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  • lettre 935

La deuxième vague, c’est la crise sociale et économique qui arrive !

par Évariste

 

Après 35 ans de mutation néolibérale et 15 mois de guerre sociale, la France a vu surgir la pandémie due au virus SARS-CoV-2 dans les pires conditions à cause d’une imprévision criminelle de ses dirigeants qui les a empêchés de choisir la meilleure stratégie de lutte : tester, tracer et confiner les testés positifs comme en Corée du Sud, à Taïwan ou en Allemagne par exemple. L’absence de tests, de masques et la faiblesse du nombre de lits de réanimation (5000 lits soit trois fois moins que l’Allemagne rapporté au nombre d’habitants) les a obligés d’utiliser la plus mauvaise des stratégies de lutte à savoir le confinement total d’une majorité de la population comme au Moyen Âge ! Voilà pourquoi la France est dans le peloton de tête mondial de la surmortalité par habitant.

Mais il y a une suite, c’est que ce confinement total moyenâgeux va amplifier la crise sociale à la sortie du confinement. C’est la double peine ! Car le chômage partiel n’est qu’un moyen de retarder de quelques mois le démarrage de la crise sociale. L’OFCE chiffre à 620 000 le nombre de chômeurs en plus à la sortie du confinement. Les annonces de certaines grandes entreprises laissent présager que le million de chômeurs supplémentaires sera dépassé avant la fin de l’année. Et sans doute beaucoup plus si on additionnait les chômeurs des 5 catégories A, B, C, D, E ! Les mois qui viennent vont donc nous faire vivre soit la possibilité d’une bifurcation historique, soit le monde d’après en pire ! Mieux ou pire, voilà le choix mais sûrement pas revenir au jour d’avant.

Car au chômage s’ajoutera une augmentation forte de la misère et de la pauvreté. Et si on rajoute le mécontentement des personnels « essentiels » : soignants, enseignants, éboueurs, caissières, etc., qui ne voient toujours pas de concrétisation des discours de leur président de la République, mais aussi la volonté néolibérale de faire payer la plus grande partie des centaines de milliards de dette nouvelle aux travailleurs, on a là un cocktail explosif qui peut nous surprendre autant que la crise du coronavirus dont nous avons passé le premier épisode.

Mais pour l’instant, ce n’est pas morose pour tout le monde. Du 30 mars au 1er mai 2020, 30 millions d’Américains se sont inscrits au chômage mais Wall Street a bondi de 13 %, sa meilleure croissance depuis 1987. L’Euro Stoxx 50, indice boursier de la zone euro a gagné 5 %, le Dax allemand 9 %, le Cac 40 4 % ! C’est l’intensification de la lutte des classes, réalité qu’essayent de masquer les médias dominants qui tentent de nous amuser avec des faits picrocholins (naissance du 9ème groupe ou du 10ème groupe à l’Assemblée nationale, changement ou pas de Premier ministre, interview de l’ex-président Hollande, etc.).

Rajoutons à ce tableau que l’hypothèse d’une baisse de croissance de 8 % retenue dans la loi de finances rectificative du 25 avril dernier n’est pas crédible pour tout économiste qui utilise sa raison raisonnante. Alors que sans désépargne, la baisse de croissance du PIB pourrait être de 11 % et la dette dépasserait 120 % du PIB. Car, nous pensons que devant la peur de l’avenir, les citoyens français ne vont pas se mettre à surconsommer leur épargne pour ceux qui en ont !

Sans compter la vulnérabilité de l’Italie, 3ème pays en importance économique de la zone euro. Son dérapage financier aurait un effet domino autrement plus fracassant que la Grèce en 2015…

Nous voilà donc dans une crise paroxystique multidimensionnelle. Et dans ce cas, comme nous l’avons dit plus haut, c’est le moment de la bifurcation historique : mieux ou pire ?

Pour le pire, tout est prévu, la nouvelle doctrine anti-républicaine du maintien de l’ordre, la restriction des libertés publiques par la perpétuation des états d’urgence, l’actuelle perméabilité des forces de l’ordre aux idées de l’extrême droite permise par la hiérarchie policière, les médias dominants prêts à l’union des droites (extrême droite comprise), les conquis sociaux désagrégés dans la séquence politique précédente.

Pour le mieux, malheureusement peu de chose est prévu. Seul un nouveau rapport de forces social de grande ampleur pourrait engager la bifurcation historique du côté du progrès social. Mais là, il ne faudra pas continuer l’archipelisation des forces sociales et politiques, chacun restant dans son couloir en disant du mal surtout de celui qui est dans le couloir voisin. Donc ne pas refaire la sérénade – très appréciée par le patronat et les néolibéraux de droite et de gauche – qui opposa le mouvement des gilets jaunes au mouvement syndical. Donc de préférer la tentative du blocage de l’économie du type du mouvement du 5 décembre prônée dès la première quinzaine de septembre par le mouvement à la RATP suivi des cheminots, plutôt que la succession des manifestations « saute-mouton » qui épuisent les travailleurs. On nous rétorquera que cela ne se décrète pas. Nous répondrons que c’est très juste mais c’est le rôle des directions politiques et syndicales de préparer le mouvement pour tenter de réussir. Car si on ne tente pas cela, on a déjà perdu avant de commencer ! Mais il faudra bien sûr rompre avec les lignes stratégiques qui font perdre la gauche populaire depuis le tournant néolibéral. D’abord constituer un bloc historique autour de la classe populaire ouvrière et employée qui vivent les mêmes conditions matérielles d’existence et qui représentent plus de 53 % de la population française et que les directions de la gauche politique et syndicale ont abandonné. D’autant que de nombreux artisans et très petits commerçants, des travailleurs précaires issus des couches moyennes vivent des conditions pire encore que la classe populaire ouvrière et employée. À ceux-là doivent s’allier les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population française), une partie des couches moyennes intellectuelles voire une partie des cadres. Et tout cela dans un esprit de convergence pour en finir avec l’archipelisation souhaitée par les néolibéraux. Mais pour converger, il faut préférer l’universalité des principes républicains sociaux plutôt que de se référer au différentialisme, à l’indigénisme, au racialisme, aux positions identitaires qui divisent le camp du travail pour le plus grand bien de l’oligarchie capitaliste. Plutôt la liberté que la police de la pensée, plutôt l’égalité que l’équité, plutôt la fraternité et la solidarité que la charité et l’aumône, plutôt la laïcité comme organisation de la vie sociale que le communautarisme et le repli identitaire, plutôt la lutte des classes que la lutte des races, plutôt la souveraineté populaire que la remise des pouvoirs aux experts autoproclamés, plutôt le développement écologique et social que le productivisme, plutôt le féminisme global, républicain et social que la division sur l’écriture inclusive, plutôt l’internationalisme que le mondialisme ou le nationalisme, plutôt les quatre conditions de Condorcet de la démocratie que l’homme providentiel et le renforcement de la bureaucratie, plutôt la propriété d’usage ou la propriété collective que la propriété lucrative, etc.

