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La gauche émancipatrice, de nouveau assiégée

Peut-elle renouer avec ses avancées passées ?

par Évariste

 

Le président de la République Emmanuel Macron a déclaré début septembre 2020 : « Le sacre de Reims et la Fête de la Fédération. On ne choisit jamais une part de France, on choisit la France. » Pour « nous », notre choix, c’est la Fête de la Fédération sans le sacre de Reims ! Pourquoi ? Parce que le « nous » désigne la gauche émancipatrice et s’inscrit dans une diachronie historique ; une bonne connaissance de l’histoire passée nous aide de ce fait à construire la lutte des classes pour aujourd’hui, demain et après-demain.
Eh oui, pour nous, la Fête de la Fédération et ses contradictions ouvrent la porte, par la politisation des contradictions grandissantes, à d’autres événements qui permirent à la gauche émancipatrice de produire la journée du 10 août 1792 qui ouvre le concept de révolution dans la révolution, puis l’avènement de la Première République, qui elle ouvre la voie au suffrage enfin universel et aux politiques sociales et ainsi de suite. Et quels que soient les difficultés, les reculs, et les erreurs stratégiques, et ils furent nombreux, la gauche émancipatrice est repartie de plus belle.

Charles Thevenin. « La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ-de-Mars » (1795).

Connaître les faits mais aussi les avancées intellectuelles de notre histoire

Cela est indispensable pour nous inscrire dans une filiation et tenir compte des enseignements du passé pour ne pas refaire la même erreur. Comprendre la Révolution française et le retour de la réaction au pouvoir dans les dernières années du XVIIIe siècle a permis la renaissance de la gauche émancipatrice au XIXe siècle tant dans sa pratique que dans les idées mises en œuvre.

Comprendre la Commune et le renouveau des idées au XIXe siècle a permis les grandes avancées sociales et politiques de la période 1875-1910 et les révolutions du XXe siècle. Comprendre les échecs des grandes révolutions du XXe siècle, comprendre la non-prise en compte des idées progressistes autour des années 1920, doit nous permettre de construire la nouvelle gauche émancipatrice du XXIsiècle.

Jusqu’à Emmanuel Kant inclus, la gauche émancipatrice a toujours tenu compte des avancées des sciences et de la philosophie. Puis, l’économisme britannique et la philosophie allemande aboutissant à Marx et Engels donnent de nouvelles armes intellectuelles à la gauche émancipatrice. Nous y ajouterons Jaurès et Gramsci. Or au moment où se déclenche la révolution russe, nous vivons des avancées intellectuelles considérables dont la gauche émancipatrice ne tient aucun compte et c’est encore le cas aujourd’hui pour une grande partie de la gauche. Les théories éclatent. L’idée d’Emmanuel Kant de créer une philosophie générale fondée sur une logique universelle et dominant l’ensemble des sciences est remise en cause comme rarement, de même que le positivisme. La mécanique newtonnienne (et sa géométrie euclidienne) est contestée. Elle ne répond plus à l’infiniment petit, à l’infiniment grand, aux grandes vitesses.

La relativité générale, la mécanique quantique s’apprête à dominer la science physique. L’incomplétude des théories fait son entrée dans la pensée. Le concept de complexité ferme la porte aux simplifications abusives, il ne reste plus que la clarification du complexe pour s’en sortir et pourtant le principe de facilité pousse le plus grand nombre à en rester à des simplifications abusives, réouvrant la porte aux pensées magiques que l’on croyait détruites à jamais.
Sur le plan des mathématiques et de la philosophie, les travaux de Wittgenstein dans les années 20 dans son
Tractatus logico-philosophicus et surtout de Gödel en 1930 avec le principe d’incomplétude ont pu donner à leurs contemporains, à tort ou à raison d’ailleurs, l’impression de détruire l’idée d’une théorie scientifique complète.

Comme dans toute l’histoire, l’histoire de la pensée (incluant donc la pensée politique) s’est nourrie d’une part de l’étude des contradictions du monde mais aussi de toutes les avancées intellectuelles et scientifiques, le fait de ne plus en tenir compte assèche l’évolution de la pensée et diminue même la capacité des militants et des responsables politiques à se préparer à la « force des choses » (voir les deux dernières chroniques d’Évariste : ici et ).
Nous pourrions aussi étudier les avancées de la psychologie et de la psychanalyse ainsi que les domaines des arts et de la culture, sans oublier l’effet « boomerang » des massacres de masse et des génocides du XX
e siècle qui poussent à cette idée reprise récemment : « l’Humain d’abord ». Nous y reviendrons, d’autant que nos élites politiques de gauche ont pour l’instant, tous et toutes, enterré la nécessaire refondation de l’éducation populaire.

Le retard de la gauche à comprendre le monde actuel

Disons rapidement que la gauche est en retard d’un ou plusieurs « métros » dans ses analyses et sa compréhension du monde environnant, de ses évolutions et ses contradictions tout comme des nouvelles théories de la connaissance : philosophiques, scientifiques, économiques et politiques. Et au lieu de cela, jaillissent au sein de la gauche des pensées magiques qui seront toutes une à une valorisées par le capital contre « nous » (revenu de base, effondrisme, fin du monde, solipsisme, union de la gauche sans contenu, écologie non démocratique, keynésianisme qui ne peut pas fonctionner lorsque le taux de profit de l’économie réelle est faible, nouvelle répartition des richesses sans modification des rapports sociaux de production, des formes de travail, sans transformer au-delà d’un certain seuil le droit de propriété lucrative en propriété d’usage, populisme de gauche dans des pays développés sans une forte économie informelle, etc. Et bien sûr sans une quadruple refondation : nouvelle dynamique démocratique face à la démocrature actuelle (y compris dans les organisations de la gauche, y compris dans les entreprises…), nouvelle refondation institutionnelle selon le principe de laïcité comme principe d’organisation sociale et politique, nouvelle politique sociale adossée aux luttes sociales, nouvelle dynamique écologique et énergétique liée à une réindustrialisation de la France, nouvelle dynamique de la Sécurité sociale en reprenant les conditions révolutionnaires de la création en 1945-46, adaptées au XXIe siècle et en pratiquant son élargissement et son dégagement du marché capitaliste, nouvelles lois d’immigration et surtout de la nationalité, nouvelle dynamique de socialisation et d’expression des communs, la reprise du mot d’ordre : « L’Union européenne, on la change ou on la quitte », etc.

Ce n’est pas la première fois que la gauche reste à la traîne du mouvement de l’histoire. Il y a eu des décennies où elle a été marginalisée d’une façon ou d’une autre (par exemple de la fin de 1794 à la révolution de 1830). La meilleure façon de ne plus l’être est de militer pour sortir de cette marginalisation. Mais avec l’idée que le temps historique du révolutionnaire n’est pas le temps individuel humain de la petite bourgeoisie intellectuelle urbaine coupée du prolétariat et que l’on ne peut pas sortir de cette marginalité si on accepte les thèses de Terra Nova (ne plus parler à la classe populaire ouvrière et employée, majoritaire dans le peuple en soi, car elle ne vote plus !), c’est se condamner à rester minoritaire et à faire perdurer le modèle néolibéral capitaliste et sa démocrature.

Nos ennemis traditionnels

Ce sont le capital et son système de valorisation (l’ordolibéralisme allemand et ses organes institutionnels, sa rencontre avec le néolibéralisme anglo-saxon et ses organes, les luttes intra-impérialistes ) ses alliés d’aujourd’hui, ses alliés potentiels, en un mot le grand patronat, la droite macroniste dans son actuel conquête de l’ancienne droite, l’extrême droite et ses deux stratégies, celle de Marine Le Pen et celle de l’union des droites (Marion-Caroline Maréchal Le Pen, Zemmour, etc.), sa prise en main de l’univers médiatique renforcé par l’introduction rapide en son sein des nouvelles forces productives produites dans les trente dernières années.

Des adversaires nouveaux

D’abord la vieille contradiction interne à la gauche émancipatrice entre réformistes et révolutionnaires n’existe plus. Elle a laissé la place à la « gauche dite radicale » qui, au-delà des incantations et des slogans, ne souhaite en fait que réformer le capitalisme ou ne se rend pas compte que cet horizon est indépassable pour elle sauf à changer de ligne stratégique. Et l’ancienne gauche réformiste a laissé place à une gauche néolibérale, qui est un des soutiens du mouvement réformateur néolibéral.

De plus, dans les organisations tant syndicales, que politiques et dans les grandes associations, les gauches ont été comme infectées par des virus, qui reposent à chaque fois sur une illusion :

Virus de la fétichisation de l’Union européenne : intégration de la quasi-totalité des grands syndicats de travailleurs dans une structure néolibérale, la Confédération européenne des syndicats ; abandon par Jean-Luc Mélenchon de la ligne « on la change ou on la quitte » qui lui avait permis, parce qu’il était le seul à tenir ce discours à ce moment-là, de susciter l’espoir en 2017.

Virus d’un introuvable « souverainisme de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part », qui dévoie l’imaginaire républicain, laïque et universaliste, au service de l’aventurisme chauvin, du néocolonialisme et in fine de l’ordre établi, bien content de voir disparaître toute référence à la lutte des classes.
Virus du communautarisme, du racialisme, de l’essentialisme et de l’indigénisme qui taraude la plupart des grandes organisations politiques, syndicales, féministes et associatives, en lieu et place du principe universaliste concret de la laïcité et de l’antiracisme radical, faute de travail dialectique sur l’articulation des luttes émancipatrices
.

Virus du clientélisme en lieu et place de la lutte pour une nouvelle hégémonie culturelle via un travail d’éducation populaire refondée : un clientélisme illusoire, car sans véritable clientèle, comme le montrent les résultats des municipales.

Virus de l’alliance des couches moyennes et d’un lumpenprolétariat fantasmagorique (car socialement inexistant ou quasi-inexistant), sans la classe populaire ouvrière et employée majoritaire en France, dans sa grandeur et sa diversité, et donc en lieu et place d’un nouveau bloc historique majoritaire…

Voilà résumée la situation dans laquelle se trouve la gauche émancipatrice. Assiégée par les forces réactionnaires de droite et d’extrême droite, par l’État dirigé par la droite macroniste au service du grand patronat, par la gauche néolibérale qui n’attend que le deuxième tour de la présidentielle pour soutenir Macron contre Le Pen, car elle a abandonné la bataille sociale, et par les groupuscules essentialistes, dont l’écho médiatique est inversement proportionnel à l’ancrage de terrain (alors que le communautarisme est l’un des principaux alliés du mouvement réformateur néolibéral !).

Pourtant, nous continuons à estimer que la gauche émancipatrice peut renouer avec ses avancées passées. Oui, cette gauche émancipatrice doit articuler un travail parlementaire avec la société mobilisée. Oui, cette gauche émancipatrice a ses racines dans les Lumières de son histoire tout en étant capable d’aller plus loin grâce aux nouvelles forces productives et grâce à une ligne stratégie efficiente et enrichie de la somme des connaissances que l’humanité a aujourd’hui. Oui, cette gauche émancipatrice doit mener un rapport dialectique et critique de ces Lumières mais elle doit s’opposer à ce que le grand Zeev Sternhell, récemment décédé, appelait la gauche anti-Lumières qui reprend paradoxalement à son compte l’identitarisme ethnique et religieux de la vieille pensée conservatrice.

Nous avons d’ailleurs dans le numéro précédent de Respublica, dans un article intitulé « Contre les stratégies perdantes », déjà appelé à une attitude plutôt pro-active que réactive.

