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Dans quelle crise sommes-nous ? n°10

par Philippe Hervé

 

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. »
Antonio Gramsci

 

En ce dixième anniversaire de l’effondrement de la banque Lehman qui a sonné la fin du capitalisme financier « classique », l’année qui vient de s’écouler marque un tournant vers le nouveau monde (voir articles précédents de la série : n° 1, 2345 ,678, 9).
L’affrontement dialectique entre les capitalistes de l’ancien monde et les bâtisseurs d’un nouveau dispositif d’exploitation fait rage.

Le point chaud de cette confrontation s’est déroulé tout au long de l’année dans l’espace anglo-saxon. Si le Brexit est sur le point d’être définitivement négocié, c’est aux Etats-Unis, pour un temps encore première puissance mondiale, que l’opposition entre les deux factions du capital s’est révélée la plus violente. Mais, depuis le mois dernier, l’Italie est entrée dans la danse : dans la troisième puissance économique de l’Union européenne, se joue une opposition ultra violente entre la « bourgeoisie nationale » lombarde d’une part, et d’autre part, la finance de Bruxelles ou plutôt du Luxembourg.

En un mot (ou en trois) le « grand radiateur monétaire » vit peut-être ses ultimes moments. Pour rappel, le concept du « grand radiateur monétaire » : injection de liquidités monétaires massives par le haut pour soutenir un système financier « zombie », compensé par une contraction monétaire équivalente par le bas provoquée par une récession imposée (voir sur ce sujet l’article n° 7 et le n° 9) et mise en place il y a sept ans.

« Un se transforme en deux »

Après le Brexit au Royaume-Uni l’an dernier, la célèbre « pensée de Mao », pour expliquer très simplement la dynamique de la dialectique, s’applique parfaitement à l’actualité politico-économique aux USA et, depuis mai dernier, en Italie. En un mot le Capital ne se fissure pas, il se divise carrément en deux blocs antagonistes.

Dans l’Amérique de Trump, les protagonistes agissent à visage découvert. D’un côté, le capitalisme national avec comme secteurs dominants l’industrie manufacturière non délocalisée, l’immobilier, l’extraction pétrolière texane et l’économie mafieuse, et de l’autre la finance aux dents longues de Wall Street. Les deux camps s’affrontent jour après jour, alternant batailles intenses et trêves de courte durée. Sur le plan médiatique, cette lutte d’influence se déroule sous la « forme spectaculaire » (suivant le concept créé par Debord) d’une hypothétique intervention russe lors de la dernière élection présidentielle. Ce jeu de masque n’est pas sans rappeler, en miroir, les affrontements au sein des partis communistes dans les années 1960 et 1970, où l’on brandissait la lutte contre l’impérialisme américain pour mieux combattre, en fait, la faction concurrente. Nous assistons à une pièce du théâtre de l’absurde, digne de Samuel  Beckett où les Russes sont accusés d’avoir fait élire Trump, alors même que c’est le chef du FBI qui a influencé le résultat en rouvrant l’enquête sur les e-mails non sécurisés de Clinton à 9 jours du scrutin. On reproche aux Russes d’avoir utilisé les réseaux sociaux… Pourtant, l’entreprise Cambridge Analytica, qui a aspiré les données de 86 millions de comptes Facebook d’Américains, n’est pas une officine d’espionnage russe mais une entreprise capitaliste anglo-saxonne des plus classiques. La lutte contre l’ennemi extérieur sert de paravent à un affrontement sans merci entre deux camps du Capital.

Mais Trump a néanmoins marqué un point et se consolide: en rompant avec la récession, indispensable à ce que nous appelons le « grand radiateur monétaire », le président américain soude le camp capitaliste national autour du protectionnisme économique. Sans la rétractation de la masse monétaire induite par la récession imposée comme en Europe, les injections monstrueuses de liquidités seraient forcement génératrices d’inflation, voire d’hyper inflation. A terme, le grand radiateur monétaire est menacé de fermeture.
Bref, Trump casse l’ambiance !

La reprise économique américaine et son effet d’entrainement pour l’Europe et l’Asie peuvent sonner le glas de la solution monétaire récessionniste. Mise en place vers 2010, elle a sauvé le système bancaire, endetté les états et appauvri les classes populaires ainsi que la petite et moyenne bourgeoisie. Pour reprendre la formule de Mao « un se transforme en deux », le problème est que ce sauvetage a fait diverger les intérêts des classes bourgeoises entre éléments dont les intérêts sont liés à la nation et l’hyper bourgeoisie financière qui œuvre à détruire l’espace national pour survivre en tant qu’élément dirigeant du capitalisme financier mondialisé.

