Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste
  • Débats politiques
  • ReSPUBLICA
  • lettre 830

Révolution !

par Évariste

 

Voilà un mot qui avait une signification précise pendant deux siècles : celle d’un changement radical de système politique. Aujourd’hui, c’est le titre du dernier livre d’Emmanuel Macron qui propose des changements pour que rien ne change. Pourquoi cette transformation radicale du sens d’un mot ? Y-a-t-il d’autres mots qui ont subi cette mutation ? Peut-on mener une transformation sociale et politique conséquente sans réfléchir sur les causes de ces changements de signification ? N’y-a-t-il pas un lien entre ces changements de signification des mots et la succession d’indignations sélectives sans suite qui traverse l’opinion publique aujourd’hui ?

Que sont devenus les mots forgés par le mouvement ouvrier et par la dynamique républicaine ?

Remarquons que tous les mots tels que révolution, république, démocratie, laïcité, solidarité, liberté, etc., ont subi ces mêmes changements sémantiques.

Ce qu’on appelle aujourd’hui démocratie est ce qu’on appelait pendant la Révolution française le gouvernement représentatif anti-démocratique. Sieyès, Mounier, les chantres de cette dernière définition s’opposaient alors à Condorcet qui lui définissait la démocratie sous ses quatre conditions révolutionnaires. Des élections, sans les trois autres conditions, ne constituaient pas pour lui la démocratie. Eh bien aujourd’hui, c’est la définition de Sieyès et Mounier qui devient la norme de la démocratie. Ce qui a permis à Charles Pasqua de dire en substance que les promesses des « politiques » pour se faire élire n’engagent que ceux qui y croient. Et les croyants sont aujourd’hui légion !

Idem avec « la solidarité » que beaucoup ne différencient plus de la charité des doctrines sociales des églises.

Idem avec l’acceptation du mot « république » tout en laissant bafouer tous ses principes constitutifs.

Idem avec la laïcité, dont aujourd’hui chacun peut construire sa propre définition,  même antagonique de celle du voisin. Alors qu’au moment du combat pour la loi de 1905, Jaurès et le pape avaient la même définition du mot, le premier étant pour et le second contre. Aujourd’hui de l’extrême gauche à l’extrême droite, tout le monde se dit laïque mais il n’y a plus de définition commune.1

Les mots forgés pour la lutte et les ruptures sociales et politiques ont donc été retournés contre leurs auteurs. Voilà ce qu’est une victoire de l’hégémonie culturelle néolibérale !

L’indignation promue comme valeur suprême

La perte de substance des mots forgés par le mouvement ouvrier, par la révolution, par la dynamique républicaine s’accompagne d’un autre phénomène complémentaire. Aujourd’hui, combien de fans se bousculent pour apprécier les conférenciers qui s’indignent pour que rien ne change ? Tous courent de l’une à l’autre mais refusent d’en chercher les causes et de répondre à la question du «  Que faire ? » pour changer les choses. Voilà une des raisons qui maintient un système en crise systémique.

Plusieurs centaines de milliers de ventes pour le livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous ? » alors que ce livre ne délivre aucune piste sur les causes des injustices et ne propose aucune réponse à la question « Que faire ? ». Combien d’interventions stigmatisant le recul des droits des femmes et le maintien du patriarcat sans en chercher les causes qui les produisent et reproduisent ? Combien de discours sur la perte de substance de notre droit face au droit anglo-saxon sans en déterminer les causes et les actions nécessaires pour le combattre ? Combien de discours nostalgiques sur les combattants d’hier sans montrer leurs analyses et les actions qu’ils ont conduites ? Combien de discours contre la pauvreté, contre la misère, contre les assassinats, contre les injustices, contre ceci et contre cela ?

Rechercher les causes réelles ultimes et répondre à la question du « Que faire ? » devient un impératif catégorique !

Serait-ce lié à un recul de l’esprit scientifique que de ne jamais se poser la question des causes et du « Que faire » ? Doit-on abandonner aux simplistes, aux simples volontaristes, aux obscurantistes de tout poil, aux graines de fascisme le soin de remplacer les vraies causes réelles ultimes par des boucs émissaires et de répondre à la question du « Que faire ? » par des prééminences surplombantes simplistes et inefficaces !

Il faut aujourd’hui sortir du paradoxe d’un monde de plus en plus injuste qui se maintient parce que beaucoup de ceux qui s’indignent continuent à soutenir ceux qui sont les gérants du système dominant.

En rester à l’indignation en refusant de débattre sur les lois tendancielles du capitalisme qui influent de plus en plus sur nos vies est une impasse.une simple indignation tout en se gaussant de la recherche des causes réelles ultimes ne veuillent pas le changement mais juste un supplément d’âme pour se dédouaner d’être les idiots utiles du système !

Une simple indignation est totalement inefficace, car le relativisme culturel qui a permis le décervelage et l’oubli des mots forgés par les luttes passées n’a pu devenir culturellement hégémonique que parce que c’était l’intérêt du mouvement réformateur néolibéral.

A moins que ceux qui en restent à une simple indignation tout en se gaussant de la recherche des causes réelles ultimes ne veuillent pas le changement mais juste un supplément d’âme pour se dédouaner d’être les idiots utiles du système !

Agir efficacement est plus facile à dire qu’à faire mais il faut bien commencer par là

D’abord, il convient de ne pas se laisser bercer et se satisfaire de la floraison des indignations sans suite. Ensuite, il s’agit bien sûr de se poser la question des causes réelles et ultimes par des analyses concrètes de situations concrètes, de la société que nous voulons (le modèle politique), de la ligne économique, sociale et politique à suivre, de la stratégie à mettre en place, et bien sûr du sujet révolutionnaire autour duquel la marche vers l’émancipation peut s’ordonner.

Mais là aussi, il faut dégager le bon grain de l’ivraie sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous avons déjà effectué à plusieurs reprises la critique des positions que nous estimons erronées : à savoir les lignes altermondialiste, néo-keynésienne, volontaristes, etc. ou encore les stratégies de connivence électorale avec les néolibéraux de gauche. Le dernier article en date des altermondialistes néo-keynésiens maintient la confusion2. Cet article persiste à minimiser la nécessité de la prise du pouvoir pour changer les choses (« la prise de pouvoir n’est plus la condition sine qua non » de la transformation sociale et politique) tout en disant qu’il est illusoire de « croire que les classes dirigeantes se laisseront grignoter petit à petit ». Le paragraphe conclut « nous sommes plus aujourd’hui dans une stratégie gramscienne que léniniste ». Soit, mais la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle chère à Gramsci est justement nécessaire à la prise du pouvoir indispensable pour mener la transformation sociale et politique.

L’auteur estime enfin que le prolétariat n’est plus le sujet révolutionnaire de la transformation sociale et politique et conclut avec l’idée qu’un mouvement d’émancipation ne peut donc être que « non classiste » et hétérogène. On comprend mieux pourquoi le fait qu’environ 60 % des ouvriers et des employés (ouvriers et employés représentant en tout 53 % de la population) s’abstiennent aux élections ne l’affecte guère. La poutre qu’il a dans l’œil ne lui permet pas de voir que c’est une des principales raisons de ce que les commentateurs médiatiques appellent improprement la droitisation de l’électorat. Pire, il justifie l’abandon de l’idée que la position du prolétariat est importante en disant que les luttes féministes, écologiques, etc. doivent être prise en compte. Comme si on ne pouvait les prendre en compte qu’en diminuant l’importance du prolétariat ! Que par le passé, la question féministe ou la question écologique ou tout autre question n’ait pas été prise en compte à la hauteur nécessaire ne permet pas de conclure que l’on ne puisse pas la prendre en compte sans négliger ceux qui subissent le plus, et massivement, l’exploitation dans les rapports de production capitalistes.

Cette position altermondialiste largement développée au sein du défunt « Front de gauche » va bien sûr de pair avec la croyance européiste selon laquelle une position progressiste au sein de l’Union européenne et de la zone euro reste possible. Ou encore avec la négation de la nécessité de tenir compte des lois tendancielles du capitalisme pour agir. Ou encore avec la sensibilité aux positions anti-laïques et réactionnaires des Indigènes de la république favorables au communautarisme anglo-saxon.

De plus, cette tendance altermondialiste très développée dans la gauche de la gauche et dans le défunt « Front de gauche » – malgré ses fiascos successifs et ses échecs patents (comités anti-libéraux, Front de gauche, perte de centaines de milliers d’électeurs, etc.) – ignore l’autocritique et continue de développer les idées perdantes.

Il y a encore loin de la coupe aux lèvres

Voilà pourquoi nous estimons que la transformation sociale et politique a besoin d’un triptyque « parti, syndicat, éducation populaire ». Pour le parti, il convient de penser comment passer de l’insoumission à l’émancipation. Pour le syndicat, sans doute convient-il de mieux rassembler le syndicalisme revendicatif pour être plus efficaces dans les luttes sociales. Mais tout ce qui précède montre qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique sans prioriser l’éducation populaire pour permettre la victoire d’une nouvelle hégémonie culturelle.

  1. Ce qui fait que ceux qui restent attachés à la définition historique du mot se voient obligés de combattre les trois dérives de ce mot : l’ultra-laïcisme anti-laïque fortement représenté à droite et à l’extrême droite, la laïcité d’imposture fortement représentée à gauche et à l’extrême gauche et la laïcité néo-concordataire des gouvernements néolibéraux de droite et de gauche! []
  2. Article de Pierre Khalfa paru dans le numéro hors série de Politis (n° 65 décembre 2016) « Révolution(s) » []
Ecologie
Rubriques :
  • Ecologie
  • ReSPUBLICA
  • COP21
  • COP22
  • lettre 830

La COP22 et l’alibi « Trump » pour masquer l’absence de résultats probants sur les politiques climatiques

par Michel Marchand

 

La COP22 de Marrakech devait trouver les moyens d’appliquer le programme de la COP21 de Paris qui a vu la signature d’un accord international non contraignant adopté à l’unanimité. Une étape qui s’est avéré bien laborieuse, alors que les prévisions de dérèglement climatique dépassent déjà ce qui était attendu1 et que cette nouvelle conférence coïncide avec l’élection d’un nouveau président des États-Unis, Donald Trump, qui a décrété que le réchauffement climatique était un « canular », « un concept inventé par la Chine pour affaiblir l’industrie manufacturière américaine », position que ne désapprouverait pas Marine Le Pen qui déclarait il y a peu « je ne suis pas sûre que l’activité humaine soit l’origine principale du phénomène ». Durant la campagne électorale américaine, Donald Trump a affiché sa volonté d‘annuler l’Accord de Paris. Ce ne sera pas la première fois que les États-Unis dénonce un accord international ; en 2001, lors de la COP7 qui se tenait également à Marrakech, Georges W. Bush décidait ne pas ratifier le Protocole de Kyoto adopté quatre ans auparavant, mettant en pratique la fameuse déclaration de Georges H. Bush père « on ne négocie pas le mode de vie américain ». L’effet « Trump » n’est-il qu’un prétexte pour expliquer le peu de résultats de la COP22 ? Faut-il chercher ailleurs ? Quels enseignements à en tirer au plan international et au niveau national au moment des élections françaises en 2017 ?

