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Police et racisme : aux États-Unis comme en France, en finir avec les politiques d’intimidation des mouvements populaires

par Jean-Louis Bothurel

 

NDLR – La mort de George Floyd, tout comme celle de Adama Traoré en 2016, montre que le chemin qui conduit à ce que chacun et chacune se considère comme frère (et sœur) en humanité, au-delà des origines sociales, culturelles ou géographiques, est encore long, semé d’embûches et nécessite une vigilance permanente et une lutte sans cesse recommencée.
Il est donc indispensable de défendre et illustrer le contenu universaliste de l’antiracisme et du féminisme et de ne pas tomber dans le piège des assignations à résidence ethnique et/ou spirituelle, qui ne favorisent que les entreprises d’oppression et de domination en empêchant la construction d’une communauté de destin entre les citoyens.
Les  causes du racisme ambiant ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis (esclavage, ségrégation … ) et en France (Empire coloniale, travail forcé, indigénat des colonies) mais le quotidien vécu des deux côtés de l’Atlantique se ressemble de par le contrôle au faciès, les discriminations à l’embauche, les difficultés à se loger…
En France, en évitant de jeter l’opprobre sur toute une profession tout en condamnant avec la plus grande vigueur les actes indignes voire meurtriers de certains éléments de la Police, la recherche de la justice et de la vérité s’impose plus que jamais. (Ph. D.)

*

*       *

Depuis fin mai, les États-Unis d’Amérique connaissent une contestation populaire d’une ampleur inédite dans leur histoire récente. La revendication centrale de ce mouvement est la fin de l’ordre sécuritaire, politique et économique raciste qui perdure encore, 52 ans après l’assassinat de Martin Luther King. La mort de George Floyd, étouffé pendant plusieurs minutes par un policier pendant que trois autres agents restaient passivement regarder ce meurtre, a agi comme un détonateur. Par sa réaction outrancière et autoritaire, Donald Trump, fidèle à son racisme et à sa xénophobie, a fait une fois de plus la preuve de son insensibilité complète à l’intérêt majoritaire du peuple qu’il prétend présider. Mais ce véritable soulèvement populaire est aussi marqué par une solidarité complète avec le mouvement féministe, et par des participations directes de policiers aux manifestations, très au-delà des images de policiers agenouillés qui ont retenu l’attention. À Houston (Texas) et surtout à Flint (Michigan), ville symbole et martyre de la classe ouvrière américaine, les shérifs locaux ont défilé en uniforme au milieu des manifestants.
Cet élargissement populaire de la contestation du racisme est un événement politique majeur. Il faut sans doute voir dans ce bouleversement en cours une réponse au verrouillage de la voie électorale vers la révolution citoyenne après la défaite de Bernie Sanders face à l’establishment centriste et libéral du Parti Démocrate. Il est encore trop tôt pour dire si c’est un processus de révolution citoyenne qui s’est enclenché aux USA sur une base antiraciste, mais à ce stade il s’agit certainement d’une accélération du mouvement destituant amorcé lors des primaires démocrates et républicaines de 2016, et il faut se féliciter de voir cette accélération se faire dans le sens de l’émancipation collective.