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« Lutter contre les discriminations n’a de sens que si on lutte contre les inégalités »

Prise de parole de Charles Arambourou au nom de l’Ufal, dimanche 20 septembre 2020, place de la République à Paris, à l’occasion du rassemblement « Non à la racialisation de la question sociale »

par UFAL

 

L’UFAL, l’union des familles laïques, se devait d’être des vôtres pour célébrer le 228e anniversaire de l’abolition de la monarchie.

Parce que nous défendons et promouvons la laïcité, c’est-à-dire l’égalité poussée jusqu’au bout.

Parce que, représentants les intérêts des citoyens, des usagers, et de leurs familles, nous défendons la République sous la seule forme qui assure réellement ses principes : la République sociale.

Nous proclamons, comme Jaurès en 1906 : la République sera sociale ou ne sera pas. Elle ne l’est devenue qu’après 1945, avec la mise en place de la Sécurité sociale. Des droits sociaux égaux pour tous, voilà les combats qu’il faut aujourd’hui mener, contre tous ceux, employeurs et dirigeants politiques de tous bords, qui cassent méthodiquement toutes les conquêtes populaires.

La Sécu, la retraite, mais aussi l’assurance chômage, ce ne sont pas des « privilèges de blanc ». Voilà pourquoi la racialisation de la question sociale est une impasse pour le peuple, mais un boulevard pour le néo-libéralisme.

Car le capitalisme a horreur de l’égalité. Il est même prêt à admettre, à la place, la « lutte contre les discriminations », qui est parfaitement compatible avec sa logique. Imaginons en effet qu’on puisse abolir, mais toutes choses égales d’ailleurs, seulement les « discriminations » (il y en a plus de 20 énumérées à l’article 225-1 de notre code pénal). Que se passerait-il ? Eh bien, on créerait simplement une autre forme de distribution des inégalités ! Il y aurait des « personnes racisées » parmi les dominants toujours en place. Quant au sort des dominés, parqués dans des ghettos, mais désormais en toute mixité sociale, il ne changerait pas. Lutter contre les discriminations n’a de sens que si on lutte contre les inégalités. Car les discriminations, notamment le racisme, ne se développent (et se multiplient) que parce que la société est inégalitaire. Ce qui est systémique, en France, c’est l’inégalité ! Que beaucoup de jeunes soient sensibles au racisme et protestent contre les violences policières – notamment sur cette même place de la République –, on doit s’en féliciter. Mais c’est à nous, républicains, qu’il revient d’expliquer le sens et les enjeux des tensions sociales, dont ils ne voient que l’écume. L’avons-nous fait correctement ? N’avons-nous pas délaissé un peu la République en pensant que c’était une affaire réglée, comme beaucoup l’ont fait, hélas, pour la laïcité, dont d’autres hélas se sont emparés pour la détourner.

Ne laissons pas la défense de la République à la droite, serait-ce au nom du souverainisme. Mais ne laissons pas non plus la critique de la République aux indigénistes et aux décoloniaux ! Il ne suffit pas de clamer « liberté, égalité, fraternité », si l’on fait l’impasse sur nos périodes coloniales, esclavagistes, autoritaires  –et ceux qui les ont combattues.

Les déboulonneurs de statues se trompent, certes : mais quelle histoire officielle leur a-t-on appris ? Que ce 228e anniversaire de la République soit l’occasion pour les républicains de se réveiller. La République est une construction continue, collective, donc contradictoire et conflictuelle. Surtout, n’évacuons pas les conflits au nom de l’ordre public ! La République ne se proclame pas, elle se prouve, jour après jour, et auprès de tous.

 

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Covid-19 : quand les managers se cognent au réel

Par Johann Chapoutot (historien) et Stéphane Velut (médecin et écrivain)

par Johann Chapoutot

 

Article initialement publié par AOC le 4 septembre 2020.

 

Ce qu’on ne sait pas des manageurs est qu’ils n’aiment ni la peinture ni l’Histoire. Du moins n’apprécient-ils pas qu’on y fasse allusion, que ce soit par humour ou par désir de transmettre un savoir – humour et savoir tous deux pourtant constitutifs de cet esprit critique qui fait le sel et les délices du genre humain. À moins que, se sentant récemment mis sur la sellette à la faveur d’une crise sanitaire qui aura eu au moins cette vertu, des manageurs pensent plus avec leur épiderme qu’ils ne répliquent avec leur cerveau et ne dérapent sans réfléchir. C’est fâcheux pour tout le monde, autant pour eux – que cela discrédite –, que pour cet attribut précieux qui distingue la France de la Corée du Nord : la liberté d’expression.

Ne les blâmons pas trop non plus : en attendant d’inventer un nouveau new management, les directions se défoulent, c’est de bonne guerre. Comprenons-les. Exercer un métier mis au ban depuis plusieurs mois au profit des emplois dont on ne peut pas se passer (infirmière, conducteur de métro, éboueur, boulanger,…), ça crispe, ça rend nerveux, ça donne envie de gifler dans le vide. C’est d’ailleurs ce que fit l’un des directeurs d’un hôpital public qui, suite à la publication dans le Canard Enchaîné le 27 mai dernier d’un magnifique organigramme orientant les patients mais parfaitement incompréhensible, ne put s’empêcher d’exprimer par courriel son « mépris » envers un chirurgien de ce même hôpital.

Pourquoi donc ce mépris ? Parce que ce praticien se risqua à comparer ce bijou d’art moderne, dans les colonnes du journal satirique, à un « Miró qui [aurait] rencontré la Harvard Business School ». Si cette vétille n’éclairait que sur l’ouverture d’esprit de certains manageurs – ouverture que le sens de l’humour mesure avec justesse –, elle serait sans intérêt.

Les mots de ce courriel plein d’aigreur ne sauraient dépasser le cap de l’insignifiance si ce praticien ne s’y voyait, plus loin, qualifié de « Houellebecq hospitalier ». Compliment dans la bouche d’un fougueux directeur, à l’évidence nenni. Mais symptôme éloquent, c’est sûr. Qu’on aime Houellebecq ou pas, la question n’est pas là. S’il est un écrivain vivant qui fore avec le plus d’audace nos vies contemporaines, c’est bien Michel Houellebecq, dont l’acuité souvent confine au désespoir. S’il est un écrivain que le réel travaille, c’est lui. Or c’est bien le réel de nos vies que dissout le discours pléthorique du nouveau management où les mots performance, efficience, excellence, gouvernance, leadership, engagement, projets, innovation, process, peuvent être intervertis sans en combler le creux.

En fait, ce que n’aime pas le manageur, c’est la littérature quand elle charrie et éclaire trop bien le réel de nos vies. Aussi comprend-on aisément qu’il n’aime pas plus l’Histoire. Un exemple édifiant le montrait récemment. Aux agents qui ne voient jamais le jour dans les rames du métro parisien, les oreilles assourdies toute l’année par le bruit des moteurs, des alarmes et des freins, il est bon de rappeler – tout nécessaires qu’ils sont – que lire certains ouvrages peut être répréhensible. Qu’un conducteur de RER ose afficher sur un panneau réservé à son syndicat les première et quatrième de couverture de Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui (J. Chapoutot, Gallimard), et voilà notre agent assigné en référé ; avant que la RATP ne se rétracte, sans avoir au demeurant tiqué sur la page de titre épinglée à côté : celle du Discours de la servitude volontaire de La Boétie (1576).

Ce n’est pas un hasard si au fond le mépris du réel s’est heurté de plein fouet au réel d’une crise qui agit sur le monde et les hommes comme un révélateur, reléguant le dérisoire au profit de l’essentiel, le quota laitier au profit de la vache. Un réel qui pousserait le manager sur la pente d’un profond désarroi – pour le coup houellebecquien – s’il ne se démenait en frappant à tout-va, avant de se ressaisir au cours de réunions sans fin pour trouver justement un process efficace et reprendre les rênes. On savait en cela pouvoir compter sur eux. Tandis que les hommes sortaient du confinement – s’en donnant à cœur joie comme après une averse –, des textes de manageurs, des tableaux, des diagrammes revenant sur la crise et projetant les temps nouveaux se mirent à pousser comme des ronces.

Non content d’exprimer leur fierté d’avoir brillamment managé en ces temps difficiles, il fallait bien maintenant qu’ils profitent de cette ère post-Covid pour en somme manager au carré. Comment ? avec les mêmes outils. Le plus puissant s’appuie sur le principe de dilution appliqué avec autant de vigueur à l’oral qu’à l’écrit. À l’oral, c’est la concertation la plus large possible (Ségur de la Santé) où le nombre de voix convoquées fut si considérable, énonçant tant de voies discordantes que leur somme in fine s’annula au profit de celle qui avait été écrite dès le premier jour par le maître des lieux et du temps : une offre pécuniaire abritée sous enveloppe au centre de la table. Procédé éprouvé qui calme les convives en attendant l’été, où l’enveloppe est ouverte.

À l’écrit, l’exercice est plus sophistiqué. Il impose formation – pour ne pas dire formatage. À l’inverse des techniques de marketing direct faisant intrusion soudainement dans la sphère individuelle de l’interlocuteur pour lui faire avaler ce dont il n’a pas besoin, le nouveau management le noie sur la longueur. Le leader authentique asphyxie patiemment. L’adepte forcené du new public management noie directives et recommandations dans des textes interminables dont le subordonné ne se méfiera pas. Qu’il s’agisse de l’étude de 87 pages d’Hervé DUMEZ et Etienne MINVIELLE sur la Contribution des sciences de gestion dans le système hospitalier français dans la crise Covid-19 (CNRS-École Polytechnique, juin 2020), du rapport de la mission CLARIS de 156 pages (juin 2020), ou du relevé des Contributions communes des directions médico-administratives des CHRU au Ségur de la Santé de 103 pages (mai-juillet 2020), tous ont en commun cette forme indigeste.

Saupoudrés parmi des constats souvent pertinents côtoyant des formules vides de sens, d’innombrables propositions et de bonnes intentions à moindre frais, les mots management, manager, managérial y sont utilisés avec la même fréquence : 418 fois au total. Quand ce n’est pas l’occasion, particulièrement dans le dernier document – le plus inquiétant des trois – de distiller ça et là le bien-fondé de ces techniques de « gouvernance » qui auront fait leur preuve dans la gestion de la crise. Bref, ceux qui étaient au printemps accoudés au balcon du château, inaudibles, amers qu’aucune trompette n’ait claironné à vingt heures pour leurs soins, remontent en été au devant de la scène et se réapproprient habilement le travail de terrain à coup de phrases. Pour le coup on ne rit plus. Cela s’appelle la « reprise » : la main dont usèrent les soignants pour exercer leur art, il faut la leur reprendre. Il est temps de comprendre que si manager fut la clé du succès pendant, il faut manager au carré après : en témoigne l’usage itératif du terme gouvernance cité 162 fois dans les second et troisième documents.

Discours vides, mise en musique du néant. Ces gens tentent d’affirmer leur être et de justifier leur existence au moyen d’un jargon autoréférentiel – anglais d’aéroport (curieuse manie d’user d’une langue que l’on ne parle pas) et français mutilé à grands coups de suffixes qui miment l’intellect (-ance, -iel, -ing) sans faire illusion. Par bonheur – pour eux – le logiciel (ou progiciel, on ne sait plus) fait écran : la projection power point prend tous les lapins dans ses phares, et l’on cligne des yeux dans la salle obscure. Le réflexe se substitue à la réflexion, et l’hypnose fait son œuvre.