Les promesses de la COP21 de Paris et les résultats de la COP22

L’Accord de Paris fixe un objectif de stabilisation du réchauffement climatique « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels » et si possible à 1,5°C pour répondre à la demande des États les plus vulnérables, notamment de pays insulaires menacés par l’élévation du niveau de la mer. Cet objectif ambitieux est basé sur les contributions volontaires de l’ensemble des pays (et non plus les seuls pays industrialisés au temps du Protocole de Kyoto) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Au moment de la COP21, le bilan des contributions volontaires des États conduisait à un réchauffement climatique aux alentours de 3°C d’ici la fin du siècle. L’accord de la COP21 engage tous les États à réduire leurs émissions de GES, mais sans contraintes puisqu’il ne prévoit aucun mécanisme de sanctions. L’aide aux pays les plus vulnérables, estimée à 100 milliards de dollars par an, est confirmée par l’Accord de Paris mais l’engagement reste flou, ne clarifiant ni la nature, ni la répartition de l’aide entre fonds publics et fonds privés. Enfin, l’Accord de Paris refuse d’aborder la question des droits humains qui reste hors champ climatique. Ils sont bien sur énoncés dans le texte de l’Accord (droit des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, droit à la santé, à la sécurité alimentaire), mais seulement dans son préambule, donc sans caractère juridiquement contraignant.

Il n’est donc pas étonnant de voir si peu de résultats à la COP22 de Marrakech. Pourtant la conférence commençait sous de relatifs bons auspices : les émissions mondiales de CO2 se sont stabilisées sur les trois années 2014, 2015 et 2016 (résultats des travaux d’un consortium scientifique Global Carbon Project), ce qui marque une rupture par rapport à la forte progression des émissions au cours de la décennie 2004-2013 (+2,3 % par an) ; la progression annuelle ne serait que de +0,2 % en 2016. Ce tassement est dû à la relative sobriété charbonnière des deux plus gros émetteurs de la planète (44 % des émissions mondiales), la Chine (- 0,7 %) et les États-Unis (- 2,6 %). A l’inverse l’Union européenne (+ 1,4 %) et surtout l’Inde (+ 5,2 %) sont à la hausse. Mais cette relative bonne nouvelle doit être tempérée par le fait que le tassement des rejets carbonés n’empêche pas que les GES continuent à s’accumuler dans l’atmosphère. La stabilisation des émissions mondiales de CO2 est un signal positif sur le front du climat mais elle s’avère loin de suffire aux objectifs climatiques définis par l’Accord de Paris.

Les autres aspects de la COP22 ne répondent pas aux engagements de la COP21 : l’aide aux pays du Sud (100 milliards de dollars par an) n’a pas connu d’avancée notable. Des sujets importants comme l’agriculture sont renvoyés à plus tard. Tout est renvoyé en fait en 2018 à la COP24 prévue en Pologne, avec ce commentaire pour le moins désinvolte attribué à Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique pour la France « on sonne la fin de la récré en 2018, avec en plus un premier bilan des actions ». La COP22 de Marrakech a donc été seulement le point de départ pour transformer en actions les promesses faites à Paris. Donald Trump n’est donc pour rien dans cette situation d’enlisement et c’est la COP24 en 2018 qui sonnera l’heure de vérité de l’Accord de Paris.

Rappel sur les objectifs recherchés en matière de politiques climatiques

Les objectifs affichés peuvent être formulés de différentes façons ce qui implique des actions plus ou moins volontaires à court terme : réduction des émissions de GES par rapport à une année de référence (Protocole de Kyoto, « facteur 4 » en France) ou concentration de CO2 dans l’atmosphère à ne pas dépasser (limitation de l’effet de serre) ou accroissement de température à ne pas dépasser. Ceci peut être résumé sur une échelle de concentration de CO2 dans l’atmosphère exprimée en parties par million (ppm) :

  • 280 ppm : niveau de concentration pré-industriel,
  • 350 ppm : seuil critique le plus prudent à adopter pour éviter les dommages du réchauffement climatique,
  • 400 ppm : concentration actuelle du CO2 dans l’atmosphère, accroissement de la température moyenne mondiale de + 1,2°C,
  • 450 ppm : limite admise pour ne pas dépasser un accroissement de + 2°C
  • 550 ppm : doublement par rapport au niveau pré-industriel et accroissement de + 3°C
  • 650 ppm : seuil optimal dans l’analyse coût-bénéfice, avec un accroissement de + 4°C
  • >1000 ppm : accroissement de plus de 10°C, risque de disparition de la civilisation humaine

Libre-échange et changement climatique

Quelle que soit la nature de l’objectif choisi, la COP21, comme les précédentes, ignore la contribution du commerce international (aviation civile, fret maritime) pour lutter contre le changement climatique. Cette position est en conformité avec la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 dont l’article 3.5 stipule « … Il convient d’éviter que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques, y compris les mesures unilatérales, constituent un moyen d’imposer des discriminations arbitraires et injustifiables sur le plan du commerce international, ou des entraves déguisées à ce commerce ». Tous les ingrédients pour consolider le système économique actuel qui contribue aux changements climatiques (productivisme, croissance, prédominance du commerce sur les droits sociaux) sont présents dès l’origine et de facto dans l’Accord de Paris.

Le climat et le néolibéralisme

Au lendemain de la COP21, un précédent article publié dans ReSPUBLICA  (6 janvier 2016) s’intitulait « le climat devra s’adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique ». Antonin Pottier, auteur de l’ouvrage « Comment les économistes réchauffent la planète », essai à la fois brillant et pédagogique, va dans le même sens et met en cause la logique de la pensée économique néolibérale dominante qui a envahi l’espace public et politique2 pour expliquer l’échec des politiques climatiques. Il rappelle que cette pensée est bâtie autour de deux représentations, d‘une part celle du comportement de l’être humain, individu autonome et rationnel qui n’est motivé que par son seul intérêt et que l’on qualifie sous le terme Homo œconomicus, d’autre part une représentation politique et sociale structurée autour d’un marché auto-régulé par la fameuse main invisible chère à Adam Smith. Les individus sont les éléments qui constituent la société et le marché en est le ciment qui assure la cohésion de l’ensemble.

Pour réduire les émissions de GES, les économistes ont deux voies d’approche. Plutôt qu’évaluer les coûts de réduction des émissions de GES en recherchant la meilleure trajectoire possible pour répondre à l’objectif recherché (ici un accroissement de la température inférieur à 2°C), ce que l’on qualifie sous le terme analyse coût-efficacité, la pensée économique néoclassique préfère aborder le sujet par l’analyse coût-bénéfice. Celle-ci recherche la solution où les coûts supportés n’ont de sens qu’au regard des bénéfices qu’ils apportent, en tendant vers la solution optimale signifiant la maximisation des bénéfices. Le coût correspond en fait à un surcoût pour fournir un service sans émettre de GES et le bénéfice correspond aux dommages évités par l’absence d’émissions de GES. Les dommages sont à la fois marchands (pertes de production) et non marchands (disparition de paysages, d’espèces emblématiques comme l’ours polaire…). Les pertes de production marchandes peuvent être évaluées en considérant différents secteurs économiques, ceux indépendants du climat (productions manufacturières, services commerciaux, administrations), ceux modérément sensibles aux conditions climatiques (loisirs, production d’énergie) et ceux très exposés aux changements climatiques (agriculture, pêche, exploitation forestière).

Les résultats des différentes études sur la base de l’analyse coût-bénéfice indiquent que le réchauffement climatique est aux yeux des économistes libéraux un phénomène anodin. Il est bénéfique pour un réchauffement faible entre 1 et 2°C. Les dommages sont inférieurs à 5 % du PIB mondial avec un accroissement de température proche des 5°C. A 8°C, ils approchent de 6 % du PIB et doublent si l’on intègre les dommages non marchands. Un dommage économique qui se révèle bien faible en comparaison par exemple de la crise de la dette en Grèce qui a provoqué une diminution de 25 % du PIB entre 2007 et 2014 ! Pour la plupart des analyses coût-bénéfice, le réchauffement climatique optimal dépasse les 4°C ! De tels raisonnements économiques  ignorent les effets du réchauffement climatique sur les sociétés humaines : bouleversement de sociétés fragiles, migrations liées à la dégradation de l’environnement, multiplication d’États faillis incapables d’assurer leurs missions de base (ex. la Somalie), etc. L’ONU prévoit des migrations environnementales à la hauteur de 250 millions de personnes à l’horizon 2050, enjeu humanitaire et géopolitique majeur mis délibérément de côté dans les négociations internationales des COP.

Le marché mondial du carbone

L’économie néoclassique par l’analyse coût-bénéfice donne du changement climatique une image faussement rassurante et rend les politiques de réductions des émissions de GES non urgentes. Elle propose également des moyens pour réaliser de telles politiques en recherchant un prix unique du carbone pour comptabiliser les émissions de GES. Deux types d’instruments peuvent être mis en place, soit la taxe sur les émissions (régulation par le prix), soit l’attribution de quotas d’émissions attribués aux unités de production et échangeables sur le marché, le prix de la tonne de carbone résultant de la confrontation de l’offre et de la demande (régulation par les quantités).

Il n’est pas surprenant que le choix adopté par l’économie néolibérale ait été celui du marché mondial du carbone. Le Protocole de Kyoto obéit à cette logique et l’Union européenne l’a mis en place concrètement.

Antonin Pottier décrit les obstacles à cette vision économique d’un marché mondial du carbone. En voici quelques exemples. Cela devient très compliqué lorsque l’on compare par exemple deux gaz à effet de serre différents comme le gaz carbonique (CO2) qui a une durée de vie longue dans l’atmosphère (> 100 ans) et le méthane (CH4) qui a une durée de vie beaucoup plus courte (environ 10 ans), mais dont l’effet de serre est 21 fois plus important que le CO2. Par ailleurs, le gaz carbonique conduit à l’accroissement de la température mondiale et à l’acidification des océans, tandis que le méthane n’agit que sur le climat. La prise en compte du pouvoir d’absorption du CO2 par les sols et les forêts (puits de carbone) conduit à la marchandisation de la nature. On constate aussi que les politiques climatiques des États ne s’arrêtent pas au seul prix du carbone. La Suède a institué une taxe carbone destinée essentiellement aux consommateurs qui est passée de 27 € la tonne en 1990 à 117 € en 2009, tandis que les entreprises suédoises soumises à la concurrence internationale ont des taux réduits.

