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Hollande-Valls ou l'accélération de la politique du Medef

par Évariste
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En fait, la Bérézina des municipales n’a entraîné l’exécutif que dans l’accélération de la politique dictée par le Medef tant il est persuadé de la doctrine de Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme » . Après les simagrées ridicules de l’aile gauche du PS, le retrait politicien  d’EELV, il ne restait plus au Premier ministre que de faire un discours schizophrène dont l’ambiguïté était palpable dès le début de sa présentation. Appliquant à la lettre, la règle du Cardinal de Retz devenu vertu théologale chez les néolibéraux de droite comme de gauche : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », nous avons eu affaire dès la  première phrase de la déclaration du Premier ministre à un sommet inégalé de l’ambiguïté : « Trop de souffrances, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France ».

Car bien évidemment, l’utilisation d’un des mots les plus ambigus de la langue française n’est pas un hasard. Bien sûr, tout le monde pourra,suite à ce discours, dire: « il faut plus d’espérance ». Donc, selon le Larousse « plus de sentiment de confiance en l’avenir », « plus d’espoir ». Mais selon l’église catholique, « L’Espérance avec la Foi et la Charité est une vertu théologale dont l’objet principal est le salut, la béatitude éternelle, la participation à la gloire de Dieu. »1
Comme la suite du discours du Premier ministre ne tranchait pas entre ces deux définitions, chacun interprétera à sa guise  ce sommet de l’ambiguïté ! La suite est claire et nette comme le nez au milieu de la figure:

Feux d’artifice en ce qui concerne les cadeaux au patronat : taux normal de la fiscalité des entre prises abaissé à 28 % d’ici 2020, suppression de la contribution de solidarité des entreprises sous trois ans, baisse des recettes de la Sécurité sociale et donc de ses prestations - baisses des cotisations patronales familiales de 1,8 % en 2016 se rajoutant à celle effectuée par son prédécesseur, diminution des cotisations salariales pour ceux qui gagnent le SMIC, et quelques autres pour atteindre 10 milliards en moins pour l’Assurance-maladie d’ici la fin du quinquennat se rajoutant à celle effectuée par son prédécesseur, 11 milliards de baisses pour les autres prestations, 19 milliards de baisse du budget de l’État, 10 milliards pour les collectivités locales…
Hollande et Valls vont devenir les Margaret Thatcher tricolores…

Quant à ce que Valls appelle la transition énergétique, cela n’a rigoureusement rien à voir avec une transition énergétique à la hauteur des enjeux. C’est tout juste une petite inflexion  pour essayer de contenter de façon politicienne EELV. D’une façon générale, il n’y a pas de transition énergétique sans fixer le but final et l’agenda de cette transition.
Supprimer la centrale nucléaire de Fessenheim sans dire ce que l’on fait de la filière nucléaire sur longue période est un déni d’information tant on sait que cette filière a des ombres portées de plusieurs décennies au moins. Même réaction avec l’annonce de la diminution des énergies carbone sans définir le but de long terme. Par ailleurs est-ce une bonne politique que  de prôner les énergies renouvelables sans engager une réindustrialisation en France des matériels nécessaires au développement de ces énergies ? Car sinon, pas d’indépendance énergétique et accroissement du déficit commercial de la France. Ou encore peut-on dire en même temps que l’on souhaite le principe « pollueur-payeur » et en même temps ne rien faire pour favoriser les services publics de transports et le ferroutage pour donner le choix aux acteurs ? Car sinon, on va retomber dans l’hérésie de la taxation carbone de ceux qui ne peuvent pas faire autrement.
Autre sujet d’inquiétude: quelle est l’axe de la recherche énergétique française tant sur le plan de la recherche fondamentale (RF) que dans la recherche développement (R&D) ? Réponse : Le flou ? Rien ?
Rien de précis sur le plan d’urgence sur l’efficacité énergétique et donc sur les économies d’énergie (notamment du bâti existant et futur) ? C’est pourtant la priorité de toute vraie transition énergétique ! Et plus généralement, rien sur la réindustrialisation de la France, sans laquelle aucune relance de l’activité n’est possible sur le long terme.

