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L’école aujourd’hui au service du néolibéralisme

Que de discours sur l’école repliés sur eux-mêmes comme si l’école se déployait indépendamment du système culturel économique et politique ambiant !  (1)En conclusion d’un rapport sur l’instruction primaire aux États-Unis, Ferdinand Buisson écrivait en son temps, que « l’école n’est pas une institution qui se puisse étudier à part et en soi comme un système de chemins de fer ou de télégraphes » !
Que de propositions de rustines pour enrayer tel ou tel mal de l’école ! Que de discours contre les politiques scolaires qui poursuivent les mêmes desseins que les politiques qu’ils contestent !
Comme d’habitude, insuffisance de l’analyse, confusion sur les causes et sur le rôle de l’école. Depuis trente ans, l’opposition RPR puis UMP versus PS est gangrenée par une pseudo opposition entre l’école néolibérale au service de l’employabilité défini par les patrons et le mouvement réformateur néolibéral de « gôche » qui est censé mettre l’enfant au centre de l’école.
Pour un citoyen de gauche, s’opposer à la première est simple car c’est le projet de la droite. Mais il est plus difficile de s’opposer à la seconde, car c’est la politique de la plupart des gauches y compris des pans entiers de l’Autre gauche.

La première politique revient à concevoir une école à plusieurs vitesses en fonction des besoins patronaux pour mieux exploiter les travailleurs. La deuxième est une école également à plusieurs vitesses mais basée sur un discours d’épanouissement de l’enfant, sur le communautarisme, le pédagogisme (2)Nous appelons pédagogisme, le refus de la liberté pédagogique des enseignants – au même titre que la liberté de prescription des médecins – au nom d’une pédagogie officielle décrétée par des « sciences de l’éducation » déconnectés des savoirs académiques. et la soumission aux forces de la société civile.

La première s’appuie sur les intellectuels patronaux mais aussi sur les républicains désuets (de type Brighelli et consorts) qui oublient que nous ne sommes plus depuis longtemps dans la Chose publique (la res publica) et qui ne défendent que la part de l’école des élites.

La deuxième s’appuie sur les intellectuels communautaristes et pédagogistes (de type Meirieu, Prost, Legrand et même certains se disant successeurs de Bourdieu) qui non seulement ont participé à la trahison des gauches mais ont investi le ministère de l’Éducation nationale par exemple quand le premier nommé fut le ministre bis d’Allègre sous Jospin (il est aujourd’hui vice-président de la majorité néolibérale de gauche au conseil régional Rhône-Alpes). N’oublions pas les discours du type Legrand sur le fait que certains élèves n’étaient pas capables de recevoir la transmission des savoirs et que, pour eux, il fallait se contenter de la transmission des savoir-être. Pas plus que celui de Philippe Meirieu se targuant de pouvoir économiser 4 000 postes en supprimant les redoublements.

Ces deux discours concourent aujourd’hui à la même politique néolibérale de l’école à plusieurs vitesses favorisées par le phénomène de gentrification (3)Le phénomène de gentrification que nous voyons se déployer depuis 30 ans consiste en la décroissance rapide du nombre des ouvriers et des employés dans les villes–centres, à leur décroissance lente dans les banlieues, et à leur croissance rapide en zone périurbaine et rurale. Ce phénomène concourt à la suppression de la mixité sociale et donc à l’homogénéisation sociologique des quartiers. et d’uniformisation sociologique des quartiers car, malgré la persistance de discours différents, ils se sont unifiés pour concourir ensemble aujourd’hui à l’école des compétences et de l’employabilité voulue par les patrons, chacun parlant à partir d’un pan de l’école.

Nous sommes bien loin d’une école dont le but est de transmettre à tous et toutes les savoirs émancipateurs qui permettent l’autonomie de la pensée du futur citoyen et libèrent des pensées formatées par la logique du profit, des églises, de l’obscurantisme et plus généralement des pensées du prêt-à-porter existant dans la société civile.