On assoupit la raison, on écoute pieusement le catéchisme des imbéciles, et l’on prend congé du réel pour épouser cette scolastique absurde des temps modernes. Bienvenu dans la caverne, welcome proactif dans le monde du mensonge, où « optimisation de l’offre publique de soins » signifie suppression de 400 lits, au moment même où le manager en chef, jeune cadre dynamique amateur de jet ski à Brégançon, mime la contrition sur un autre écran et admet, la larme à l’œil, que tout ne peut pas être soumis à la loi du marché et à la brutalité de ses valets, des gestionnaires qui, armés de leur excellent Excel, veillent sur les budgets et la santé – des fonds de pension.

Or, à l’hôpital, on ne ment pas – enfin, disons qu’il vaut mieux éviter de mentir car l’inexactitude peut tuer. Un chirurgien, par exemple, a un rapport assez janséniste au réel, et cultive le mot juste autant que le geste adéquat. C’est préférable. L’historien aussi. L’enjeu n’est pas aussi tragique et immédiat, ou immédiatement tragique, mais on peut venir lui demander des comptes, au nom de la dignité et de la mémoire, au nom de l’honnêteté et du droit. La vénérable définition de la vérité, l’adéquation du mot et de la chose, il la pratique par éthique et par obligation. 

Et puis le chirurgien et l’historien travaillent – pour soigner, pour sauver, pour enseigner, pour éclairer. On peut en dire autant de tous les universitaires, de tous les enseignants, de tous les médecins. Ils ont besoin de temps pour travailler, mais aussi de temps pour se cultiver, se régénérer, pour méditer et réfléchir. Pour se reposer, aussi. Pour vivre, tout simplement.

Alors ces enseignants et ces médecins ne comprennent pas tout ce qui s’impose et métastase depuis dix-quinze ans, depuis la T2A à l’hôpital, depuis la « LRU » Sarkozy-Pécresse à l’école et à l’Université – acronymes atroces enfantés par les abréviations matricielles du début des années 2000, la LOLF (merci la « gauche ») et la RGPP (bravo la droite). Les réunions, les bilans, les rapports à rendre, les tombereaux de mails qui n’ont d’autre arrière-plan que d’autres mails, ainsi que des process burlesques qui parviennent à rendre abscons et incompréhensible ce qui relève parfois de l’évidence. Et puis ces mots, invraisemblables et comiques à première vue, mais qui deviennent moins drôles lorsqu’ils disent la norme et prétendent le normal : ranking, benchmarking, impact factor… mais aussi, depuis peu, distantiel et présentiel (presque des classiques, désormais), ou « hybridation agile ». 

Ce sabir im-monde – en ce qu’il enlaidit le monde – obéit à quelques règles sémantiques simples : une semblance anglo-saxonne (emprunts massifs à un certain anglais, que les anglophones et les anglicistes répudient), des vocables généraux et creux élevés à la dignité du « concept » (« on est dans un concept de… », « dans une notion de… »), et des attelages de mots qui portent le néant au carré (« mutualisation hybride »), voire au cube (« ranking agile mutualisé »). Ces deux derniers exemples sont de notre cru, mais avouez qu’ils sont plus vrais que nature, tant la combinatoire est infinie : de toute manière, cet idiolecte ne veut rien dire. Il est aussi poétique et substantiel qu’un diaporama d’auto-école.

Généralement, on en reste au niveau de la sémantique, par la création de chimères linguistiques aussi vides que boursouflées. Les plus doués, les maîtres de l’illusion passent du sémantique au syntaxique, et parviennent à construire une sorte de discours avec tout ça. Là, c’est le « level » Président (de société ou de la République). Le premier d’entre eux, le jet skieur, parvient à envelopper tout ce néant dans du vent pseudo-hugolien et à en faire des allocutions télévisuelles sans fin. Ce sont les meilleurs des managers : ceux qui ont fait une khâgne, et qui en ont retenu le caput mortuum des études littéraires – la bavasserie, la rhétorique creuse, celle qui fait rater normale mais réussir l’ENA, celle qui fait les politiques sans consistance, les profs sans substance, les auteurs sans œuvre. 

Ce langage est un symptôme. Celui du managérialisme, qui a saisi le privé, puis, douloureusement, le public, depuis que l’on s’est mis en tête de faire de l’hôpital, de l’Université et de l’école un lieu de rentabilité, de performance et on en passe. La réflexion sur la notion de « service public » a été passée par pertes et profits, ainsi que celle, élémentaire au fond, sur la vocation, la raison d’être de ces lieux. Par une suite d’opérations intellectuelles et politiques complexes, les services publics ont été arraisonnés à des notions et à des fins qui leur étaient étrangères, et qui avaient été créées pour, en gros, obvier aux rendements décroissants, au déclin du taux de profit et à la pente descendante des gains de productivité constatée dans les économies occidentales depuis les années 1970.

Préserver le capital et sa dynamique impliquait de délocaliser, au sens géographique du terme, mais aussi au sens conceptuel : il fallait subvertir les lieux, faire des médecins et des profs des entrepreneurs, sources de profits ou, au pire, d’économies (donc de profits) pour une caste en sécession qui, de temps à autres, plaçait au sommet de l’État, ou de ce qu’il en restait, un fondé de pouvoir plus caricatural que les autres (Macron, pire que Sarkozy ou Hollande, par exemple). 

Ces gens-là donnent congé au réel. Ce qui ne veut pas dire que le réel ne se venge pas, bien au contraire. Les récents événements liés à la pandémie l’ont bien montré : des « économies » se comptent moins en « k E » qu’en morts. L’année 2019-2020 avait commencé par le suicide d’une directrice d’école. Elle s’est poursuivie par le procès des « managers » de France Télécom, jugés responsables de dizaines de suicides, et elle s’est achevée par la mort d’infirmières, d’aides soignantes et de médecins – des dizaines, là encore, envoyés « au front », « en première ligne » ou à la « guerre » sans protection. Le néant boursouflé du managérialisme peut faire sourire. In fine, ce sont des vies néantisées. Des vies tuées. Et des « économies » bien discutables : on économise quelques millions en détruisant les structures hospitalières, on lâche des centaines de milliards en coût social, économique et humain du « confinement ». 

Le managérialisme, cette scolastique budgétaire, est l’ultime avatar – du moins, on l’espère – de cette abstractionnite aigüe qui a saisi l’occident en quête de terres, de nutriments et de profits. Il a fallu compter pour produire, ignorer pour exploiter, et mathématiser à l’extrême pour dégager des taux de profit de 15 % quand « l’économie réelle » (il y en aurait donc une irréelle ?) ne croissait qu’à hauteur de 2-3 %. L’école et l’hôpital sont arraisonnés à cette logique. Les services publics sont la proie de sévices privés. Pour l’instant, comme l’écrit Sandra Lucbert, « personne ne sort les fusils ». Pour l’instant…

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La bataille de la cotisation : renouer avec la dimension salariale de Sécurité sociale

par Olivier Nobile

 

Ce texte d’Olivier Nobile, responsable Santé protection sociale de l’Union des Familles laïques (UFAL), paraît simultanément dans le magazine UFAL Info n°82 au moment où l’on s’apprête à commémorer le 75e anniversaire des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945. ReSPUBLICA s’associe ainsi à la campagne de la Convergence nationale Services publics

La bataille de la cotisation sociale au cœur du projet socialiste
de Sécurité sociale de 1945

La création du Régime général : la grande victoire de Croizat

Contrairement à l’image d’Epinal d’une France réunie grâce à la résistance à l’occupant nazi et gagnée par un esprit de concorde nationale, la France du lendemain de la guerre fut le théâtre d’une bataille politique, idéologique et sociale d’une rare violence. En particulier, la mise en œuvre du programme national de la résistance fut marquée par une grande conflictualité politique entre gaullistes et communistes, mais également syndicale entre la CFTC et la CGT, sans oublier l’hostilité que nourrissaient de nombreux hauts fonctionnaires face au projet de Régime général de Sécurité sociale que portaient le PCF et la CGT au lendemain de la guerre.

En réalité, ce que promulguent les ordonnances dites Laroque du 4 et 19 octobre 1945 n’est pas à proprement parler la Sécurité sociale. En effet, tout existe déjà : des assurances sociales depuis 1930, des caisses d’allocations familiales, un réseau mutualiste très développé, etc.

Les ordonnances dites Laroque que soutiennent essentiellement le Parti Communiste et la CGT vont beaucoup plus loin ; il s’agit de créer un régime unique de Sécurité sociale pour tous les salariés et placé entre les mains des assurés eux-mêmes : le Régime général de Sécurité sociale. Il y aurait fort à dire sur les circonstances historiques de la mise en œuvre de ce joyau social pris en application du programme du Conseil national de la résistance. Et sur la manière dont les Gaullistes sont parvenus à rayer de la mémoire collective le véritable père fondateur de la Sécurité sociale, Ambroise Croizat, premier ministre du Travail de l’après-guerre. Car le Régime général est une œuvre collective qui n’aurait pu aboutir sans l’action politique d’un ministre communiste, Ambroise Croizat, la loyauté républicaine d’un haut fonctionnaire, Pierre Laroque, et l’action résolue d’un syndicat, la CGT, qui s’empare en 18 mois des présidences des premières caisses du Régime général. Pour justifier un tel projet, la Sécurité sociale ne devait pas dépendre de l’impôt au risque de devenir dépendante des décisions politiques de l’État, voire pire devenir une simple section budgétaire des finances publiques soumise aux aléas des délibérations politiques de l’exécutif et du Parlement. La Sécurité sociale devait en conséquence être financée par des ressources propres adossées au salaire des travailleurs : c’est la cotisation sociale qui s’impose. Ce mode de financement salarial devient dès lors un mode de partage de la valeur ajoutée aux côtés des salaires (directs) et justifie que la Sécurité sociale devienne indépendante de l’État. Les représentants syndicaux et patronaux deviennent en théorie les gestionnaires politiques de cette institution sociale capitale pour la classe ouvrière. La Sécurité sociale devenait en 1945 l’institution du droit social des travailleurs de même qu’une institution démocratique qui accordait une place prépondérante aux administrateurs salariés.

La cotisation sociale et la dimension politique de la Sécurité sociale

La CGT soutenait un projet ambitieux : une caisse unique, étendue à tous les travailleurs, et surtout un projet autogestionnaire confié aux représentants des salariés. Ce projet a donné lieu à un tir de barrage étatique, politique, syndical et corporatiste d’une violence inouïe. Le projet autogestionnaire de la CGT a fait long feu, sabordé par l’État et de nombreux hauts-fonctionnaires hostiles à l’autonomie de la Sécurité sociale mais également par la CFTC et le patronat français récusant l’hégémonie politique que la CGT exerce en son sein. La CGT et Croizat sont contraints d’accuser de cuisantes défaites mais obtiennent une victoire, la plus importante : ils imposent un taux unique de cotisation sociale pour toutes les entreprises. Avec ce taux unique, plus de dumping social entre les entreprises comme c’était le cas avec les assurances sociales de 1930 ; le taux de cotisation devient un mode de socialisation du salaire étendu progressivement à l’ensemble de la population salariée, rendant possible une progression des prestations sociales et de la santé. Par ce mécanisme de mutualisation des salaires que permet la cotisation sociale, la Sécurité sociale a pour ambition de distribuer en temps réel le salaire socialisé des travailleurs, au contraire de toutes les autres solutions de protection sociale fondées sur la captation de l’épargne des ménages afin de l’investir sur les marchés financiers. La cotisation sociale avait pour objectif d’immuniser la Sécurité sociale contre la logique de marché et participait par conséquent d’un projet socialiste de Sécurité sociale fondée sur une distribution immédiate de ressources salariales entre l’ensemble des travailleurs.