Photo by Vince Fleming on Unsplash

Ce mouvement américain est porteur d’une colère et d’une espérance qui rencontrent un écho non négligeable en Europe. On ne compte plus les manifestations de solidarité impressionnantes par leur nombre, par leur détermination, mais aussi par leur pacifisme et leur dignité, notamment au Royaume-Uni et en France.
Les désaccords politiques entre ReSPUBLICA et une partie des organisateurs de ces manifestations en France sont connus et portent essentiellement sur la pertinence du modèle républicain universaliste hérité de 1792. Mais c’est précisément en tant que républicains que nous nous sommes fait l’écho de l’appel d’anciens hauts syndicalistes de la police à reconstruire une police républicaine, aux antipodes d’un syndicalisme policier de gamelle dont la complaisance pour l’autoritarisme gouvernemental et l’intimidation des mouvements sociaux ne semble connaître aucune limite.
C’est en républicains également que nous nous sommes inquiétés des données relatives aux contrôles de police durant le confinement, qui suggèrent fortement que le dispositif policier était sujet à des biais sociaux et géographiques ressemblant lourdement à du délit de sale gueule. C’est aussi en républicains que nous devons nous indigner de l’existence de groupes de policiers racistes, sexistes, antisémites sur la toile, récemment confirmée par la presse.
C’est en républicains, enfin, que nous devons acter l’existence d’un problème majeur lorsqu’un sondage révèle qu’un tiers des Français ont peur de la police. Enfin, que dire de l’attitude du préfet de police de Paris, celui-là même qui se revendiquait il y a peu d’un « camp » qui n’est « pas le même » que celui de manifestants dont on se demande s’il les considère vraiment comme des citoyens ? En décidant de donner l’interprétation la plus restrictive possible des consignes sanitaires et en faisant expressément interdire les rassemblements pacifiques, le préfet de police s’est comporté en pompier pyromane et a objectivement concouru à tendre la situation vis-à-vis de manifestants pacifiques. Ses avis ont fort heureusement été ignorés, réduisant au passage en charpie l’autorité de l’État.
Mais il est vrai qu’être républicain, c’est aussi savoir que l’autoritarisme est le contraire de l’autorité. Sur ce point, il est permis de douter de la lucidité républicaine d’un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Les pitreries du pauvre Christophe Castaner n’y changeront rien : la doctrine de maintien de l’ordre qu’il poursuit et aggrave, s’inscrivant dans le sillage de tous ses prédécesseurs depuis plus de quinze ans, est un désastre politique et suscite aujourd’hui un rejet inouï de la part du mouvement social et de très larges secteurs des classes populaires. Il faut, aujourd’hui, républicaniser les forces de l’ordre pour en faire de nouveau ce que les gouvernements successifs ont voulu qu’elles ne soient plus : des gardiens de la paix. Faute de quoi le gouvernement devra s’habituer à entendre crier « Police partout, Justice nulle part », avec cette certitude : s’il faut vraiment choisir, le peuple français choisira toujours la justice.

Lire dans un précédent numéro (11 mai)  : http://www.gaucherepublicaine.org/service-public/enfin-un-appel-pour-une-police-republicaine-au-cote-du-peuple-travailleur/7412887

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Aux États-Unis, « rien ne changera fondamentalement »

Avec le démocrate Joseph Biden, la gauche américaine a le cafard

par Thomas Frank

 

Aucun pays ne dénombre autant de victimes du Covid-19 — près de cent mille le 21 mai — que les États-Unis. Et l’absence d’un filet de protection médical et social y provoque une crise sans précédent depuis un siècle. En année électorale, un tel tableau aurait pu provoquer un séisme politique. Pourtant, la réélection du président sortant n’est pas exclue. Et son rival n’ambitionne que le retour aux années Obama. [Article initialement publié dans Le Monde diplomatique de juin 2020.]

 

C’est le pire moment dans l’histoire des États-Unis. La pandémie que les prophètes du désastre nous annonçaient depuis des décennies a fini par nous dévaler dessus, sans que nous y soyons le moins du monde préparés. Notre gouvernement mastodonte, si prompt en temps ordinaire à surexploiter le moindre réflexe de peur, surtout quand il profite à l’extrême droite, est resté amorphe face à cette crise historique. Notre président, l’ancienne vedette de télé-réalité Donald Trump, a non seulement révélé sa plus totale incompétence, mais il a également mis en danger la santé publique avec ses élucubrations idiotes, servies chaque jour ou presque dans tous les foyers américains. Alors que j’écris ces lignes, presque la totalité du pays vit sous confinement. La ville de New York, où le virus a fait le plus de ravages, en était encore il y a quelques semaines à enterrer les corps au bulldozer dans des fosses communes.

