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Municipales 2020 : le fossé se creuse entre le peuple et le système

par Évariste

 

60 % d’abstention pour une élection municipale, c’est du jamais vu ! Encore moins de participation qu’au premier tour. Chez les jeunes et les quartiers populaires, ici et là, on voit des taux d’abstentions de plus de 75 %, la Seine-Saint-Denis en est un triste exemple ! Nous vivons une crise de la démocratie sans précédent. Le coronavirus Sars-Cov-2 ne peut pas expliquer seul ce désastre civique. Nous savions que le macronisme perdait sa base sociale. Nous savons depuis le 28 juin qu’il a perdu sa base électorale. Les fusions bricolées dans la hâte du déconfinement n’ont confirmé qu’une chose : la toxicité électorale du label LaReM. D’autant que cette crise de la démocratie se double d’une crise de la représentation que l’abstention galopante accentue en la rendant plus visible encore, entretenant ainsi une spirale dont on voit mal où elle s’arrêtera. Si on ajoute à cela l’actualité du fonctionnement de la justice et de la police, on voit que la démocrature n’est pas loin. Nous y reviendrons.

Photo by Element5 Digital on Unsplash

Dans une situation de ce type, on peut craindre une accélération du rythme de transformation néolibérale une fois que le gérant actuel du capital, le président Macron, aura choisi sa nouvelle ligne stratégique entre la primauté du capitalisme vert et l’alliance des droites ou un mix des deux. Nous devons rester très attentifs à la possibilité d’un nouveau krach financier vu l’importance des bulles et des endettements notamment du secteur des entreprises privées. De plus, la votation du 28 juin a probablement montré le niveau de colère de nombreux citoyens quant à la gestion sanitaire et le peu d’égard de l’oligarchie face aux demandes sociales dans le secteur de la santé mais aussi dans bien d’autres secteurs (comme l’éducation nationale). Des mouvements populaires ne sont pas impossibles dans cette situation à l’automne.

Revenons au scrutin du 28 juin 2020.

N’oublions pas que plus de 30 000 municipalités ont été élues dès le premier tour le 15 mars, principalement en zone rurale et périurbaine. Là où a surgi le mouvement des gilets jaunes. Dans les secteurs où les gilets jaunes sont apparus, la grande majorité des gilets jaunes n’a pas participé aux élections municipales. Dans les zones rurales montagnardes, là où le Réseau Éducation Populaire a participé et est intervenu lors des grandes assemblées citoyennes, nous pouvons dire qu’une petite minorité de 5 à 10 % (âgés de plus de 35 ans) sont devenus des élus municipaux. Mais l’audience des gilets jaunes fait que beaucoup de nouveaux élus hors gilets jaunes souhaitent des politiques plus sociales pour les zones rurales, ce qui va entrer en contradiction avec la poursuite des Actes I, II, III de la dite décentralisation qui diminue les moyens des collectivités locales en augmentant la dépendance des collectivités municipales par rapport aux communautés de communes et des départements. Approfondissement de la crise et du mécontentement en perspective !

Si on regarde les résultats du 2nd tour, on peut dire que la parti Les Républicains conforte sa première place d’organisation politique en nombre de maires et en nombre d’élus ; que le Parti socialiste résiste bien à la deuxième place mais loin derrière et que des appareils politiques ancrés localement, tout comme le PCF, continuent de reculer en termes d’implantation municipale malgré quelques maires nouveaux et ce dernier ne reste la troisième force en nombre d’élus que par son soutien sans condition véritable au Parti socialiste. Par exemple, dans le seul département dirigé par un président communiste, le Val-de-Marne, le PCF a gagné un poste de maire mais en a perdu 4 ! En Seine-Saint-Denis il regagne un bastion historique comme Bobigny face à la droite mais perd Aubervilliers, Saint-Denis et ne parvient pas à reconquérir les villes précédemment perdues comme Le Blanc-Mesnil ou Saint-Ouen. La ceinture rouge s’étiole.

La France insoumise recule en influence électorale depuis son score de 19,58 % des votants en 2017(1)Le score de la FI est difficilement lisible compte tenu de la diversité des stratégies choisies. Mais partout où il est possible de la mesurer, l’audience électorale de la FI est en net recul depuis son score de 19,58 % des votants en 2017.. Le premier tour des municipales a montré que son socle représentait 5 % des votants pour une liste FI et pouvant faire près de 10 % pour des « vraies » listes citoyennes (avec des disparités géographiques très importantes, la FI semblant avoir déjà disparu du paysage électoral dans certains secteurs.)). Elle pâtit des changements de lignes stratégiques de sa direction (stratégie 2016-2017 visant à ce que Jean-Luc Mélenchon devienne un candidat commun à gauche, puis stratégie 2018-2019 de refus d’alliance de logos, puis récemment favorable au retour de la première stratégie pour préparer 2022). La France insoumise est perdante de cette élection municipale, sinon la grande absente, la logique de la machine présidentielle prévalant sur la connaissance de terrain. À l’opposé de l’échiquier politique, le Rassemblement national est l’autre grand perdant de cette élection. Malgré la triste victoire de Perpignan, ce parti perd + de 200 communes, soit 600 sièges d’élus locaux. Pour sa part, le parti écologiste sort grand vainqueur de ce second tour des municipales. Dans la foulée du bon score des européennes, EELV a souvent pris le leadership de listes d’opposition de gauche ou de centre-gauche, tout en profitant d’un positionnement idéologique à même d’attirer une frange importante de la base sociale et électorale du macronisme de 2017. Les phénomènes de métropolisation et de gentrification favorisent les aspirations de CSP+ pour des villes santé respirables où il fait bon vivre, c’est sur cette base que le parti écologiste fait une forte percée dans les grandes villes (3 maires écolos sur les 5 plus grandes villes françaises) : il sort grand vainqueur de ce second tour des municipales grâce à l’effet vitrine de grandes villes comme Bordeaux ou Lyon. Ce parti va ainsi tenter d’assurer un leadership avec le Parti socialiste pour les deux élections de 2021 (départementale et régionale) et de faire émerger de ses propres rangs un candidat commun à gauche pour la présidentielle pour tenter d’être au second tour. Mais Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà dit qu’il n’y aurait pas de candidat commun de toute la gauche et des écologistes en 2022. À noter que les forces indigénistes, communautaristes et racialistes ont joué leur rôle de diviseur du peuple et n’ont pas porté chance aux organisations de gauche ou de droite qui se sont alliées avec elles lorsque leurs pratiques ont défrayé la chronique (Aubervilliers, Saint-Denis, Villeneuve-Saint-Georges, Bobigny , Bagnolet, etc.) On peut renvoyer aux livres d’Eve Szeftel et de Didier Daeninckx que Respublica a récemment recensés. À noter aussi la fin du clientélisme de type Dassault à Corbeil-Essonnes. Bravo à l’équipe Piriou ! Ailleurs quand les pratiques clientélistes n’ont pas été dénoncées par des campagnes démocratiques, les notables ont réussi à se maintenir. Comme quoi, les alertes démocratiques sont bien nécessaires pour rendre la démocratie éthique !