Mais, une question se pose pour la finance internationale : comment continuer sans le grand radiateur monétaire et son transfert régulier de richesse à son profit ? Car nous nous retrouvons exactement dans la même impasse qu’en 2009, après l’échec de la tentative keynésienne de reprise. L’augmentation des taux d’escompte ne peut être la solution car elle entraînerait ipso facto une crise obligataire ravageuse. Face à cette impasse, risquons une hypothèse téméraire: la privatisation de la monnaie.

Le bitcoin, la monnaie privée, remettrait peut-être les compteurs à zéro

Devant un « grand radiateur monétaire » qui risque de faire défaut, la solution ultime viendra peut-être… d’un changement monétaire tout simplement!

Dans notre série d’articles « Dans quelle crise sommes-nous? », nous insistions déjà en 2014 sur l’aspect non négligeable de l’apparition des cryptomonnaies (voir n° 6). Il est possible que le passage des monnaies étatiques à ce type de support monétaire privé soit l’ultime option pour le système financier occidental, une sorte de joker de dernière extrémité. Les susdits articles ont souvent fait référence à la fermeture d’un « pli historique » ouvert au XVIe siècle, moment de création du système bancaire dans la vallée lombarde, puis sur la « route des foires ». À cette époque également, avait commencé l’inondation de liquidités dans le système monétaires avec l’or et surtout l’argent venus du Nouveau Monde. Il s’agissait, sans que les contemporains en aient la moindre conscience, d’une sorte de « quantative easing » de la Renaissance. A l’époque, cette injection de liquiditéspréparait en fait, après la guerre de Trente ans, l’introduction progressive de la monnaie papier, comme les assignats en France au début du XVIIIe siècle. Ce changement- cette conversion monétaire- a accompagné la naissance du capitalisme moderne en Angleterre et aux Pays-Bas.

Avec l’accélération exponentielle du tempo due à notre époque, n’assistons-nous pas à un phénomène comparable? Clairement, que se passerait-il si une nouvelle crise financière de la même ampleur que celle dite des subprimes/Lehmann advenait. Submergés de dettes pour combler les pertes des banques de la décennie précédente, les états seraient dans l’incapacité de renouveler l’opération de renflouement de 2007-2008. Seule une dévalorisation massive des actifs pourrait sauver la mise de la finance mondialisée. Or quoi de mieux qu’une conversion monétaire pour y arriver ? La seule manière de rendre « admissible » cette perte de richesse, en particulier pour la petite bourgeoisie et les classes moyennes supérieures, ne serait-elle pas de changer tout simplement d’équivalent universel, c’est-à-dire de monnaie ?

En détail, l’hypothèse d’une révolution monétaire algorithmique aurait au moins trois avantages: tout d’abord intégrer au marché financier mondial les pays dotés de monnaies faibles, voire non convertibles, comme en Afrique par exemple; ensuite elle renforcerait le contrôle universel des individus car, contrairement à une légende fort répandue, les blockchains qui sous-tendent les cryptomonnaies, sont des registres exhaustifs des transactions (demain, on pourra savoir où et à quelle heure vous avez acheté votre baguette); enfin l’ère du bitcoin serait une privatisation de la monnaie, ce qui enlèverait définitivement toute marge de manœuvre aux états ou aux unions monétaires et rendrait impossible une éventuelle politique favorable aux couches populaires.

Mais surtout, les quarante gros possesseurs de bitcoin, en particulier son mystérieux fondateur Satoshi Nakamoto, feraient la pluie ou le beau temps monétaire…de là à supputer que les banques soient derrière les 40 « baleines » (ce cétacé désignant les très gros détenteurs de bitcoin), il n’y a qu’un pas que nous franchissons pour notre part comme hypothèse de travail.

Bien sûr, le passage des monnaies étatiques vers les cryptomonnaies privées prendra des années, mais l’important est ailleurs: si la masse monétaire spéculative est principalement en bitcoin ou autres petites sœurs comme l’ethereum, le renflouement du système financier sera possible et la dévalorisation des actifs, en particulier des dettes bancaires, pourra se réaliser. Aujourd’hui, une première étape a été franchie: avec la flambée spéculative de décembre dernier où le bitcoin est monté à presque 20 000 dollars, la première étape du dispositif « spectaculaire » de mise en place est achevée. La multitude des habitants de notre planète, les individus étant aussi des « agents économiques » à travers le monde, savent qu’une autre monnaie est aujourd’hui possible: une réserve-étalon monétaire pilotée par un algorithme.