Au moment de la signature du Protocole de Kyoto, pour avoir l’assentiment des pays du Sud et favoriser leur développement, on créa le mécanisme de développement propre (MDP), soupape en même temps pour les pays du Nord qui leur permettait d’investir dans les réductions d’émissions de GES moins coûteuses que dans leurs propres pays. En Europe, pour obtenir l’assentiment des milieux économiques, le montant total des quotas alloué aux entreprises était à peine inférieur aux émissions prévues, et le prix de la tonne de carbone s’est rapidement effondré en deux ans, passant de 30 € à quelques centimes d’euros. Les allocations à certaines entreprises ont engendré des effets d’aubaine, comme les producteurs de ciment qui face à la baisse de leur production ont bénéficié d’une rente carbone de 3,5 milliards d’euros entre 2008 et 2012. Aurélien Bernier a très bien décrit dans un ouvrage comment le climat était devenu l’otage de la finance. La tentative d’avoir un prix mondial du carbone a été un échec et le marché carbone n’a donné aucun signal prix aux entreprises pour se lancer dans des investissements pour réduire les émissions de GES. Au final le marché du carbone a entravé pendant plus de 20 ans les négociations internationales sur les politiques de réduction des émissions de GES.

La responsabilité des États et l’enjeu des élections 2017

L’échec de cette approche a été acté à Copenhague en 2009 et confirmé par la suite. Au lieu de fixer un niveau global d’émissions à se répartir entre les pays, le processus de réduction des émissions part des propositions des États eux-mêmes (INDC ou intended nationaly determined contributions en langage onusien). C’est le sens de l’Accord de Paris. Cette nouvelle approche n’offre il est vrai aucune garantie que les États réaliseront bien leurs contributions volontaires (absence de processus contraignant), ni que celles-ci permettront d’atteindre l’objectif fixé en dessous de 2°C (elles sont actuellement insuffisantes et conduisent à un accroissement de température de + 3°C).

Alors quelles alternatives ? Il ne faut pas compter sur une pénurie des énergies fossiles disponibles. Elles sont au contraire pléthoriques, en abondance au regard des enjeux climatiques. Les climatologues évaluent à 1 800 milliards de tonnes (Gt) la quantité de CO2 qu’il serait possible encore d’émettre à partir de 2010 pour garder une chance sur deux de rester en-dessous d’un ment de 2°C  (le chiffre est de 900 Gt pour avoir quatre chances sur cinq). Avec les réserves connues, les émissions connues de CO2 s’élèveraient à 2 900 Gt. Respecter l’objectif des 2°C signifierait prendre la décision de ne plus exploiter des gisements d’énergies fossiles déjà connus d’ici 2050. Les politiques climatiques pour arriver à une diminution des émissions de GES passent donc par des économies d’énergie, des nouveaux modes de production et un changement dans notre manière de vivre. Au lendemain de l’Accord de Paris, nous écrivions « le mérite de la COP21 est d’avoir entériné au niveau international les enjeux liés aux changements climatiques et d’en préciser les objectifs pour en limiter les conséquences. Il est à nos pays de définir à présent quelles sont les trajectoires énergétiques, économiques et sociales pour y parvenir ».

Qu’en est-il en France à la veille des élections de 2017 ? Sans surprise, la vision libérale domine toutes les mesures préconisées par la droite. François Fillon a bien intégré ce qui s’est dit à la COP21, allant jusqu’à défendre l’idée que la France s’affranchisse de toute électricité produite à partir de ressources fossiles (charbon, pétrole et gaz) « dès que possible ». Les solutions qu’il avance demeurent le plus souvent techniques et financières – capture et stockage du CO2, développement du marché carbone. Il défend la simplification des normes, la libéralisation des marchés agricoles et énergétiques ainsi que l’abandon du principe de précaution à des fins de compétitivité.

La « règle verte » proposée par La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon fait sens par rapport à la contribution de la France aux enjeux climatiques. Principe constitutionnel, la « règle verte » permet une planification écologique sérieuse, seule capable de répondre à l’échelle nationale aux enjeux planétaires. Une telle orientation ne peut résoudre les problèmes mondiaux (climat, biodiversité), mais elle induit l’ouverture de coopérations internationales pour les pays s’engageant dans une telle direction.

Pour le MS21, la sortie du carcan néolibéral de l’Union européenne est la solution pour envisager de nouvelles politiques publiques hors du champ permanent de la concurrence érigé en dogme. Le point clé est de redéfinir le rôle de l’État pour qu’il soit le garant de l’intérêt général et pour qu’il lui soit permis de trouver les investissements à long terme pour s’engager dans une réelle transition énergétique. Toute cette réorientation du champ politique appelle à la réindustrialisation du pays, à une réorientation des politiques agricoles pour assurer la sécurité alimentaire et la santé. Ceci nécessite de retrouver une souveraineté monétaire et une souveraineté nationale garante de l’expression de la démocratie.

Pour en savoir plus :

Batifoulier Philippe et al., 2015 A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ? Manifeste pour une économie pluraliste. Ed. Les liens qui libèrent.

Bernier Aurélien, 2008, Le climat otage de la finance ou comment le marché boursicote avec les droits à polluer. Ed. Mille et une nuits, Paris.

Cahuc Pierre et Zylberberg André, 2016, Le négationnisme économique. Ed. Flammarion.

Marchand Michel, 2016 “La COP 21 : le climat devra s’adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique”. ReSPUBLICA, n° 800, 6 janvier 2016

MS21, 2016 “La COP 21 : le climat devra s’adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique.” In : Guerre contre les peuples. Ed. MS21.

Pottier Antonin, 2016 Comment les économistes réchauffent la planète. Ed. Seuil.

Notes

  1. La région Arctique a connu cet automne des températures record, 20 degrés au-dessus de la moyenne et un recul sans précédent de la banquise, annonçant un océan Arctique libéré des glaces l’été et regagnant seulement une banquise fine l’hiver. []
  2. Le MS21 avait déjà eu l’occasion de dénoncer cette pensée unique qui s’inscrit comme seul mode de formation universitaire pour les étudiants en économie (http://ms21.over-blog.com/page/5 , « Agir pour un pluralisme économique ») et nous renvoyons également à la polémique actuelle autour de l’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg  outrageusement intitulé par les auteurs « Le négationnisme économique ». []
International
Rubriques :
  • International
  • ReSPUBLICA
  • Cuba
  • Fidel Castro
  • lettre 830

Fidel est mort, pas la Révolution

par Jérôme Leleu

 

Texte publié sur le blog de Jacques Sapir. Jérôme Leleu, doctorant au CEMI-EHESS, écrit sa thèse sur Cuba et a eu l’occasion d’y faire plusieurs missions d’étude.

Le décès de Fidel Castro le 25 novembre 2016 marque la fin d’un personnage politique majeur de la seconde moitié du XXe siècle. Que ce soit pour Cuba, naturellement, mais aussi pour le continent américain, les pays en développement et le monde en général.

Symbole de la résistance face à l’impérialisme étatsunien, de la libération nationale de Cuba, Fidel Castro incarne la Révolution cubaine de 1959, à travers ses succès et ses échecs. Succès dans les domaines de la santé et de l’éducation dont les indicateurs sont semblables à ceux des pays développés. Et en cela Cuba est un exemple pour l’ensemble des pays en développement et montre qu’une volonté politique peut permettre de surmonter ces problématiques. Succès aussi dans l’accès à la culture, au sport. La solidarité nationale et l’organisation de l’État permettent à Cuba de faire face fièrement aux phénomènes climatiques. Ainsi, aucun décès ne fut à déplorer lors du passage de l’ouragan Matthew en octobre 2016 contrairement à Haïti ou aux États-Unis. Cuba est aussi aux premiers rangs de la solidarité internationale à travers différentes missions pérennes ou temporaires dans d’autres régions du monde. Des médecins et personnels de santé cubains sont présents depuis de nombreuses années en Haïti ou au Sahara Occidental ou ont été envoyé en Afrique de l’Ouest pour combattre Ebola ou au Népal après le séisme d’avril 2015, pour citer quelques exemples.

Les échecs majeurs de la Révolution sont souvent désignés comme économiques. Le développement économique relatif de la fin des années 1970 et des années 1980 était masqué par l’aide substantielle de l’Union Soviétique et des pays du Conseil d’Assistance Économique Mutuel (CAEM). Un secteur productif souvent non efficient, trop centralisé, ne satisfaisant pas les besoins sociaux de la population caractérise encore aujourd’hui l’économie cubaine, bridé évidemment par l’embargo des États-Unis qui dure depuis 1962.

Les nationalisations trop rapides effectuées au cours des années 1960, même dans une optique de construction socialiste, et le mépris de certaines lois économiques objectives – le professeur Bettelheim avait alerté le gouvernement cubain sur ces sujets – ont contraint le développement économique cubain et continue de le contraindre aujourd’hui bien qu’une série de réformes économiques entreprises depuis 2008 reviennent sur certaines « erreurs » antérieures. Mieux vaut tard que jamais ! On revient depuis 2013, quoique assez timidement, sur les nationalisations des PME de mars 1968, surement une des « erreurs » économiques les plus importantes de la Révolution.

Les succès sont relatifs, car toujours perfectibles, les échecs le sont aussi. Le développement du secteur pharmaceutique et biotechnologique est un succès économique, qui a, de plus, des répercussions sociales notables pour le secteur de la santé publique à Cuba et pour d’autres pays en développement et est une des réussites les plus importantes de l’économie cubaine et du système de planification. Ce dernier a aussi permis de maintenir un secteur industriel (mécanique, chimique, agroalimentaire…) après la chute de l’URSS, qui, bien que disposant d’une technologie et d’un savoir faire parfois obsolète et ne produisant pas suffisamment, peut servir de base pour un développement économique futur par l’intermédiaire des réformes économiques en cours. Les transferts de technologie et de savoir-faire potentiellement permis par l’augmentation des IDE et le processus de décentralisation des entreprises d’État, en cours depuis 2013, pourraient permettre une libération des forces productives au sein du tissu productif national.

Cuba est sortie plus ou moins volontairement de la spécialisation sucrière. Ses exportations, ou plutôt ses sources de revenus extérieurs se sont diversifiées. Mais cela est encore loin d’être suffisant. Certains secteurs exportateurs ne produisent pas suffisamment et les niveaux d’importation, surtout alimentaire, sont très élevés. La dépendance extérieure au Venezuela, croissante au cours des années 2000, fait craindre une nouvelle crise économique comme celle qui a suivi la chute de l’URSS et le démantèlement du CAEM. Les difficultés économiques du Venezuela ont fait chuter les livraisons de pétrole, en particulier depuis le premier semestre 2016, ce qui a obligé les autorités cubaines à revoir à la baisse les objectifs du plan annuel en cours d’année. Celles-ci ont conscience du danger et depuis 2014, elles cherchent à diversifier leurs partenaires économiques par exemple en renégociant des anciennes dettes (Russie, Mexique, Club de Paris…).