Puis, développer la nécessité de se former et de pratiquer une refondation de l’éducation populaire indispensable aux luttes sociales et politiques. C’est d’autant plus important que les directions des grandes organisations syndicales associatives et politiques ont abandonné cette tâche prioritaire.

Et enfin, il n’y aura pas bifurcation sans la créativité de l’auto-organisation des travailleurs. Car comme un mouvement social ne se décrète pas, mais comme toutes les bifurcations de l’histoire ont été démarrées par l’auto-organisation des travailleurs, l’auto-organisation doit être la base de la mobilisation. Mais il n’y a pas d’auto-organisation sans une pratique renouvelée de la démocratie souvent abandonnée par les grandes organisations à commencer par les structures étatiques et locales. Mais souvent la démocratie fut confisquée par les thuriféraires du gouvernement représentatif à la Sieyès. Il faut donc penser la pratique du processus de démocratie au début du chemin mais aussi au bout du chemin. Alors cette démocratie doit entrer partout et y compris dans l’entreprise.

Oui, pour avoir le mieux, il faut, de notre point de vue, penser la socialisation progressive des entreprises.

Oui il faut que les nationalisations nécessaires aient une contrepartie à l’aide des deniers publics dans la crise économique et financière qui s’annonce. Ces nationalisations ne doivent pas devenir des structures de plus en plus bureaucratiques au point d’être dirigées in fine par une nomenklatura, future grande bourgeoisie d’État. Pour cela, une solution : la démocratie, la démocratie, la démocratie ! De 1946 à 1967, la Sécurité sociale fut dirigée ni par le privé, ni par l’État mais par les représentants élus à tous les niveaux des assurés sociaux. Avec des résultats exceptionnels de santé publique ! Pourquoi les usagers des services publics ne désigneraient-il pas leurs représentants élus à tous les niveaux des services publics existants ou à construire ? Comme les personnels d’ailleurs qui pourraient siéger de façon significative dans les directions des services publics au prorata des élections professionnelles syndicales ? Le tout organisé par une planification démocratique à repenser !

Ou dit autrement, construire une République sociale dotée d’une planification authentiquement démocratique sur des critères sociaux et écologiques avec :

– des processus démocratiques dans les services publics et la Sécurité sociale refondée, adossés sur des filières de production socialisées et sécurisées ;

– des entreprises engagées dans un processus de socialisation progressive ;

– des aides de l’État avec des contreparties sociales et écologiques proportionnées ;

– des nationalisations et des développements de communs ;

– la Sécurité sociale financée entièrement par des cotisations sociales à la hauteur des enjeux ;

– une refondation de l’impôt qui doit être de plus en plus progressif.

Voilà ce que nous proposons au débat général des acteurs du monde de demain !

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Billet d’humeur du jour : le « 5e risque »

par Christophe Prudhomme

 

Le mouvement dans les EHPAD date maintenant d’il y a deux ans et nous sommes toujours en attente de réponses à nos revendications. Le ministre de la Santé vient d’annoncer la création d’une 5e branche pour la prise en charge de la perte d’autonomie. C’est une annonce qui peut être considérée comme intéressante, mais deux questions nécessitent des réponses : d’une part, pourquoi une 5e branche et avec quel financement alors que ce besoin pourrait être pris en charge par la branche maladie ; d’autre part, un financement pour payer quoi.

À cette deuxième question, il est clair que si c’est pour financer le secteur privé à but lucratif, dont les groupes Korian et Orpéa, la réponse est non. Au regard du comportement de ces groupes depuis leur création et à la lumière de la manière dont ils ont géré la crise du coronavirus, il n’est pas question d’abonder les dividendes de leurs actionnaires. La question qui se pose aujourd’hui est de supprimer tout financement par les cotisations sociales et les fonds publics de ces requins qui surfent sur le marché du vieillissement, qu’ils appellent d’ailleurs « l’or gris ». Il est urgent de revendiquer la fin du secteur privé à but lucratif dans le domaine de la santé et en l’occurrence de la prise en charge de la perte d’autonomie.
En ce qui concerne la création d’une nouvelle branche, il faut être vigilant car l’objectif caché est de sortir cette branche du financement par les cotisations sociales. Il faut se rappeler qu’à la création de la Sécurité sociale, les branches n’existaient pas et on parlait de prestations maladie, retraite, famille et accident du travail/maladies professionnelles. L’autonomisation en branches a pour but de ne plus équilibrer le financement entre les différentes prestations. Nous connaissons la musique avec la présentation de déficits sciemment créés par une baisse des cotisations pour imposer ensuite des plans d’économie et une diminution des prestations.
Il ne faut donc pas se féliciter trop vite. Une porte est ouverte, mettons le pied dedans et avançons nos revendications pour une Sécurité sociale unique, prenant en charge l’ensemble des besoins des assurés de la naissance à la mort, et pour un service public de santé débarrassé du secteur privé à but lucratif.