Sur l’école, il est prévu la poursuite du décret Peillon sans réécriture. Ce legs empoisonné de l’ancien ministre de l’éducation nationale aurait pourtant dû figurer parmi les explications de la déroute aux municipales, par les tracas, ingérables pour les communes, les personnels et les familles, et les inégalités qu’il a entraînés. Le décret Peillon représente les prémisses d’une privatisation massive de l’école par le périscolaire, d’un remplacement progressif des enseignants par des animateurs peu formés, du développement de la garderie scolaire en lieu et place de l’enseignement, et d’une fatigue accrue des élèves pendant leur cursus. Il faut être aussi aveuglé que la direction de la FCPE pour y voir un nirvana.

Sur les institutions, décision de l’exécutif d’appuyer sur l’accélérateur anti-républicain de l’Acte III de la décentralisation en balayant les inflexions souhaitées par Lebranchu sur les départements. Volonté de supprimer la délégation générale pour empêcher, comme la droite le souhaite, les collectivités locales de s’autosaisir sur des sujets d’intérêt public général en dehors des domaines prévus par la loi.

Et face à cette déclaration de guerre du néolibéralisme contre les intérêts de la classe populaire ouvrière et employée et des couches moyennes intermédiaires, où est la priorisation d’une grande compagne d’éducation populaire de la gauche de gauche pour combattre cette idéologie dominante comme préconisé dans la dernière chronique d’Évariste pour ne pas reproduire les méthodes usées du militantisme d’hier ? N’est-il pas nécessaire d’engager ici et là, à partir des structures locales politiques, syndicales, associatives et mutualistes cette campagne d’éducation populaire sans attendre les consignes et les décisions du sommet ?
La priorité est de répondre aux attentes du peuple. L’unité retrouvée du Front de gauche à l’occasion des européennes est un facteur d’espoir pour la construction d’un rapport de force pour ouvrir une alternative. La marche du 12 avril contre l’austérité qui a rassemblé à Paris plusieurs dizaines de milliers de personnes (voir dans ce numéro) a montré combien il  était urgent de se rencontrer, de débattre, de s’engager. Et  d’agir.

  1. « Cette vertu qui dispose le chrétien à mettre sa confiance dans les promesses du Christ, à prendre appui non sur ses forces, mais sur le secours de la grâce du Saint Esprit, le conduit par le fait même, à résister au mal et à l’épreuve et à garder confiance en l’avenir. L’Espérance s’exprime et se nourrit dans la prière. Elle se différencie de l’espoir en lui donnant sous le regard de la foi, une perspective d’éternité. » []
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Ukraine (suite) : les « gentils » néolibéraux à la manœuvre

par Zohra Ramdane

 

Comme tous les lecteurs de ReSPUBLICA le savent, les « méchants pro-russes » ont été délogés du pouvoir ukrainien et les « gentils pro-occidentaux » ont pris le pouvoir pour le bien-être de la population (voir un récent éditorial). Vous savez donc également que pour organiser leur putsch, les néolibéraux ukrainiens n’ont pas lésiné sur leurs alliance puisqu’ils se sont alliés avec deux partis d’extrême droite ouvertement pro-nazis. Mais c’était sûrement pour le bien de la population comme chacun sait !
Toujours pour aider la population pour aller vers le progrès, la troïka qui a si bien réussi à mettre la Grèce sur le chemin du bonheur, vient de délivrer sa potion magique : pour obtenir le prêt du FMI de 15 milliards, il y a quelques « réformes » à réaliser. Nul doute que ces « réformes » vont améliorer sensiblement la situation des Ukrainiens. C’est pourquoi votre journal préféré a le plaisir de vous les présenter sous la forme de 10 commandements.

1) Augmentation de l’âge de retraite de deux ans pour les hommes (jusqu’à 62 ans) et de trois ans pour les femmes (jusqu’à 63 ans).
2) Privatisation de toutes les mines publiques et annulation des subventions pour le secteur du charbon,
3) Levée des « privilèges » pour les entreprises du service public, les transports et autres services communaux,
4) Cessation du soutien public aux cantines scolaires,
5) Suppression du service médical gratuit et de la fourniture gratuite des manuels scolaires,
6) Annulation de la fiscalisation simplifiée et des « privilèges » pour le remboursement de la TVA pour les agriculteurs,
7) Taxation des produits pharmaceutiques,
8) Suppression du moratoire sur la vente des terrains agricoles pour les fermiers et fin des subventions pour les producteurs de porc et de volaille,
9) Augmentation du prix du gaz pour les entreprises communales de 50 %, et de 100 % pour les particuliers. Les tarifs d’électricité doivent également augmenter de 40 % pour tous les consommateurs.
10) Libéraliser les tarifs des services publics afin de les rendre « marchands ».