Toutefois un tel projet a failli ne jamais aboutir car les pouvoirs publics vont tenter de garder la main sur les taux et imposer un plafond de cotisation relativement bas malgré la vive contestation de la CGT. Le niveau des prestations sociales peine à progresser attisant le mécontentement des assurés sociaux en laissant se construire des campagnes de presse haineuses imputant aux gestionnaires ouvriers les conséquences d’une pénurie que les pouvoirs publics organisent de toute pièce. En particulier, avec la complicité des syndicats de médecin qui refusent toute convention avec le Régime général, le gouvernement décide du non-remboursement des soins ambulatoires par l’application d’un tarif d’autorité sans rapport avec le coût réel, si bien que les taux de remboursement demeurent très partiels. D’autre part, les pouvoirs publics décident de figer les prestations sociales du Régime général afin d’affecter les excédents de l’assurance vieillesse à la couverture des dépenses courantes de l’État.

Il faudra attendre le retour du Général de Gaulle au pouvoir pour que la situation évolue. Mais au prix d’une remise en cause du projet socialiste de Sécurité sociale. De Gaulle met sur pied une réforme structurelle du Régime général qui a pour effet de limiter les attributions des Conseils d’administration élus. Il place le Régime général sous tutelle administrative de l’État, crée une école de dirigeants de la Sécu calquée sur l’ENA (l’EN3S), et surtout, par sa grande réforme de 1967, il supprime les élections au sein des Conseils d’administration des Caisses et instaure le paritarisme, plaçant de facto les représentants patronaux en position hégémonique. Plus encore, c’est cette réforme de 1967 qui dessine les contours des « branches » de la Sécurité sociale. De la sorte, la Sécurité sociale, pensée initialement comme un tout solidaire devient morcelée en risques étanches, sans possibilité de solidarité financière entre branches excédentaires et branches déficitaires. Cette réforme a pour effet de neutraliser durablement la CGT qui perd progressivement son pouvoir politique hégémonique au sein des Conseils d’administration de la Sécurité sociale.

Alors, comme par enchantement, on verra à nouveau progresser l’assiette et le taux de cotisation sociale du Régime général enfin rentré dans le giron patronal. Toutefois, en obtenant le scalp de la CGT au sein des Conseils d’administration, le Patronat consentait à accroître le périmètre du Régime général dans un contexte marqué par un rapport de force encore favorable à la classe salariale. Ironie de l’histoire.

L’augmentation des taux de cotisation, vecteur de progression de la Sécurité sociale et du salaire

Ainsi au cours de la décennie 1970, la France connaît une expansion historique du niveau des prestations sociales au sein des 4 branches de la Sécurité sociale. Le niveau des pensions de retraite progresse considérablement et le pays se dote d’un système de santé moderne et accessible mû par un service public hospitalier devenu l’un des plus performants du monde. Parallèlement, l’assurance chômage (créée en 1958) assure une quasi-continuité des salaires aux travailleurs privés d’emploi et des prestations nouvelles apparaissent pour tenir compte des situations d’éloignement durable de l’emploi (l’allocation aux adultes handicapés notamment). La Sécurité sociale s’universalise progressivement, parachevant de la sorte l’objectif défendu dès l’origine par Ambroise Croizat et Pierre Laroque. Ainsi, en 1978, les allocations familiales sont versées à l’ensemble des familles et l’affiliation familiale à l’assurance maladie permet de l’étendre à quasi toute la population. Bien plus encore, la Sécurité sociale devient un vecteur de socialisation du salaire et de partage des gains de productivité du travail au-delà du seul salariat. Artisans, commerçants, professions libérales, agriculteurs… sont certes couverts par des régimes de Sécurité sociale distincts mais leur mode de financement repose également sur la cotisation sociale et leur équilibre financier ne tient que grâce aux subventions massives qu’ils reçoivent du Régime général, le régime des salariés. En contrepartie, à compter des années 1970, une grande partie des prestations sociales de l’ensemble des régimes est harmonisée sur celle des salariés (loi Royer de 1974[1]), opérant de la sorte une harmonisation des droits sociaux de la classe laborieuse du pays. Autre exemple édifiant, les médecins libéraux, pourtant hostiles au salariat, s’inscrivent à compter de 1970 dans un cadre conventionnel national qui les transforme en quasi-salariés de l’assurance maladie !

Cette progression n’est absolument pas étrangère au financement de la Sécurité sociale par la cotisation sociale. Et ce, pour deux raisons essentielles :

      La cotisation sociale ouvre par nature des droits sociaux à ceux qui s’en acquittent, autrement dit les travailleurs.

De la sorte, et contrairement à l’impôt, la cotisation sociale est la contrepartie d’un droit à prestations sociales qui ne peut nullement être remis en cause par une décision politique. Ainsi, à titre d’exemple, l’acquisition d’un trimestre de retraite par un salarié ne peut nullement être remis en cause dès lors qu’un salarié a justifié du nombre d’heures de travail nécessaires.  La cotisation ouvre donc un droit acquis à prestation sociale et non un droit dérivé d’une décision politique contingente comme le seraient le niveau des dépenses des ministères.

Plus encore, cotisations sociales et montant des prestations sociales ne relevaient pas, à l’origine, du champ de compétence politique  de l’État car ils étaient placés entre les mains des partenaires sociaux. En théorie, il n’appartenait ni au gouvernement ni au Parlement de déterminer le niveau des cotisations sociales et le niveau des prestations sociales à l’occasion du vote annuel du budget de l’État. Tout simplement car le financement de la Sécurité sociale reposait essentiellement sur des ressources salariales de nature privée (la cotisation sociale) et non sur des contributions publiques (l’impôt). Les partenaires sociaux et les représentants des salariés disposaient donc d’un pouvoir politique considérable indépendant de celui de l’État. Certes dans les faits, ce pouvoir politique placé entre les mains des partenaires sociaux a été historiquement entravée par un véritable sabotage étatique et une opposition patronale féroce, amenant l’État à se substituer fréquemment aux partenaires sociaux par voie réglementaire.

En outre, la situation a été frontalement remise en cause avec la célèbre réforme Juppé de 1996 qui a habilité le Parlement à se prononcer sur les ressources et dépenses de la Sécurité sociale à l’occasion du vote des lois de financement de la Sécurité sociale. En conséquence, le plan Juppé a incontestablement placé la Sécurité sociale sous tutelle renforcée de l’État et du Parlement et cette évolution n’est pas étrangère à la substitution massive de l’impôt à la cotisation sociale dans le financement de la Sécurité sociale. Cependant, les lois de financement de la Sécurité sociale n’ont pas la même portée normative que les lois de finances de l’État et, aujourd’hui encore, elles ne peuvent pas décider du niveau maximum des prestations sociales mais simplement fixer, à titre indicatif, les grandes masses de ressources et dépenses de la Sécurité sociale.

En tout état de cause, la différence de nature juridique entre l’impôt et la cotisation sociale et l’autonomie de gestion de la Sécurité sociale vis-à-vis de l’État ont incontestablement immunisé la Sécurité sociale d’interventions politiques qui auraient immanquablement contribué à réduire le niveau des prestations sociales afin de nourrir le budget de l’État, surtout lorsque les premiers déficits massifs de l’État sont apparus après la crise pétrolière de 1974. De facto, la nature salariale de la cotisation sociale a rendu la Sécurité sociale infiniment moins « réformable[2] » que si elle n’avait été qu’un poste de dépense budgétaire des finances publiques placées entre les mains des ministères. Tout simplement car la cotisation imprime à la Sécurité sociale une dimension assurantielle qui confère des droits sociaux acquis aux salariés qui s’en acquittent. Et il n’est pas possible en droit de revenir rétroactivement sur des droits acquis [3] !

Ceci explique pourquoi la Sécurité sociale, malgré plusieurs décennies de réformes néo-libérales représente à ce jour plus d’une fois et demi le budget de l’État et que le niveau de progression des dépenses sociales demeure important.

     Historiquement, la progression des cotisations sociales s’est avérée plus neutre politiquement que la progression des impôts.

Bien que les décennies 1960 et 1970 aient vu se succéder uniquement des gouvernements de droite gaulliste, la cotisation sociale a connu une progression ininterrompue et ce, en dépit du discours austéritaire sur les finances publiques que portaient déjà les dirigeants politiques de l’époque. Ce paradoxe est uniquement lié au fait que la progression de la cotisation sociale est neutre politiquement car elle ne suppose pas d’adhésion volontaire des contribuables au paiement de l’impôt. En effet, la cotisation sociale relève du partage de la valeur ajoutée en entreprise au même titre que les salaires directs[4]. Son versement est assuré conjointement par les employeurs et les salariés et constitue un mode de répartition horizontale des ressources salariales entre l’ensemble des travailleurs. De plus la cotisation est le fait générateur de l’acquisition de droits sociaux, et l’augmentation de la cotisation sociale était relativement indolore pour les salariés dans la mesure où, initialement, la cotisation sociale reposait très majoritairement sur les employeurs.

Par ailleurs, il est très complexe de se soustraire au paiement de la cotisation[5], ce qui en fait un mode de financement très robuste. En effet, la cotisation sociale est due à chaque fois qu’une rémunération est versée en contrepartie ou à l’occasion d’un travail et la déclaration incombe aux employeurs. Par conséquent, il est peu aisé de se soustraire au paiement de la cotisation et suppose de dissimuler un salarié : c’est le travail illégal.

L’impôt, à l’inverse, repose sur une logique redistributive allant des plus contribuables les plus riches vers les plus modestes et l’affectation de l’impôt découle d’un arbitrage politique annuel à l’occasion du vote du budget de l’État. L’impôt n’ouvre par conséquent aucun droit social par nature à ceux qui le payent et repose, de par sa progressivité, principalement sur les plus hauts revenus. De fait, l’impôt est peu populaire, en particulier chez les contribuables les plus aisés, lesquels constituent le cœur électoral des gouvernements de droite qui se sont succédés au cours de la décennie 1970. Ceux-ci ont pu bénéficier de la dynamique de la progression de la cotisation sociale pour accroître le niveau des prestations sociales sans se départir de leur argument électoral fondé sur la stabilisation des impôts.

Ainsi, dès 1974, était-il possible pour le Premier ministre Jacques Chirac de mettre en œuvre un programme politique de pause fiscale très populaire auprès de son électorat sans pour autant entraver la progression de la cotisation sociale et, en conséquence, du niveau des prestations sociales. Toutefois, la progression de la cotisation sociale et de la Sécurité sociale s’inscrivait dans un contexte politique et social marqué par un rapport de force nettement plus équilibré entre salariat et patronat. De la sorte, la progression de la cotisation sociale a participé directement de la progression des salaires dans la valeur ajoutée ; dopé par la progression de la cotisation sociale, la part des salaires dans la valeur ajoutée atteint son plus haut niveau en 1982.

