jusqu’à ce que plus personne ne puisse se faire entendre. Je légitimais ainsi mon exercice de l’autorité par la nécessité d’éviter la perte de productivité de mon travail payé par la collectivité.

6 Le travail domestique de production de la force de travail est un travail privé, hors la sphère économique, et il ne peut en aucune manière créer de la valeur sociale, tout au plus un revenu potentiel si la force de travail est vendue ; mais c’est l’utilisation de sa valeur d’usage, le travail concret, qui produit le revenu. (Non bis in idem.)

7 Cf Le Capital, I , 1, e.g. p. 55. Ou Pléiade, I, p. 857.

8 Sur le modèle de l’expression de Marx : « un enfant sait que toute société qui cesse le travail, cesse de vivre ».

9 Quoi qu’il en soit, on lui conseillera d’aller faire un tour dans un atelier quelconque, en faisant bien attention aux prises électriques, il y verra que le travail abstrait se présente au premier abord comme un travail bien concret, il y verra que la production de marchandises demande de la sueur, et parfois du sang et des larmes.

10 Le Capital, I , 1, p. 59 sqq ; , e.g., p. 61 : « Il n’y a pas à proprement parler deux sortes de travail dans la marchandise, cependant le même travail y est opposé à lui-même suivant qu’on le rapporte à la valeur d’usage de la marchandise comme à son produit, ou à la valeur de cette marchandise comme à sa pure expression objective » […] De même que la marchandise doit avantout être une utilité pour être une valeur, de même le travail doit avant tout être utile pour être censé dépense de force humaine, travail humain, dans le sens abstrait du mot ». » Bel exemple de dialectique.

11 Le Capital, I , 1, pp. 192-3. Et en bas de page, Marx cite sa propre Critique de l’économie politique : « On comprend le genre de service que la catégorie service doit rendre à une espèce d’économistes comme J-B Say ou F. Bastiat ».

12 Je rappelle que par synecdoque, Marx parle fréquemment du prix d’un service au lieu du prix de la marchandise dont la valeur d’usage a pour effet utile ce service, par exemple quand il parle du prix du travail, du travail gratuit, etc. (cf ma précédene réponse à JMH).

13 Le Capital, I , 1, p. 95.

14 K. Marx, Le Capital, Livre I, tome 1, Éditions sociales, 1948, p. 52.

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Un coup de gueule d’Audrey B.

par ReSPUBLICA

 

« Il fait froid aujourd’hui. Ça doit être dur pour les migrants, les gosses, à Calais. Mais bon, on ne peut pas faire grand-chose. » Paris 27 février 2016.
Eh bien si, nous pouvons Tout ou bien changeons le fonctionnement de notre société ! Comment avons-nous réussi à construire une société qui fonctionne de sorte qu’un nombre si important de ses citoyens n’ait pas de place ? Est-ce que cela ne devrait pas être l’unique souci de notre société ? Alors soit nous pouvons faire quelque chose soit nous changeons ce qui ne permet pas de trouver une solution honorable.
Voudrait-on nous faire croire que ce sont eux les responsables ? Responsables de quoi ? De vouloir vivre dignement ?
Voudrait-on nous faire croire que c’est trop compliqué pour trouver des solutions, qu’il n’y a pas d’alternatives ? Que celles et ceux qui pensent autrement n’ont pas une vision complète du problème ? Si tel est le cas, changeons tout, tout ce qui ne permet pas de construire des solutions dignes et pérennes pour que tout le monde puisse vivre dans des conditions décentes.
Changer ça veut dire perdre … pour certains ? Sûrement, mais allons-nous choisir encore longtemps de vivre en catégories opposables : ceux qui mangent et ceux qui ne mangent pas, ceux qui dorment dans un berceau et ceux qui dorment sur un sac poubelle ? Et si moi en tant que personne assise au chaud dans mon salon je ne veux pas perdre ce salon douillet, je veux bien que la société trouve des solutions pour m’amener à perdre ce que j’ai en trop au profit de ceux qui n’ont pas assez.
Je veux que ma société serve à cela. Et je veux que les personnes qui ont en charge de faire fonctionner notre vie collective cherchent et trouvent des alternatives non pas pour déplacer les gens et les questions mais pour leur offrir un contrat social.
Alors pour rester sous l’éclairage rousseauiste, quand renversons-nous cet état social fondé sur un faux contrat qui n’est qu’un rapport de force déguisé, violent, dégradant les hommes pour se rendre enfin vers une société et des lois telles qu’elles pourraient être, c’est-à-dire légitimes, sûres et justes, fondées sur un vrai contrat (accord des volontés) ? Quand est-ce que notre état social nous permettra d’affirmer l’homme naturel, l’homme du contrat social, contrairement à l’homme de la nature, qui peut porter à la perfection ses capacités naturelles au lieu de les pervertir ?
J’attends cela de ma société.
« Au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue, au contraire, une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » Rousseau, Du Contrat social, L.I, ch.IX
Faut-il également se rappeler que la soumission au souverain est toujours conditionnelle ? Ce n’est pas une aliénation des droits naturels mais un simple dépôt. En conséquence, si le gouvernement n’est pas fidèle à sa fonction, le peuple a le droit d’exiger un renversement économique, social et démocratique. Un autre ordre des choses.
Ecoutons l’humanité qui résonne en nous, en chacun de nous. Pourquoi s’acharner avec un modèle qui ne remplit pas le contrat de base ?
Je n’exige pas des responsables qu’ils déposent les armes et rendent leur pouvoir pour que d’autres le récupèrent et recommencent la même chose.
J’exige des responsables qu’ils inventent avec nous, qu’ils mettent à profit notre intelligence collective pour imaginer cet autre ordre des choses, cette autre manière de faire fonctionner notre collectif.
Dois-je aussi évoquer cette image insensée qui défile aux informations télévisées montrant comment la France se dote d’armes plus perfectionnées pour assurer la sécurité ?
Dois-je ajouter que la prolongation de l’état d’urgence n’est pas une réponse politique, elle est absence de vision et de réponse globale ?



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