Politiquement, la Révolution cubaine n’a pas encore réussi à construire une démocratie « socialiste ». Les espoirs de la décennie 1960 ont été vite déçus par un système se rapprochant de celui de l’Union Soviétique au cours des années 1970 et 1980. La population cubaine est consultée lorsque de grandes décisions doivent être prises (pour la constitution de 1992 lors de la période spéciale, ou avant le VIe congrès du PCC en 2011 entre autres). Mais être consulté n’est pas délibérer[1]. La participation des travailleurs – propriétaires des moyens de production selon la constitution – au processus d’élaboration du plan est simplement formelle mais non effective et à première vue n’a pas subi d’évolution positive au cours de la Révolution[2]. Or, cette participation est garante de la propriété effective des travailleurs sur les moyens de production. La démocratie « socialiste » c’est avant tout le pouvoir des travailleurs de décider de l’utilisation du surproduit national, créé par eux-mêmes.

Les politiques économiques et sociales, surtout au cours du pouvoir de Fidel Castro, ont montré une volonté d’assurer un minimum de bien être à la population cubaine, mais dans une perspective volontariste, parfois sans réflexion sur les implications à long terme et sans suffisamment de participation de la population aux processus de décision.

Je me permets ici de citer Charles Bettelheim :

« On met en avant non le rôle des masses mais celui de la direction de la révolution incarnée par son dirigeant suprême. On tend ainsi, objectivement, et quoi qu’on puisse dire par ailleurs, à réduire l’initiative de la base au profit d’une direction centrale. C’est là un des effets de l’idéologie dominante qui est l’idéologie petite bourgeoise de l’humanisme ».[3]

Fidel Castro a peut-être trop incarné la Révolution cubaine au détriment du peuple cubain et son héritage ne peut qu’être nuancé. Le peuple cubain est rentré dans l’histoire avec la Révolution de 1959, comme il y était déjà rentré lors des luttes anticoloniales au XIXe siècle. C’est à lui que revient la tâche de surmonter les défis internes (économiques, sociaux, politiques) et externes, en exigeant sans compromission la levée totale de l’embargo étatsunien. La formation sociale cubaine conserve des bases économiques, idéologiques, politiques – peut-être imparfaites – mais qui seront nécessaires pour créer, ou continuer de construire, un modèle de développement économique et social libéré de l’exploitation, soutenable et prospère.

Notes

[1] https://www.youtube.com/watch?v=TS9SLiqlkM8. José Luis Rodriguez fut ministre de l’économie et de la planification à Cuba de 1995 à 2009.

[2] Ce constat est partagé par de nombreux universitaires cubains.

[3] Charles Bettelheim, Sur les étapes de la révolution cubaine, texte non publié, disponible dans les archives de Charles Bettelheim.

Humeur
Rubriques :
  • Débats politiques
  • Humeur
  • lettre 830

Aux Insoumis la patrie reconnaissante !

par Hubert Hurard

 

L’année électorale qui s’annonce risque de nous imposer non pas un débat républicain ordinaire mais une fracture ouverte au sein du peuple qu’il nous sera difficile de guérir. Tout semble en effet réuni pour que deux blocs s’affrontent face à face en mai et juin prochains. Qui donc aura contribué à nous diviser de la sorte ? Une droite conservatrice qui ne propose ni plus, ni moins qu’une société qui fera fi de la solidarité et qui ne promet que le chacun pour soi où seuls les plus forts survivront au détriment de ceux qu’ils auront oppressé et un parti socialiste, qui n’a plus de socialiste que le nom, et qui, sous ses trahisons vis à vis de celles et ceux qu’il est censé défendre, n’aura fait depuis 20 ans que pousser un peu plus les classes populaires vers l’impasse du fascisme Le Peniste. Social-libéralisme et conservatisme capitaliste auront, les uns trahi, les autres exclu, les uns désenchanté, les autres cultivé la peur et le repli. Ils ont pendant leurs méfaits été à la solde de médias avides de sensationnel pour qui la mission de pédagogue est totalement devenue étrangère. Ces trois complices, qui se complaisent les uns les autres dans une vérité qu’ils pensent universelle tant ils se flattent toujours les uns les autres d’être les seuls à savoir comment le monde tourne, auront non seulement déçu, c’est un euphémisme, mais ils auront de plus participé à faire que la résignation soit devenue le mot de ralliement d’une norme de la pensée, d’un seul mode de pensée crédible qui exclurait toute résistance et toute insoumission en reléguant celles-ci à des adjectifs marginalisant. Résistez et vous serez nostalgiques, rêveurs, gauchistes. Soyez insoumis et vous serez anarchistes, utopiques, idéalistes. En résumé, ne soyez pas comme eux et vous ne serez pas crédibles. Soyez singuliers, pensez différemment et vous serez disparates et illégitimes.

Mais comment osent-ils encore aujourd’hui nous parler de chômage et de pouvoir d’achat et nous promettre de « vivre ensemble » dans une société apaisée tant ils auront poussé aux divisions et à la haine. Oui, ces trois mercenaires du capitalisme nous auront poussés à la haine et à la suspicion. En acceptant depuis des années le fascisme à leurs côtés sur les bancs de la République, puis en opposant ceux du privé à ceux du public, en trahissant leurs promesses ou en imposant ce qu’ils n’avaient pas promis, en ordonnant la peur de l’autre, de l’étranger, du pauvre jusqu’en dans nos plus profondes campagnes, en faisant du capitalisme un dogme inamovible au milieu d’un système tentaculaire entièrement dédié à son service. Touchez en un morceau et leur système tremble. Effleurez le par un sondage et les banques s’affolent.

Alors qu’ont fait de leur mandat ces élus au service du peuple ? Eh bien ils en ont fait, depuis des années, une néo-féodalité de l’entre soi où le peuple est devenu au service des élus !

Le « Je suis donc je sais » est venu supplanter le « cogito ergo sum » ! 

Mais voilà qu’aujourd’hui ils ont peur de la « bête » qu’ils ont créée, ils ont peur de ces neuf millions de pauvres, peur de ces classes moyennes qui craignent de ne plus faire face, peur que le peuple veuille à nouveau croire en un autre monde que celui qu’ils nous ont imposé. Ils ont peur, tels des gosses surpris en train de commettre leurs méfaits, de se faire fâcher par ceux dont dépend l’autorité, c’est à dire par le peuple !

Ils ont toujours eu peur que la Lumière se diffuse alors ils se sont employés à déshabiller toujours un peu plus l’Education Nationale, ils ont ruiné l’Education Populaire, ils ont créé nombre de diversions pour nous hypnotiser, nous endormir et ainsi engendré des prophètes tels Hanouna ou autres pantins nous faisant oublier quelques minutes par jour l’oppression qu’ils nous assènent. Ils nous ont lavé le cerveau et tenté de détruire tout esprit critique. Penser comme eux c’est être intelligent et raisonnable. Penser autrement et vous serez responsable de la catastrophe économique.

Cela aurait peut-être pu fonctionner encore quelques années s’ils n’avaient pas été aussi pressés de tout détruire. Mais voilà, si avides de posséder pouvoir et argent tout de suite et pour toujours, leur précipitation nous oblige aujourd’hui à résister. Heureuse soit donc la faute de ces bonimenteurs et de ces camelots de la pensée unique.

Bloc contre bloc disais-je ? En 2017 il y aura bloc de ceux qui n’ont plus rien à perdre contre bloc de ceux qui ont tout pris. Bloc des généreux contre blocs des individualistes. Bloc de ceux qui n’ont pas peur contre bloc des haineux, bloc de ceux qui veulent construire un monde plus juste contre bloc de ceux qui veulent encore jouir de leur richesse en imposant aux autres l’austérité qu’ils ne se sont jamais imposée pour eux mêmes. Cet affrontement causera une faille sur laquelle il nous sera difficile de bâtir.

Ils en auront été responsables mais ils sont incapables et seront incapables de le reconnaître.

Pourquoi ? Parce qu’ils osent par exemple encore nous dire que la France est en faillite. Que cette cinquième puissance mondiale, qui n’a jamais été aussi riche, qui a vu son PIB croître tout au long de ses 30 dernières années, ne peut plus se permettre de redistribuer un peu de sa fortune à d’autres qu’aux actionnaires et qu’aux fonds de pension. Et comble du mépris, c’est toujours celui même qui nous ment sur cette prétendue faillite, celui qui en serait un des responsables qui nous promet, avec le sourire qui plus est, de résoudre le problème. Car Fillon promet le Tartare grec aux manants et les paradis terrestres aux prédateurs.

Et le socialisme, non l’idéologie, non tous ses militants, mais le parti, qui est mort sous les coups de boutoir de ses cadres ? Ses idolâtres nous jurent, comme à chaque scrutin qui s’annonce, que la défaite qui leur est annoncée sera de notre faute, à nous, derniers hommes et femmes de gauche. Que nous avons divisé, que nous avons mis la droite au pouvoir en ne nous rangeant pas – plus – derrière leur politique du moindre mal.

Elles et eux, tels des seigneurs d’un autre temps, qui auront abîmé notre démocratie en cumulant les mandats et en ne voulant même plus terminer ceux pour lesquels ils ont été élus pour en briguer déjà de nouveaux. Maire ne leur suffit plus, vice-président d’un conseil départemental ne leur suffit plus, maire adjoint d’une grande ville ne leur suffit plus. Ils veulent commettre leurs forfaits encore plus haut et qu’importe donc si leur mandat, celui du peuple, n’est pas fini. Ils en veulent plus, toujours plus ! Et ils se placarderont bientôt sur les affiches de France pour nous supplier de leur octroyer – encore – ce privilège.

Mais cette fois-ci, nous leur dirons « non » ! Nous exigerons à leur place l’honnêteté, nous exigerons à leur place la sincérité, nous exigerons à leur place la probité et nous leur dirons non parce qu’il en va tout simplement du sens même de notre démocratie. Qu’importe le candidat, nous leur dirons non à ces responsables, souhaitant rester anonymes quand cela les arrange, solidaires et coupables, par ces actes précisément, de déni de démocratie.

Il ne nous reste qu’une seule alternative. Il nous faut désormais éduquer et plus largement encore éduquer et toujours éduquer. Il nous faut gagner et éduquer pour que plus jamais, grâce à notre esprit critique, nous ne subissions demain le fanatisme de ce capitalisme qui humilie, qui exclut et qui tue partout à travers le monde, de toutes façons et avec toutes armes qui soient.

Si la seule gauche qui reste ne nous propose pas demain l’entre soi et le dogmatisme alors elle sera, j’en suis convaincu, en mesure de faire de la France un exemple, encore une fois dans l’Histoire, d’insoumission.