Que faire ?

D’abord construire un bloc historique de classe et non d’organisations incluant la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population) totalement négligée par tous les grands partis de gauche et des écologistes, les couches moyennes intermédiaires (24 %) et la petite bourgeoisie intellectuelle. Pour cela, il faut :

– engager une pédagogie de victoires partielles dans les luttes sociales ;

– développer le lien social (éducation populaire refondée), et l’esprit de convergence ;

– partir des questions que se pose le peuple pour en débattre de façon argumentée et développer la nécessité d’entrer dans des séquences de formations liées aux luttes sociales (par exemple, comprendre les dernières études d’opinion où le besoin de protection sociale passe avant le pouvoir d’achat et le chômage, et regarder aujourd’hui combien de militants priorisent la bataille sur la sécurité sociale et ont une connaissance suffisante de son contenu ?)

– être prêt de s’engager si nécessaire dans la refondation syndicale ou politique ;

– pratiquer la « double besogne » liant les revendications immédiates au modèle économique, social, environnemental et politique alternatif pour lequel on combat.

Pour nous, c’est le modèle laïque de la République démocratique, sociale et écologique. Et pour vous ? Qu’en pensez-vous ? Merci d’avance pour vos réactions argumentées à l’adresse : evariste@gaucherepublicaine.org

 

Notes de bas de page   [ + ]

1. Le score de la FI est difficilement lisible compte tenu de la diversité des stratégies choisies. Mais partout où il est possible de la mesurer, l’audience électorale de la FI est en net recul depuis son score de 19,58 % des votants en 2017.
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 Démocratie bafouée, vers une démocrature ?

par Philippe Duffau

 

Les dernières manifestations pour réclamer que la justice et la vérité soient enfin faites sur les violences commises par certains, la crise sanitaire, le mouvement des « Gilets jaunes » auparavant… révèlent un gouvernement macronien qui passe allègrement au-dessus des grands principes qui font qu’un régime peut être qualifié de démocratique ou non.

Assurer et promouvoir l’équilibre des pouvoirs

L’un de ces grands principes est la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, principe cher à Montesquieu qui dans « De l’esprit des lois » constatait que c’est « une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. (…) Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». De ce fait, il fallait assurer l’équilibre des pouvoirs et, dans le même temps leur indépendance, entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Remise en cause flagrante de ce principe par le pouvoir macronien

  • Or, plusieurs faits montrent qu’avec Emmanuel Macron, ce n’est plus tout à fait le cas :
    Création par l’exécutif d’une « commission qui portera un regard indépendant et collégial sur la crise ». Cela sous-entend que la commission parlementaire prévue ne le serait pas. Si tel était le cas, il y aurait urgence à modifier le mode d’élection pour que tous les courants de pensées politiques qui traversent notre société soit équitablement représentés. Quand une fraction politique qui représente, à l’élection présidentielle, à peine 17 % du corps électoral, obtient 80 % des députés, il y a un problème de démocratie et de représentativité du corps électoral et donc de sincérité du scrutin.
  • Examen du dossier de Adama Traoré par la ministre de la justice. C’est une atteinte au principe qui veut que le judiciaire soit indépendant. Si ce n’était pas le cas et le temps mis pour juger de cette affaire dramatique le montrerait, il y aurait donc urgence à conduire les réformes judiciaires pour que la justice soit réellement rendue « au nom du peuple français » : sortir de la « clochardisation » des tribunaux, donner les moyens humains et financiers pour assurer des délais raisonnables dans les traitements des dossiers et, plus fondamentalement, d’autres réformes de fond développées plus loin…
  • Eliane Houlette, l’ancienne chef du Parquet national financier en charge du dossier Fillon en 2017, fait état de pressions qu’elles auraient subies de la part de sa hiérarchie. Elle dénonce le fait que le pouvoir exécutif ayant à sa main « les carrières » des procureurs, ces derniers sont enclins à la docilité. « La magistrature a chevillé au corps la culture de la soumission au politique, qui fait et défait les carrières. » Cela valide les doutes légitimes que tous les citoyens peuvent avoir sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle formulait « le vœu que les travaux » de la commission parlementaire « permettent d’identifier certaines voies d’amélioration ».
    Il y a donc urgence à, comme le souhaite cette magistrate, « identifier certaines voies d’améliorations ».

Méfiance du système Macron à l’égard de toute exigence démocratique

Ces faits montrent la nature du macronisme qui manifeste une méfiance viscérale à l’égard des corps intermédiaires comme les syndicats, notamment ceux qui contestent l’oligarchie, à considérer la démocratie comme un principe incapable de « mettre le pays sur les rails de l’efficacité et de la compétitivité ». Il faudrait donc pour le bien de toutes et tous prendre des décisions majoritairement contestées et contestables comme le détricotage du code du travail, la réforme régressive des retraites. Cela correspond aux propos de Junker : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens… »

Quelles voies d’amélioration pour éviter une dérive vers la « démocrature » ?

Pour restaurer la démocratie et donc la séparation des pouvoirs, des réformes sont à débattre et à mettre en œuvre telles que celles-ci-dessous citées pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et législatif.
Il serait indispensable sur le plan judiciaire :

  • de créer un Conseil supérieur de la justice désigné par les magistrats et le Parlement en lieu et place de l’actuel Conseil supérieur de la magistrature.
  • d’interdire les instructions ministérielles au Parquet et de définir des lois d’orientation de politique pénale, débattues et votées par le Parlement.
  • de dépasser le dualisme juridictionnel (Conseil d’Etat pour l’ordre administratif et Cour de cassation pour l’ordre judiciaire) en supprimant le Conseil d’Etat et en créant une juridiction suprême commune. La Cour de cassation est, dans l’ordre judiciaire français, la juridiction la plus élevée. Sa finalité est d’unifier la jurisprudence, de faire en sorte que l’interprétation des textes soit la même sur tout le territoire. Elle est appelée, pour l’essentiel, non à trancher le fond, mais à dire si, en fonction des faits, les règles de droit ont été correctement appliquées. Elle est en réalité le juge des décisions des juges : son rôle est de dire s’ils ont fait une exacte application de la loi au regard des données de fait. Le Conseil d’Etat, dont le rôle est de conseiller le gouvernement et en réalité de protéger le pouvoir exécutif, aboutit à des divergences qui nuisent à la cohérence du droit et à la garantie de sécurité juridique. Par ailleurs, l’indépendance et l’impartialité du Conseil d’État sont remises en cause par la cour de Strasbourg. La fusion de ces deux ordres seraient une des voies pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Une pratique dangereuse pour la démocratie : le Lawfare 