Mettre le pays en quarantaine imposait évidemment de suspendre sa vie économique, qui tournait à plein régime il y a encore deux mois. En Amérique, il n’existe pas de mécanisme pour amortir les effets d’un tel blocage — les gens perdent simplement leur emploi ou mettent la clé sous la porte, point final. En un clin d’œil, nous sommes passés d’une des économies les plus florissantes du monde à une nouvelle Grande Dépression, en sautant toutes les étapes intermédiaires, avec un chômage de masse et des faillites en série d’entreprises grandes ou petites.

Dans ce pays de l’individu-roi, l’individu fut littéralement submergé, emporté par les courants anonymes de la maladie et de l’effondrement économique. Des proches sont en train de mourir, seuls, dans un hôpital quelque part, et les restaurants bondés où l’on se pressait hier sont fermés, leurs jeunes et ambitieux chefs occupés à remplir leurs formulaires d’inscription au chômage, comme des millions de leurs semblables.

Et tout cela se déroule dans des conditions météorologiques exceptionnelles. Ici, dans mon petit coin d’Amérique [Bethesda, une banlieue résidentielle de Washington], nous jouissons du printemps le plus spectaculairement agréable que nous ayons connu. Pour les « cols blancs » aisés qui vivent autour de moi, l’épidémie a fait son apparition dans un paysage qu’on aurait dit peint par Fragonard : au moment des premières craintes, les narcisses s’épanouissaient, puis les tulipes ; les magnolias et les cerisiers fleurissaient, puis ce fut le tour des azalées et des rhododendrons; en ce moment, les cornouillers en fleur tendent une arche au-dessus de nos têtes quand nous faisons notre jogging sur les trottoirs et les chaussées tranquilles et vides de Bethesda.

Cet effet de contraste ironique se vérifie où que vous portiez le regard. Quiconque possède une voix qui résonne aux États-Unis l’utilise ces jours-ci pour se féliciter que la pandémie confirme de façon éclatante toutes ses croyances antérieures. Pour certains médias, elle illustre ce qu’ils vous serinent depuis des années sur l’ignorance et la folie du président Trump. Pour les conservateurs, elle démontre ce qu’ils vous répètent, eux aussi depuis des années, au sujet des gauchistes à l’âme délicate et de leur désir suicidaire de laisser n’importe qui entrer dans le pays. Pour tous ceux-là, la pandémie fut le prétexte à un carnaval de suffisance.

Il devient de plus en plus clair, cependant, qu’au lieu de renforcer les croyances chéries du consensus américain cet épisode les a pulvérisées. Durant des décennies, ce pays a externalisé ses capacités manufacturières au motif que tout le monde a convenu que c’était le prix à payer pour entrer dans l’âge de l’information. Nous serions une nation de « cols blancs » qui ferait des choses innovantes, comme des médicaments ou des manuels de droit ; des choses de l’esprit qui compteraient tant et pèseraient si peu. Et voilà où nous en sommes, victimes d’une pénurie de masques, de tests et même de gel hydroalcoolique, avec nos distingués dirigeants bizarrement incapables de persuader nos anciens partenaires commerciaux que la Terre est plate et qu’ils doivent nous livrer sur-le-champ les marchandises dont nous avons besoin.

Le système américain de santé publique à profits privés, bâti au fil des décennies par les contributions enthousiastes des deux partis politiques qui alternent au pouvoir, s’est montré parfaitement impropre à répondre aux défis de l’épidémie. Pour une raison simple : il n’a en fait jamais été conçu à des fins de santé publique. Au cours de ma vie, le message implicitement adressé à ses usagers par le système de santé a toujours consisté à leur dire que celle-ci était un privilège, auquel on n’accédait qu’aux moyens de la réussite et de la prospérité individuelles. C’est un système méritocratique, autant par les récompenses qu’il prodigue aux grands docteurs et aux petits génies de l’industrie pharmaceutique que par sa manière de segmenter nos soins. Les patients pauvres, non couverts ou alors par une assurance défectueuse, mais qui tiennent tout de même à se faire soigner leurs os cassés ou leurs organes malades, se retrouvent fréquemment ruinés par des factures astronomiques. L’idée que nous devrions cesser de saigner ces gens et penser plutôt à leur distribuer gratuitement des tests ou des traitements contre le Covid-19 est à ce point contraire à la conception courante que l’on se fait de la politique de la santé dans ce pays qu’on peine à évaluer quand et comment cette décision nécessaire finira par être prise.