Maintenant, vous le savez, l’avenir des Ukrainiens est un chemin bordée de roses. Par-dessus le marché tout cela permet à Poutine de dire aux Occidentaux qu’il faudrait qu’ils soutiennent l’Ukraine avec de la monnaie sonnante et trébuchante pour éviter que l’approvisionnement en gaz de l’Europe soit gêné par la déstabilisation d’une Ukraine au bord du gouffre. Toujours d’après lui, la solution est d’« organiser le plus tôt possible des consultations au niveau des ministres de l’Économie, des Finances et de l’Énergie [pour] élaborer des mesures communes afin de stabiliser l’économie ukrainienne et garantir les fournitures et le transit du gaz russe ».
En fait, les Ukrainiens sont en de bonnes mains, ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles, le « mouvement réformateur néolibéral » s’occupe de tout !

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Rwanda : les bailleurs de fonds de Habyarimana et des génocidaires

par Eric Toussaint
Maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique
http://www.cadtm.org/

Source de l'article

 

Pour que le projet génocidaire soit mis à exécution, il fallait non seulement un régime pour le concevoir et se doter des instruments pour sa réalisation, mais aussi une masse appauvrie, prête à réaliser l’irréparable. Dans ce pays, 90% de la population vivaient à la campagne, 20% de la population paysanne disposaient de moins d’un demi-hectare par famille. Entre 1982 et 1994, on a assisté à un processus massif d’appauvrissement de la majorité de la population rurale avec, à l’autre pôle de la société, un enrichissement impressionnant pour quelques-uns.
Selon le professeur Jef Maton, en 1982, les 10% les plus riches de la population prélevaient 20% du revenu rural ; en 1992, ils en accaparaient 41% ; en 1993, 45% et au début 1994, 51%1.
L’impact social catastrophique des politiques dictées par le couple FMI/BM et de la chute des cours du café sur le marché mondial (chute à mettre en corrélation avec les politiques des institutions de Bretton Woods et des Etats-Unis qui ont réussi à faire sauter le cartel des producteurs de café à la même époque) a joué un rôle clé dans la crise rwandaise. L’énorme mécontentement social a été canalisé par le régime Habyarimana vers la réalisation du génocide.
A partir du 7 avril 1994, en l’espace de moins de trois mois, près d’un million de Rwandais - le chiffre exact reste à déterminer - sont exterminés parce qu’ils sont Tutsis ou supposés tels. Il faut y ajouter plusieurs dizaines de milliers de Hutus modérés. Il y a bien eu génocide c’est-à-dire la destruction planifiée d’une collectivité entière par le meurtre de masse ayant pour but d’en empêcher la reproduction biologique et sociale.
Dans ce contexte, il est fondamental de s’interroger sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux. Tout laisse penser que les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide. Généralement, l’incidence négative de ces politiques n’est pas prise en considération pour expliquer le dénouement dramatique de la crise rwandaise. Seuls quelques auteurs mettent en évidence la responsabilité des institutions de Bretton Woods2, qui refusent toute critique à ce sujet.
Au début des années 1980, quand éclata la crise de la dette du Tiers-monde, le Rwanda (comme son voisin, le Burundi) était très peu endetté. Alors qu’ailleurs dans le monde, la Banque mondiale et le FMI abandonnaient leur politique active de prêts et prêchaient l’abstinence, ils adoptèrent une attitude différente avec le Rwanda : ces institutions se chargèrent de prêter largement au Rwanda. La dette extérieure du Rwanda a été multipliée par vingt entre 1976 et 1994. En 1976, elle s’élevait à 49 millions de dollars ; en 1994, elle représentait près d’un milliard de dollars. La dette a surtout augmenté à partir de 1982. Les principaux créanciers sont la Banque mondiale, le FMI et les institutions qui y sont liées (nous les appellerons IFI, les institutions financières internationales). La BM et le FMI ont joué le rôle le plus actif dans l’endettement. En 1995, les IFI détenaient 84% de la dette extérieure rwandaise.
Le régime dictatorial en place depuis 1973 garantissait de ne pas verser dans une politique de changements structurels progressistes. C’est pourquoi il était soutenu activement par des puissances occidentales : la Belgique, la France et la Suisse. En outre, il pouvait constituer un rempart par rapport à des Etats qui, dans la région, maintenaient encore des velléités d’indépendance et de changements progressistes (la Tanzanie du président progressiste Julius Nyerere, un des leaders africains du mouvement des non alignés, par exemple).
Durant la décennie 1980 jusqu’à 1994, le Rwanda reçut beaucoup de prêts et la dictature d’Habyarimana s’en appropria une partie considérable. Les prêts accordés devaient servir à insérer plus fortement l’économie rwandaise dans l’économie mondiale en développant ses capacités d’exportation de café, de thé et d’étain (ses trois principaux produits d’exportation) au détriment des cultures destinées à la satisfaction des besoins locaux. Le modèle fonctionna jusqu’au milieu des années 1980, moment où les cours de l’étain d’abord, du café ensuite, et du thé enfin, s’effondrèrent. Le Rwanda, pour qui le café constituait la principale source de devises, fut touché de plein fouet par la rupture du cartel du café provoquée par les Etats-Unis au début des années 1990.

Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide
Quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, les autorités rwandaises signent avec le FMI et la BM à Washington un accord pour mettre en œuvre un programme d’ajustement structurel (PAS).
Ce PAS est mis en application en novembre 1990 : le franc rwandais est dévalué de 67%. En contrepartie, le FMI octroie des crédits en devises à décaissement rapide pour permettre au pays de maintenir le flux des importations. Les sommes ainsi prêtées permettent d’équilibrer la balance des paiements. Le prix des biens importés augmente de manière vertigineuse : par exemple, le prix de l’essence grimpe de 79%. Le produit de la vente sur le marché national des biens importés permettait à l’Etat de payer les soldes des militaires dont les effectifs montent en flèche. Le PAS prévoyait une diminution des dépenses publiques : il y a bien eu gel des salaires et licenciements dans la fonction publique mais avec transfert d’une partie des dépenses au profit de l’armée.
Alors que les prix des biens importés grimpent, le prix d’achat du café aux producteurs est gelé, ce qui est exigé par le FMI. Conséquence : la ruine pour des centaines de milliers de petits producteurs de café3, qui, avec les couches les plus appauvries des villes, ont dès lors constitué un réservoir permanent de recrues pour les milices Interahamwe et pour l’armée.
Parmi les mesures imposées par la BM et le FMI au travers du PAS, il faut relever en outre : l’augmentation des impôts à la consommation et la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation des impôts directs sur les familles populaires par la réduction des abattements fiscaux pour charge de famille nombreuse, la réduction des facilités de crédit aux paysans…
Pour justifier l’utilisation des prêts du couple BM/FMI, le Rwanda est autorisé par la BM à présenter d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis aux autorités rwandaises de financer l’achat massif des armes du génocide. Les dépenses militaires sont triplées entre 1990 et 19924. Pendant cette période, la BM et le FMI ont envoyé plusieurs missions d’experts qui ont souligné certains aspects positifs de la politique d’austérité appliquée par Habyarimana, mais ont néanmoins menacé de suspendre les paiements si les dépenses militaires continuaient à croître. Les autorités rwandaises ont alors mis au point des artifices pour dissimuler des dépenses militaires : les camions achetés pour l’armée ont été imputés au budget du ministère des Transports, une partie importante de l’essence utilisée par les véhicules des milices et de l’armée était imputée au ministère de la Santé… Finalement, la BM et le FMI ont fermé le robinet de l’aide financière début 1993, mais n’ont pas dénoncé l’existence des comptes bancaires que les autorités rwandaises détenaient à l’étranger auprès de grandes banques et sur lesquelles des sommes importantes restaient disponibles pour l’achat d’armes. On peut considérer qu’elles ont failli à leur devoir de contrôle sur l’utilisation des sommes prêtées. Elles auraient dû stopper leurs prêts dès début 1992 quand elles ont appris que l’argent était utilisé pour des achats d’armes. Elles auraient dû alerter l’ONU dès ce moment. En continuant à réaliser des prêts jusqu’au début 1993, elles ont aidé un régime qui préparait un génocide. Les organisations de défense des droits de l’homme avaient dénoncé dès 1991 les massacres préparatoires au génocide. La Banque mondiale et le FMI ont systématiquement aidé le régime dictatorial, allié des Etats-Unis, de la France et de la Belgique.