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La refondation de l’Europe ne pourra se faire sans sortir des Traités actuels

par Alain Supiot

 

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/alain-supiot-la-refondation-de-l-europe-ne-pourra-se-faire-sans-sortir-des-traites-actuels-20200522

NDLR – Dans le précédent numéro de Respublica, nous publiions une analyse de l’arrêt du tribunal constitutionnel de Karlsruhe sur la politique de la BCE en 2015. Le même jour, Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France, en donnait une interprétation divergente, que nous reproduisons ici. L’enjeu stratégique de cette décision juridique étant crucial, il nous paraît nécessaire de débattre de cette situation de façon contradictoire et précise. Les deux analyses, au demeurant, ne sont pas forcément antithétiques : s’il faut donner raison à Alain Supiot sur le fait que l’arrêt de 2020 ne reprend pas les termes de celui de 2009, le simple fait d’y voir un acte éminemment politique (avis que nous partageons) autorise à penser que la Cour n’avait pas besoin de le faire pour que le lien entre les deux arrêts soit établi par la classe politique ; ne pas reprendre les termes de l’arrêt de 2009 signifie alors que la Cour n’a pas voulu acter un franchissement de seuil de souveraineté, ce qui aurait eu des conséquences institutionnelles immédiates et considérables. En tout état de cause, il ressort de la comparaison de ces deux analyses que l’arrêt de mai 2020 doit être perçu comme un avertissement sans frais dont les conséquences politiques se feront sentir à moyen terme, plutôt que comme un grand soir souverainiste. Cela ne rend notre travail d’organisation politique et d’appropriation collective de ces enjeux que plus important.  – PYM

 

L’arrêt Pouvoirs de la BCE rendu par le Bundesvervassungsgericht (Tribunal constitutionnel de la République fédérale d’Allemagne, (BVerfG) le 5 mai 2020 est le dernier épisode en date d’une « guerre du dernier mot » qui sévit en Europe depuis des années.

Du point de vue économique et monétaire, il est difficile de ne pas souscrire aux analyses de ceux qui voient dans cette dernière décision un nouveau révélateur de ce que Frédéric Lordon a justement nommé « la malfaçon de l’euro ». Ou pour le dire autrement, un craquement lugubre dans la glace monétaire sur laquelle repose la construction européenne.

La volonté de la CJUE de s’affirmer en Cour suprême européenne n’a pas de base juridique.

 

Qu’en est-il du point de vue juridique ? On serait tenté à première lecture de voir dans cet arrêt un simple développement de la jurisprudence inaugurée en 2009 par le BVerfG dans sa décision relative au Traité de Lisbonne. Cette décision reposait sur deux arguments imparables. Elle rappelait les institutions européennes à l’ordre de principes constitutionnels intangibles sur lesquels l’UE prétend elle-même se fonder, à commencer par le principe de démocratie, « principe qui ne peut pas être pesé contre d’autres valeurs car il est intangible ». Et elle condamnait en termes à peine voilés la propension de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à statuer ultra vires, c’est-à-dire au-delà des compétences juridiques conférées à l’Union. La tentative de consacrer en 2007 dans le Traité de Lisbonne la « primauté absolue » du droit européen sur les droits nationaux ayant échoué, la volonté de la CJUE de s’affirmer en Cour suprême européenne n’a pas de base juridique. Elle procède de la propension, malheureusement commune à toutes les juridictions internationales sans contrepoids démocratique, à s’ériger en « gouvernement des juges ».

De cet hubris de la CJUE, on a de très nombreux exemples. En 2014, elle a ainsi privé d’effet la disposition pourtant non équivoque du Traité de Lisbonne, selon laquelle « L’Union adhère à la Convention européenne des droits de l’Homme », afin de ne dépendre en aucune manière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. On se souvient aussi de ses tristement célèbres arrêts Viking et Laval, dans lesquels elle s’est arrogée le pouvoir de réglementer des droits (droits de grève et liberté syndicale) que les Traités européens font explicitement échapper à la compétence de l’Union, et cela dans un sens que l’Organisation Internationale du Travail a jugé contraire à la Convention internationale sur la liberté syndicale. Dans son arrêt Viking, elle est même allée jusqu’à mettre en balance le principe de dignité humaine avec les libertés économiques garanties par les Traités. Les disciplines budgétaires imposées dans l’Eurogroupe vont dans le même sens, d’un débordement continu par l’Union européenne des compétences qui sont les siennes. Partout, elles ont servi à justifier non la réforme, mais la paupérisation de services publics en général et des hôpitaux en particulier. La « Troïka » a ainsi contraint la Grèce à réduire ses dépenses de santé d’environ 35 % de 2010 à 2015 et à supprimer 15 000 postes et 10 000 lits dans les hôpitaux publics, dont la fréquentation a dans le même temps augmenté de 25 %. Ce qui n’empêche pas l’UE de se réfugier aujourd’hui derrière son incompétence en matière de services de santé pour justifier son inaction face à la pandémie globale. Ces débordements de compétence posent la question de savoir « qui garde ces gardiens ». Le BVerfG a eu le mérite de répondre à cette question en 2009, en se fondant sur le concept d’identité constitutionnelle, concept bientôt repris, fut-ce sur un mode mineur, par d’autres Cours constitutionnelles des États membres.