La crise provoque l’implosion des sphères politique, judiciaire et idéologique

Revenons au présent. L’opposition brutale entre les deux factions du Capital a provoqué l’implosion des sphères idéologiques de certains pays occidentaux, en particulier en France. Le secteur bancaire y a imposé une sorte de gestion directe, en un mot un « Directoire bancaire », sans intermédiaire, avec Macron à la présidence de la République. Ainsi, « La République en marche » n’est pas un nouveau parti politique remplaçant les anciens, mais un vide sidéral sans corps ni âme. Sur le plan économique, le jeune président en reste à la doxa néo libérale de privatisation du secteur public vers les groupes monopolistes, comme à la SNCF par exemple, et à une attaque en règle contre la bourgeoisie  « fillioniste » qu’il qualifie de rentière. Comme le prouve sa mesure phare : la suppression de l’impôt sur la fortune et son remplacement par l’IFI, impôt sur la (seule) fortune immobilière.

Cela dit, rien n’est fait pour accélérer le rythme de rotation des échanges monétaires, seul à même de relancer l’économie française sur le moyen terme. Visiblement, les banques françaises jouent une croissance faible pour préserver le plus longtemps possible ce que nous appelons «  le grand radiateur monétaire ».

Comme le reste de l’établissement européen, et en particulier dans la zone Euro, tout le monde retient son souffle devant les conséquences économico-monétaires des dernières élections en Italie : le gouvernement de coalition, assez loufoque et aux penchants xénophobes affirmés, entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue. La fragilité financière et monétaire de ce pays, troisième économie d’Europe, a de quoi donner la chair de poule aux adorateurs de la monnaie unique européenne. D’autant qu’il est de notoriété que ses comptes publics sont insincères, voire totalement faux depuis des années. Dans la péninsule, l’opposition entre la sphère financière mondialisée et le patronat national, victime de la récession, est évidente : à l’exemple de leurs aînés avec Mussolini, les chefs des PME de la vallée lombarde ont voté et fait voter, par l’intermédiaire des médias sous leur contrôle, pour la Ligue. Les entrepreneurs nationaux italiens ne suivent plus servilement la finance de Bruxelles et du Luxembourg pour conduire leur destin…chacun veut sauver sa peau.

Cette situation de sidération est également de mise aux Etats-Unis.  Le parti démocrate ne s’est pas remis de l’affrontement entre Bernie Sanders et Hillary Clinton. Quant au parti républicain, il est encore paralysé par les fractions extrémistes type « Tea party ». Tous deux se trouvent dans l’incapacité de réagir face aux dérèglements aberrants médiatiquement, mais assez cohérents sur le fond, de Trump. Car il défend finalement assez bien les intérêts des « bourgeois nationaux » qu’il représente.

Plus généralement, la crise provoque la dépréciation des dispositifs idéologiques classiques tels que ceux de la sphère médiatique par exemple qui ne fait que relayer le discours bancaire, pro-pouvoir en France, anti-pouvoir aux USA où Wall Street affronte Trump au quotidien.

Notons également, pour l’ensemble de l’espace occidental, l’instrumentalisation de la justice à des fins de régulation des conflits au sein de l’état. Le « pouvoir judiciaire » est plus que jamais utilisé à des fins politiciennes et remplit le rôle de gardien de la cohérence du pouvoir. Bref, lorsqu’une confrontation apparaît, rappelons-nous quand Bayrou s’est opposé à Macron, une mise en examen opportune tranche le problème. La présidentielle avec l’affaire Fillon comme « juge de paix » a donc inscrit un tournant dans l’utilisation extravagante du « judiciaire » à des fins de règlements de compte politiciens.

Nous conclurons, comme souvent dans notre série d’articles, par l’Empire du Milieu.