Les lois spécifiques à la lutte, comme la privation de liberté, contre le terrorisme et le grand banditisme sont appliquées, dans 95 % des cas, à des militants politiques ou syndicaux.
Le Lawfare – instrumentalisation de la justice et de la police à des fins politiques – est la résultante d’une volonté délibérée de détourner l’arsenal judiciaire pour lutter contre le terrorisme et le grand banditisme contre les opposants politiques et syndicaux actifs contre l’oligarchie. Pour y parvenir, le pouvoir s’appuie sur des procureurs, des policiers dont on a vu que leur indépendance est sujette à caution, déroulement de carrière oblige. Cela s’accompagne d’échanges de bons procédés avec certains médias dont 90 % sont aux mains de quelques milliardaires. Pour ces médias, il s’agit de dévoiler des « fuites » et sous-entendre sans démontrer tout en ne diffusant que la version des enquêteurs à charge. Le Lawfare est assorti du déni des droits de la défense : pas d’accès aux pièces du dossier (hormis pour certains médias grâce à des « fuites »).
Le cheminement qui caractérise un Lawfare est souvent celui-ci :
– dénonciations sans preuves d’acteurs politiques et syndicaux opposés au système oligarchique en place,
campagne de presse hostile et à charge,
– ouverture de procédures judiciaires longues où les droits de l’accusé sont bafoués comme l’accès aux pièces du dossier…

Assortir la démocratie dite représentative en panne de principes de démocratie directe

Il s’agit de revivifier les pratiques démocratiques et redonner sens à la notion de « souveraineté populaire ». Le manque d’appétence d’un nombre de plus en plus important de citoyens pour ce qui est considéré comme un devoir « déposer un bulletin de vote » doit nous interpeller sur la démocratie représentative quand bien même les principes définis par Montesquieu seraient appliqués. Cette abstention, en partie la conséquence du constat légitime que, quel que soit le vote, le système oligarchique se maintient et n’est modifié que sur la forme, cette abstention nous impose de réfléchir à une nouvelle constitution donnant une place suffisante à la démocratie directe pour assurer une authentique souveraineté du Peuple et appliquer le principe « Le gouvernement du peuple par le peuple. »
Des propositions élaborées lors de la campagne présidentielle de 2017 et lors du mouvement des « Gilets jaunes » sont à débattre telles que :

  • accorder le droit de révoquer un élu en cours de mandat par référendum selon des modalités à définir,
  • donner la possibilité aux citoyens de proposer des lois par un référendum d’initiative citoyenne,
  • instaurer la proportionnelle et la séparation des pouvoirs à tous les échelons,
  • imposer le recours au référendum pour la ratification de tous nouveaux traités ou de toute modification de la Constitution,
  • remplacer le Conseil économique, social et environnemental par un organisme composé de citoyens dont la finalité serait de donner un avis sur les conséquences écologiques et sociales des lois, organisme dont le mode de désignation de ses membres est à définir : tirage au sort, nominations par des instances diverses…

Ne pas oublier la nécessaire citoyenneté dans tous les lieux de travail

Cette démocratie dans la cité, dans la République, très imparfaite comme on l’a vue, qui a instauré la citoyenneté doit pénétrer dans les entreprises en renforçant les droits et moyens des Comités d’entreprise concernant notamment les plans et stratégies à long terme, en favorisant les pouvoirs d’intervention des salariés, en facilitant l’émergence de Sociétés coopératives de production, en imposant une présence suffisante des représentants de salariés dans les conseils d’administration…

L’aboutissement d’une démocratie « complète » est la République

La démocratie qui peut être considérée comme la somme d’intérêts particuliers, surtout dans sa forme anglo-saxonne, est une idée générale en laquelle tout le monde peut s’entendre. Son aboutissement auquel nous devons œuvrer est la République telle qu’elle a été théorisée sous la Révolution française au travers de la Déclaration des droits de l’homme et également dans les premiers temps de l’indépendance des Etats-Unis. Cette République, vision radicale de la démocratie, est le souci de l’intérêt général, souci considéré comme la vertu cardinale d’un régime républicain digne de ce nom ainsi que l’affirmait Montesquieu dans son ouvrage « De l’esprit des lois ».

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La République et l’Université : à propos d’une petite phrase

par Jean-Louis Bothurel

 

Emmanuel Macron, on le sait, aime à se poser en roi-philosophe, arbitre des élégances intellectuelles au nom d’une formation dont il adore se gargariser, même si elle est entourée d’autant de mystères que les diplômes de Nicolas Sarkozy, puisque son supposé directeur de recherche, Etienne Balibar, a déclaré ne pas se souvenir de l’étudiant Macron1, et que le conseil scientifique du Fonds Ricoeur a tenu à prendre publiquement ses distances vis-à-vis des revendications présidentielles de proximité avec le penseur protestant2. Après nous avoir gratifié sur France Culture d’un inepte « grand débat des idées » en direct de l’Elysée en 2019, le Président de la République a de nouveau trouvé le temps de se fendre d’un avis, supposément informé, sur le monde intellectuel français. Mais cette fois, le ton est moins onctueux qu’il y a un an : il s’agit de dénoncer le rôle de l’enseignement supérieur public, que M. Macron s’acharne il est vrai à dépecer depuis longtemps, dans la montée du fameux « séparatisme » qu’il choisit de voir derrière les manifestations contre les violences policières : « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux. »3

        CPU

La saillie peut prêter à sourire : la République serait bien fragile si quelques études sociologiques suffisaient à la briser… Fragile, ou désarmée. À cet égard, venant du personnage dont le seul travail conceptuel un peu notable a consisté à théoriser le démantèlement du service public de l’enseignement supérieur dès 2007 dans les colonnes de la revue démo-chrétienne d’extrême-centre Esprit en tandem avec un mandarin syndicaliste CFDT,4 la notion de « filon » sonne comme l’aveu d’une certaine conception managériale de la science. D’autant que l’année suivante, M. Macron passait du cours magistral aux travaux pratiques en concevant avec Jacques Attali le système des « initiatives d’excellence » qui a bouleversé l’organisation et le financement de la recherche française,5 et qui n’est pas étranger à l’affaissement intellectuel de l’Université française. Avant de revenir sur le fond de l’affaire (la remise en cause des discours universalistes dans certains secteurs de la sociologie universitaire et l’usage politique fait de ces recherches), intéressons-nous donc à la contribution macronienne aux conditions de production des discours incriminés.