Mais aucun des deux motifs ayant justifié la décision Traité de Lisbonne ne se retrouve dans la décision Pouvoirs de la BCE : la CJUE est bien dans sa compétence quand elle juge de l’étendue de ces pouvoirs, et aucune violation de l’identité constitutionnelle allemande ne peut être relevée, ainsi que le BVerfG l’admet lui-même comme à regret. Le principal grief qu’il adresse à la CJUE est un usage inapproprié du principe de proportionnalité visé à l’article 5 TUE. Mais ce grief ne résiste pas à une analyse sérieuse. Comme vient de le montrer Antonio Marzal, auteur de l’ouvrage de référence sur l’usage de ce principe, le BVerfG entend imposer sa propre conception de ce principe, sans tenir compte de la signification qu’il a acquise en droit européen pour tenir compte de la diversité des traditions juridiques des États membres . La faiblesse juridique de sa décision a été aussi relevée de façon très convaincante par d’éminents juristes étrangers à l’UE.

Sur le fond, ce n’est pas la même chose de défendre (comme le faisait à bon droit le BVefG en 2010), les principes de base de la démocratie contre l’hubris des institutions européennes et de prétendre, (comme il le fait aujourd’hui) imposer à la BCE la conception allemande de l’ordolibéralisme monétaire. Or c’est bien ce que fait le BVerfG en intimant à la BCE de s’en tenir à l’objectif de stabilité des prix, sans tenir compte du fait que le Traité lui donne aussi mission de « contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 sur l’Union européenne » (art. 127 TFUE). Or ces objectifs ne se limitent pas à la stabilité des prix. Ils consistent aussi à « combattre l’exclusion sociale et la discrimination et promouvoir la justice et la protection sociale », ainsi qu’à « promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » (art. 3 TUE). De tels objectifs imposent sûrement de ne pas se limiter, comme le fait le BVerfG, à la seule considération des intérêts des « actionnaires, locataires, propriétaires, épargnants et assurés », mais de s’inquiéter aussi du sort de tous ceux qui vivent de leur travail. Bien qu’elle n’en soit certainement pas une condition suffisante, une même monnaie contribue à souder une communauté (les sous et la solidarité ont la même étymologie). Il est vrai que les mesures exceptionnelles prises par la BCE – c’est aussi le cas de celles annoncés pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de coronavirus — ne sauraient suffire à atteindre les objectifs de « cohésion économique, sociale et territoriale, et de solidarité entre les États membres » visés par les Traités. Cela d’autant moins que, pour respecter la lettre des Traités, la BCE use à cette fin d’un détour par les banques privées, propre à nourrir une sphère financière devenue largement hors sol. Mais il n’est pas douteux en revanche, que ces mesures exceptionnelles visent à la réalisation de ces objectifs de cohésion et de solidarité. En sorte que la CJUE, seule compétente pour en juger, a pu légitimement décider que la BCE pouvait y recourir sans excéder manifestement les pouvoirs qu’elle tient des Traités.

L’usage devenu presqu’exclusif du globish dans les relations européennes est un avatar de la hiéroglossie, dont Jean-Noël Robert a mis en évidence la place dans les systèmes de domination religieuse

 

Au fond le BVerfG succombe à son tour à l’hubris d’un juge excédant ses compétences en fondant son raisonnement, non sur des principes juridiques fondamentaux, mais sur une analyse économique de facture ordolibérale, qu’il entend imposer à tous les États de l’Eurogroupe. On y entend l’écho jurisprudentiel des réunions de cet Eurogroupe durant la crise grecque, telles que les a reconstituées Costa Gavras dans son récent film Adults in the Room (2019).

Il est du reste révélateur que le BVerG, qui avait pris soin en 2009 de publier sur son site une traduction française de son arrêt Traité de Lisbonne, se soit contenté cette fois-ci d’une traduction anglaise. La langue de délibéré de la CJUE est traditionnellement le français et l’anglais n’est plus la langue officielle d’aucun des 27 pays membres de l’Union européenne. Il est vrai que la tendance de toutes les institutions européennes est aujourd’hui d’user exclusivement de la langue du Brexit, mais cela augure assez mal de l’avenir de l’Union. Pour se faire comprendre, et maintenir vivantes les relations culturelles entre pays européens, chacun d’eux devrait ne pas oublier que « l’Europe pense en plusieurs langue » et prêter attention à celles de ses voisins. Cette question linguistique n’est pas secondaire pour qui se réclame de la démocratie. Reposant sur des « assemblées de paroles », la démocratie suppose de respecter la diversité des langues, tandis que l’oligarchie communie au contraire dans une même langue, qu’elle impose à tous. L’usage devenu presqu’exclusif du globish dans les relations européennes est un avatar de la hiéroglossie, dont Jean-Noël Robert a mis en évidence la place essentielle dans les systèmes de domination religieuse. Cette normativité de la langue est particulièrement évidente en matière juridique, compte tenu des liens étroits qui unissent l’anglais à la tradition de Common law et de la difficulté d’y traduire les concepts juridiques de base de la tradition continentale romano-germanique.