Cette logique s’est poursuivie au cours des années 1980 et ce malgré le tournant de la rigueur de 1983. Toutefois, les pouvoirs publics ont pour la première fois privilégié la progression de la cotisation salariale dans un contexte de crise économique, nourrissant ainsi l’idée que la cotisation sociale pèse sur le pouvoir d’achat[6]. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les dirigeants politiques ont mis en œuvre un programme de réduction historique des cotisations sociales patronales, dans un contexte de chômage de masse, rendant nécessaire la mise en œuvre conjointe de réformes des prestations sociales dans un sens restrictif pour les travailleurs afin de satisfaire aux directives néo-libérales de l’Union européenne et aux injonctions d’un patronat résolu à obtenir sa revanche sur le programme du CNR. Comme nous le voyons, la cotisation sociale est en réalité au cœur d’une dialectique sociale et politique opposant patronat et classe salariale. Cette même dialectique est à l’œuvre à l’occasion de la fixation du niveau des salaires en entreprise, salaires dont la cotisation est une composante intrinsèque. Défendre la cotisation sociale est par conséquent indissociable de la bataille pour les salaires, seule condition de vie digne des travailleurs et de leur famille. Elle est également au cœur de la bataille pour l’augmentation des salaires qui devrait, en toute hypothèse, redevenir au cœur de l’action politique des syndicats.

La fin des Trente glorieuses et le chômage de masse auraient-ils eu raison de la cotisation sociale et justifieraient-elles de réformer structurellement le financement de la Sécurité sociale ? Il serait en effet tentant de penser que l’impôt, par essence universel, devrait se substituer à la cotisation sociale, afin d’alléger le coût du travail, rétablir la compétitivité des entreprises, voire pour taxer le capital au même titre que le travail. Ces arguments, répétés à l’envi, sont assénés par les réformateurs néo-libéraux afin de justifier une fiscalisation intégrale de la Sécurité sociale.

Tâchons d’y voir plus clair afin de déjouer de fausses évidences. Car la réforme du financement de la Sécurité sociale est en réalité le véhicule d’une transformation plus large de la philosophie de la Sécurité sociale pour mieux la convertir en un dispositif de protection sociale redistributive orientée vers les plus pauvres. Au prix d’une grave remise en cause de la cohésion sociale et du droit social des travailleurs.

Déjouer les idées reçues et les fausses évidences
pour réhabiliter la cotisation sociale

« La cotisation sociale et les impôts sont tous deux des prélèvements obligatoires et sont les plus élevés du monde occidental »

  • Réalité en trompe l’œil … et largement erronée !

La notion de prélèvement obligatoire n’a aucun fondement juridique clair. C’est une notion inventée dans les années 1970 par l’OCDE afin d’additionner l’ensemble des contributions publiques obligatoires placées sous contrôle de l’État. En France cette notion de prélèvement obligatoire s’est imposée très vite dans le langage politique et est devenue un agrégat de comptabilité nationale calculé par l’INSEE. Le niveau de prélèvements obligatoires qui avoisine les 45 % du PIB est brandi régulièrement par les réformateurs néo-libéraux afin de démontrer le caractère confiscatoire de l’impôt en France.

Pourtant cette notion de prélèvements obligatoires, qui additionne impôts, taxes et cotisations sociales — autrement dit des choux et des carottes ! — est un artefact totalement spécieux. En réalité, derrière la notion de prélèvements obligatoires nous trouvons des contributions de nature juridique incomparable et affectés à des postes de dépenses très différents. Les prélèvements obligatoires sont constitués :

– D’une part des impôts et taxes : l’impôt et la taxe constituent un prélèvement obligatoire effectué par une personne publique, la taxe étant généralement une contrepartie monétaire d’un service rendu. Impôts et taxes alimentent essentiellement le budget de l’État et des collectivités locales[7]. L’impôt est levé à titre définitif et sans contrepartie précise. Le pouvoir de fixer, de lever et d’affecter l’impôt est de la compétence exclusive du pouvoir législatif, à l’occasion du vote des lois de finances annuelles. La caractéristique française de l’impôt est sa faible progressivité : l’impôt sur le revenu ne représente guère que 20 % des recettes de l’État et n’est acquitté que par la moitié des foyers fiscaux. A l’inverse les taxes, en particulier celles affectant la consommation populaire à l’instar de la TVA, constituent la majorité des recettes publiques du pays, en dépit de leur caractère très inégalitaire. Si l’on compare la part de l’impôt dans le PIB des autres pays de l’OCDE, la France n’est nullement atypique. Les impôts représentent en effet 20 % du PIB environ, ce qui la situe dans la moyenne des autres pays développés.

-D’autre part des cotisations sociales : partie socialisée des salaires, les cotisations sociales sont des prélèvements de nature privée versés à l’occasion du versement d’une rémunération du travail et ouvrant droit à des prestations de Sécurité sociale. Les cotisations sociales sont affectées à des régimes de Sécurité sociale et sont converties immédiatement en prestations sociales. Elles sont acquittées conjointement par les employeurs (cotisations patronales) et les salariés (cotisations salariales). Initialement placées entre les mains des partenaires sociaux, les cotisations sociales ont une dimension salariale univoque : elles participent du salaire socialisé, autrement dit la mise en commun des salaires pour faire face aux risques sociaux des travailleurs et de leur famille (maladie, retraite, chômage, charges d’enfant, accident du travail). Les cotisations sociales, contrairement aux impôts confèrent des droits sociaux aux salariés (validation de trimestre de retraite, droit à l’assurance chômage, aux prestations d’assurance maladie) même si pour de nombreuses prestations, la condition de cotisation n’est plus nécessaire pour ouvrir des droits (c’est le cas des prestations familiales et des prestations en nature de l’assurance maladie devenues universelles).

Fig. 1 – Composantes du salaire

Par ailleurs, les cotisations sociales justifient l’existence d’une gouvernance spécifique et autonome de la Sécurité sociale au travers du rôle politique qu’exerce syndicats et représentants patronaux au sein des organismes de Sécurité sociale, conformément au souhait (malheureusement totalement dévoyé de nos jours) de démocratie sociale que défendait le programme du CNR en 1945.

Le niveau des cotisations sociales est important en France, et l’un des plus élevés du monde, notamment en ce qui concerne les cotisations acquittées par les employeurs. En effet, les cotisations sociales représentent environ 40 % salaire total acquitté par les employeurs (cf. figure n°1). Toutefois, il convient de largement nuancer cette affirmation. Premièrement, les cotisations sociales ont donné lieu à un vaste mouvement de réforme depuis les années 1990 au travers de dispositifs d’exonération et d’exemption colossaux. Les exonérations de cotisations patronales représentent aujourd’hui près de 60 milliards d’euros par an, plus encore si l’on additionne l’ensemble des niches sociales mises en œuvre par le législateur. De telle sorte que la cotisation sociale, qui représentait plus de 90 % des recettes de la Sécurité sociale en 1995, ne représente guère plus que 50 % de ses ressources actuellement. Et ce au prix d’une importante fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale qui a eu pour effet de faire peser sur les assurés sociaux eux-mêmes le financement de prestations sociales qui relevaient auparavant de la responsabilité patronale. Mais surtout de précipiter l’étatisation de la Sécurité sociale et de dessaisir les partenaires sociaux de la gestion de cette institution majeure.

En outre, les comparaisons internationales des taux de prélèvements obligatoires rapportées au PIB sont totalement biaisées car ces comparaisons ne tiennent pas compte des prélèvements privés qui financent notamment l’assurance retraite et l’assurance maladie dans les pays ne disposant pas d’une protection sociale obligatoire aussi étendue que celle de la France. En effet, dans la plupart des pays de l’OCDE, les pensions de retraite et l’assurance maladie reposent sur un système d’assurances privées dont le financement pèse tout autant (voire plus[8]) sur les assurés et les employeurs qui abondent des systèmes de retraite d’entreprise par capitalisation ou d’assurance maladie tenus par des société d’assurance financiarisés. Aux Pays-Bas par exemple, les retraites par capitalisation représentent 140 % du PIB (contre 3,5 % en France) ; pourtant les contributions à ces systèmes de retraites financiarisés[9] ne sont pas comptabilisées au titre des prélèvements obligatoires bien qu’elles soient largement aussi importantes que les cotisations sociales affectées au régime de retraite par répartition de notre pays.

Le sentiment d’un caractère excessif des prélèvements obligatoires a été entretenu par les pouvoirs publics à l’occasion d’importantes réformes du financement de la Sécurité sociale. Au nom de la compétitivité des entreprises françaises et d’allègement du coût du travail, les réformateurs ont procédé à un important mouvement de substitutions d’impôts et taxes affectés à la Sécurité sociale en contrepartie d’un allégement massif de cotisations sociales. La création de la CSG en 1991 par Michel Rocard constitue le point de départ d’une fiscalisation massive de la Sécurité sociale qui est devenu aujourd’hui colossale : en effet, la CSG est un impôt qui a été mis en œuvre afin de se substituer à la cotisation et constitue aujourd’hui le premier impôt sur les revenus en termes de ressources annuelles collectées, loin devant l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Or, contrairement à la cotisation sociale, la CSG n’est pas acquittée par les employeurs et ne confère, au surplus, aucun droit social et politique aux salariés. Plus grave, comme nous allons le voir, la fiscalisation des ressources sociales participe d’une transformation de la philosophie même de la Sécurité sociale : d’institution salariale destinée à socialiser le salaire entre l’ensemble des salariés, la Sécurité sociale va se transformer peu à peu en un dispositif de redistribution orienté vers les plus pauvres.

« Baisser la cotisation sociale permet de redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs »

  • Globalement faux

Les cotisations sociales donnent lieu depuis près de 40 ans à une entreprise de dénigrement systématique, singulièrement dans le champ médiatique qui est parvenu à imposer le terme de « charges sociales » dans le langage courant. Derrière ce qualificatif péjoratif de charges, les cotisations sociales seraient accusées de peser sur le coût du travail et de nuire à la progression des salaires. En conséquence, il suffirait de baisser les cotisations sociales afin d’accroître les salaires, ou a minima le pouvoir d’achat des salariés.

Cette vision simpliste est en outre totalement erronée. Tout d’abord il convient de noter que la majorité des cotisations sociales sont acquittées par les employeurs sous forme de cotisations patronales qui s’ajoutent aux salaires (directs) versés à leurs salariés. Celles-ci ne pèsent donc nullement sur le niveau des salaires. Certes dans les années 1990, de nombreux économistes néo-libéraux ont soutenu qu’une réduction des cotisations patronales redonnerait des marges de manœuvres financières aux employeurs qui les inciterait les à accroître le niveau des salaires (directs). Or, c’est tout l’inverse qui s’est produit. En effet, depuis près de 30 ans, le législateur n’a eu de cesse de réduire le niveau des cotisations patronales sur les bas salaires par le biais d’un ensemble de mesures d’exonérations sociales, de telle sorte que les employeurs n’acquittent, aujourd’hui, presque plus de cotisations patronales pour les salariés payés au SMIC. Le niveau d’exonérations de cotisations patronales atteint de nos jours la somme colossale de 60 milliards d’euros depuis la transformation du CICE[10] en réduction pérenne des taux de cotisations patronales. Non seulement ces exonérations ne se sont nullement traduites par une augmentation des salaires et ont été intégralement captées dans les marges bénéficiaires des entreprises, mais les dispositifs d’allègements de cotisations sociales ont eu pour effet de créer des « trappes » à bas salaires au niveau du SMIC. En effet, les exonérations de cotisations patronales sont majoritairement dégressives, autrement dit le niveau des allègements décroît au fur et à mesure que les salaires augmentent. En conséquence, les employeurs ne sont guère incités à augmenter les salaires au visionnage du SMIC, bien au contraire ! Même la Cour des comptes a été obligée d’admettre cet effet pervers des exonérations de cotisations sur les bas salaires qui nuisent à la dynamique de progression salariale pour les travailleurs les moins rémunérés.