L’épidémie aura produit au moins une conséquence bénéfique, celle d’avoir dégrossi notre compréhension du monde social. Il n’y a pas si longtemps, l’Américain instruit et bien-pensant considérait qu’un travail qui ne nécessitait pas un diplôme universitaire était un travail indigne(1)Lire Lizzie O’Shea, « Les emplois non qualifiés n’existent pas », Le Monde diplomatique, mai 2020. ; quelque chose de pesant, de déplaisant et de polluant, effectué par des gens qui parfois votent Trump et dont la vie se désagrège parce qu’elle mérite de se défaire. Voilà quelques années à peine, le milliardaire démocrate Michael Bloomberg ravissait les étudiants de l’université d’Oxford avec ses théories infatuées sur les élites qui savent « comment réfléchir et analyser », contrairement à l’ignorance présumée des fermiers et des ouvriers.

Tout pourrait arriver, et pourtant…

À présent, ces fermiers et ces ouvriers représentent tout ce qui nous protège de l’abysse. Beaucoup d’entre eux sont dehors en ce moment même à risquer leur vie au contact du virus. D’autres ont été contraints de retourner à leur poste pour une paie de misère, sans que personne se soucie de leur vulnérabilité face à l’épidémie. Ils tombent malades dans les magasins d’alimentation ou les usines de transformation de viande, pendant que les employeurs qui leur ordonnent de travailler — ces fameux « cols blancs » de l’âge de l’information — restent prudemment vautrés chez eux dans leur canapé, en jouissant de la miraculeuse résistance des cours de la Bourse (merci le Congrès, merci la Réserve fédérale). Leur travail, à eux, s’accommode fort bien d’une vie quotidienne protégée faite d’envois de courriels et de visioconférences.

Si vous supposez que les travailleurs en ont assez d’endurer une telle situation, vous n’avez certainement pas tort. Bien que l’information à ce sujet soit une denrée rare, puisque le journalisme social a pour ainsi dire disparu de ce pays, des signes indiquent que l’action syndicale sur le lieu de travail a repris des couleurs. Récemment, l’un des lobbyistes antisyndicaux les plus influents d’Amérique, M. Rick Berman, a mis en garde ses clients quant aux risques d’une « rébellion partielle de la force de travail »(2)Lee Fang et Nick Surgey, «Anti-union operative warns business of historic rise in labor activism[https://theintercept.com/2020/05/01/labor-union-lobbyist-coronavirus/]», The Intercept, New York, 1er mai 2020.. De nombreuses grèves spontanées ont en effet éclaté ces dernières semaines aux quatre coins du pays.

Chacun de ces constats pointe dans la même direction : celle d’une extinction soudaine de la confortable vision du monde adoptée et imposée au reste de la planète par les dirigeants des États- Unis au cours des années 1970, 1980 et 1990. La situation ici est grosse de possibilités. Tout pourrait arriver.

Pour l’instant, on bute pourtant encore sur l’ironie sombre et pathologique du libéralisme américain. L’institution qui devrait nous aider à surmonter notre ancienne façon de voir est le Parti démocrate — c’est en effet la seule institution en mesure d’accomplir une pareille tâche aujourd’hui. Or, quelques semaines seulement avant que le coronavirus explose en Amérique, ce même Parti démocrate a réussi, dans une joyeuse autocélébration publique, à éradiquer toute possibilité d’un changement de la politique américaine à court terme. Ses dirigeants paraissent déterminés à gaspiller la crise.