L’Allemagne est sortie de la Seconde guerre mondiale passionnément attachée à la démocratie et à l’État de droit, mais aussi passionnément attachée à sa monnaie

 

L’Allemagne est sortie de la Seconde guerre mondiale passionnément attachée à la démocratie et à l’État de droit, mais aussi passionnément attachée à sa monnaie, devenue pour elle le substitut symbolique d’un État dont la figure a été durablement discréditée par le nazisme. La France aurait été avisée de soutenir son exigence de démocratie en Europe et de résister en revanche à ses obsessions monétaires. C’est exactement le contraire de ce qu’ont fait nos gouvernants de tout bord politique depuis 30 ans. Ils n’ont articulé aucune réponse aux propositions venues d’Allemagne, visant, avant tout élargissement à l’Est, à approfondir l’union politique au sein d’un noyau dur de pays fondateurs de l’Union européenne (plan Schäuble-Lamers en 1994) et à remédier à son « déficit démocratique » (plan Fischer en 2000). En revanche ils n’ont eu de cesse de faire allégeance aux politiques monétaires allemandes, n’hésitant pas à renier à cette fin la démocratie dans leur propre pays. C’est ainsi que le Président Sarkozy a privé de tout effet le résultat très clair du référendum de 2005 en adhérant au Traité de Lisbonne. Puis qu’à peine élu sur la promesse de ne pas ratifier le Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, le président Hollande s’est empressé de le ratifier. Ces trahisons répétées de la démocratie sont pour beaucoup dans le discrédit profond de la classe politique française, dont le Président Macron est l’héritier plus que l’artisan. Le discrédit dont souffre les institutions européennes est encore plus grand, faisant courir le risque de l’effondrement de l’UE.

Retrouver une Europe de la coopération plutôt que de la compétition.

 

La « construction » européenne peut-elle encore échapper à la dislocation ? Depuis 2005 et l’échec du projet de Traité constitutionnel, des craquements de plus en plus inquiétants s’y font entendre, sans que rien ne semble pouvoir tirer ses dirigeants de leur sommeil dogmatique. Ni les désaveux électoraux répétés, ni la fracture économique entre pays de la zone euro, ni le renflouement par le contribuable de banques devenues intangibles, ni la descente de la Grèce aux enfers, ni l’incapacité à trouver une réponse commune aux flux migratoires, ni le Brexit, ni l’impuissance face aux diktats américains imposés au mépris des traités signés, ni la montée de la pauvreté, des inégalités, des nationalismes et de la xénophobie, ni enfin l’épreuve de la pandémie globale, n’ont permis d’ouvrir à l’échelle de l’Union européenne un débat démocratique sur la crise profonde qu’elle traverse et les moyens de la surmonter.

L’UE ne retrouvera son crédit et sa légitimité que dans la mesure où elle s’affirme comme une Europe de la coopération plutôt que de la compétition. Une Europe démocratique, prenant appui sur la riche diversité de ses langues et de ses cultures, au lieu de s’employer à les araser ou les uniformiser. Une Europe des projets, œuvrant à la solidarité continentale pour répondre aux défis — et à ceux-là seulement — qu’aucun État ne peut relever isolément. Ayant perdu l’esprit communautaire des origines , les États membres ont été incapables de s’accorder à ce jour sur des dispositifs d’entraide et de coopération à la mesure des défis écologiques, technologiques, économiques et sociaux des temps présents. C’est ce qui a conduit la BCE à imaginer des palliatifs pour sauver la zone euro de l’implosion. Le BVefrG a juridiquement tort de le lui reprocher, mais sa décision a au moins un immense mérite: montrer que le roi est nu et que la nécessaire refondation de l’Europe sur les principes de démocratie et de solidarité ne pourra se faire sans sortir des Traités actuels. En interdisant à la classe dirigeante allemande de se cacher plus longtemps les impasses dans lesquelles est enferrée une union monétaire dont leur pays est le principal bénéficiaire, le Tribunal de Karlsruhe a créé les conditions d’un réveil politique. Le projet franco-allemand d’un emprunt solidaire européen pour faire face aux conséquences de la pandémie du Covid-19 pourrait être le premier signe d’un tel réveil.

 

Crise sanitaire
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Les plus forts taux de surmortalité concernent les « travailleurs essentiels »

par Dominique Méda

 

On sait que l’âge joue un rôle aggravant dans l’exposition à l’épidémie de Covid-19. Mais dans quelle mesure les conditions de vie et d’emploi en jouent-elles un ? Les données de l’Insee sur la Seine-Saint-Denis ont montré que ce département, dont la population est plus jeune que la moyenne, présente néanmoins un record de surmortalité : on y a recensé 130 % de décès en plus entre le 1er mars et le 27 avril par rapport à la même période en 2019. Lire aussi Coronavirus : une surmortalité très élevée en Seine-Saint-Denis.)

Cette population connaît également un taux de pauvreté élevé et une forte proportion de travailleurs qui, prenant tous les jours les transports en commun, exercent des métiers dits, depuis le début de la crise sanitaire, « de première ligne ». On sait aussi qu’il existe des liens étroits entre pauvreté, conditions de vie médiocres et mauvaises conditions d’emploi. Mais peut-on aller plus loin : certains métiers présentent-ils plus de risques d’être touchés par le Covid-19 que d’autres, et pourquoi ?

Aux Etats-Unis, le profil démographique des travailleurs « de première ligne » (vente, transports publics, chauffeurs, entrepôts, services postaux, entretien, métiers du soin, travailleurs sociaux) a permis de mettre en évidence la prédominance des femmes, notamment dans les métiers du soin, du social et de la vente, ou encore la surreprésentation des personnes de couleur et touchant des salaires bas (« A Basic Demographic Profile of Workers in Frontline Industries », Hye Jin Rho, Hayley Brown, Shawn Fremstad, Center for Economic and Policy Research, 7 avril 2020). Mais cette étude ne présente pas de données sur la contamination ou la mortalité par Covid-19.