Débats laïques
Rubriques :
  • Débats laïques
  • lettre 830

Crèches de Noël et laïcité : le détricotage de la loi de 1905 continue…

par Bruno Bertrand

 

Bruno Bertrand est magistrat, François Braize est Inspecteur général des affaires culturelles honoraire et Jean Petrilli est avocat.

 

Le Conseil d’Etat a admis, par deux arrêts d’Assemblée du 9 novembre 2016, la possibilité d’installation par les personnes publiques de crèches de la nativité dans les bâtiments et espaces publics, dès lors que certaines conditions, qu’il a définies, sont réunies[1]. Il s’inscrit ainsi délibérément dans la veine de sa jurisprudence qui, depuis une dizaine d’années, conduit à faire des interdits formulés par la loi de 1905 une sorte de « peau de chagrin »[2]. On cherchera donc un meilleur gardien pour la liberté individuelle.

Alors que notre pays subit les attaques à répétition d’une idéologie religieuse totalitaire qui menace l’humanité et que la laïcité à la française s’avère être un rempart précieux, l’entreprise de détricotage jurisprudentiel a pris une nouvelle ampleur en 2016. Est-il judicieux, dans le contexte dramatique qui est le nôtre, de faire toujours plus de place à la présence dans notre vie publique et civile des confessions ? De leur faciliter ainsi la tâche en favorisant leur prosélytisme, au demeurant naturel puisqu’il leur faut conquérir en permanence de nouveaux adeptes, question de survie…

Certes, la plupart des confessions n’ont plus les ambitions qui sont celles aujourd’hui de l’islam politique totalitaire et de son fondamentalisme religieux au prosélytisme arrogant. Mais, comment peut-on croire que seules les « bonnes » confessions profiteront de nouveaux accommodements tout aussi déraisonnables que les précédents ? Que la démagogie puisse conduire certains élus (ou candidats) à s’arranger avec l’exigence de laïcité pour conserver ou gagner des électeurs, cela peut se « comprendre » du point de vue qui est le leur. Mais notre plus haute juridiction administrative ? A t-elle pu se tromper ou est-ce délibéré ? Chacun aura son point de vue, mais cette appréciation ne relève pas du seul terrain du droit.

D’autant plus que même la Cour européenne des droits de l’homme, peu suspecte de « laïcisme », s’est prononcée voilà déjà plus de dix ans sur le respect juridique que méritent l’islam politique et son fondamentalisme au regard de nos principes les plus fondamentaux.

Et bien… pendant ce temps, Madame la marquise allait-on dire, au Palais royal, le détricotage continue… Ce fut tout d’abord, cette année, un arrêt extrêmement étonnant (affaire dite de la basilique d’Annaba en Algérie), qui est venu permettre aux collectivités territoriales françaises de financer des travaux sur édifices religieux à l’étranger (!) ce qu’elles ne peuvent pas légalement le faire sur notre propre territoire. Etrange adage inversé ainsi inventé par le Conseil d’Etat : « Qui peut le moins de ce côté des Pyrénées, peut le plus au delà ! ». Nous ne reviendrons pas ici sur cette décision et nous renvoyons le lecteur à notre commentaire publié qui reste actuel puisque cette jurisprudence n’a pas été infléchie. Nous laissons de côté également dans ce paysage jurisprudentiel de 2016, car ce n’est pas le sujet de notre propos ici, la décision du Conseil d’Etat de cet été sur l’affaire du burkini.

En revanche, encore plus près de nous, est intervenue, après de nombreuses et virulentes polémiques politico-médiatiques et des décisions contraires des tribunaux administratifs, une jurisprudence du Conseil d’Etat sur la légalité de l’installation de crèches de la nativité dans les bâtiments et emplacements publics. Heurtant de front l’article 28 de la loi de 1905 qui semble clair à sa simple lecture, cette décision mérite qu’on s’y attarde car, selon nous, elle élève à la fois « hors sol » et contre l’esprit de la loi, sinon« contra legem », le monument national qu’est le Conseil d’Etat. Ce qui n’est tout de même pas si fréquent dans notre histoire institutionnelle…

Un arrêt hors sol…

Hors sol, car le Conseil d’Etat, pour pouvoir légaliser, dans certains cas qu’il définit lui même, l’installation de crèches de la nativité dans les bâtiments ou espaces publics nous livre une saisissante usine à gaz de critères, s’appliquant de surcroit selon des principes inversés selon les types de lieux…

En effet et en résumé, désormais dans l’enceinte des bâtiments publics l’installation d’une crèche est interdite sauf si des circonstances particulières permettent de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif ; à l’inverse, dans les autres emplacements publics l’installation d’une crèche est possible, en raison du caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année, sauf si elle constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse… Allez donc y retrouver votre petit Jésus…

C’est très beau dans l’esprit du « jardin à la française » qu’on affectionne au Palais Royal, mais impraticable pour les élus de terrain et un futur chemin de croix pour les défenseurs de la laïcité. Il est d’ores et déjà certain que personne ne va se retrouver dans la complexité de ce schéma, que les litiges et les contentieux vont se multiplier, à moins que de guerre lasse tant elle semble en train d’être perdue, les crèches s’installent, fassent même des petits ce qui est dans l’ordre des choses de la nativité, et qu’ainsi les coutumes locales se constituent… la boucle sera bouclée et l’affaire pliée. Et d’autres confessions feront d’autant plus assaut de revendications avec leurs propres demandes communautaires et identitaires dans les bâtiments et espace publics. Comment refuser à Jacques ce que l’on a reconnu à Pierre ?

Mais à son caractère impraticable et dangereux, l’arrêt ajoute un caractère plus grave, celui de statuer à notre sens contre l’esprit de la loi. Chacun appréciera au vu de ce qui suit.

Un arrêt contre l’esprit de la loi…

Contre l’esprit de la loi, car l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 est clair : il pose un principe, l’interdiction d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit. Cette interdiction ne connaît, selon ce même article, que trois types d’exception pour lesquelles l’on pourra, après 1905,  élever ou apposer de tels signes : les édifices servant au culte, les terrains de sépulture et monuments funéraires, les musées et expositions.

Dans ses arrêts du 9 novembre 2016, le Conseil d’Etat prend la précaution de se rattacher à l’exception « musées et expositions » prévue à l’article 28 de la loi de 1905 en considérant à propos de cet article que « ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d’exposition ».

Il en infère que, eu égard à la pluralité de significations de la crèche de la nativité qu’il croit pouvoir retenir dans son arrêt, il lui est possible de procéder à la construction de sa batterie de critères fixant les conditions dans lesquelles, selon les types de lieu (bâtiments ou autres emplacements publics), il est possible d’installer une crèche de la nativité. C’est donc d’un soi-disant « caractère mixte » des crèches de la nativité que le Conseil d’Etat croit pouvoir déduire sa construction prétorienne. Cette position est critiquable à deux points de vue.

En premier lieu, le caractère festif ou culturel qui peut s’attacher à l’installation d’une crèche ne saurait effacer purement et simplement son caractère religieux. L’un n’efface pas l’autre et les deux caractères ne sont pas sécables, car comment une crèche pourrait-elle ne plus être une crèche de la nativité chrétienne et deviendrait-elle ainsi profane, échappant de ce fait à l’interdiction de la loi ?

En second lieu, le sens générique ainsi donné par le Conseil d’Etat à l’exception d’« expositions » prévue à l’article 28 de la loi de 1905 nous paraît contestable. Dans cet article, ce mot, au pluriel, est accolé au mot « musées » (« musées ou expositions ») et il ne peut s’agir de désigner le simple acte « d’exposer » une crèche au public, car alors toute exposition de crèche serait légale et l’exception serait ainsi la règle, ce qui est idiot. Nous voyons plutôt dans cette définition législative une volonté du législateur de se référer à une exception limitée au domaine des « musées ou expositions » au sens culturel, qu’a défini plus précisément depuis notre code du patrimoine , ou bien encore aux expositions telles qu’à la fin du XIXème et au début du XXème siècle nos sociétés les affectionnaient.

Ainsi, de nouveau, le caractère mixte de certaines activités, même ici construit artificiellement, permet au Conseil d’Etat d’échapper aux rigueurs de la loi de 1905. Cette méthode n’est pas nouvelle et a fait ses preuves en termes de détricotage. En effet, depuis quelques années, les activités culturelles de certaines associations confessionnelles sont devenues un alibi admis par le juge pour contourner l’interdiction légale de les subventionner résultant de leur caractère cultuel. Ici, dans le cas des crèches, le caractère mixte de celles-ci, à la fois festif, à l’occasion des fêtes de fin d’année, et religieux devient un autre alibi pour autoriser leur installation, là où la loi a voulu les interdire.

Tant d’imagination effraie car, outre qu’elle se construit contre la loi, le Conseil d’Etat complexifie le cadre dans lequel les élus locaux et les citoyens, puis les tribunaux, doivent apprécier si une activité d’une association mixte peut être subventionnée ou bien si une crèche peut être installée dans un bâtiment ou emplacement public. La malléabilité, doux euphémisme, des paramètres définis par la jurisprudence entretient le risque d’une application casuistique et imprévisible. Or, il y a des questions sur lesquelles la clarté et la simplicité sont des exigences absolues. De cet angle de vue que la raison commande, la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les crèches est bien à la fois, pour nous, à la fois hors sol et contre l’esprit de la loi.

En conclusion, on cherche un gardien pour la liberté individuelle…

Nous sommes au regret de devoir constater la consécration par la jurisprudence du Conseil d’Etat de la possibilité très concrète, avec ces arrêts, d’une atteinte à liberté de conscience qui est pourtant, au regard de nos droits fondamentaux, une liberté absolue et une des composantes de la liberté individuelle. En effet,  pour la première fois depuis 1905, dans des bâtiments ou emplacements publics de nouveaux signes ou emblèmes religieux (chrétiens) pourront avoir droit de cité et tous, quelles que soient leurs convictions, auront à devoir le supporter.

Ceci ne peut laisser indifférent au regard de nos principes fondamentaux qui sont beaucoup plus importants que le caractère festif des crèches de la nativité. A cet égard, qu’il nous soit permis de nous interroger sur la question de savoir si le Conseil d’Etat a veillé correctement à la protection de la liberté individuelle par les arrêts ici critiqués. Nous ne le pensons pas car, s’agissant des personnes publiques, des bâtiments et des emplacements publics, le principe de neutralité et celui de laïcité sont la garantie de la liberté de conscience, à laquelle le Conseil d’Etat a donné, pour nous, une géométrie variable et donc dégradée.

Aussi, on ne peut que suggérer qu’à l’avenir le requérant formant recours devant le juge administratif contre une décision d’installation d’une crèche de la nativité dans un bâtiment ou emplacement publics, demande que la question préjudicielle du respect de la liberté de conscience soit posée au juge judiciaire, « gardien constitutionnel » de la liberté individuelle. Notre droit lui en offrant la possibilité, nous lui conseillons de ne surtout pas s’en priver.