Filon, vous avez dit filon ?

Reprenons. Les effets de mode et les guerres de coteries ont toujours existé dans la recherche. Il y a toujours eu, dans toutes les disciplines, des départements, instituts ou facultés où l’on ne pouvait être recruté qu’en étant du bon bord théorique. On peut même dire qu’il s’agit là d’un mode d’organisation sociale impondérable de la culture du dissensus collégial, qui constitue le cœur de la science comme pratique collective.6 Mais dans un système universitaire et scientifique régulé par la gratification symbolique et l’estime des pairs, à l’intérieur d’un cadre protégeant l’indépendance des travailleurs intellectuels via des statuts protecteurs, des postes pérennes et un budget stable et suffisant, il n’y a pas de « filon » que les uns et les autres devraient absolument suivre pour amasser de l’or. Cette logique de filon correspond en fait à un système où l’on ne donne qu’à ceux qui en ont déjà le plus, c’est-à-dire très exactement la logique promue par les réformes dont M. Macron était jadis le scribe obscur.7 Dans ce domaine-là comme dans d’autres, la force qui « casse la République en deux », c’est d’abord le mouvement réformateur néolibéral.

Depuis 2007 et le lancement de « l’autonomie des universités », le mode de financement de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est drastiquement réorienté vers un système fondé sur la fragmentation des collectifs (individualisation des recrutements et des carrières, mise en concurrence des laboratoires et des personnes pour l’accès aux ressources, différenciation budgétaire puis statutaire entre les universités) et la bureaucratisation des procédures, au sens organisationnel du terme « bureaucratisation », qui renvoie à l’accroissement de la division du travail entre les exécutants et les managers. Les réformes ultérieures, jusqu’à l’actuelle Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche, ne font qu’accentuer cette dynamique dite « darwinienne », dont le ressort principal est la mise en tension entre une pénurie de moyens pérennes alloués sur le budget de l’État et une gabegie d’appels à projets concurrentiels richement dotés, abondés par l’argent du ministère, par des agences ou par les collectivités locales (régions notamment). Dans sa mécanique concrète, la concurrence est largement régulée (et en l’occurrence entretenue) par un appareil de mesure quantitative pudiquement qualifié d’évaluation, qui encourage une production scientifique rapide, conformiste, myope, à la fois peu ambitieuse et sensationnaliste. Bref, la mise à mal des normes de probation savante entretenue par M. Macron et ses amis pousse les scientifiques à se contenter de suivre des « filons ».

De façon générale, il ne pleut des financements ponctuels que là où le trottoir est déjà mouillé. Les appels à projets, extrêmement sensibles aux effets de mode, n’affectent pas uniquement la qualité de la science produite, ils en affectent aussi l’organisation et les contours, en concentrant les recherches sur certains sujets et en en laissant péricliter d’autres, mais également en accroissant les inégalités matérielles entre chercheurs, au profit d’un nombre restreint de mandarins-managers (Principal Investigators) autour desquels gravitent des armées de précaires mal payés obligés de se soumettre aux sujets et au cadre théorique promus par le « patron » pour faire carrière. Ne soyons pas naïfs : encore une fois, tout cela existait avant le tournant néolibéral. Mais celui-ci supprime méthodiquement les garde-fous et érige en principe normal ce qui, dans le système antérieur, était considéré comme un dysfonctionnement. Les mécanismes généraux présidant à une telle organisation sociale sont un cas d’école des « cités par projets » analysées par Thévenot et Boltanski dans leurs travaux sur les « économies de le grandeur »

Sans doute, tous les « filons » ne se valent pas sur le plan de la carrière et des moyens. Spontanément, on comprend que ces réformes, pensées en réalité depuis trente ans dans le cadre de théories de la croissance ultralibérales (et parfaitement anti-écologiques) fondées sur la « disruption » et la « destruction créatrice », poussent à financer les disciplines, les objets de recherche et les cadres théoriques favorisant les transferts vers le secteur privé lucratif et la recherche en mode partenariat public-privé. À cela s’ajoutent, de temps à autre, des grigris que les idéologues de l’oligarchie promeuvent comme des panacées universelles, comme par exemple dernièrement l’Intelligence Artificielle, au grand désespoir de nombreux informaticiens spécialistes du sujet, qui aimeraient qu’on les laisse travailler en paix. Dans ce contexte, la place des sciences humaines et sociales est vite devenue critique. Dans bien des universités, aux yeux de nombreuses agences et pour maints Conseils Régionaux, les sciences humaines sont devenues soit une danseuse, soit une case un peu pénible à remplir dans une grille de quotas à respecter.

Mais ce n’est pas le cas partout : car il existe bien sûr, depuis l’origine, un usage social et politique des sciences humaines, et singulièrement des sciences de la société. À cet égard, le misérabilisme de bon aloi de certains secteurs militants des SHS, persuadés que leurs travaux ne peuvent servir que le « bon côté », se nourrit aussi de l’illusion que ce programme d’assujettissement de la science aux intérêts extérieurs est entièrement pensé pour la vilaine industrie privée. Les pouvoirs publics ne sont pourtant pas désintéressés non plus, dans cette affaire. Lorsque la production documentaire des sphères dirigeantes, des notes de think tanks aux programmes présidentiels en passant par les rapports officiels, regorge d’appels aux SHS pour « penser le terrorisme, le populisme et la radicalité » ou « accompagner les innovations sociales de la révolution numérique »,8 et surtout lorsque de l’argent est effectivement mis sur la table à ces fins, on aurait tort de croire qu’il ne s’agit que d’entretenir une danseuse… La question est alors de savoir si les choses sont foncièrement différentes lorsque les appels à projet restent plus vagues, plus consensuels, ou formulés dans des termes plus sympathiques aux oreilles de gauche (« vivre ensemble »). Les mécanismes d’instrumentalisation des sciences sociales par des intérêts sectoriels peuvent se développer d’autant plus insidieusement dans un environnement où cette instrumentalisation est à la fois revendiquée par les financeurs et les pouvoirs publics et niée par une partie de la rhétorique militante dans ce secteur, laquelle rhétorique, par ailleurs, ne rechigne pas toujours à expliquer que les sciences sociales seraient intrinsèquement émancipatrices, dans une forme de messianisme finalement assez complémentaire de la vision néolibérale de la science.

