Le ministère de l’Éducation nationale a diffusé le 30 mai dans tous les établissements scolaires un vademecum « La Laïcité à l’école » (1)Télécharger : vademecum_laicite_vf2_955894.compressed. Ce document concret et substantiel, vise à donner des outils aux personnels de l’éducation nationale, confrontés aux atteintes au principe de laïcité. Après le lénifiant « Livret Laïcité », mis en circulation par Najat Vallaud-Belkacem en 2015, ce nouveau texte officiel n’annule pas le précédent, mais s’affronte enfin à la réalité du terrain, en l’occurrence, à celle de l’espace scolaire. Il ne craint pas d’évoquer “les comportements d’élèves visant à tester l’application des règles de l’école, les comportements de militantisme ou de prosélytisme de personnels eux-mêmes“, l’idée étant de ne plus laisser les personnels seuls et démunis, culpabilisés et démoralisés, lorsqu’ils sont, par exemple, confrontés à des contestations d’un enseignement conforme aux programmes scolaires.
Un élève peut-il pratiquer ses prières à l’internat ? Quelle position un établissement scolaire doit-il adopter concernant les demandes de parents souhaitant que leurs enfants consomment des menus spécifiques à la cantine conformes à leurs pratiques confessionnelles ? Vingt-deux« Fiches Ressources » sont ainsi produites autour de cas concrets. Il s’agit, à chaque fois, d’indiquer les cadres juridiques mais aussi de produire des « conseils et des pistes d’action » de nature pédagogique.
Le vademecum se place sous les auspices de l’article premier de la Constitution et de la loi de 1905, pour en déduire qu’à l’école s’impose « la distinction du savoir assuré par la communauté éducative et des croyances laissées à la liberté de chacun ». Il faut s’en réjouir.
On peut cependant regretter que ni le cadre législatif et constitutionnel de la laïcité scolaire ni l’histoire de l’école, n’aient été expressément invoquées, pour étayer cette exigence essentielle à l’école laïque. Historiquement, la séparation par la loi des Eglises et de l’École a précédé la séparation des Eglises et de l’Etat. Depuis les années 1880, instauratrices de la laïcité scolaire, le respect scrupuleux de la liberté de conscience de l’élève fut d’emblée associé au projet volontariste de former la liberté de la raison, à travers le projet émancipateur de l’instruction publique. Le rappel d’une spécificité intellectuelle et juridique de la laïcité scolaire émancipatrice, aurait permis de mieux montrer pourquoi certaines interdictions se justifient à l’école et en quoi la laïcité scolaire ne se réduit pas à ces interdictions. La laïcité s’actualise lorsque l’élève s’instruit. A travers la laïcité scolaire, c’est l’instruction qu’il s’agit non seulement de protéger mais aussi d’assurer effectivement. L’article premier de la Constitution et la loi de 1905 n’épuisent pas la question, y compris sur un plan juridique. Ils ne suffisent pas à démonter les sophismes et les sentences, doctement prononcés par les adversaires de la laïcité scolaire, au nom… de la laïcité. Au début du XXIe siècle, comme à la fin du XIXe, les réactionnaires allergiques à la laïcité scolaire, combattent, au nom de « la neutralité de l’école » et du « respect des croyances », pour que l’école publique abdique, en renonçant à instruire.
Mais le « projet d’émancipation » par l’école est heureusement rappelé et une des célèbres circulaires de Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front populaire, est opportunément citée : « Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance ». Rien donc dans le vademecum n’interdit à quiconque de s’appuyer sur les fondements juridiques et théoriques de la laïcité scolaire, pour mieux expliquer, par exemple, la loi du 15 mars 2004.
S’agissant des aumôneries dans les établissements sans internat, le vademecum se borne à rappeler son caractère facultatif, dont l’institution est soumise à la décision du recteur. Le ministère de l’Éducation nationale ne relance pas la querelle récurrente des aumôneries dans les établissements scolaires sans internat, l’estimant sans doute secondaire au regard des enjeux présents.
Des acteurs de l’école publique seront en revanche plus nombreux à déplorer qu’il ne soit pas interdit aux accompagnateurs de sorties scolaires et aux intervenants extérieurs à la communauté scolaire de manifester leur appartenance religieuse par le port de signes ou de tenues. Il est cependant spécifié que tous devront s’abstenir de prosélytisme et qu’il leur faudra s’inscrire dans une démarche éducative conforme aux valeurs de la République. Il est aussi précisé que le vademecum a « vocation à s’enrichir »par les nouveaux cas qui seront signalés aux « équipes académiques et fait religieux » et, souhaitons-le, par les leçons qui seront tirées de l’expérience.
En résumé, le texte officiel « La laïcité à l’école », qui consacre 40 pages aux élèves, 10 aux personnels, et 5 aux parents et intervenants extérieurs, semble s’être concentré sur l’essentiel de la laïcité scolaire : l’enseignement lui-même, à garantir et à soutenir.
La laïcité scolaire peut-elle tout faire ? Sûrement pas. Elle est même fragilisée lorsque les fondements de la laïcité de la République sont mis en cause par le premier de ses gardiens, et lorsque la République ne ressemble plus une République sociale. Mais si l’école ne peut pas tout, cela ne signifie pas qu’elle ne pourrait rien. Après la Charte de la laïcité à l’école, l’école laïque dispose avec le vademecum « La laïcité à l’école » d’un nouvel outil, qu’elle perfectionnera en l’utilisant.
NDLR – On pourra lire aussi une analyse fouillée de ce document due à Charles Arambourou sur le site de l’UFAL : http://www.ufal.org/laicite/vade-mecum-la-laicite-a-lecole-des-progres-mais-doit-mieux-faire-sur-les-sorties-scolaires/
Notes de bas de page
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