En réalité les exonérations de cotisations patronales, loin d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés, frappe au contraire lourdement le pouvoir d’achat des classes populaires. En effet, les exonérations de cotisations sociales sont intégralement compensées par l’État en vertu d’un principe dit de « règle d’or » en vigueur depuis 1994[11]. Ce principe de compensation intégrale est totalement légitime afin de compenser les pertes d’entrées de cotisations sociales qui grèveraient les comptes de la Sécurité sociale. Toutefois, les mécanismes de compensation mis en œuvre reposent sur l’affectation à la Sécurité sociale d’un panier de ressources fiscales essentiellement composées d’impôts et taxes affectés (ITAF). Parmi ces ITAF, on trouvera bien sûr la CSG et la CRDS qui affectent lourdement les revenus du travail et de remplacement mais également toute une kyrielle de taxes affectant la consommation des ménages : taxes sur le tabac, sur l’alcool, sur les complémentaires santé, fraction de TVA etc. Foncièrement inégalitaires car acquittées de la même manière par les ménages aisés et modestes, ces ITAF qui représentent plus de 40 % des ressources de la Sécurité sociale ont très largement contribué au sentiment de matraquage fiscal que ressentent les classes populaires du pays et dont le récent mouvement de contestation « Gilet jaune » a été l’une des expressions les plus marquantes. Comme nous le voyons, l’allègement des « charges » sociales a consisté à transférer sur les ménages le financement de prestations sociales qui relevaient auparavant de la responsabilité patronale et donc du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail.

L’effet de l’allègement des cotisations salariales sur le pouvoir d’achat est un peu plus subtil à analyser mais, là encore, il est trompeur. Certes, les cotisations salariales viennent en déduction des salaires bruts et leur réduction permet en apparence d’accroître le salaire net et, partant, le pouvoir d’achat des salariés. C’est le raisonnement qui a poussé le président Macron à instaurer une suppression des cotisations salariales maladie et chômage depuis 2018. En apparence ce sont quelques dizaines d’euros annuels de pouvoir d’achat supplémentaire pour les salariés. En apparence seulement …

En effet, cette réduction des cotisations salariales a dû être compensée par une augmentation parallèle de la CSG afin de compenser le manque à gagner pour les recettes de la Sécurité sociale. Certes, pour les salariés, la hausse de la CSG était moins forte que la baisse des cotisations salariales consenties et cela a pu constituer un coup de pouce (très modeste) en termes de pouvoir d’achat. En réalité, ce coup de pouce n’a été rendu possible qu’en soumettant les retraités à des taux majorés de CSG. En d’autres termes, ce sont les retraités, dont la plupart vivent avec des pensions modestes, qui étaient appelées à financer l’augmentation de pouvoir d’achat des salariés et ce, à raison de plusieurs centaines d’euros par an !

En décembre 2018, le président Macron a annoncé des mesures d’urgence sociale suite au mouvement de contestation sociale des Gilets jaunes. Parmi les mesures prises, le président de la République a finalement en partie renoncé à augmenter la CSG sur les retraites inférieures à 2000 €. En conséquence, ce sont plusieurs milliards d’euros de recettes pour la Sécurité sociale qui ont été annulées. La Sécurité sociale, dont les comptes devaient redevenir excédentaires dès 2019, ont plongé à nouveau dans le rouge. En conséquence, ce sont de nouvelles économies sur les dépenses sociales, singulièrement sur les dépenses hospitalières et de retraite, qui ont été mises en œuvre afin de combler un déficit de la Sécurité sociale artificiellement créé par un tarissement de recettes.

Autrement dit, ce que le législateur donne d’une main en augmentation de pouvoir d’achat, il le reprend de l’autre par le biais des réductions de prestations sociales. Ce qui oblige de surcroît les travailleurs à consacrer une part croissante de leur revenu à la souscription de contrats d’assurance complémentaire retraite et maladie afin de compléter des prestations de Sécurité sociale de moins en moins généreuses.

« Recourir à l’impôt permet de taxer le capital
et d’alléger la taxation du travail »

  • Faux à plus de 90 % !

Lorsque le Premier ministre Michel Rocard instaure la CSG (contribution sociale généralisée) en 1991, en substitution de cotisations sociales, il brandit cet argument imparable : la CSG, contrairement à la cotisation sociale, est un impôt qui a vocation à taxer les revenus du capital devant permettre à la Sécurité sociale de disposer de ressources supplémentaires.  En termes techniques, la réforme de la CSG devait consister en un élargissement d’assiette et serait, en conséquence, un mode de prélèvement sensiblement plus rentable que la cotisation sociale adossée aux seuls revenus du travail. Effectivement, la CSG a une assiette plus large que celle de la cotisation sociale : elle taxe les revenus du travail, les revenus de remplacement, du patrimoine et des jeux.

Présentée comme un impôt miracle et indolore (car prélevé à la source) la CSG a été revalorisée à de nombreuses reprises dans les années 1990 puis récemment par le président Macron pour financer massivement les branches famille et maladie de la Sécurité sociale ainsi que des prestations de solidarité (minimum vieillesse notamment) et, plus récemment l’assurance chômage. Initialement, l’augmentation de CSG a été compensée par une baisse des cotisations salariales, laissant supposer qu’elle était neutre pour les salariés. Par la suite, la hausse massive de CSG mise en œuvre à partir des années 1990 n’a plus été compensée du tout et s’est traduite par une sensible perte de pouvoir d’achat pour les salariés. En revanche, la dernière hausse de CSG décidée par le président Macron, a été compensée par la suppression de cotisations salariales maladie et retraite et constitue une hausse de pouvoir d’achat en trompe l’œil, comme nous l’avons vu, car reposant sur la réduction de pouvoir d’achat des retraités.

Le rendement de la CSG est tel qu’il représente à lui seul près du tiers des ressources de la Sécurité sociale et participe largement de la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale.

Si l’on regarde de plus près le rendement de la CSG, l’on constate plusieurs caractéristiques : il s’agit d’un impôt et en conséquence elle ne confère aucun droit social à celui qui l’acquitte contrairement à la cotisation sociale. Son affectation est laissée à l’arbitraire des pouvoirs publics qui peuvent décider d’accroître ou réduire les ressources allouées aux différentes branches de la Sécurité sociale, comme ce fut le cas en 2013 lorsque le gouvernement Ayrault a créé de toute pièce un déficit de la branche famille après avoir réduit la fraction de CSG affectée à la CNAF. Mais surtout le rendement miracle de la CSG n’est que très marginalement lié au fait qu’il touche les revenus du patrimoine et de l’épargne.

En effet, 70 % du rendement de la CSG repose en effet sur les revenus du travail, donc en déduction des salaires. De telle sorte que la CSG (et la CRDS, impôt siamois créé par Juppé en 1996 pour financer la dette sociale) est aujourd’hui présentée comme le premier impôt sur le revenu français en termes de ressources générées. Or, cet impôt est très en outre très inégalitaire car il n’est pas progressif ; il frappe identiquement les contribuables quel que soit leur revenu.

Le second poste qui génère le plus d’entrées de CSG (20 % de son rendement) provient quant à lui de la taxation des revenus de remplacement : retraites, prestations en espèces d’assurance maladie[12], indemnisations chômage. Présenté autrement, la CSG a, dans les faits, consisté à réduire massivement des prestations sociales de Sécurité sociale en les assujettissant à un impôt censé les financer ! Présenté encore autrement, la CSG sur les revenus de remplacement signifie appliquer une double peine aux salariés : la CSG consiste à frapper de l’impôt des prestations sociales qui sont la contrepartie d’une cotisation préalablement acquittée par les salariés.

En conséquence, seuls 10 % du rendement de la CSG proviennent de la taxation du patrimoine et de l’épargne. Sans compter que pour bonne part, c’est l’épargne populaire qui est mise à contribution (intérêt de comptes épargne).

Comme nous le voyons, la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale pèse en réalité essentiellement sur les revenus du travail et sur les revenus de remplacement qui sont la partie indirecte des salaires des travailleurs. A l’inverse la taxation du capital n’intervient que de manière marginale dans les ressources de la Sécurité sociale. Si l’on ajoute à la CSG la kyrielle d’impôts et taxes affectés à la Sécurité sociale en compensation des exonérations de cotisations patronales qui pèsent lourdement sur la consommation des ménages, nous voyons bien que la substitution de l’impôt à la cotisation sociale n’a nullement permis d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs. Tout en permettant au patronat d’accroître le niveau des profits !

A toutes fins utiles, rappelons à tous ceux qui rêveraient de l’impôt miracle pour taxer le capital que la manière la plus directe et la plus efficace d’y parvenir consiste à accroître les salaires !

« Il est logique que les prestations universelles soient financées
par l’ensemble de la population et non par les seuls travailleurs »

  • Argument trompeur : il s’agit en réalité de transformer la philosophie même de la Sécurité sociale

L’argument de l’universalisation des prestations sociales est fréquemment brandi pour justifier la substitution de l’impôt à la cotisation sociale. Il est vrai que la cotisation sociale a, à l’origine, conféré à la Sécurité sociale française une nature assurantielle : initialement l’acquittement d’une cotisation sociale était indispensable pour ouvrir des droits à l’ensemble des prestations sociales. C’est encore largement le cas aujourd’hui pour les prestations dites contributives[13] : retraite, prestations en espèces, allocations chômage.

La nature assurantielle de la Sécurité sociale a été mise à mal par l’apparition, dès la fin des années 1970, d’un chômage de masse qui exclut durablement des milliers de travailleurs de l’emploi. Ainsi, faute d’occuper un emploi salarié, de nombreux exclus du marché de l’emploi ne peuvent ouvrir de droits aux prestations contributives de Sécurité sociale faute de cotisations sociales adossées à leur salaire.

En réponse à cette situation qui privait de nombreux sans-emplois de prestations sociales, certaines prestations sociales ont été progressivement universalisées, c’est-à-dire qu’une obligation de cotisation a cessé d’être nécessaire pour pouvoir bénéficier de certaines prestations sociales. Ce fut notamment le cas dès 1978 pour les allocations familiales et en 1999 pour les prestations d’assurance maladie avec la célèbre loi CMU. Par ailleurs, des prestations dites de solidarité sont également versées aux assurés sociaux qui n’ont pas suffisamment cotisé pour ouvrir des droits sociaux : c’est le cas notamment du minimum vieillesse[14]. A compter des années 1980, les minima sociaux se sont développés avec l’apparition d’une situation d’exclusion sociale endémique.

L’universalisation des prestations familiales et maladie a été utilisé comme argument imparable par les gouvernements successifs de droite comme de gauche pour justifier la substitution de l’impôt à la cotisation sociale. En effet, il ne serait pas logique que seuls les travailleurs du pays contribuent à financer des prestations qui ont vocation à être versées à l’ensemble de la population.

C’est pour cette raison que la CSG, créée par Rocard en 1991, a été affectée initialement à la branche famille puis affectée massivement à la branche maladie de la Sécurité sociale qui ont en commun de verser des prestations non-contributives (c’est-à-dire que l’ouverture des droits à prestations ne dépend plus d’une cotisation préalable). La CSG finance aujourd’hui de nombreux autres pans dits de « solidarité[15] » de la protection sociale : outre la branche famille et l’assurance maladie, la CSG est également affectée au fonds de solidarité vieillesse, la Caisse nationale de solidarité à l’autonomie et, depuis 2019 l’assurance chômage[16]. Ces postes d’affectation ont en commun de concerner des prestations sociales considérées comme universelles ou adressées à des bénéficiaires en situation de pauvreté.