Notes

[1] Voir :http://arianeinternet.conseil-etat.fr/arianeinternet/ViewRoot.asp
View=Html&DMode=Html&PushDirectUrl=1&Item=1&fond=DCE&texte=cr%E8che&Page=1&querytype=simple&NbEltPerPages=4&Pluriels=True

[2] Dans un article paru dans le magazine SLATE il y a trois ans, nous avions fait un point de l’état de la loi du 9 décembre 1905 après plusieurs décennies « d’assouplissements » dont le législateur principalement et le Conseil d’Etat, plus accessoirement mais significativement, portent la responsabilité. Nous en arrivions déjà à la conclusion que le texte fondateur de la laïcité à la française était devenu une véritable « peau de chagrin » (Cf. http://www.slate.fr/tribune/80101/laicite-loi-1905-peau-de-chagrin)

[3] Nous mettons des guillemets au mot « bonnes » dans un double objectif : d’une part, marquer notre doute sur l’existence de « bonnes » religions et, d’autre part, éviter d’opposer l’islam et les autres confessions…

[4] Si notre propos est ici de faire une critique sur le terrain du droit de cette jurisprudence, il ne faut pas méconnaître l’intérêt de l’analyse de philosophie politique que d’autres feront beaucoup mieux que nous et, à cet égard, on ne peut que renvoyer le lecteur aux excellentes analyses qui ont pu en être faites (voir notamment http://www.marianne.net/agora-defile-foul-art-creches-mairie-alibi-du-cu…)

[5] Voir à cet égard la décision de la Cour européenne : cedh-charia-n003-697689-705588 et cedh-arr_c3_aat_20refah_20partisi_20c_3a_20turquie_20_28grande_20chambre_29_20du_20_3a2003 ; la Cour a considéré que le parti turc, qui se plaignait de sa dissolution devant elle, ne pouvait se prévaloir de la protection de la Convention du fait qu’il se situait, par ses prises de position non démocratiques, en quelque sorte hors du jeu de la démocratie et de ses principes. En plus clair la charia, a dit la Cour européenne, n’est pas conforme à nos principes fondamentaux et aux droits de l’homme

[6] Voir Conseil d’Etat 17 février 2016 – Région Rhône-Alpes contre Sieur Vianès et autres, arrêt commenté par nous sur : http://www.marianne.net/agora-laicite-conseil-etat-ouvre-nouvelle-breche-loi-1905-100242344.html ; en application des articles 2 et 19 de la loi de 1905 dans la même hypothèse que le cas Annaba, c’est à dire un édifice religieux appartenant à une association cultuelle et non protégé au titre des monuments historiques, le financement public des travaux de restauration est interdit…

[7] Cette jurisprudence s’intègre dans une jurisprudence constante depuis soixante dix ans sur les menaces de troubles à l’ordre public pouvant justifier une interdiction de quelque cible que ce soit (film, livre, manifestation, port d’un vêtement, etc.), même si certains ont plaidé que le Conseil d’Etat aurait pu tenir compte de la situation d’état d’urgence du pays et retienne une conception objective de l’ordre public au nom de la dignité de la femme, comme il a pu le faire, au nom de la dignité des personnes, en validant des arrêtés municipaux interdisant les lancers de nains ; qu’ils ne se limite pas ainsi à une conception matérielle de l’ordre public qui condamnait, dans la plupart des cas, les dits arrêtés les troubles étant, en fait, allégués mais non établis…

[8] Article 28 de la loi du 9 décembre 1905  : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.»

[9] On cite l’arrêt du Conseil d’Etat sur ce point important : « 4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année.

[10] Celui-ci, dans son article L410-1, définit le concept de « musée » mentionné par l’article 28 de la loi de 1905 : « Est considérée comme musée … toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public » ; cette définition vaut pour les « expositions » qui ne peuvent avoir dans la loi de 1905, en tant qu’exception à une interdiction de présentation dans certains lieux publics de signes religieux, un sens générique alors que le musée aurait lui un contenu scientifique et culturel. Pour nous, les deux termes de l’exception doivent avoir un contenu défini de manière identique

[11] Qu’il s’agisse d’expositions, nationales ou universelles, à caractère économique, d’innovation ou d’invention et plus généralement à caractère sociétal

[12] Un arrêt du Conseil d’Etat du 4 mai 2012 (Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône) pose les conditions dans lesquelles les collectivités publiques peuvent légalement subventionner les activités non cultuelles des associations mixtes, à la fois cultuelles et culturelles, confirmant ainsi l’abandon de la jurisprudence Commune de Saint-Louis-de-la-Réunion du 9 octobre 1992, abandon qui résultait implicitement de l’arrêt Fédération de la Libre pensée et de l’action sociale du Rhône du 19 juillet 2011

[13] A cet égard, on a ainsi parfaitement mesuré, depuis le revirement de 2012, l’inanité opérationnelle, et donc la naïveté, de la précaution que le conseil d’Etat a cru pouvoir poser en exigeant des associations subventionnées qu’elles garantissent l’étanchéité comptable des activités culturelles et cultuelles… On sait pourtant, et depuis longtemps, en droit de la concurrence national et européen, que l’interdiction des subventions croisées conduit à exiger l’indépendance statutaire et juridique des acteurs concernés ; le Conseil d’Etat est ainsi moins exigeant avec les confessions qu’avec les acteurs économiques… En réalité, le résultat est que, grâce à cette jurisprudence, les associations cultuelles font désormais à peu près ce qu’elles veulent lorsque les élus locaux sont complaisants et les interdits formulés clairement par la loi de 1905 peuvent être délibérément bafoués avec la bénédiction du juge administratif…

[14] L’article 66 de la Constitution confie le rôle de « gardien de la liberté individuelle » au juge judiciaire. Cette responsabilité du juge judiciaire a été explicitée par le Conseil constitutionnel dans une décision 83-164DC du 29 décembre 1983 qui rappelle que « l’article 66 de la Constitution… confie à l’autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects ». Ainsi, il serait regrettable que la compétence du juge administratif puisse conduire à méconnaître le rôle constitutionnellement protecteur de l’autorité judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle Il faut que le requérant devant le juge administratif puisse demander, par une question préjudicielle, une évocation devant le juge judiciaire dès lors qu’une liberté individuelle est en cause, ce dernier éclairant alors le juge administratif sur ce point de droit. Les articles R771-2 du code de la justice administrative et 49 du code de procédure civile semblent permettre ce renvoi de juge à juge sur cette question (voir sur ce point : http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2016/02/02/le-dialogue-apres-la-…). Si tel est bien le cas, il appartient aux plaignants devant le juge administratif de le demander dans leur recours. On ne peut que le suggérer comme on le fait ici car, de la sorte, le principe constitutionnel de protection de la liberté individuelle par le juge judiciaire pourrait alors recevoir une application complète et satisfaisante

Débats politiques
Rubriques :
  • Débats politiques
  • République
  • ReSPUBLICA
  • lettre 830
  • marxisme

À propos du « récit national » : Républicanisme, gauchisme, marxisme

par Pascal Morsu

 

Le propre de la bourgeoisie est d’exécrer le jacobinisme. Le propre de la petite bourgeoisie est de le craindre. Les ouvriers et les travailleurs conscients croient au passage du pouvoir à la classe révolutionnaire, opprimée, car c’est là le fond du jacobinisme, la seule issue à la crise, la seule façon d’en finir avec le marasme et la guerre. (Lénine, 1917)

L’Anticapitaliste (revue) n°81 a publié récemment un texte de L. Ripart, relatif au « récit national ». L’initiative est bienvenue, dans un contexte où le chauvinisme franchouillard se déploie en miroir de l’obscurantisme islamoïde. On trouvera dans ce texte une incontestable richesse documentaire. Malheureusement, ce savoir est mis au service d’une orientation peu défendable pour un marxiste. D’où cette contribution.

« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire » (Marx)

L’un des objectifs du texte est de pourfendre la « gauche républicaine »

« Notre histoire n’est pas donc celle de cette nation abstraite dont la droite sarkozyste ou la gauche républicaine dressent un portrait mythifié (…) ».

Malheureusement, ce concept de « gauche républicaine » mériterait une définition plus précise. Car sous cette dénomination, on trouve effectivement d’authentiques chauvins – dans la tradition de JP Chevènement et de son courant. On y trouve aussi divers regroupements incontestablement extérieurs au mouvement ouvrier, p. ex. les francs-maçons. Et c’est un fait que ces courants ne sont pas avares de pitreries « tricolores ».

Mais historiquement, le mouvement ouvrier, lui, en tout cas jusqu’aux innovations en cours au NPA, a toujours aussi été « républicain » dans une certaine mesure (on reviendra sur cette mesure) :

« Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent (…) la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l’intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu’à l’extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l’entourage dont elle avait besoin sur le continent européen »i

En s’en prenant ainsi au « républicanisme », l’Anticapitaliste s’en prend en fait à un des éléments constitutifs du mouvement ouvrier.
Ce n’est pas rien.

1789 et nous

À propos de la Révolution française, D. Bensaid écrivait les choses suivantes :

« Au fil des ans, elle s’embourgeoise, s’étatise, se bureaucratise, jusqu’à son institutionnalisation sous la III° République. La République, c’est ce qui reste quand on a retranché la révolution, enlevé le haut (la souveraineté populaire) et le bas (l’audace révolutionnaire) »ii

L’Anticapitaliste va plus loin dans le même sens :

« Sur la question de l’histoire nationale, comme d’ailleurs sur beaucoup d’autres, la Révolution apporta de profondes transformations plus qu’une véritable rupture ».

On pourrait longuement ergoter pour savoir où est la « profonde transformation » et où est la rupture. Notons simplement que là, L’Anticapitaliste s’oppose frontalement au marxisme, au mot près :

« La Révolution française opéra une rupture complète avec les traditions du passé, elle balaya les derniers vestiges du féodalisme (…) »iii

Républicanisme

L’article en question se situe dans un contexte. On sait qu’une partie du mouvement ouvrier est tentée par l’accommodement avec des courants du type « indigènes », CCIF, etc., violemment hostiles à la laïcité dans laquelle elles ne voient que « racisme d’État » (!). Or laïcité et régime républicain « à la française » sont inséparables. On comprendra donc la nécessité dans laquelle se trouvent nos islamo-gauchistes de cogner sur le régime républicain. Pour Ph. Marlière, habituel contributeur de la très islamo-gauchiste revue Contretemps, « la République est un consensus mou » :

« De manière générale, lorsque vous étudiez l’histoire du républicanisme et de la laïcité française, vous vous rendez compte que ces deux notions n’ont jamais été exclusivement associées à la gauche, et encore moins au mouvement ouvrier. Je dis par là même que la République, surtout après 1875, n’est certainement pas synonyme de gauche radicale ou de socialisme. Il y a en réalité très peu de moments républicains de gauche. La République a essentiellement été « bourgeoise » ou conservatrice en France. »iv

En fait, la stabilisation du régime républicain en France fut menée à bien, en tout cas finalisée, par le parti radical, le parti de la gauche bourgeoise, central dans la vie politique de 1875 à 1958. Et c’est un fait que l’installation de la III° République se fit avec le soutien des socialistes d’alors – réformistes comme révolutionnaires.