Conditions socio-économiques et comorbidités

En revanche, l’équivalent britannique de l’Insee, l’Office for National Statistics (ONS), a exploité les données de mortalité par le Covid-19 (« Coronavirus (Covid-19) Roundup ») sous l’angle socioprofessionnel. L’une de ses études analyse les 2 494 décès impliquant le coronavirus intervenus entre le 9 mars et le 20 avril dans la population en âge de travailler (20-64 ans) en Angleterre et au Pays de Galles. La profession étant indiquée sur le certificat de décès, on peut comparer la composition socioprofessionnelle des personnes décédées du Covid-19 à celle de l’ensemble des personnes décédées du même âge et du même sexe.

Les plus forts taux de surmortalité concernent en premier lieu les travailleurs des métiers du soin à la personne (hors travailleurs de la santé, car les médecins et infirmières n’ont pas enregistré de surmortalité), suivis des chauffeurs de taxi et d’autobus, des chefs cuisiniers et des assistants de vente et de détail ; autrement dit, ceux que l’ONS décrits comme les « key workers », les « travailleurs essentiels ». L’ONS a aussi montré la plus forte probabilité pour les non-Blancs de décéder du coronavirus, en partie explicable par des facteurs socio-économiques.

Ces études – qui ne peuvent pas pour l’instant être réalisées en France, car nos instituts statistiques n’ont pas légalement l’autorisation de relier origine ethnique, cause médicale de décès et profession – permettent de démontrer la plus grande vulnérabilité de certaines professions et pourraient inciter à mieux les protéger (notamment les personnes atteintes par ailleurs de maladies chroniques), en matière d’équipements – qui ont cruellement manqué en début de crise –, mais aussi de statut d’emploi et de conditions de travail.

En effet, les emplois des « key workers » sont aussi, constate l’ONS, ceux qui sont les moins bien payés, qui présentent les conditions de travail les plus difficiles et les statuts les plus précaires. Ces conditions socio-économiques sont aussi en cause dans la prévalence élevée de comorbidités (diabète, hypertension…), dont la présence accroît le risque de décès en cas de Covid-19.

Investir dans la qualité de l’emploi

Deux groupes méritent plus que jamais l’attention des pouvoirs publics. D’abord, ceux (ou plutôt celles) qui pratiquent les métiers du « care », notamment auprès des personnes âgées en perte d’autonomie, au domicile ou en établissement, et dont les études ont montré qu’elles avaient été particulièrement frappées par le virus. En France, le rapport du député Dominique Libault (« Concertation grand âge et autonomie », mars 2019), a rappelé combien les salaires de ces plus de 830 000 travailleuses (en équivalent temps plein) du « care » étaient bas et leurs conditions de travail difficiles. (Lire aussi Infirmières, soignantes, caissières : « C’est une bande de femmes qui fait tenir la société »)

Leur taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles est trois plus élevé que dans les autres professions, et le secteur connaît de grosses difficultés de recrutement, alors même que les besoins de main-d’œuvre sont d’autant plus élevés que la population française continue de vieillir. Une augmentation des salaires, une amélioration des conditions de travail et, plus généralement, une réorganisation profonde du secteur, de préférence dans le cadre de la mise en place d’un cinquième risque au sein de la Sécurité sociale, s’imposent.

Ensuite, la population des travailleurs des plates-formes, livreurs et chauffeurs, a également été mise à rude épreuve. Une proposition de loi relative au statut des travailleurs des plates-formes numériques va être prochainement discutée au Sénat, qui vise à faire rentrer ces travailleurs sous la protection du code du travail, en les assimilant à des salariés. Il serait ainsi mis fin au statut d’autoentrepreneur que les plates-formes obligent ces travailleurs à adopter, les privant ainsi de toute protection, mais que la Cour de cassation a encore récemment désigné comme « fictif ». Investir massivement dans la qualité de l’emploi apparaît bien comme une véritable urgence.

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Paru dans https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/dominique-meda-les-plus-forts-taux-de-surmortalite-concernent-les-travailleurs-essentiels_6040511_3232.html

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La question sociale à l’heure du Covid-19, ou la dictature de l’intérêt commun

par Houssen Zakaria

 

Pour la société, les crises politiques, économiques et sanitaires sont idiosyncrasiques parce qu’elles renvoient à toute une série de questions concernant la cohésion sociale, les relations entre classes sociales, les rapports que chacun entretient avec son environnement immédiat. Celle que nous vivons aujourd’hui interroge davantage puisqu’au nom de la protection de la santé de tous, l’État piétine les droits les plus élémentaires de chacun : pas le droit de circuler au-delà d’un périmètre bien défini, de quitter son pays, de se réunir y compris pour exercer sa religion. Certains n’ont même plus le droit d’exercer leur travail, les restaurateurs notamment. A la guerre comme à la guerre, l’État a prévu toute une batterie de mesures punitives contre celles et ceux qui s’opposeraient, et peu s’y aventurent, car outre la peur du gendarme, s’y opposer est politiquement incorrect. C’est faire preuve d’égoïsme et d’altruisme en mettant sa propre vie et celle des autres en danger, c’est également aller contre la volonté de ceux qui incarnent la nation, qui défendent le bien public, autrement dit l’intérêt général. Ainsi au nom de la santé de tous, les propositions de substitution aux contacts sensitifs (télémédecine, télétravail, e-learning, vidéoconférence) ont surgi comme des évidences que personne n’oserait mettre en cause. Mieux ces propositions ont valeur de tests et sont appelées à durer, car elles annoncent des changements d’organisation dans le monde du travail, une gestion des ressources humaines que le libéralisme entend déployer dans les entreprises pour rentrer dans l’ère nouvelle, celle des nouvelles technologies, de l’économie de la connaissance.