Heurs et malheurs d’une science des dominations

Une expression souvent employée dans la littérature ministérielle et régionale d’ « évaluation » et d’appels à projets est celle d’« impact sociétal ».9 Ce quasi-barbarisme peut prêter à sourire, mais il recèle aussi, de façon au minimum latente, une conception instrumentale de la science qui est loin d’être réductible à un ensemble de bons sentiments, y compris quand aucun sujet n’est mis en avant. Le piège, classique, est justement celui du sourire : il se veut goguenard, mais il est bien souvent complaisant car il flatte l’ethos du sauveur assez répandu chez certains universitaires, et pas seulement en médecine : l’intelligence artificielle va sauver le monde, les neurosciences cognitives vont sauver le monde, la sociologie va sauver le monde. Le donquichottisme, penchant hélas fréquent du militantisme révolutionnaire, trouve ici un débouché institutionnel naturel, et ô combien gratifiant, sur un plan symbolique d’abord, mais pas seulement, puisqu’une consécration politico-médiatique peut aussi permettre de lever des fonds pour ses recherches, d’attirer plus de thésards ou de sauver quelques postes dans son département. Les mécanismes d’entraînement décrits plus haut définissent un mode de gratification institutionnel et matériel qui encourage le sensationnalisme et le temps court, et qui crée les conditions d’un glissement délétère. En allant chercher l’argent et la visibilité là où ils sont, c’est-à-dire souvent, à l’échelle d’un département de SHS d’une université, dans des réseaux politiques, nous choisissons de participer à un jeu de dupes où nous espérons être les plus forts. Mais à ce jeu, la science ne gagne pas toujours.

C’est en ayant cet arrière-plan en tête qu’il convient d’aborder les avatars de la notion d’intersectionnalité : il s’agit au départ d’un concept heuristique utilisé en sociologie de la domination, pour penser la situation des personnes se trouvant dans une position dominée sur plusieurs fronts à la fois. Cette idée de domination cumulée peut être approchée par un célèbre dicton : « mieux vaut être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade ». Dans une société marquée par le patriarcat, par les préjugés, souvent religieux mais pas seulement, à l’encontre des minorités sexuelles, par la persistance du racisme, par l’héritage du colonialisme et de l’esclavage et bien sûr par l’oppression capitaliste qui se situe déjà au point nodal de plusieurs de ces processus de domination, il n’est pas difficile de reconnaître que certains, ou plutôt certaines, se trouvent subir une situation de domination cumulée, qui se manifeste, au quotidien, par une surdiscrimination. La notion d’intersectionnalité répond en fait à ce concept de surdiscrimination, qui renvoie à une réalité flagrante. Cette notion est utile, elle est même indispensable, car ce qui distingue la science d’un dicton populaire comme celui qu’on vient de rappeler, c’est la volonté de désintriquer la pelote, d’en explorer la trame. Comme beaucoup de lecteurs et de lectrices de Respublica, l’auteur de ces lignes voit dans l’ordre socio-économique et dans les rapports de propriété et de production le nœud d’une grande partie de ces problèmes. Mais cela ne nous dit pas quelle est la part d’autonomie des différentes strates de la domination, quelles sont les rétroactions et donc quelles sont les modalités de cumulation des dominations. Ces débats ne datent pas d’hier et animaient déjà la IIe Internationale.10 Ils n’ont jamais été tranchés. Ne serait-ce qu’en vertu de ce précédent qui a mis aux prises certains des meilleurs penseurs et des meilleures penseuses du mouvement ouvrier (August Bebel, Jean Jaurès, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Vladimir Illitch Oulianov, Otto Bauer…), il serait pour le moins téméraire, pour les militants d’aujourd’hui, de vouloir méconnaître a priori la contribution potentielle d’une approche scientifique informée par un concept comme celui d’intersectionnalité.

Mais dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la sape des normes de scientificité promue par les gouvernements successifs dans tous les pays de l’OCDE n’encourage que l’effet de rente… et l’effet de manche : suivisme méthodologique, manque de curiosité pour de nouveaux objets d’études, sensationnalisme et goût des médias, auxquels s’ajoute, pour certains secteurs des sciences sociales, le compagnonnage avec des édiles locaux éventuellement friands de ces questions, pour des raisons qui sont les leurs… et qui ne sont pas celles de la science. Les sociologues, en tout cas les plus subtils, ne prétendent pas faire exception aux mécanismes qu’ils analysent, et de fait ils se berceraient d’illusions s’ils se croyaient extérieurs aux processus de domination. Le mal qui gangrène la science sous le néolibéralisme frappe la sociologie de la domination ni plus ni moins durement que les autres disciplines.

Le misérabilisme, qui n’a jamais dérangé les puissants, offre une échappatoire commode. Dans le cas des sciences sociales, la tentation de postuler un mimétisme entre la science et son objet, le cas échéant en invoquant un pouvoir de transformation politique par la science (dans la plus pure veine du scientisme du candide du 19e siècle, qui trouve là des héritiers paradoxaux mais pas moins convaincus que ne le sont, à l’autre bout du spectre de la domination, les représentants de certains grands corps d’ingénieurs), donne des effets étranges à ce tropisme misérabiliste : l’affaiblissement de la puissance théorique d’une recherche va volontiers de pair avec une radicalisation de façade des implications politique qu’elle s’attribue, en particulier chez certains intellectuels entretemps plus habitués aux tribunes qu’à l’austère labeur d’une recherche inquiète11. Vous avez dit « filon » ?

La grande pertinence politique des objets étudiés dans ce champ scientifique et la fécondité d’une partie des travaux qui y sont publiés rendent la situation politiquement explosive, et l’on ne s’étonnera pas de voir les médias du capital promouvoir une fausse alternative, où feignent de s’opposer deux positions jumelles en confusion : d’une part, un hyper-relativisme méthodologique12 parfois étrangement couplé à un déterminisme sociologique proprement scientiste (à entendre la proposition selon laquelle, en substance, « il ne peut y avoir de point de vue objectif, et c’est la science qui nous le dit », il est difficile de ne pas penser au célèbre paradoxe logique du Crétois expliquant que tous les Crétois sont des menteurs…) ; d’autre part, une sinistre parodie d’universalisme13 mettant un point d’honneur à ignorer la réalité des surdiscriminations et à choisir a priori à quel ordre de domination il entend réduire tous les autres – si tant est que ces prétendus « universalistes » reconnaissent encore l’existence d’un fait de domination dans nos sociétés, ce qui n’est assurément pas ou plus le cas de toute la frange conservatrice de ce groupe.