Autre exemple. Confronté à la tentative de restauration monarchiste de Mac-Mahon, Marx écrivait à Sorge qu’« il faut espérer que la république bourgeoise sera victorieuse sinon l’ancien jeu reprendra à zéro »v.

Et Engels justifia cette opinion quelques mois plus tard :

« le maintien du gouvernement républicain existant lui offrirait au moins la perspective d’obtenir un niveau de liberté publique et individuelle tel qu’il lui permette de mettre sur pied une presse ouvrière, une agitation fondée sur des réunions et une organisation comme parti politique indépendant »vi.

D’où :

« Ce fut donc une nouvelle preuve du haut niveau de l’intelligence politique instinctive de la classe ouvrière française (…) les ouvriers, comme un seul homme, firent du maintien de la République leur tâche immédiate la plus importante ».

La III° République était certes bourgeoise, colonialiste, et ne réglait en rien la question sociale. Il n’en demeure pas moins que l’établissement d’une certaine démocratie politique constitua une avancée indéniable, qu’évidemment les militants ouvriers reconnaissaient comme telle.

Marx ou Marlière, il faut choisir !

La question de la Nation

La question de la nationalité est bien sur un élément central de cette discussion. L’anticapitaliste distingue à juste titre deux conceptions antagoniques :

« La première serait celle de l’ancienne France, historiquement portée par l’extrême droite, qui conçoit la nation comme une communauté charnelle. La seconde serait celle de la France révolutionnaire qui définirait la nation comme une communauté politique, fondée selon le philosophe et militant du PG, Henri Peña-Ruiz, sur le triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité », seule source de ce nouveau contrat social.

Cette conception a une évidente part de vérité, dans la mesure où la gauche républicaine est effectivement porteuse d’une conception de la nation qui diffère profondément des perceptions ethniques ou religieuses qui sont à la source du nationalisme d’extrême droite. Pour autant, elle a aussi d’évidentes limites, dans la mesure où elle surestime la coupure entre l’Ancien Régime et la Révolution ».

(On a vu plus haut ce qu’il en est concernant la fameuse « surestimation » de 1789).

En tout cas, la première conception, ethniciste, est celle que porte la Droite la plus radicale – p. ex. Sarkozy ou désormais Fillon. C’est elle qui mène à la remise en cause de l’acquis démocratique que représente le droit du sol, à la réaffirmation de « l’identité chrétienne de la France », etc.

Le mouvement ouvrier, traditionnellement, se range derrière la seconde, celle dans laquelle l’auteur voit « une part de vérité ». Une part seulement…

Le choix de pointer Peña-Ruiz, membre du PG, n’a d’ailleurs rien de fortuit. Dans un contexte où JL. Mélenchon est régulièrement dénoncé par la direction du NPA, c’est indiquer aux militants, combien ces conceptions sont à prendre avec des pincettes1.

En fait, la conception de la Nation comme communauté politique et non ethnique n’a rien de spécifique à Peña-Ruiz. Elle a émergé chez les philosophes des Lumières. Rousseau définissait la citoyenneté comme

« le pacte social établi entre les citoyens une telle égalité, qu’ils s’engagent tous sous les mêmes conditions et doivent jouir tous des mêmes droits »vii

Comme l’écrivait l’historien britannique E. Hobsbawn :

« (…) pour les nationalistes la création des entités politiques qui comporteraient cette assimilation découlerait de la préexistence de quelque communauté se distinguant des étrangers (nos fameux « gaulois » – NR), alors que du point de vue démocratique révolutionnaire, le concept central était le peuple souverain des citoyens (…) »viii

On pourrait aussi citer l’historien de l’immigration G. Noiriel, qui définit la Nation dans les termes suivants :

« C’est un regroupement d’individus parmi d’autres, dont la spécificité tient au fait qu’il réunit des personnes qui luttent pour conquérir ou pour défendre leur liberté politique. Cette liberté, c’est ce qu’on appelle la souveraineté »ix

La conception de la nation comme communauté politique est quasi-universellement défendue à gauche, la constitution d’États nationaux durant le XIX° siècle vue comme un incontestable pas en avant de l’Histoire. D’où le mot d’ordre de « défense de la République », que porta tout le mouvement socialiste jusqu’au début du XX° siècle face aux menées de la réaction cléricalo-monarchiste.

À propos du communautarisme

La Nation est donc pour les progressistes une communauté politique. Dans cette conception, une stricte égalité politique (et non sociale…) entre ses membres est nécessaire. L’égalité devient donc un concept-clé, d’où le fameux principe selon lequel « la République ne reconnaît aucune communauté », le refus de toute différenciation de la citoyenneté (par exemple des tribunaux religieux pour les affaires familiales – on n’en est pas loin en Grande-Bretagne).

D’où ce qu’expliquait Clermont-Tonerre :

« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens »

lors du débat parlementaire relatif à l’émancipation des juifs à la Constituante (23.XII.1789).

Là encore ces conceptions sont profondément progressistes. Elles tendent à unir les travailleurs et non à les diviser selon un axe ethnique ou religieux, ainsi que le prônent les défenseurs divers du « multiculturalisme ».

Exemple typique de cette politique de division « multiculturaliste » : la pseudo revendication de salles de prières dans les entreprises (pourquoi pas des synagogues, tant qu’on y est ?), qui n’est pas sans rappeler la vieille demande cléricalo-patronale d’implanter des aumôneries dans les usines.

L’École républicaine

« Depuis leur révolution, les français ont énormément insisté sur l’uniformité linguistique, et c’était à l’époque tout à fait exceptionnel »x

La maîtrise de la langue, c’est la condition de la participation à la communauté politique dont il est question ci-dessus (la Nation). Or selon G. Noiriel, à l’époque de la révolution, 80 % des habitants du royaume ne parlaient pas le français. On ne s’étonnera donc pas que le décret du 2 thermidor An II impose le français comme seule langue de l’administration dans un contexte où les révolutionnaires font pression pour imposer le français et s’opposer aux langues régionales.

Dans ce contexte, quelques décennies plus tard, l’École républicaine eut la lourde tâche d’assurer la pénétration des valeurs républicaines, ce qui passait par l’apprentissage de la langue. La bataille fut féroce, village après village. S’adressant aux instituteurs de se circonscription, en 1887, un inspecteur leur rappelait leurs devoirs en ces termes :

« Je n’admets pas qu’un instituteur ne soit pas républicain. Il ne vous est pas demandé de crier sur les toits : « je suis républicain ». Il ne vous est pas demandé non plus de parler politique dans toutes vos conversations ; mais si devant vous on attaquait l’idée républicaine, il faudrait avoir le courage de la défendre »xi.

Un autre auteur islamo-gauchiste ayant droit aux honneurs de L’Anticapitaliste, S. Kouvelakis, ne voit dans tout ceci que réaffirmation d’un « ordre néo républicain »xii. Il se trompe lourdement. Ce qui est en cause, c’est la mission émancipatrice, républicaine et laïque de l’École publique.

Contrairement à ce que défend un certain gauchisme, donc, permettre à tous les citoyens de communiquer entre eux ne relevait pas de l’oppression bourgeoise vis-à-vis de peuples opprimés (bretons ou maghrébins) mais de la construction, du renforcement du régime républicain, et de l’unité de classe du prolétariat.

Malheureusement, on est en droit de douter de la fermeté de L’Anticapitaliste pour soutenir cette tradition politique « jacobine » lorsqu’on lit ce qui suit :

« Cette logique (chauvine – NdR) devait aboutir à la grande boucherie de la Première Guerre mondiale, qui fut en grande partie préparée par l’histoire nationale, comme ce fut le cas en France où les écoles de la III° République avaient soigneusement préparé la population à combattre l’Allemagne, en leur offrant le modèle de leurs ancêtres Gaulois affrontant les Teutons »2.

Impérialisme et république

Autre aspect critiquable de l’article de l’Anticapitaliste (mais aussi des travaux de Bensaid, Fr. Sabado, etc.) : son incapacité à distinguer nettement les deux époques du capitalisme – capitalisme ascendant et impérialisme. L’Histoire du capitalisme y est présentée de façon linéaire de la III° République à nos jours, ce qui interdit de comprendre le changement de stratégie des marxistes à l’époque impérialiste.

L’impérialisme (qui émerge donc au tournant du XX° siècle) est l’époque où l’antagonisme entre rapports de production et croissance des forces productives devient une entrave à la croissance des forces productivesxiii. La contradiction est à vif, la poursuite du progrès passe nécessairement par la rupture avec l’économie de profit, le capitalisme.

Et l’une des conséquences majeure de cette contradiction, c’est l’incapacité du capitalisme à dépasser le stade des États-nations, d’aller vers des entités supérieures, telles que des États-Unis d’Europe.

C’est d’autant plus évident que depuis les années 80 a émergé la « mondialisation » capitaliste, c’est-à-dire qu’est apparu un marché mondial pleinement intégré qui se heurte à chaque instant à la persistance de frontières nationales.

Nécessairement, ce changement d’époque historique implique un changement stratégique du mouvement ouvrier.

Deux stratégies

Même si « à aucun moment, il (le parti communiste) ne néglige d’éveiller chez les ouvriers une conscience claire et nette de l’antagonisme violent qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat »xiv, le fait est que Marx envisageait la politique révolutionnaire sous l’angle d’un bloc de la bourgeoisie libérale et du mouvement ouvrier naissant :

« En Allemagne, le Parti communiste lutte d’accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale et la petite bourgeoisie ».

Encore plus nettement, son « adresse » de 1850 aux communistes allemands les appelle à « forcer les démocrates à intervenir », « pousser à l’extrême les propositions des démocrates »…

De ce point de vue, 1848 représente une date-clé, mais encore faut-il dire pourquoi. À ce propos, D. Bensaïd écrivait : « Depuis juin 1848, la République sans adjectif ne suffit plus ». Eh bien si !

1848 marque l’émergence du mouvement ouvrier comme sujet autonome. Mais croire qu’à partir de 1848, la république sociale était à l’ordre du jour était une erreur. Ne serait-ce que parce que le poids social du prolétariat industriel dans un pays essentiellement rural interdisait de penser à une victoire ouvrière. Même la Commune est une anticipation. En 1871, pour les mêmes raisons, le prolétariat parisien n’avait pas les moyen de vaincre. Au XIX° siècle, la république sociale, la dictature du prolétariat n’était encore qu’une perspective.