Nous sommes bien loin d’une école qui promeut les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de solidarité, de sûreté, de souveraineté populaire, d’universalité et de développement écologique et social.

Le résultat est sans appel. L’opposition factice des deux discours que nous avons présentés est du même ordre que l’opposition factice des néolibéraux de droite et de gauche. Avec ceci en plus qu’une partie de l’Autre gauche est également gangrenée par l’idéologie du mouvement réformateur néolibéral en matière scolaire. C’est d’ailleurs l’une des causes (loin d’être la seule) des échecs en France de l’Autre gauche et du Front de gauche en particulier, car la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population active) a bien compris que les intellectuels des deux courants qui ont participé au pouvoir n’ont pas construit l’école ascenseur social qu’elle souhaiterait pour ses enfants.

Les porteurs de ces deux discours en apparence contradictoires ont peuplé tour à tour le ministère de l’Éducation nationale. Résultat :

Rien n’a changé depuis 1997, quand le rapport de l’inspecteur général Ferrier tirait déjà la sonnette d’alarme: « Selon les années, ce sont entre 21 et 42 % des élèves qui, au début du cycle III (entrée en CE2), paraissent ne pas maîtriser le niveau minimal des compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21 % et 35 % à l’entrée du collège ».

L’école est un organe tellement important de la République sociale à laquelle nous aspirons que nous ne pouvons nous contenter de telle ou telle rustine prééminente, surplombante et simpliste pour résoudre à elle seule les maux de l’école aujourd’hui, largement néolibérale. L’école est un corps complexe qui fait partie de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale, services publics). Sans elle, aucune res publica n’est possible. Voilà qui mérite un effort d’éducation populaire pour en clarifier les enjeux. L’école ne doit pas être gérée par des intellectuels patronaux, par les républicains désuets, ou par ceux des « sciences de l’éducation », le tout au service du capitalisme. C’est au peuple et à ses citoyens de prendre cette question à bras le corps pour refonder l’école en même temps que fonder la République sociale. L’un n’ira pas sans l’autre.

Pour cela, ReSPUBLICA fera régulièrement des dossiers pour apporter sa pierre au Grand Œuvre qu’il faudra bien un jour réaliser par une transformation sociale, culturelle et politique. Déjà, en 2006-2007, l’Union des familles laïques (UFAL) avait repris les 30 propositions de l’association Résistance Pour une École républicaine (REPERE) pour en faire ses 23 propositions (http://www.ufal.info/media_ecole/index.php?idPage=11).
Aujourd’hui, il convient de reprendre le chantier car nous en sommes à un autre stade, bien plus dramatique encore. Ce dossier en est la première pierre. Il n’est pas exhaustif et comporte des éclairages différents, certes, mais nous invitons nos lecteurs à nous faire part de leurs commentaires sans tarder. Car ReSPUBLICA vous proposera prochainement une journée d’études ouverte où participer au débat.

A bientôt donc pour y revenir !

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 En conclusion d’un rapport sur l’instruction primaire aux États-Unis, Ferdinand Buisson écrivait en son temps, que « l’école n’est pas une institution qui se puisse étudier à part et en soi comme un système de chemins de fer ou de télégraphes » !
2 Nous appelons pédagogisme, le refus de la liberté pédagogique des enseignants – au même titre que la liberté de prescription des médecins – au nom d’une pédagogie officielle décrétée par des « sciences de l’éducation » déconnectés des savoirs académiques.
3 Le phénomène de gentrification que nous voyons se déployer depuis 30 ans consiste en la décroissance rapide du nombre des ouvriers et des employés dans les villes–centres, à leur décroissance lente dans les banlieues, et à leur croissance rapide en zone périurbaine et rurale. Ce phénomène concourt à la suppression de la mixité sociale et donc à l’homogénéisation sociologique des quartiers.
4 Il suffit pour s’en convaincre de voir l’ampleur des pratiques de désectorisation organisées par les parents enseignants.
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