En Asie, la Chine a gagné cette année une grande bataille. Car il est vraisemblable que la deuxième puissance du monde soit en fait le soutien discret du nord-coréen Kim Jong Un, utilisé comme « chevau-léger ».Deux incohérences soulignent cette piste. La première sur le plan technologique :comment ce petit pays sous embargo a-t-il réussi sans coup férir le passage de la bombe A à la bombe H ? Seconde incohérence : le passage de missiles balistiques atmosphériques aux missiles intercontinentaux nécessite une sortie de l’atmosphère. Soit deux sauts technologiques difficilement envisageables sans un coup de pouce extérieur… Peut-être l’aide secrète  de la Chine. En fait, Pékin a joué avec Washington au « pile je gagne, face tu perds ». Les Etats-Unis avaient deux options: soit Trump attaquait Pyongyang en risquant une guerre générale atomique et le bombardement de Tokyo et Séoul. Une option qui aurait engendré à coup sûr une crise financière mondiale dont l’Occident a si peur. Soit Trump « laissait passer ». En choisissant cette seconde option, en négociant avec un Kim « super star » puisqu’il celui-ci a parfaitement rempli ses objectifs, Trump perd la face et obère la force de dissuasion militaire du Pentagone en Asie. Le Japon et la Corée du Sud savent maintenant qu’un accord avec Pékin est plus solide sur le long terme qu’avec les USA.

 

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Modeste proposition pour empêcher les vieillards d'être à la charge de leurs enfants ou de leur pays et pour les rendre utiles au public

Libre adaptation du texte de Jonathan Swift de 1729

par Christophe Trivalle

 

Le Dr Christophe Trivalle est chef de service à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif), SSR Alzheimer – Pôle gériatrie
Site internet : http://gerontoprevention.free.fr/

 

C’est une triste chose pour ceux qui se promènent dans nos grandes villes ou voyagent dans la campagne, que de voir les rues, les routes et les portes des maisons encombrées de mendiants que suivent trois, quatre ou six enfants tous en haillons et importunant chaque passant pour avoir l’aumône. Ces mendiants n’ont pas de travail, ni de logements pour les accueillir. Il y a dans notre pays 9 millions de pauvres et 4 millions de mal logés, sans compter les migrants. Dans notre société du travail cette situation n’est plus acceptable.

En même temps, notre nation compte de plus en plus de vieillards qui coûtent pour nos finances et appauvrissent leurs enfants. De plus, ces vieillards sont souvent concentrés entre eux, dans des établissements d’hébergement, les excluant du reste de la société, les confinant dans des « lieux de vie » souvent violents et même maltraitants, hâtant l’apparition de leur dépendance tant physique que morale. La surmédicalisation de la fin de vie de ces vieillards contribue à les maintenir dans une vie de souffrance à la fois physique et mentale. Cette situation indigne génère en miroir un sentiment d’indignité de ces vieillards. Il n’est pas admissible que l’état de vulnérabilité de ces vieillards les contraigne à finir leur vie dans des conditions et des lieux qui ne peuvent pas leur apporter le sentiment de dignité et de respect qu’ils sont en droit d’attendre.

Même à domicile, les vieillards sont souvent isolés, abandonnés et n’ont plus de visites comme on a pu le voir lors de la grande canicule. Chacun désire vivre longtemps, mais personne ne voudrait être vieux. On voudrait tellement être éternel, jeune, hyper-performant ! Pourtant la perte progressive d’autonomie et le déclin cognitif inéluctable s’inscrivent dans la normalité de l’espèce humaine. Perdre la mémoire dans le grand âge est normal. L’invention de l’Alzheimer et de la dépendance pour définir les aléas de ce stade ultime du parcours de vie font que les vieillards ne participent plus aux choix fondamentaux de leur fin de vie. D’une certaine manière il faut libérer les vieillards que nous sommes ou que nous deviendrons, et c’est le propos de mon projet.

Tous les partis tombent d’accord, je pense, que ce nombre prodigieux de vieillards, dans le déplorable état de notre pays, est un très grand fardeau de plus ; c’est pourquoi quiconque trouverait un moyen honnête, économique et facile de faire de ces vieillards des membres utiles de la communauté, aurait assez bien mérité du public pour qu’on lui érigeât une statue comme sauveur de la nation.

Ma sollicitude est loin de se borner aux vieillards en institution; elle s’étend beaucoup plus loin, et jusque sur tous les vieillards d’un certain âge, sans descendance ou qui ont des enfants aussi peu en état réellement de pourvoir à leurs besoins que ceux qui demandent l’aide de l’Etat.