Quelques mots d’explication. Au cours des mois qui viennent de s’écouler, les candidats à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle ont débattu à maintes reprises. Reflétant l’état d’esprit de la gauche du pays, plusieurs ténors semblaient, dans un premier temps, avoir rompu, clairement et non sans créativité, avec les vieilles lunes de leur parti. Mais après que le favori de l’establishment, l’ancien vice-président Joseph Biden, eut remporté les primaires en Caroline du Sud fin février, la plupart des autres candidats se sont mis à l’abri en proclamant leur soutien au vainqueur. Le seul toujours en lice, le sénateur du Vermont Bernie Sanders — principal réformateur de notre époque et figure acclamée de la jeunesse —, a tenté de résister quelque temps encore, pour finalement baisser les bras devant le cours irrésistible des choses.

L’homme, M. Biden, qui a émergé de ce bouillonnement était celui-là même qui promettait d’en faire le moins. Son parti se prépare désormais à une élection qui ne sera rien d’autre qu’un référendum pour ou contre la figure honnie de M. Trump. Nous voici dans un climat politique paradoxal, où une grande partie de l’électorat américain souhaiterait choisir le changement décisif qu’on lui propose, mais où le parti qui incarne ce souhait a fait en sorte qu’il ne serait pas exaucé. Et nous allons donc devoir choisir entre deux hommes blancs, âgés et conservateurs, connus pour leur rapport élastique à la vérité, accusés d’agressions sexuelles, et aussi étrangers l’un que l’autre à l’espoir d’une réforme démocratique. Une fois encore, l’ordre ancien a été providentiellement restauré.

Pourtant, je le répète : l’état de l’opinion en Amérique est tel qu’avec un dirigeant bien choisi des choses remarquables auraient pu advenir. Au lieu de quoi notre horizon se borne à M. Biden, un vétéran affable de Washington impliqué dans une grande partie des désastres qui ont marqué les trois dernières décennies : des accords commerciaux contraires aux intérêts des salariés, la guerre d’Irak, une législation cruelle sur les banqueroutes, les incarcérations de masse, une attaque sans précédent contre les libertés individuelles appelée Patriot Act… Il se vante même d’avoir, au début de sa carrière politique, accordé ses faveurs à des ségrégationnistes.

Ses chances de l’emporter sont bonnes, bien entendu. En dépit de son parcours, M. Biden est un politicien de tradition classique, familier et apprécié, tandis que M. Trump, engoncé dans son narcissisme pathologique, suinte de ressentiment et trouve en permanence de nouveaux moyens pour se rendre méprisable. Qui plus est, on voit mal comment quelqu’un peut gérer une crise sanitaire et économique de manière aussi calamiteuse que l’actuel président et espérer que les électeurs l’invitent à réitérer sa performance.

Un slogan prodigieux

Mais « rien ne changera fondamentalement » si M. Biden devient président, comme il l’a assuré lui- même à ses donateurs. Voilà bien un prodigieux slogan pour une période comme celle-ci. Mes amis de gauche ont le cafard, ils le disent tous. Leur héros Sanders, qui en janvier paraissait imbattable, a été battu. Ils se retrouvent enfermés chez eux à compter les noms d’oiseaux que les internautes s’échangent sur Twitter. Je partage leur mauvaise humeur, mais les enjeux sont d’une tout autre nature. La perspective d’un immobilisme total au sortir de la présente catastrophe suffit déjà à notre malheur, pourtant chaque jour la presse nous apprend que l’ordre ancien n’en finit pas de se revigorer. Sans cesse apparaît quelque nouveau schéma destiné à abonder de l’argent public dans les coffres des sociétés ou à hâter la prise de pouvoir de la Silicon Valley. En ce moment même, le gouverneur démocrate de l’État de New York, M. Andrew Cuomo, saisit l’occasion du confinement pour convier M. Bill Gates et d’autres milliardaires de la « tech » à reprogrammer l’avenir de sa région. Et nous ne pouvons absolument rien faire dans l’immédiat pour les en empêcher.

La crainte qui nous taraude dans le contexte de la pandémie est qu’en notre absence la démocratie elle-même soit reformatée. Le système nous a bernés, car il a été conçu pour cela, mais, pendant que nous nous retrouvons effacés du tableau, d’autres prennent les décisions qui vont altérer nos lendemains. Ils sont en train de réécrire notre contrat social pendant que nous regardons la télévision en nous consolant d’un verre.