Sans aucune consultation avec les corps intermédiaires, le gouvernement a ainsi soutenu des procédés qui en se généralisant risquent de bouleverser le quotidien professionnel d’un grand nombre de personnes. Et, en interdisant tout rassemblement susceptible d’agréger des voix dissonantes, le discours officiel semble l’emporter en imposant une vision du monde, une certaine appréhension de l’organisation économique, de la question sociale, autrement dit les relations entre classes sociales. La façon d’envisager cette question est en effet balisée. Il ne s’agit pas tant de savoir comment les classes sociales, en l’occurrence les plus démunis vivent ladite crise sanitaire, les conséquences qui en résultent dans le vécu au quotidien. Une telle analyse n’a pas voix au chapitre, car elle déboucherait sur une réalité sociale qu’on chercher à dissimuler : l’impact de la crise selon les positions sociales des agents. Elle mettrait en lumière le fait que certaines personnes sont plus exposées que d’autres de par leur groupe d’appartenance, le lieu d’habitation.

Ainsi, si tous les départements français sont fortement touchés par la pandémie, en Seine-Saint-Denis on assiste à une véritable explosion : les décès ont bondi de + 63 % entre le 21 et le 27 mars souligne le directeur général de la Santé Jérôme Salomon. Un niveau « exceptionnel », pour comparaison, la hausse atteint 32 % à Paris et 47 % dans le département voisin du Val-Oise. Dans les départements défavorisés, le confinement est complexe insiste un urgentiste que travaille dans un centre hospitalier de la Seine-Saint-Denis, il y a beaucoup de familles nombreuses dans des petits logements, des foyers de travailleurs migrants. On sait que les maladies infectieuses touchent plus durement les plus précaires, car la transmission est plus facile, et qu’ils sont plus difficiles à suivre poursuit l’urgentiste. L’impression que l’on a, c’est que l’épidémie va être exacerbée dans les quartiers populaires où des inégalités de santé existent déjà (1)lexpress.fr avec AFP, publié le 03/04/2020.

Les différentes positions sociales et les modes de vie qu’elles sous-tendent sont peu ou prou pris en compte, les mettre en lumière risquerait de ramener sur la scène politique un monstre tentaculaire que l’État a su écarter depuis des lustres du débat politique : la lutte des classes pour le remplacer par un autre qui fait moins de bruit, diffus, consensuel, ne se réclamant jamais comme tel pourtant mais très opérant : l’intégration sociale. Celle-ci justifie le pouvoir établi en opposant non les dominés aux dominants, mais la politique au social. Opposition qui permet de faire table rase des difficultés des classes sociales les plus démunies en envisageant ces difficultés non comme les signes d’un état pathologique de la société qui réclamerait une refonte des structures sociales, mais comme un cri de détresse collective qui exige des réformes structurelles, une réorganisation de l’activité économique et professionnelle dans un sens libéral. C’est le diktat du nomos économique dirait Bourdieu (2)Ordinairement traduit comme « la loi ». Bourdieu mobilise le terme nomos comme principe de vision et de division. Cf, Bourdieu, Propos sur le champ politique, Lyon, PUL, 2000, page 63.. La misère des classes défavorisées est ainsi noyée dans le collectif. La masse intègre le collectif et fait bloc, conférant au bien commun, à l’intérêt général, un impérialisme étatique qui bafoue sans cesse les droits individuels les plus élémentaires. Pour imposer son pouvoir de classe, la classe dirigeante a fait de l’idée d’intérêt général un principe de gouvernementalité tellement fort que quand on l’affirme on ne laisse voir que l’unité des intérêts au sein de la société, oubliant au passage les diversités d’intérêts, d’opinion, voir même de confession.

Notes de bas de page   [ + ]

1. lexpress.fr avec AFP, publié le 03/04/2020
2. Ordinairement traduit comme « la loi ». Bourdieu mobilise le terme nomos comme principe de vision et de division. Cf, Bourdieu, Propos sur le champ politique, Lyon, PUL, 2000, page 63.
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La guerre sanitaire n'aura pas lieu

par Saül Karsz

 

Source : https://www.pratiques-sociales.org/la-guerre-sanitaire-naura-pas-lieu – 15 avril

De deux choses l’une : soit l’actuelle pandémie Covid-19 est la punition infligée par les dieux eu égard à nos immenses péchés privés, soit cette pandémie plonge ses racines dans l’histoire sociale, précisément dans les options économiques et politiques néolibérales, hégémoniques depuis des décennies. Certes, la punition divine relève du rudimentaire, du primitif, de l’attardé. Il vaut mieux la remplacer par son succédané moderne : la « guerre sanitaire », guerre sainte s’il en est, mettant aux prises tous les humains sans distinction de genre, de statut social (mais en excluant les trop pauvres), de conviction religieuse (supposée modérée),commandants et commandés fusionnés dans le malheur, fiers de leur commune condition, bref plus et autre chose que des citoyens : des croisés et, en face, un adversaire invisible quoique omniprésent, puissant, mortifère, implacable, sournois, tapi derrière un pseudonyme pour mieux s’infiltrer partout. Toute confusion avec un récit de science-fiction ne serait surtout pas une simple coïncidence.

L’important est d’escamoter les enjeux réels. Des années de pseudo-rationalisation budgétaire, soit d’économie politique de la pénurie imposée aux services publics, services de santé en-tête, aboutissent à la pancatastrophe actuelle et ses imprévisibles suites. Pas de soignants en nombre suffisant, de matériaux pour secourir efficacement, de protections pour travailler sereinement, de conditions pour ne pas mourir en aidant autrui. Ce n’est pas le néolibéralisme qui a déclenché le virus. C’est complètement lui qui en rend le traitement problématique, le transformant ainsi en épidémie et ensuite en pandémie si terriblement coûteuse en vies humaines.