On soulignait à l’instant l’incohérence intellectuelle des hyper-relativistes se revendiquant d’une science, mais celle des pseudo-universalistes la vaut largement, eux dont l’argumentaire, notamment sur la question du racisme, consiste souvent peu ou prou à dire que parce que eux ne sont pas racistes et que les races n’existent pas, les catégories raciales ne sont pas pertinentes pour analyser les phénomènes de discrimination structurelle dans une société : parce que moi je ne suis pas raciste, il n’y aurait donc pas de racisme en France ? On touche là à la définition stricte du relativisme subjectif : le refus d’imaginer que des concepts absents de mon horizon théorique et pratique individuel puissent avoir une pertinence structurale lorsque l’on change de niveau d’analyse. En définitive, ces débats n’opposent donc que deux relativismes inconsistants, empêtrés dans une confusion intellectuelle complète. Ils ne cassent certes pas la République, mais ils ne cassent pas non plus des briques, parce qu’il leur manque… la dialectique.

L’universalisme informé

Ni néo-scientisme donquichottesque, ni hypostase arbitraire d’un point de vue individuel en « universel » frelaté : face à ces positions de première instance, faisons nôtre la boussole jaurésienne : « partir du réel pour aller à l’idéal ».

  • Partir du réel : Contre le pseudo-universalisme, nous devons affirmer que la science, y compris quand elle se penche sur les structures sociales, produit des analyses que nous ne pouvons ignorer.

  • Aller à l’idéal : Contre tous les néo-scientismes, « de gauche » comme de droite, nous devons marteler que l’analyse concrète des conditions concrètes, si elle s’appuie sur l’ordre des faits, doit déboucher sur des considérations en droit, et non seulement en fait, dans une articulation qui doit être explicitée, mais ne peut l’être qu’au coup par coup, précisément parce que si l’ordre des principes est intangible, l’ordre des faits est labile – le lien entre les deux étant la tâche de ce que l’on ne peut guère appeler autrement qu’une dialectique politique de la science.

La mise en œuvre concrète d’un programme fort de l’universalisme est à ce prix, et le chantier est immense, par ce qu’il demande de lecture, de confrontation politique entre savants et militants, de temps consacré à l’éducation populaire, à la fois éducation aux sciences et à la citoyenneté, mais aussi par le double travail d’élaboration programmatique et de reconstruction d’un imaginaire politique. Cette tâche considérable d’articulation entre la science et la démocratie politique n’est pas sans rappeler les défis qui furent ceux de la IIe Internationale, mais aussi ceux avec lesquels la fraction émancipatrice du mouvement écologiste se débat depuis longtemps.

Mais nous savons qu’un tel travail se heurte aussi à des conditions institutionnelles et matérielles : l’offensive ordolibérale sur l’université et de la recherche, qui déforme, affaiblit et finalement asservit la rationalité scientifique, constitue aujourd’hui un obstacle majeur au programme universaliste dialectique, tout comme il constitue un obstacle au programme écologiste d’articulation démocratique entre la connexion scientifique et l’action politique, tout comme enfin il entrave l’élaboration d’un corps de doctrine macro- et micro-économique au diapason des nécessités de l’heure, trois domaines dans lesquels nous avons besoin de dialectique politico-scientifique.

Cela signifie donc que la reconstruction pratique d’une science autonome est une condition nécessaire à notre travail politique sur ces trois sujets. Cette reconstruction implique elle-même un travail sur deux plans. Le premier plan est de loin le moins difficile, il s’agit d’un travail programmatique de fond sur les modalités d’organisation et de financement de la recherche publique, sur la démocratie universitaire et la restauration d’une double exigence de rigueur intellectuelle et de pluralisme des points de vue, et enfin sur l’inscription des institutions de recherche et d’enseignement supérieur dans la vie civique et l’éducation populaire. La limite est évidente : ce programme ne peut être mis en œuvre que dans le cadre d’une dynamique de transformation, dont le déclenchement implique qu’une partie du chemin ait déjà été fait… Le serpent se mord la queue. D’où la nécessité d’un second plan, celui de l’auto-organisation à la fois d’espaces scientifiques reconstruits et de lieux partagés entre scientifiques et militants.

Ces espaces ne peuvent être totalement extérieurs à l’université, ne serait-ce que pour des raisons matérielles. La simple question budgétaire interdit de penser qu’ils pourront se constituer en solution alternative au monde universitaire et scientifique construit par les réformateurs. Mais les quelques leviers restants de la démocratie universitaire et le faible volant budgétaire toujours susceptible d’être utilisé à peu près librement doivent faire l’objet d’une réappropriation conforme aux normes de la science moderne. Cela signifie, corrélativement, que le travail de promotion du rationalisme, contre les fausses alternatives médiatiques et institutionnelles promues par l’oligarchie, doit reprendre dans le monde universitaire lui-même, puisque la reconstruction d’une science en archipel ne sera possible que si les acteurs sur qui elle reposera souscrivent aux grandes lignes de ce projet.

Les universitaires ne cassent pas la République en deux, mais la mise à mal des normes de probation et de rigueur scientifique par ceux-là même qui sapent l’édifice républicain au nom du libéralisme autoritaire représente effectivement un défi pour la parole républicaine et démocratique, submergée par des discours relativistes, scientistes ou prétendument universalistes qui sont autant de moments du Faux. Il est temps, pour le bloc émancipateur, de reprendre le combat pour la norme du Vrai, sans laquelle aucun espace public et aucun débat démocratique ne sont possibles, d’en affirmer la puissance critique et dialectique, et pour cela de se ressaisir, en républicains critiques et universalistes, de l’institution sociale qui assoit cette norme du Vrai dans la Cité : l’Université.

NOTES

1Et il ne s’est pas arrêté là… Pour plus de détails sur cette posture macronienne, on renverra le lecteur à cet article : https://www.lexpress.fr/actualite/politique/macron-philosophe-ces-intellectuels-qui-n-y-croient-pas_1827700.html

5Il s’agit de la neuvième proposition listée à l’époque dans cet article sur le « Rapport Attali », dont M. Macron était rapporteur : https://www.lefigaro.fr/economie/2008/01/18/04001-20080118ARTFIG00537-les-propositions-phares-de-la-commission-attali.php

6Tenir ce discours impose bien sûr d’adhérer à une certaine conception de la sociologie de la science, en l’occurrence celle de Robert Merton (mais celle de Pierre Bourdieu, dans son dernier ouvrage, Science de la science et réflexivité, n’en est finalement guère éloignée).