Pour ma part, ayant tourné mes pensées depuis bien des années sur cet important sujet, et mûrement pesé les propositions de nos faiseurs de projets, je les ai toujours vus tomber dans des erreurs grossières de calcul. Et c’est précisément lorsque les vieillards sont devenus dépendants que je propose de prendre à leur égard des mesures telles qu’au lieu d’être une charge pour leurs enfants ou pour la société, ou de manquer d’aliments et de vêtements le reste de leur vie, ils contribuent, au contraire, à nourrir et en partie à vêtir et même à loger des milliers de personnes.

Je proposerai donc humblement mes propres idées qui, je l’espère, ne soulèveront pas la moindre objection. Ma modeste proposition, si elle était adoptée, permettrait la création d’une société véritablement inclusive des vieillards.

Un jeune journaliste de ma connaissance, homme très-entendu, m’a certifié qu’un vieillard, bien nourri, est un aliment délicieux, très-nourrissant et très-sain, bouilli, rôti, à l’étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu’il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût.

Une cuisse de vieillard fera deux plats dans un repas d’amis ; et quand la famille dîne seule, le train de devant ou de derrière fera un plat raisonnable, et assaisonné avec un peu de poivre et de sel, sera très-bon bouilli le quatrième jour, spécialement en hiver.

Chaque famille recevra des tickets d’alimentation correspondant au poids de leur parent âgé. Ils pourront les utiliser quand bon leur semble. Plus le vieillard aura été engraissé, plus le nombre de tickets sera important. Pour les végétariens, ils recevront des tickets correspondant au poids en fruits et légumes. Ces tickets pourront sans problème être revendus, ce qui fera un peu d’argent pour les plus pauvres. Pour les excédents, ils seront destinés aux restaurateurs ou aux plus offrants. Sous certaines conditions l’exportation sera possible.

J’accorde que cet aliment sera un peu cher, et par conséquent il conviendra très bien aux riches, qui, puisqu’ils ont déjà dévoré la plupart des travailleurs, paraissent avoir le plus de droits sur les vieillards. La chair des vieillards sera de saison toute l’année.

Quant à notre bonne ville de Paris, des abattoirs peuvent être affectés à cet emploi dans les endroits les plus convenables, et les bouchers ne manqueront pas assurément (cela fournira également du travail aux mendiants et aux chômeurs) ; toutefois je recommande d’acheter de préférence des vieillards vivants, et de les préparer tout chauds, comme nous faisons pour les porcs à rôtir. Toutes les mesures seront prises pour respecter le droit à mourir dans la dignité. Les techniques d’euthanasie les plus modernes seront utilisées afin d’éviter toute souffrance aux vieillards. Les abattoirs seront sous vidéosurveillance. Toutes les précautions nécessaires seront mises en place pour éviter les risques infectieux et autres. Par soucis de morale, les familles ne recevront jamais la viande de leurs parents à manger. Les stocks ainsi constitués seront congelés et conservés dans d’immenses salles réfrigérées sous la responsabilité de l’état et surveillées par l’armée.

Cette mesure sera proposée d’emblée à toute personne faisant une demande de suicide assisté ou d’euthanasie, quel que soit son âge. Des médecins seront chargés de vérifier la qualité et la comestibilité de la viande. Les parties non comestibles, contaminées ou malades seront incinérées. Pour les vieillards dépendants, l’Etat offrira à tous une année de prise en charge gratuite, à domicile ou en institution, avec suralimentation pendant cette période. Ensuite, soit ils auront les moyens financiers d’assurer totalement leur prise en charge jusqu’à leur mort naturelle. Soit il leur sera proposé de signer un consentement éclairé pour faire don de leur corps à la société. En cas de refus, ils devront en assumer, avec leur famille, toutes les conséquences financières.

Pendant l’année offerte par l’Etat, les vieillards seront particulièrement choyés par leur famille et par l’ensemble des citoyens de notre pays qui leur témoigneront toute leur empathie.

Pour ne pas léser les professionnels du deuil, des mannequins seront fournis aux familles pour pouvoir procéder aux cérémonies funéraires.

Tout citoyen, quel que soit son âge, sa condition, et son état de santé, pourra à tout moment demander à participer au redressement de la nation et faire don de son corps.