N’empêche que nombreux sont ceux qui ne suivent pas les consignes, deviennent fort agressifs face aux contrôles, se promènent dans les parcs publics (maintenant fermés) ou en bord de mer (idem), organisent des barbecues (sic), ne fréquentent pas cinémas et discothèques uniquement parce qu’ils sont fermés, se font interpeller par la police et probablement bientôt par l’armée. Ils tiennent à consommer comme d’hab’ y compris du papier toilette – puisqu’on leur rabâche depuis des décennies que c’est cela la vraie vie. Las, ce n’est pas pour autant qu’ils réussissent à suivre ceux qui ont déjà quitté les villes contaminantes et contaminées pour se réfugier dans leurs maisons de campagne protégées sous des cloches sans tain (« l’exode », ironise Le Monde). L’affaire n’est point simple dès qu’il faut alléger, sinon supporter la réclusion familiale, les face-à-face et leurs impossibles à dire, l’obligation de s’occuper des enfants pour que ceux-ci occupent les adultes, l’étroitesse des logements, l’éclosion des symptômes individuels et de couple… Mais les avions continuent de voler – vides, pour conserver leurs créneaux de vol tandis que, sur terre, des SDF sont verbalisés pour non-respect du confinement domiciliaire. « Les gens deviennent fous », dit-on. En réalité, la conjoncture objective encourage l’expression discursive et comportementale de la folie subjective que tout un chacun héberge.

Tout n’est pas perdu, cependant. Toutes sortes de comportements solidaires, individuels et collectifs, ont lieu. A 20h chaque jour, depuis leur balcon ou le seuil de leurs maisons, des voisins applaudissent le dévouement hors pair des personnels de santé – copieusement tabassés il y a peu par les forces dites de l’ordre parce qu’ils manifestaient pour la levée des coupes budgétaires imposées aux hôpitaux. Pour sa part, dans une récente allocution, le président français rappelle que la santé n’est pas une marchandise comme les autres – bonne nouvelle qui contredit le credo néolibéral qui ordonne toute l’action de ce même président. Il pourrait le dire également de l’éducation, par exemple. En fait rien n’est marchandise sauf à se faire attraper dans les filets du fétichisme néolibéral. C’est dans ce cadre, et uniquement là, qu’il y a sanctuarisation à la fois des investissements et des coûts, des protocoles confondus avec la vérité ultime, des contrôles tatillons des subordonnés et des décontrôles massifs des commanditaires, des jouissances obscènes des petits-chefs aussi tatillons que foncièrement improductifs. Et si jusqu’ici il n’y avait pas d’argent, maintenant grâce au coronavirus des trésors incalculables sortent de terre, en France et ailleurs – notamment pour les banques et les entreprises. En fait, l’argent manquait juste pour certains usages et en direction de certains destinataires.

A ce jour, l’actuelle pandémie tue largement moins que le virus Ebola, la grippe espagnole ou la rougeole. Son importance n’est donc pas quantitative mais qualitative, éminemment qualitative. Sont en cause les défaillances des Etats, y compris des pays riches, techniquement très avancés, à contenir la pandémie, soit l’impréparation des moyens, les informations paradoxales et/ou contradictoires et/ou fausses, les inégalités criantes des conditions de vie qui le sont souvent de survie, la mondialisation financière et la paupérisation accrue de vastes secteurs de la population, paupérisation économique autant que déstabilisation sociale et ravage psychique, l’insouciance écologique, la démocratie approximative sous laquelle nous vivons… Enormément de gens, y compris, à leur manière, les rebelles aux consignes, lient ces conditions sociales et la pandémie. Ils vivent individuellement et collectivement les multiples déphasages entre le monde qu’on leur vend (et que beaucoup achètent) et le monde tel qu’il va de fait. C’est de ce côté-là qu’il faut chercher ce qui est en cause aujourd’hui. Et également ce qui sera probablement en question – un peu ? beaucoup ? – dans l’après-pandémie…

Il n’y a pas de guerre sanitaire car les belligérants ne sont pas du tout ceux qu’on nous désigne comme tels. Le Covid-19 n’est pas une cause, moins encore une explication – mais un symptôme, un terrible symptôme. Il s’agit d’un porte-parole, d’une sorte de grimace respiratoire de notre système politique. Car, en effet, il y a bien une guerre, laquelle admet un seul et unique adjectif : guerre sociale. Ce n’est pas pour rien que nos dirigeants sont si inquiets.

Cela dit, on peut rejeter ce genre d’analyse. Il restera alors à implorer les dieux d’arrêter la pandémie – si cela ne les dérange pas trop.

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Chansons déconfinées 5

par Philippe Barre

 

À la demande générale, pour animer vos réseaux et apéros, une nouvelle publication des Chansons déconfinées. Dans le cadre de la socialisation de la culture, nous vous invitons à suivre l’exemple de Pascal Genneret et à nous faire des propositions…

 

« Sur-blouse de rentrée », chronique de cette « rentrée pas comme les autres »… C’est donc une auto-parodie, c’était trop tentant ! : Sur-blouse de rentrée (Pascal Genneret)

« Laissons entrer le soleil » par la Symphonie confinée : https://www.youtube.com/watch?v=5nxh3RwJiTQ

« Ça Fait Longtemps Déjà… » par le Collectif Confiné Solidaire, clip n°4 : https://www.youtube.com/watch?v=41B8gu8TESU

« Je marche pas seul » par Les Goguettes (en trio mais à quatre) :  https://www.youtube.com/watch?v=O43z9lmQuY8

« Résiste ! » par Les Goguettes (en trio mais à quatre) : https://www.youtube.com/watch?v=q6-u1IvN9Ds



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