7Je reprends ici à mon compte les analyses développées notamment par le collectif RogueESR dans sa profession de foi sur les normes de probation savante et dans son appel à la refondation de l’université.

8On en trouvera un exemple ici : http://science-et-technologie.ens.fr/-V-Recherche-et-Innovation-#v1 (se rendre directement à la question 4).

9Le « Grand Prix de l’Innovation de la Ville de Paris » nous en offre un exemple de choix : https://www.grandsprixinnovation.paris/gpi113-impact-social-et-societal.html

10En l’occurrence, les théoriciens et stratèges socialistes de la fin du 19e et du tout début du 20e siècle devaient se dépêtrer de l’articulation entre la lutte des classes et trois luttes déjà très importantes à l’époque : la lutte pour les droits des femmes ; la lutte laïque et anticléricale ; la question nationale, sans doute la plus clivante des trois. À chaque fois, l’enjeu stratégique (celui des alliances avec certains secteurs plus ou moins avancés de la bourgeoisie) rejoignait les enjeux de théorie marxiste et a causé des débats très vifs au sein de l’Internationale.

11Il y a quelques années, l’excellente revue de sociologie des sciences Zilsel mettait régulièrement en ligne des comptes-rendus critiques des productions sociologiques récentes. On trouvera ici deux discussions serrées du travail de deux sociologues prompts aux revendications de radicalité : G. de Lagasnerie et Ph. Corcuff.

12Pour une discussion de ces théories, on se reportera à nouveau à un article de Zilsel, qui choisit à raison de s’intéresser aux textes majeurs de ce courant plutôt qu’aux épigones.

13On ne donnera pas ici de source, pour ne pas faire davantage la promotion de la nouvelle feuille réactionnaire sur papier glacé qui incarne ce mouvement à la perfection et qui ose se prévaloir, dans son titre, de l’héritage révolutionnaire de 1936. Sans doute ses éditeurs oublient-ils que c’est au Front Populaire que l’on doit la loi permettant la dissolution des ligues factieuses et xénophobes.

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Leur « République laïque »… et la nôtre

Nier la réalité historique discrédite les valeurs et les principes républicains

par Philippe Hervé

 

L’émotion aux États-Unis face à l’assassinat de George Floyd et sa « réplique » en France avec la mobilisation massive du comité Adama en juin ont suscité des prises de position de personnalités et de comités se réclamant du combat laïque. Le moins que l’on puisse dire est que certaines de ces déclarations gagneraient à être vite oubliées et ne risquent pas de figurer au Panthéon des écrits pour la défense de la Fraternité humaine (ainsi celle du Comité Laïcité et République pour la manifestation du 2 juin).
Tout d’abord, une remarque de forme qui revêt une importance primordiale dans la période de tous les dangers que nous vivons : à la lecture des communiqués et réactions, l’on ressent une gêne profonde devant l’absence complète d’enquête de terrain et de « choses vues » (voir a contrario dans ReSPUBLICA à propos du 13 juin). Qui a remarqué dans ces rassemblements l’ambiance dynamique, la jeunesse des participants, les slogans solidaires, l’absence de groupes organisés indigénistes ou salafistes, le fait que ces manifestations étaient à l’évidence l’expression d’une « fierté noire » ? Rien de tout cela ne transparaissait dans ces réactions à l’emporte-pièce et « vues de loin ». La raison en est simple : leurs auteurs n’étaient pas présents dans la rue ou sur la place de la République à Paris et ont réagi en « pilote automatique « suivant les comptes rendus des chaînes d’information. Sur des sujets sensibles comme le racisme, les réactions fantasmées sont mauvaises conseillères et sujettes à bien des manipulations.

Sur le fond maintenant : les réactions citées se réclamant de la laïcité soulignaient la profonde différence entre les États-Unis esclavagistes et ségrégationnistes et la République française, précisant que cette dernière était émancipatrice et n’avait jamais pratiqué le racisme d’Etat. Bien sûr, l’abolition de l’esclavage sous la Première puis la Seconde République est mise en exergue dans ces communiqués qui soit passent sous silence soit évoquent vaguement l’histoire coloniale des trois autres Républiques françaises, comme par exemple la politique de conquête de la Troisième République. Toutefois, ce colonialisme est traité comme une sorte de « mauvais point », une entorse malencontreuse dans une tendance de fond universaliste et humaniste.
Cette vision de « conte de fées » est une reprise anachronique des manuels scolaires des années 1930 ou 1950, illustrés par des cartes en couleur de l’immense « Empire français », deuxième du monde par sa superficie ! Cette réécriture de l’histoire est à la limite du négationnisme sur l’un des pires épisodes vécus par les peuples colonisés. Visiblement, nos républicains du « roman national » ont oublié les faits.
Tout d’abord, la France fut un des principaux pays de la traite des noirs qui a fait la fortune de Nantes, Lorient ou Bordeaux. Et si les esclaves des Antilles françaises furent aussi prompts à rallier la Révolution en 1793, au point de participer à la « levée en masse » en particulier contre les Vendéens, c’est que leur sort en esclavage dans les plantations était absolument atroce.
Puis, sous le Second Empire et la Troisième République, la France s’est taillé un empire colonial monstrueux, le plus important après la Grande-Bretagne et le premier sur le continent africain. La conquête de celui-ci fut épouvantable.
La « pacification » de l’Algérie à la fin du 19e siècle s’apparente à une guerre d’extermination dont se sont d’ailleurs vanté sans pudeur les officiers supérieurs du corps expéditionnaire. En Afrique noire, la domination des peuples asservis fut d’une brutalité sans nom… tout juste dépassée d’une courte tête par la barbarie des Belges au Congo. Le maintien de cet empire fut une longue trace de sang, de la guerre du Rif dans les années 1920, la répression des Algériens à Sétif en 1945 ou encore à Madagascar dans les mêmes années. Sous la Quatrième république, le pouvoir colonial s’obstina malgré tout à conserver ses prérogatives. Il aura fallu la victoire du Viêt-minh dans la cuvette de Dien Bien Phu pour en finir avec l’Indochine française. Il aura fallu aussi huit ans d’une guerre atroce et son cortège de tortures systématiques, de « corvées de bois » et plusieurs centaines de milliers de morts pour que les Algériens arrachent eux aussi leur indépendance.
Mais, diront nos admirateurs de « Ferry le tonkinois », la ségrégation n’existait pas en France même. C’est faux ! Dans les départements français d’Algérie, les deux « collèges » ne donnaient aucune citoyenneté aux musulmans, considérés en tant que communauté particulière dans une république soi-disant laïque ! Autre exemple contemporain de ségrégation d’Etat, le couvre-feu au début des années 1960 imposé en région parisienne aux « Nord-Africains » par le sinistre Papon. Il était réservé aux seuls musulmans puisque les « pieds-noirs » n’y étaient pas soumis. Le même Papon couvrira la plus grande tuerie à Paris depuis la Saint Barthélémy, un certain 17 octobre 1961 lorsque des centaines d’arabes furent massacrés et noyés dans la Seine.
Cette domination brutale multi-séculaire de l’empire colonial se dota, pour justifier la soumission des peuples, d’une idéologie raciste. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les rues de Paris et de lire le nom des plaques. Qui fut Broca dont une rue du 5e arrondissement porte le nom, sur décision de la Troisième République ? Il fut l’un des penseurs de « l’école raciste française » dont le caractère précurseur des idéologies fasciste et nazie a été démontré par l’historien israélien Zeev Sternhell récemment décédé. L’exploitation colonialiste française se justifia toujours par la supériorité supposée de la « race blanche ».