  1. Maton, Jef. 1994. Développement économique et social au Rwanda entre 1980 et 1993. Le dixième décile en face de l’apocalypse. []
  2. e. a. Chossudovsky, Michel et autres. 1995. « Rwanda, Somalie, ex Yougoslavie : conflits armés, génocide économique et responsabilités des institutions de Bretton Woods » ; Chossudovsky, Michel et Galand, Pierre, « Le Génocide de 1994, L’usage de la dette extérieure du Rwanda (1990-1994). La responsabilité des bailleurs de fonds », Ottawa et Bruxelles, 1996. Voir également : Renaud Duterme, Rwanda : une histoire volée, Editions Tribord et CADTM, 2013 ]
  3. Maton, Jef. 1994. Op cit. []
  4. Nduhungirehe, Marie-Chantal. 1995. Les Programmes d’ajustement structurel. Spécificité et application au cas du Rwanda. []
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Entre République et Nation, pour une alternative de gauche !

par Zohra Ramdane

 

Combien y avait-il de manifestants à la manifestation contre l’austérité ce 12 juin 2014 ? Guerre des chiffres bien sûr! Pour ReSpublica, de 40 à 50.000 personnes, calculé par deux compteurs selon la méthode des flux globaux. A comparer avec les 25.000 de la Préfecture et les 100.000 des organisateurs. Globalement la tonalité de la manifestation est une manifestation de colère contre celui pour qui ils ont voté massivement au second tour de la présidentielle : François Hollande.
Au départ, contacts « virils » entre les services d’ordre du PC et du PG. Ce qui n’empêche pas Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent d’encadrer le grec Alexis Tsipras,tête de liste européenne de la Gauche unie européenne (GUE) en tête de manifestation avec Olivier Besancenot près d’eux. Seul membre de l’aile gauche du PS présent, le professeur d’économie Liêm Hoang-Ngoc.
Plus tard, il reste principalement en tête de la manifestation Jean-Luc Mélenchon et Annick Coupé, leader de Solidaires alors que Pierre Laurent salue les manifestants en point fixe sur le trottoir au droit du gymnase Japy.
A l’arrivée, Jean-Luc Mélenchon et quelques dirigeants nationaux du PG saluent les manifestants, comme d’habitude, sur une estrade.
La plus belle ambiance et de loin fut sans conteste le moment où le cortège des postiers en grève et la compagnie de théâtre Jolie Môme nous font chanter, avec le metteur en scène au micro, différentes chansons engagées « C’est dans la rue que ça se passe », ou encore « ya basta , basta y ». Avec une attraction en prime, une comédienne sur un trapèze circulaire. Belle démonstration, bien rythmée dans la bonne humeur.
Ensuite, un cortège CGT. Les ballons et cortèges CGT 91,93,94, Filpac, UGFF étaient les plus visibles. Le cortège SNES-FSU était également bien visible. La majorité des militants PC et PG étaient dispersés dans la manifestation. Seuls ont été vu en cortège-bloc, les jeunes du PG, les JC. Ensemble et pour finir Alternative libertaire et le NPA.
A noter également une multitude d’associations diverses.
S’il y eut beaucoup de slogans contre l’austérité et pour une demande d’une meilleure répartition des richesses et montrant de la colère face à François Hollande, il n’y eut pratiquement pas de slogans pour la défense de la cotisation sociale pourtant fortement attaquée par la politique d’austérité et le pacte de responsabilité du Medef et du gouvernement.