Je crois que les avantages de ma proposition sont évidents et nombreux, ainsi que de la plus haute importance. Véritable plan de lutte contre la pauvreté, cette modeste proposition permettra de diminuer de façon significative la dépense publique dont 60 % est due à la part et aux dépenses sociales. Attendu que l’aide financière versée par les départements aux 527 630 bénéficiaires en établissements et aux 735 110 bénéficiaires à domicile ne peut être évaluée à moins de sept milliards par année, l’avoir de la nation s’accroîtra par-là d’autant par an, outre le profit d’un nouveau plat introduit sur toutes les tables du pays et en particulier de tous les gens riches qui ont quelque délicatesse de goût ; et l’argent circulera parmi nous, l’article étant entièrement de notre crû et de notre fabrication. Sans compter bien sûr le gain considérable, en dizaine de milliards, sur les retraites et sur le déficit de notre système de santé. Les héritages rapporteront aussi de l’argent à l’état par le biais des impôts qui pourront, à l’occasion, être encore augmentés. De plus, les appartements et maisons ainsi libérés permettront aux familles de mieux s’installer, et les places vacantes en établissement permettront de loger les mendiants qui encombrent nos rues. Ceux-ci travaillant dans les abattoirs pourront aussi régler leurs frais d’hébergement.

Cet aliment amènera aussi beaucoup de consommateurs aux restaurants, où les cuisiniers auront certainement la précaution de se procurer les meilleures recettes pour l’accommoder dans la perfection, et, conséquemment, auront leurs maisons fréquentées par tous les beaux messieurs qui s’estiment fort justement en raison de leurs connaissances en cuisine ; et un cuisinier habile, qui sait comment on engage ses hôtes, saura bien rendre celle-ci aussi coûteuse qu’il leur plaira. On ne tardera pas non plus à voir apparaître des chaînes de fastfood spécialisées dans ce met délicat.

On pourrait énumérer bien d’autres avantages.

Quant à moi, las de voir offrir, depuis maintes années, une foule de futiles et oiseuses visions, je désespérais entièrement du succès, lorsque je suis tombé par bonheur sur cette proposition, qui, outre qu’elle est tout à fait neuve, a quelque chose de solide et de réel, n’entraîne aucune dépense et exige peu de soins, est tout à fait dans nos moyens, et ne nous expose nullement à désobliger l’Europe.

Après tout, je ne suis pas tellement coiffé de mon idée que je rejette toute proposition, faite par des hommes sensés, qui serait jugée aussi innocente et peu coûteuse, aussi facile et efficace. Mais avant qu’on en mette une de cette espèce en concurrence avec la mienne, et qu’on en présente une meilleure, je désire que son auteur, ou ses auteurs, veuillent bien considérer mûrement ce point : dans la condition où sont les choses, comment ils seront en état de trouver le vivre et le couvert pour plus d’un million de bouches et dos inutiles ?

Je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je n’ai pas le moindre intérêt personnel à poursuivre le succès de cette œuvre nécessaire, n’ayant d’autre motif que le bien public de mon pays, que de faire aller le commerce, assurer le sort des vieillards, soulager les pauvres, et procurer des jouissances aux riches. Je suis prêt, dès que mon état de dépendance me rendra indigne, à donner mon corps pour être une dernière fois utile et nourrir ma nation bien-aimée.

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Un nouvel outil pour la laïcité scolaire

par Pierre Hayat

 

Le ministère de l’Éducation nationale a diffusé le 30 mai dans tous les établissements scolaires un vademecum « La Laïcité à l’école » (télécharger). Ce document concret et substantiel, vise à donner des outils aux personnels de l’éducation nationale, confrontés aux atteintes au principe de laïcité. Après le lénifiant « Livret Laïcité », mis en circulation par Najat Vallaud-Belkacem en 2015, ce nouveau texte officiel n’annule pas le précédent, mais s’affronte enfin à la réalité du terrain, en l’occurrence, à celle de l’espace scolaire. Il ne craint pas d’évoquer “les comportements d’élèves visant à tester l’application des règles de l’école, les comportements de militantisme ou de prosélytisme de personnels eux-mêmes“, l’idée étant de ne plus laisser les personnels seuls et démunis, culpabilisés et démoralisés, lorsqu’ils sont, par exemple, confrontés à des contestations d’un enseignement conforme aux programmes scolaires.

Un élève peut-il pratiquer ses prières à l’internat ? Quelle position un établissement scolaire doit-il adopter concernant les demandes de parents souhaitant que leurs enfants consomment des menus spécifiques à la cantine conformes à leurs pratiques confessionnelles ? Vingt-deux« Fiches Ressources » sont ainsi produites autour de cas concrets. Il s’agit, à chaque fois, d’indiquer les cadres juridiques mais aussi de produire des « conseils et des pistes d’action » de nature pédagogique.