Notes de bas de page   [ + ]

1. Lire Lizzie O’Shea, « Les emplois non qualifiés n’existent pas », Le Monde diplomatique, mai 2020.
2. Lee Fang et Nick Surgey, «Anti-union operative warns business of historic rise in labor activism[https://theintercept.com/2020/05/01/labor-union-lobbyist-coronavirus/]», The Intercept, New York, 1er mai 2020.
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Un extrait de Franz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952

par ReSPUBLICA

 

Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé.
Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle.
Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques.
N’ai-je donc pas sur cette terre autre chose à faire qu’à venger les Noirs du XVIIe siècle ? Dois-je sur cette terre, qui déjà tente de se dérober, me poser le problème de la vérité noire ? Dois-je me confiner dans la justification d’un angle facial ? Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race. Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. Je n’ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l’ancien maître. Je n’ai pas le droit ni le devoir d’exiger réparation pour mes ancêtres domestiqués. Il n’y a pas de mission nègre ; il n’y a pas de fardeau blanc.
Je me découvre, moi homme, dans un monde où les mots se frangent de silence. Dans un monde où l’autre, interminablement, se durcit. Non, je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine au Blanc. Je n’ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au Blanc. Il y a ma vie prise au lasso de l’existence. Il y a ma liberté qui me renvoie à moi-même. Non, je n’ai pas le droit d’être un Noir.
Si le Blanc me conteste mon humanité, je lui montrerai, en faisant peser sur sa vie tout mon poids d’homme, que je ne suis pas ce « Y a bon banania » qu’il persiste à imaginer. Je me découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain. Un seul devoir. Celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix.
Ma vie de doit pas être consacrée à faire le bilan des valeurs nègres. Il n’y a pas de monde blanc, il n’y a pas d’éthique blanche, pas davantage d’intelligence blanche. Il y a de part et d’autre du monde des hommes qui se cherchent. Je ne suis pas prisonnier de l’Histoire. Je ne dois pas y chercher le sens de ma destinée. Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence. Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement.

Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la Culpabilité dans toutes les âmes ? La douleur morale devant la densité du Passé ? Je suis nègre et des tonnes de chaînes, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur les épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer. Je n’ai pas le droit d’admettre la moindre parcelle d’être dans mon existence. Je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé. Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères.

Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc. Tous deux ont à s’écarter des voix inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une authentique communication. Avant de s’engager dans la voix positive, il y pour la liberté un effort de désaliénation. Un homme, au début de son existence, est toujours congestionné, est noyé dans la contingence. Le malheur de l’homme est d’avoir été enfant. C’est par un effort de reprise de soi et de dépouillement, c’est par une tension permanente de leur liberté que les hommes peuvent créer les conditions d’existence d’un monde humain.

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Un manifeste pour une conception communiste de l’ESS

A l’usage de ceux dont l’entreprise est menacée suite à la crise du Covid-19

par ReSPUBLICA

 

Nous avons reçu un exemplaire du « Cooper’actif » spécial après-Covid destiné à aider et soutenir les salariés qui voudraient agir pour transformer leur entreprise en coopérative, publié par le secteur Economie sociale et solidaire du PCF. Lire : https://esspcf.files.wordpress.com/2020/05/coopecc81ractif-05-06-2020-2.pdf
Un document plus complet de 70 pages a par ailleurs été  rédigé collectivement avec des militants, des syndicalistes, responsables associatifs et universitaires : ce « Manifeste pour une conception communiste de l’ESS » sera publié très prochainement et disponible sur le site ess-pcf.fr/

Les  Scop (sociétés coopératives participatives), les SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) et les CAE (coopératives d’activité et d’emploi) constituent des outils de résistance à la fermeture ou au rachat des entreprises ; elles ont leur place dans le projet de socialisation progressive des entreprises auquel ReSPUBLICA a consacré deux textes importants :



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