Cet argument, cohérent en apparence, est toutefois trompeur : cela consiste à faire un procès injuste à la cotisation sociale et à nier l’objectif posé dès 1945 d’universalisation des prestations de Sécurité sociale. En effet, de 1945 jusque dans les années 1990 c’est bien l’augmentation continue de la cotisation sociale qui a constitué le vecteur de l’extension considérable du périmètre de la Sécurité sociale et ce y compris à destination de populations durablement exclues de l’emploi. Premièrement, le caractère familial de l’affiliation à la Sécurité sociale a permis très tôt d’étendre l’assurance maladie à l’ensemble des membres du foyer d’un assuré social (les ayants droit), opérant une quasi-universalisation de fait de l’assurance maladie dès les années 1970.  Ainsi, quand la loi créant la CMU est adoptée en 1999, la mesure d’affiliation à l’assurance maladie n’a concerné en réalité que 150 000 personnes environ[17]. De même, l’universalisation des prestations familiales en 1978 s’est faite sans recours à l’impôt mais au contraire grâce à l’augmentation ininterrompue de la cotisation sociale. Il en va de même de la création de l’allocation aux adultes handicapés en 1975 qui a étendu, grâce à la cotisation sociale, le périmètre de la Sécurité sociale à des personnes handicapées ne pouvant pas, par nature, être employés.

Par conséquent, la cotisation sociale a non seulement constitué historiquement un vecteur d’universalisation des prestations sociales mais elle comporte au surplus une dimension de partage des gains de productivité du travail. En effet, par l’augmentation de la cotisation sociale, il a été possible de réduire les conditions d’assurance pour bénéficier de prestations sociales et d’étendre le périmètre du salaire socialisé à des populations nouvelles, y compris éloignées de l’emploi.

Ce n’est qu’à partir des années 1990 que l’on a commencé à envisager une transformation du financement des prestations sociales universelles au travers d’une fiscalisation massive de pans de la Sécurité sociale. Non pas parce qu’il était plus cohérent de les faire financer par l’impôt mais uniquement car les gouvernements successifs de droite et de gauche ont sacrifié la dynamique de progression des salaires et de la cotisation sociale sur l’autel de la rigueur salariale imposée par les politiques d’austérité européennes.

Mais surtout, la fiscalisation de pans entiers de la Sécurité sociale va de pair avec une transformation d’ensemble de la philosophie de notre système social. Alors que la Sécurité sociale était entendue initialement comme une institution du droit social des travailleurs visant à distribuer horizontalement la richesse créée par le travail entre l’ensemble des travailleurs, l’introduction de l’impôt vise à l’inverse à transformer la Sécurité sociale en un filet de sécurité redistributif à destination des populations les plus modestes.

Cette transformation s’est traduite notamment par la mise sous conditions de ressources de la plupart des prestations familiales parallèlement à la multiplication de dispositifs de solidarité exclusivement réservés aux plus pauvres : minima sociaux, CMU, prime d’activité etc. Plus encore, la création du RMI en 1988, devenu RSA en 2009 a posé les jalons d’une transformation de la Sécurité sociale en auxiliaire de l’État en termes de lutte contre la pauvreté. En particulier, les caisses d’allocations familiales se sont vues confier la gestion des dispositifs d’assistance sociale (RSA, prime d’activité, Aides au logement) au détriment de leur mission originelle de versement de prestations familiales à l’ensemble des familles. Or, parallèlement, les prestations de Sécurité sociale de droit commun ont été victimes de réformes continuelles qui en réduisent massivement la portée : réformes des retraites, déremboursement des soins, gels de prestations sociales, durcissement des conditions d’ouverture des droits.

De la sorte, la fiscalisation de la Sécurité sociale est indissociable d’un mouvement corrélatif de privatisation de pans entiers de la Sécurité sociale. En effet, faute de bénéficier de prestations sociales nécessaires pour faire face à tous leurs besoins sociaux, les salariés qui en ont les moyens sont incités à compléter des prestations de Sécurité sociale de moins en moins généreuses, par des dispositifs d’assurance complémentaire bénéficiant par ailleurs de régimes fiscaux et sociaux très avantageux. Ainsi, les travailleurs les mieux rémunérés des grandes entreprises sont-ils incités à souscrire massivement à des plans d’épargne salariale, de retraite par capitalisation et bénéficient de contrats d’assurance santé complémentaire d’entreprise. De plus en plus intégrés dans le projet capitalistique de l’entreprise, les salariés les plus intégrés font progressivement sécession avec le reste de la classe salariale en rejetant une Sécurité sociale perçue comme uniquement destinée aux plus pauvres.

La transformation de la Sécurité sociale en un « filet de sécurité » participant des politiques de lutte contre la pauvreté et placée entre les mains de l’État, comporte en conséquence un danger considérable en termes de cohésion sociale. En effet, cela revient à évincer de nombreux travailleurs du bénéfice de prestations sociales de « solidarité » qu’ils financent pourtant massivement avec leurs cotisations sociales et leurs impôts, tandis que leurs propres prestations sociales sont continuellement remises en question.

Cette situation est particulièrement cruelle pour les travailleurs pauvres situés dans l’entre-deux-social, autrement dit les travailleurs « trop pauvres pour être riches et trop riches pour être pauvres ». Ces derniers, percevant des revenus modestes, ne peuvent nullement prétendre aux prestations de solidarité réservés aux seuls « pauvres » mais voient au surplus leurs prestations de Sécurité sociale être réduites sans avoir les moyens de les compléter avec des dispositifs d’assurance complémentaire.

Ce qui n’est pas sans faire naître un grave sentiment d’exaspération sociale et de défiance de la part d’une frange importante des travailleurs modestes du pays qui ont le sentiment d’être les laissés-pour-compte d’un système social qui ne profite qu’aux deux extrémités de la distribution des revenus. Ce qui n’est pas étranger au demeurant au mouvement de fustigation des « assistés » érigés en boucs émissaires d’un système social qui a rompu avec sa dimension salariale et universelle.

« L’allègement des « charges sociales » est indispensable
pour renforcer la compétitivité des entreprises et favoriser l’emploi »

  • Non démontré

La question de l’emploi est devenue l’enjeu central des politiques économiques et sociales de notre pays depuis l’apparition d’un chômage de masse endémique depuis la fin des trente glorieuses. Le virage austéritaire que prend la France au cours des années 1980 n’a jamais été remis en question tant par les gouvernements de droite que de gauche gouvernementale (Parti socialiste), d’autant que les partis de gouvernement français ont adhéré sans nuance au modèle néo-libéral de construction européenne qui place l’austérité budgétaire, la lutte contre l’inflation et la concurrence libre et non-faussée comme fondement de la politique économique communautaire.

Dans ce contexte, la cotisation sociale a été très vite accusée de renchérir le coût du travail et de générer du chômage. En effet, près de 40 % de la rémunération totale des travailleurs est versée sous forme de cotisations sociales. Jamais présentée comme une part socialisée des salaires des travailleurs, conférant au surplus des droits sociaux et politiques aux salariés, la cotisation sociale est devenue une « charge », un fardeau qui pèse sur la compétitivité des entreprises et nuit à l’emploi.

Depuis le tournant de la rigueur de 1983, le coût du travail est fréquemment brandi comme le principal frein à l’embauche, singulièrement pour les travailleurs les moins qualifiés. Dans ce contexte, la dynamique de progression des taux et plafonds de Sécurité sociale est interrompue à compter des années 1980 et participe, aux côtés de la désindexation des salaires sur l’inflation, à l’effondrement des salaires dans la valeur ajoutée. Pour ce faire, le législateur a multiplié toute une série de dispositifs d’emplois aidés largement exonérés de cotisations sociales, complétées dans les années 1990 par des dispositifs d’exonérations générales de cotisations patronales, tandis que la CSG était appelée à se substituer à une fraction non négligeable des cotisations sociales. Le niveau des exonérations de cotisations patronales progresse dans des proportions inouïes : le passage aux 35 heures en 2000 (loi Aubry) est l’occasion d’une massification des exonérations de cotisations patronales, transformées en 2005 en dispositif généralisé d’exonérations dégressives (exonération Fillon). Le mouvement d’allègement généralisé se poursuit sous les présidences Sarkozy (allègement sur les heures supplémentaires) et Hollande (pacte de responsabilité, CICE). Le président Macron a, quant à lui, poursuivi ce mouvement dans des proportions inégalées : transformation du CICE en allègement pérenne de cotisations sociales, suppression des cotisations salariales maladie et chômage et leur remplacement par de la CSG, désocialisation des heures supplémentaires et de l’intéressement. Si l’on cumule l’ensemble des dispositifs d’exonérations existants, nous ne comptons pas moins de 40 dispositifs d’allègements pour un coût annuel évalué près de 60 milliards d’euros, soit autant que le budget de l’Éducation nationale[18] !

Ces allègements de cotisations sont certes compensés pour la plupart, mais génèrent malgré tout un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros pour la Sécurité sociale. En outre, comme nous l’avons vu, ces exonérations ont été intégralement compensées par l’affectation d’impôts et taxes qui pèsent directement sur les revenus et la consommation des ménages. Pour les travailleurs du pays, il s’agit en vérité d’une double peine :

– D’une part ces exonérations s’apparentent à des cadeaux extrêmement juteux faits au patronat sous formes de baisses de salaires sans aucune contrepartie en termes de création d’emploi ; de plus elles ont directement contribué à faire de la France le pays champion d’Europe du versement de dividendes aux actionnaires[19].

– D’autre part, les exonérations sont compensées par des impôts et taxes (fiscalisation) qui pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des salariés du pays et participent largement du sentiment de matraquage fiscal dont se plaignent les travailleurs les plus modestes.

Double peine vraiment ? Non, il s’agirait en fait davantage d’une triple peine : en effet, les allègements de cotisations sociales participent d’un assèchement des ressources de la Sécurité sociale qui pèsent sur son équilibre financier et ont justifié la mise en œuvre de mesures de réduction des prestations sociales par le législateur depuis trente ans. En conséquence, les salariés qui en ont les moyens sont contraints de consacrer une part croissante de leurs revenus à la souscription de contrats d’assurance complémentaire ou à procéder à des stratégies patrimoniales pour compléter des prestations de Sécurité sociale de moins en moins généreuses ! Les allègements de cotisations sociales participent donc directement de l’emprise de la finance d’entreprise sur l’économie et nourrissent du surcroît la bulle immobilière du pays.

Mais surtout, il y aurait fort à dire sur l’efficacité économique de ces dispositifs y compris pour les entreprises elles-mêmes. En réalité, les dispositifs d’exonérations forment un maquis législatif d’une rare complexité qui confronte les entreprises à une forte insécurité juridique et désavantage les PME et TPE par rapport aux grands groupes qui ont les moyens de s’offrir les conseils de cabinets d’optimisation sociale. Plus grave, ces dispositifs sont minés par d’importants effets pervers parmi lesquels nous pouvons citer l’effet d’aubaine : ainsi, dans de nombreux cas, les employeurs bénéficient de dispositifs d’allègement sur des emplois qu’ils auraient pourvus de toute façon, ce qui génère un manque à gagner important pour la Sécurité sociale.

Mais ce sont évidemment les salariés qui sont les principaux perdants. En premier lieu, comme nous l’avons vu, les exonérations de cotisations patronales contribuent à générer des trappes à bas salaires en raison de leur dégressivité. Les employeurs sont en effet incités à ne pas accroître la rémunération de leurs salariés les moins rémunérés car toute augmentation de salaire se traduit corrélativement par une réduction du niveau des exonérations calculées sur leurs salaires.