Le vademecum se place sous les auspices de l’article premier de la Constitution et de la loi de 1905, pour en déduire qu’à l’école s’impose « la distinction du savoir assuré par la communauté éducative et des croyances laissées à la liberté de chacun ». Il faut s’en réjouir.

On peut cependant regretter que ni le cadre législatif et constitutionnel de la laïcité scolaire ni l’histoire de l’école, n’aient été expressément invoquées, pour étayer cette exigence essentielle à l’école laïque. Historiquement, la séparation par la loi des églises et de l’École a précédé la séparation des églises et de l’Etat. Depuis les années 1880, instauratrices de la laïcité scolaire, le respect scrupuleux de la liberté de conscience de l’élève fut d’emblée associé au projet volontariste de former la liberté de la raison, à travers le projet émancipateur de l’instruction publique. Le rappel d’une spécificité intellectuelle et juridique de la laïcité scolaire émancipatrice, aurait permis de mieux montrer pourquoi certaines interdictions se justifient à l’école et en quoi la laïcité scolaire ne se réduit pas à ces interdictions. La laïcité s’actualise lorsque l’élève s’instruit. A travers la laïcité scolaire, c’est l’instruction qu’il s’agit non seulement de protéger mais aussi d’assurer effectivement. L’article premier de la Constitution et la loi de 1905 n’épuisent pas la question, y compris sur un plan juridique. Ils ne suffisent pas à démonter les sophismes et les sentences, doctement prononcés par les adversaires de la laïcité scolaire,  au nom… de la laïcité. Au début du XXIe siècle, comme à la fin du XIXe, les réactionnaires allergiques à la laïcité scolaire, combattent, au nom de « la neutralité de l’école » et du « respect des croyances », pour que l’école publique abdique, en renonçant à instruire.

Mais le « projet d’émancipation » par l’école est heureusement rappelé et une des célèbres circulaires de Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front populaire, est opportunément citée : « Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance ». Rien donc dans le vademecum n’interdit à quiconque de s’appuyer sur les fondements juridiques et théoriques de la laïcité scolaire, pour mieux expliquer, par exemple, la loi du 15 mars 2004.

S’agissant des aumôneries dans les établissements sans internat, le vademecum se borne à rappeler son caractère facultatif, dont l’institution est soumise à la décision du recteur. Le ministère de l’Éducation nationale ne relance pas la querelle récurrente des aumôneries dans les établissements scolaires sans internat, l’estimant sans doute secondaire au regard des enjeux présents.

Des acteurs de l’école publique seront en revanche plus nombreux à déplorer qu’il ne soit pas interdit aux accompagnateurs de sorties scolaires et aux intervenants extérieurs à la communauté scolaire de manifester leur appartenance religieuse par le port de signes ou de tenues. Il est cependant spécifié que tous devront s’abstenir de prosélytisme et qu’il leur faudra s’inscrire dans une démarche éducative conforme aux valeurs de la République. Il est aussi précisé que le vademecum a « vocation à s’enrichir »par les nouveaux cas qui seront signalés aux « équipes académiques et fait religieux » et, souhaitons-le, par les leçons qui seront tirées de l’expérience.

En résumé, le texte officiel « La laïcité à l’école », qui consacre 40 pages aux élèves, 10 aux personnels, et 5 aux parents et intervenants extérieurs, semble s’être concentré sur l’essentiel de la laïcité scolaire : l’enseignement lui-même, à garantir et à soutenir.

La laïcité scolaire peut-elle tout faire ? Sûrement pas. Elle est même fragilisée lorsque les fondements de la laïcité de la République sont mis en cause par le premier de ses gardiens, et lorsque la République ne ressemble plus une République sociale. Mais si l’école ne peut pas tout, cela ne signifie pas qu’elle ne pourrait rien. Après la Charte de la laïcité à l’école, l’école laïque dispose avec le vademecum « La laïcité à l’école » d’un nouvel outil, qu’elle perfectionnera en l’utilisant.

NDLR – On pourra lire aussi une analyse fouillée de ce document due à Charles Arambourou sur le site de l’UFALhttp://www.ufal.org/laicite/vade-mecum-la-laicite-a-lecole-des-progres-mais-doit-mieux-faire-sur-les-sorties-scolaires/



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