C’est face à ces forces obscures de l’esclavagisme, du colonialisme et du racisme que se dressèrent les partisans de la République Sociale. Cette tendance politique exemplaire a dirigé la France quelques mois lors de la Première République et quelques semaines lors de la Deuxième. Elle fut écrasée lors de la Commune de Paris en 1871. Pendant ces brefs moments de pouvoir, les lois abolissant l’esclavage ont pu être entérinées. Mais le combat pour l’égalité et la fraternité fut permanent tout au long du 19e et du 20e siècle. Souvent très minoritaires, ces militants ont combattu la « République coloniale ». C’est l’idée même de République qu’ils ont su préserver. ReSPUBLICA se revendique dans la lignée politique de ces partisans courageux.
Les républicains sincères doivent être conscients que la réécriture de l’histoire et la négation de la vérité constituent une formidable assistance aux courants « séparatistes » qui veulent segmenter les humains en groupes ethniques et remplacer la lutte de classe par une morbide « lutte de races ». Aujourd’hui, les activistes du soi-disant « pouvoir noir », ceux qui dénoncent le caractère timoré du slogan Black Lives Matter (la vie des noirs compte), argumentent justement que les « républicains » nient l’oppression coloniale, qu’il n’y a donc rien à faire avec eux et qu’il faut « se séparer » de la République. N’apportons pas de l’eau à leur moulin de la haine !
Nier la réalité historique discrédite les valeurs et les principes républicains. Les combats anti-raciste et anti-colonialiste ont construit notre idéal de la République Sociale. Restons fermes sur notre anti-racisme radical, condition indispensable au combat politique et social en commun.

A lire, à voir ou à écouter
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Chansons déconfinées, épisode 8

par Philippe Barre

 

Pierre Perret, «  Les confinis »

Chanson inédite : à l’occasion du confinement, Pierre Perret a sorti sa plume de poète et créé cette pépite : « Les confinis » !!

https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=zA2JjodD6IU&feature=youtu.be

 

HK, « Pour les autres »

Pour toutes les Farida…

https://www.youtube.com/watch?v=mektwQ2rFOM

 

« Les gens qui meurent » par Les Goguettes

Pour tous les Georges, Adama…

https://www.youtube.com/watch?v=eYY15t9XjP8

 

« Étrangler encore » (parodie) de Pascal Genneret : pareil !

https://www.youtube.com/watch?v=rqb8425ao9Q

 

« Toi ! T’es trop gaulois ! », Les Goguettes

Un petit rappel nécessaire.

https://www.youtube.com/watch?v=Oh7Mn22wTaA

« Mais je t’aime », Grand Corps Malade & Camille Lellouche

Pour ne jamais oublier l’essentiel.

https://www.youtube.com/watch?v=7ss-xmvLGFw

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Soutien à Farida C., infirmière en lutte

par Philippe Barre

 

Mardi 16 juin, lors de la manifestation des soignantes, soignants et de leurs soutiens, Farida, infirmière à l’AP-HP, a été interpellée avec une violence invraisemblable.

Prise dans la colère et l’indignation, la soignante a « riposté » du haut de son mètre 55, munie de trois petits cailloux contre des policiers en armure. Interpellée violemment par les forces de l’ordre alors qu’elle ne présentait aucune menace, elle souffre de plusieurs blessures, à la tête, aux bras, aux côtes, ayant entraîné 4 jours d’ITT (incapacité temporaire de travail). Les policiers, quant à eux, n’ont pas été blessés. Ils sont pourtant quatre à avoir porté plainte pour violences, outrage et rébellion. Le procès aura lieu le 25 septembre prochain.

Rappelons un extrait de notre dernier numéro :

« Nous avons alors eu droit à la provocation liée à la nouvelle doctrine anti-républicaine du maintien de l’ordre que le préfet Lallemant a précisé lors de son audition du Sénat. Tout d’un coup surgissent de la rue de l’Université, côté Assemblée nationale, des forces de sécurité attaquant la manifestation avec un déluge de gaz lacrymogène. Pour nous, situés juste à côté près de la bouche du métro Invalides, ce fut une provocation éhontée liée à un ordre de la hiérarchie. Ceux qui étaient bon enfant comme nous près de la bouche de métro peuvent témoigner que l’odeur était irrespirable et piquait les yeux jusque sur le quai du métro. »

Farida a travaillé pendant 3 mois contre le COVID-19, avec des journées de 12 à 14 heures. Elle s’est arrêtée lorsque qu’elle a été atteinte par le coronavirus.

Alors que les belles promesses du Président au début du confinement se sont envolées, la violence vient d’un système qui réduit méthodiquement les moyens de l’hôpital public, et qui maintient les salaires des personnels hospitaliers à des niveaux indécents.

Aujourd’hui, notre soutien est plus que nécessaire : en signant massivement la pétition mais aussi en approvisionnant la cagnotte de solidarité.

 

La cagnotte : https://paypal.me/pools/c/8qePw37zom

La pétition : https://la-bas.org/la-bas-magazine/au-fil-de-la-bas/petition-violence-de-la-police-soutien-a-farida-c-infirmiere-en-lutte



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