Ces effets pervers ne seraient toutefois qu’un mal nécessaire si ces exonérations avaient un effet favorable en matière d’emploi et de réduction du chômage. Or, y compris dans ce domaine, l’efficacité des exonérations massives de cotisations sociales est plus que contestable. Selon plusieurs études économiques[20], 500 000 à 600 000 emplois dépendraient directement des mesures d’exonération, dont près de la moitié dans les secteurs à forte proportion de main d’œuvre peu qualifiée (grande distribution).  Si l’on rapporte le coût de ces mesures au nombre d’emplois créés ou maintenus, nous ne pouvons que constater le coût pharaonique des mesures d’exonération, bien supérieur au coût annuel d’un fonctionnaire qui serait directement embauché à temps plein ! En tout état de cause, les mesures d’allègement du coût du travail ont démontré depuis trente ans leur inefficacité patente à réduire le chômage.

La stratégie d’allègement des charges est par conséquent une gabegie financière qui participe du tarissement des ressources de la Sécurité sociale, finance les dividendes des actionnaires des grands groupes capitalistiques et freine la progression des bas salaires. Plus grave encore, la stratégie d’allègement des « charges » démontre l’ineptie d’une politique économique dite de l’offre promue par l’Union européenne et fondée sur la modération salariale, la destruction des services publics et l’accroissement des inégalités sociales. Non seulement ces mesures n’ont nullement démontré leur capacité à diminuer le chômage mais elles pèsent en outre lourdement sur la consommation des ménages et sur la demande intérieure. Faute de débouchés intérieurs et de perspectives de croissance soutenable, les entreprises, singulièrement les PME, sont peu enclines à investir pour renouveler leur capital productif en France.

Plus largement, cette focalisation de la compétitivité sur le seul coût du travail, empêche les entreprises françaises d’envisager les autres paramètres essentiels de la compétitivité : innovation, recherche et développement, et accès au financement bancaire pour les petites entreprises notamment.

Fig. 2. Comparaison du salaire total au SMIC et à 2 SMIC

Conclusion

Il semble aujourd’hui indispensable de rompre avec la logique mortifère d’austérité salariale auxquelles les exonérations de cotisations sociales et la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale contribuent de manière directe. La bataille pour l’augmentation des salaires (et non le combat spécieux pour le pouvoir d’achat) doit redevenir plus que jamais au cœur de la stratégie des syndicats et des partis politiques qui se réclament de la classe salariale. Cela implique évidemment de repenser structurellement les paradigmes de soutien à l’économie : fiscalité incitative, protectionnisme écologique et social, désobéissance aux directives européennes sur les travailleurs détachés, subvention publique aux secteurs stratégiques et écologiques, refonte de crédit aux PME sont autant de pistes qu’il convient de promouvoir d’urgence afin de rompre avec la logique mortifère d’austérité salariale, de dumping social et de mise en concurrence transnationale des travailleurs.

Mais surtout, il est indispensable de renouer avec l’idée d’une Sécurité sociale pensée comme une institution du salaire socialisé des travailleurs du pays. Le Régime général de Sécurité sociale et la cotisation sociale ont non seulement amélioré les conditions de vie de la classe salariale dans des conditions inconnues jusqu’alors en supprimant la peur du lendemain comme seule perspective de vie, mais ils ont au surplus fait de la Sécurité sociale une institution du droit social des travailleurs. Institution politique et démocratique placée entre les mains des travailleurs, la Sécurité sociale est parvenue à transformer l’ouvrier soumis à l’arbitraire patronal en un salarié détenteurs de droits économiques et sociaux. Droit du travail, conventions collectives, comités d’entreprises et Régime général de Sécurité sociale sont les pièces d’un même puzzle : celui de conquis sociaux fondamentaux de la classe ouvrière qui ont permis de transformer la classe objective des travailleurs en classe subjective du salariat dépositaire des leviers de détermination de sa destinée sociale. Plus que jamais, cela implique de renouer avec le projet socialiste de Sécurité sociale promu par Ambroise Croizat et Pierre Laroque en 1945 et de se réapproprier la bataille de la cotisation sociale comme mode de partage de la valeur économique. La bataille de la cotisation sociale implique de renouer avec l’idée jaurésienne de République sociale afin de libérer les travailleurs de l’enfer néo-libéral situé entre soumission au capital et assistance sociale.

Entre l’assurance et l’assistance, même libéralement organisée, il y a un abîme. L’assisté, même quand la loi lui donne ce qu’il appelle un droit, est obligé de plaider pour avoir la réalisation de ce droit […] il faut que l’individu quémande, et dans son attitude d’assisté, il sent encore peser sur ses épaules, courbées par le travail, le poids de la servitude sociale. Au contraire, l’assuré a un plein droit ; un droit absolu, un droit inconditionnel ; son titre est là, aussi certain que l’est pour les bourgeois, en période bourgeoise, le titre de rente. »
Jean Jaurès, discours au septième congrès national de la SFIO à Nîmes, du 7 au 9 février 1910

 

NOTES
[1] La loi Royer de 1974 harmonise les droits contributifs de retraite des non-salariés sur ceux du Régime général. Autrement dit, pour un euro cotisé, artisans et commerçants ouvrent exactement le même droit à pensions de retraites que les salariés. Ainsi, depuis la fin des années 1970, les droits à retraite sont exactement les mêmes à cotisations égales entre la plupart des catégories de travailleurs, contrairement à l’argument massue brandi par le président Macron à l’occasion de la réforme des retraites de 2019-2020 !

[2] Nous utilisons à dessein le mot « réforme » pour désigner en réalité la réduction politique des droits sociaux décidée dans un contexte international gagné par les thèses néo-libérales.

[3] A titre d’exemple, il n’est pas possible de remettre en cause le nombre de trimestres de retraites acquis par un salarié au cours de sa carrière passée, de telle sorte que les réformes législatives des régimes de retraites ne peuvent avoir d’effet que pour l’avenir.

[4] La cotisation sociale est, quant à elle, la partie indirecte du salaire

[5] La fraude aux cotisations sociales est toutefois le premier poste de fraude sociale et coûte environ 15 milliards d’euros par an à la Sécurité sociale. C’est toutefois beaucoup moins que la fraude fiscale estimée à 80 milliards d’euros annuels

[6] En effet, la cotisation salariale est neutre pour les employeurs car elle vient en déduction des salaires bruts

[7] Ainsi que des organismes à compétence particulière

[1] L’absence de système de protection sociale publique n’est nullement un gage de bonne gestion des dépenses sociales comme l’atteste le niveau des dépenses de santé dans le PIB des États-Unis, supérieur de 50 % à celui de la France !

[2] Qui participent de surcroît à la prédation des marchés financiers sur l’économie réelle et à l’extrême volatilité de la finance mondiale

[3] Crédit d’impôt compétitivité emploi

[4] A noter que le président Macron vient de remettre en cause ce principe de compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales ; les nouvelles mesures d’exonérations pourront désormais ne plus être intégralement compensées avec pour conséquence d’affaiblir financièrement la Sécurité sociale

[5] Les prestations en espèce sont les prestations visant à compenser les pertes de revenu pour cause de maladie ou d’accident du travail (indemnités journalières) ; on les distingue des prestations en nature qui correspondent aux remboursements des frais de santé

[6] Les prestations sociales contributives sont celles dont les droits et le montant sont directement liées au montant de cotisations sociales acquittées (ou un nombre d’heures de travail réalisées) dans le cadre d’un emploi : par exemple il faut 150 heures de travail pendant un trimestre pour acquérir 1 trimestre de droit à retraite

[7] Appelé aujourd’hui Allocation de solidarité pour personnes âgées (ASPA)

[8] Le terme de « solidarité » sert à qualifier les prestations d’assistance dans le cadre de la lutte contre la pauvreté

[9] Le financement de l’assurance chômage (UNEDIC) mise en œuvre en 2019 par le gouvernement Macron est pour le moins sidérante, s’agissant de prestations traditionnellement financées par la cotisation sociale car intrinsèquement liées à l’emploi et gérées dès l’origine par les partenaires sociaux : cette décision de fiscalisation de l’UNEDIC traduit une volonté univoque du président Macron de transformer l’assurance chômage en une prestation de solidarité gérée par l’État et de mettre fin à la dimension de salaire socialisé des allocations chômage. Il ne s’agit plus d’offrir aux salariés privés d’emploi d’une continuité de salaire en période de chômage mais uniquement d’un minimum social dont la vocation est de contraindre les chômeurs au retour à l’emploi à tout prix.

[10] Nous faisons référence ici à la CMU dite de base qui permettait l’affiliation à l’assurance maladie de personnes qui n’avaient aucun droit. La loi CMU a parallèlement créé une CMU complémentaire qui a permis à plusieurs millions de personnes de disposer d’une prise en charge des soins. Mais la CMU complémentaire (CMU-C) était une prestation de solidarité sous conditions de ressources qui consistait à accorder gratuitement une assurance maladie complémentaire pour la prise en charge de soins que la Sécurité sociale ne remboursait pas ou partiellement ! La CMU-C s’appelle aujourd’hui Complémentaire santé solidaire (CSS)

[11] Et ce, sans compter les mesures exceptionnelles prises par législateur de soutien aux entreprises dans le cadre de la crise pandémique de Covid-19

[12] En 2019, le montant des dividendes versés aux actionnaires des entreprises du CAC 40 a atteint… 60 milliards d’euros. La troublante similitude de cette somme avec le montant des exonérations patronales consenties n’est pas totalement fortuite !

[13] Bunel, Emond, L’Horty, Evaluer les réformes des exonérations générales de cotisations sociales, OFCE, 2012

[14] – Appelé aujourd’hui Allocation de solidarité pour personnes âgées (ASPA).

[15]– Le terme de « solidarité » sert à qualifier les prestations d’assistance dans le cadre de la lutte contre la pauvreté.

[16] –  Le financement de l’assurance chômage (UNEDIC) mise en œuvre en 2019 par le gouvernement Macron est pour le moins sidérante, s’agissant de prestations traditionnellement financées par la cotisation sociale car intrinsèquement liées à l’emploi et gérées dès l’origine par les partenaires sociaux : cette décision de fiscalisation de l’UNEDIC traduit une volonté univoque du président Macron de transformer l’assurance chômage en une prestation de solidarité gérée par l’État et de mettre fin à la dimension de salaire socialisé des allocations chômage. Il ne s’agit plus d’offrir aux salariés privés d’emploi d’une continuité de salaire en période de chômage mais uniquement d’un minimum social dont la vocation est de contraindre les chômeurs au retour à l’emploi à tout prix.

[17] – Nous faisons référence ici à la CMU dite de base qui permettait l’affiliation à l’assurance maladie de personnes qui n’avaient aucun droit. La loi CMU a parallèlement créé une CMU complémentaire qui a permis à plusieurs millions de personnes de disposer d’une prise en charge des soins. Mais la CMU complémentaire (CMU-C) était une prestation de solidarité sous conditions de ressources qui consistait à accorder gratuitement une assurance maladie complémentaire pour la prise en charge de soins que la Sécurité sociale ne remboursait pas ou partiellement ! La CMU-C s’appelle aujourd’hui Complémentaire santé solidaire (CSS)

[18] – Et ce, sans compter les mesures exceptionnelles prises par législateur de soutien aux entreprises dans le cadre de la crise pandémique de Covid-19

[19] – En 2019, le montant des dividendes versés aux actionnaires des entreprises du CAC 40 a atteint… 60 milliards d’euros. La troublante similitude de cette somme avec le montant des exonérations patronales consenties n’est pas totalement fortuite !

[20] – Bunel, Emond, L’Horty, Evaluer les réformes des exonérations générales de cotisations sociales, OFCE, 2012

 



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