Et en ce qui concerne la France de la III° République, « république tout court » par excellence, si les marxistes se prononcent contre la participation au gouvernement (affaire Millerand), personne ne s’oppose (et surtout pas Engels) à un bloc circonstanciel avec les radicaux de Clemenceau. Exemple : la loi de séparation de l’Église et de l’État, votée en 1905, tant par les radicaux que les socialistes.

L‘époque « des guerres et des révolutions », selon la formule fameuse de Lénine, ne s’ouvre que 40 ans plus tard, en 1917. La révolution russe, produit de la guerre impérialiste, ouvre une époque, où la question de la prise du pouvoir devient une question immédiate, et plus seulement une perspective historique. D’où l’expression d’« époque de la révolution socialiste internationale » aussi utilisée par Lénine.

Internationalisme

Nécessairement, le changement d’époque dont il est question ci-dessus impliquait donc une changement radical de stratégie politique. L’heure devient donc celle du combat ouvert contre la bourgeoisie, pour le gouvernement ouvrier dans chaque pays.

Certes dans une série de cas, la question nationale garde son importance (Irlande, pays dominés…). Il n’en demeure pas moins que d’une façon générale, les États nationaux existent et se concurrencent (d’où les deux guerres mondiales).

« L’action commune internationale » envisagée par Engels devient à l’ordre du jour, ce qui signifie aussi la fin de la coopération (conflictuelle) qui perdurait (en tout cas en France) entre bourgeoisie républicaine et mouvement ouvrier.

« Pour le prolétariat européen, il ne s’agit pas de défendre la «Patrie» nationaliste qui est le principal frein au progrès économique. Il s’agit de créer une patrie bien plus grande : les Républiques des États-Unis d’Europe, première étape sur la voie qui doit mener aux États-Unis du Monde.»xv (Trotsky : le programme de la Paix, 1914).

C’est lignes sont d’autant plus d’actualité de nos jours, à l’heure de la mondialisation capitaliste, qui fournit d’une certaine façon la base matérielle du dépassement du stade national.

Dans ces conditions, le vieux mot d’ordre de « défense de la République », parfaitement justifié à l’époque du capitalisme ascendant, devient celui de la préservation de l’ordre capitaliste. Ainsi sera-t-il utilisé à fond par les directions du PCF et de la SFIO pour contenir le mouvement des masses en 1936. Et le clivage entre réformistes et révolutionnaires se concrétise par la défense d’une alliance exclusive des organisations ouvrières (le Front Unique) ou la subordination de celles-ci au vieux parti radical (ce qui est l’essence de la politique de Front Populaire). À l’heure de l’impérialisme, le mouvement ouvrier révolutionnaire ne peut être partie prenante d’un quelconque camp « républicain ».

Défendre les acquis

À l’époque impérialiste, la politique de bloc républicain devient donc obsolète.

Mais ceci ne signifie évidemment pas qu’on soit indifférent à un retour en arrière. Ainsi l’unité nationale est un acquis et le retour au communautarisme, au provincialisme (p. ex. sous la forme de « l’Europe des régions » et sa déclinaison française – régionalisation/décentralisation) serait un immense recul social (ne serait-ce qu’à cause de la disparition de nos acquis nationaux – statuts, services publics, etc.).

Là encore, un retour à Marx n’a rien d’inutile :

« (…) les ouvriers doivent non seulement poursuivre l’établissement de la république allemande une et indivisible, mais encore essayer de réaliser, dans cette république, la centralisation la plus absolue de la puissance entre les mains de l’État. Ils ne doivent pas se laisser induire en erreur par tout ce que les démocrates leur racontent de la liberté des communes, de l’autonomie administrative, etc. Dans un pays comme l’Allemagne, où il reste encore à faire disparaître de si nombreux vestiges du moyen âge et à briser tant de particularisme local et provincial, on ne saurait en aucune circonstance tolérer que chaque village, chaque ville, chaque province oppose un nouvel obstacle à l’activité révolutionnaire, dont toute la puissance ne peut émaner que du centre. On ne saurait tolérer que se renouvelle l’état de choses actuel qui fait que les Allemands sont obligés, pour un seul et même progrès, de livrer une bataille particulière dans chaque ville, dans chaque province »xvi.

On est loin, très loin, de l’exaltation du nationalisme breton, etc. qu’affectionne tant l’Anticapitaliste !

En guise de conclusion

Il existe dans ce qui reste du NPA tout un courant pour qui l’hostilité des réactionnaires de tout poil à l’Islam suffit à rendre les défenseurs de cette religion (effectivement moyenâgeuse3) sympathique. Ce campisme naïf se conjugue généralement à une remise en cause du « jacobinisme » traditionnel du mouvement communiste.

Incontestablement, l’article de L. Ripart accompagne ce courant. Relativiser les acquis « républicains », leur importance, c’est encourager le communautarisme islamo-gauchiste. Il est vrai que dans une organisation où les questions théoriques sont traitées avec une telle légèreté, c’est extrêmement facile.

Au-delà de sa fausseté sur ces aspects, le problème de ce genre de texte, c’est qu’il isole un peu plus ce qui reste du NPA – les travailleurs français sont viscéralement attachés aux acquis de ce type, et même ceux venant du Maghreb vomissent littéralement les pratiques moyenâgeuses voire ouvertement racistes de ces courants. C’est évidemment encore plus le cas depuis les crimes barbares de Charlie-Hebdo, du Bataclan, etc.

En ce sens, la publication d’un article tel que celui-ci et ce qu’il accompagne augurent mal, très mal, de l’avenir du NPA.

NOTES

1En fait le livre de Peña-Ruiz (« Qu’est-ce que la laïcité ? ») est important. Sa lecture est recommandée, particulièrement dans un parti où l’hostilité traditionnelle du mouvement ouvrier aux bigots est remise en cause (c’est la fonction du mot d’ordre de « lutte contre l’islamophobie », qui dévie l’indispensable combat à mener contre la xénophobie sur le terrain religieux).

2Soit dit en passant, l’affaire des gaulois n’était à cette époque qu’une tentative républicaine pour renforcer le nouveau régime sur le plan idéologique. C’est effectivement discutable, mais il faut rappeler que depuis un siècle la science historique a progressé, et que le problème (incontestable) n’en est devenu un qu’avec le développement de l’immigration à la fin du XX° siècle.

3Le philosophe Y. Quiniou (Pour une approche critique de l’islam) a amplement démontré le caractère obscurantiste, totalitaire, de cette religion.

iK. Marx : Le XVIII brumaire de Louis Bonaparte (1852).

iiD. Bensaïd : La révolution française refoulée (2005).

iiiF. Engels : Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880).

ivPh. Marlière : La république est un consensus mou (revue Ballast, juin 2015).

vK. Marx : Lettre à Sorge – 27.IX.1877.

viF. Engels : les travailleurs européens en 1877.

viiJJ. Rousseau : Le contrat social (1780)

viiiE. Hobsbawn : Nations et nationalisme depuis 1780.

ixG. Noiriel : « Qu’est-ce qu’une nation ? ».

xE. Hobsbawn : op. cit.

xiJ. Ozouf, « Nous les maitres d’école ».

xiiS. Kouvelakis : « Je plaide donc coupable… ». Contre l’ordre néo-républicain, pour l’universalisme révolutionnaire. (juin 2016).

xiiiLénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

xivK. Marx : Manifeste du parti communiste (1848).

xvTrotsky : le programme de la Paix, 1914

xviMarx : Adresse à la Ligue des communistes, 1850.

A lire, à voir ou à écouter
Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • ReSPUBLICA
  • lettre 830
  • Résistance

« Réponse à Michel Onfray et autres textes sur la Résistance et l’engagement », de Léon Landini

par Bernard Teper

 

Nous nous sommes intéressés à Léon Landini, président des anciens FTP-MOI des bataillons Carmagnole et Liberté, suite au film «  Les jours heureux » de Gilles Perret où il crève l’écran par sa sincérité et son sens de l’engagement. Officier de la Légion d’honneur, médaillé de la Résistance, grand mutilé de guerre suite aux tortures endurées au cours de son internement au fort de Montluc à Lyon, il mérite notre respect. Il fait partie de la grande histoire de France. Aujourd’hui encore, il reste engagé au Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF).

Sans partager toutes ses idées, ReSPUBLICA décidé de publier la première lettre de son livre adressée à Thierry Ardisson. Quelques lecteurs nous ont alors écrit que les termes employés par Léon Landini contre Michel Onfray étaient scandaleux. Eh bien, nous persistons et voici cette fois-ci une recension de son livre publié aux éditions Delga (157 pages, 15 euros) dont ce texte était extrait. La photo de couverture représente Guy Môquet.

Voilà un acteur de la Résistance qui n’est pas un des nombreux commentateurs inactifs qui adorent se battre avec la peau des autres, mais qui souffre du fait que l’ensemble des médias néolibéraux banalisent les nazis notamment en Ukraine au XXIe siècle, refusent de dire que la résistance communiste a payé par le sang la lutte pour la Libération de la France. Il a donc souhaité dans ce livre célébrer le sens de l’engagement de ces résistants. Ce livre est un cri où il donne sa vérité. C’est donc un document intéressant à mettre en lien avec tous les autres livres argumentés pour garder la mémoire de l’engagement durant cette période intense.

Contre ceux qui estiment que les communistes ont collaboré avant l’invasion de l’URSS par les nazis, il dresse une liste non exhaustive d’actions menées par des communistes entre l’entrée en guerre en juin 40 et l’attaque Barbarossa des nazis. Il cite les communistes fusillés et torturés pour fait de résistance avant la rupture du pacte germano-soviétique. Dans des lettres écrites à des dirigeants récents du PCF comme Robert Hue ou Francis Wurtz, il reproche à ces dirigeants la trahison des idéaux communistes. Dans des lettres à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, il les accuse de vouloir instrumentaliser la mémoire des résistants.

On trouve dans l’ouvrage des développements sur sa conception dialectique entre résistance militaire et résistance politique. Des lettres explicitant tel ou tel acte de bravoure des résistants. Plusieurs lettres pour montrer l’importance d’un dirigeant de la Résistance oublié, Joseph Epstein. Une lettre intitulée «  Ces étrangers qui ont libéré la France » pour s’offusquer de la réécriture mensongère de l’histoire de la 2e DB du général Leclerc masquant l’entrée dans Paris d’unités de républicains espagnols. La défense du drapeau tricolore contre le fait que le journal La Raison (organe de la FNLP dirigé par des trotskistes lambertistes) ait traité le drapeau tricolore de « torche-cul ». La critique de la direction du PCF sur son européisme, car Landini estime que l’Union européenne et la zone euro sont là pour empêcher toute politique progressiste en Europe.



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org