Santé publique
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L’éducation populaire contre les prédateurs de la santé

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Pour mener correctement la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle encore faut-il intégrer dans notre argumentation tous les méfaits des politiques néolibérales et ensuite des causes de ces dernières. Et cela dans tous les secteurs qui touchent directement la majorité des Français et étrangers assurés sociaux et donc en premier lieu la classe populaire ouvrière et employée, seule classe susceptible à produire une mobilisation victorieuse: protection sociale, école, services publics, logement, etc. Ce petit dossier qui démarre sur la santé mais qui se termine par un appel à la globalisation des combats veut donner des arguments et des idées à ceux qui veulent mener cette nouvelle bataille. Nous sommes prêts avec nos intervenants à aider les équipes militantes à se déployer sur le terrain pour la mener

Argumentaire n°1

Vous voulez montrer que le gouvernement ne défend pas la santé publique pour mieux engraisser le lobby pharmaceutique ? Bonne lecture:

Communiqué de presse du 4 avril 2014 du Syndicat de la médecine générale : Avastin®/Lucentis® : Lettre ouverte du SMG à François Hollande, Président de la République 

Monsieur le Président, En tant que médecins, notre fonction première est d’assurer les soins adéquats aux habitants de ce pays, quels que soient leur statut ou moyens d’existence. Cela vous explique combien nous avons apprécié votre engagement de mettre en place un pacte de solidarité avec, comme axes de préoccupation majeure, la santé de nos concitoyens et la préservation de la Sécurité sociale. Nous sommes heureux de voir portés de tels objectifs par la plus haute autorité de notre pays et, pour notre part, vous pouvez être assuré, les concernant, de notre appui. Nous n’en sommes que plus attachés à écarter de leur réalisation les obstacles qui ne manqueront pas d’y être dressés. Parmi ceux-ci, il en est un qui conditionne plus particulièrement le succès de votre entreprise : nous voulons parler de la maîtrise des dépenses de santé. Le SMG a toujours assumé ses responsabilités en la matière, sachant à quel point le respect de cette contrainte pouvait conditionner l’accès aux soins des publics les plus démunis. Mais, et c’est là l’objet de cette lettre, maîtriser les dépenses de santé ne peut reposer sur les seuls soignants : faut-il encore que l’Administration y mette du sien, que les politiques jouent leur rôle d’aiguillon. Or, qu’avons-nous constaté sur des exemples récents, significatifs et hautement symboliques ? Un pillage à grande échelle, aussi éhonté qu’organisé – nous pesons nos mots – de la Sécurité sociale, par certains groupes, bénéficiant, hélas, de la passivité, si ce n’est de la complicité agissante des plus hautes autorités sanitaires de ce pays. La situation constatée en France à cet égard s’est tellement dégradée que, comparée aux autres pays d’Europe occidentale, on a pu parler de la France comme d’une « république bananière »1, à propos des agissements de certaines multinationales du médicament et de leur collusion avec des pouvoirs publics gangrenés ! Excessif, le propos ? Mais c’est le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique qui, à l’occasion de l’émission d’une circulaire du ministère de la Santé interdisant aux hôpitaux de substituer un médicament bon marché à un autre, 20 fois plus cher, a qualifié à cette occasion ce comportement comme relevant de la Haute Cour !2 Nous nous arrêterons justement sur l’exemple du médicament visé par la circulaire en question : il s’agit du Lucentis®3 qui, avec 389 millions d’€ remboursés en 2012 par la Sécurité sociale et près de 500 millions en 2013, caracole en tête des médicaments les plus remboursés. Son substitut, 20 fois moins cher, est l’Avastin®4. C’est ce substitut qu’injectaient à leurs patients les praticiens hospitaliers, avant qu’une circulaire du ministère de la Santé de juillet 2012 ne vienne leur en interdire l’usage. Le prétexte : l’absence d’AMM5 pour ce médicament, primitivement homologué pour le traitement de certains cancers. Remarquons que cela ne l’empêchait nullement d’être prescrit pour le traitement de la DMLA dans le reste de l’Europe occidentale, ainsi qu’aux États-Unis… Depuis, nous-mêmes, comme la revue Pratiques, qui nous est proche, avons alerté, à de multiples reprises le ministère, puis la ministre elle-même, sur les développements de ce scandale, qui fait maintenant la une de la grande presse. En vain. Nous prenons, dans ces conditions, l’initiative de vous écrire. Dans les circonstances graves que vit la France, il paraît impensable de gaspiller en pure perte quelque 400 millions d’€ par an, sans compter qu’il ne s’agit là que d’un exemple parmi des centaines d’autres.

  • Nous vous demandons d’user de votre autorité pour mettre fin aux manœuvres d’obstruction visant à retarder depuis plus d’un an la sortie du décret d’application de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la Sécurité sociale pour 2013, relatif aux RTU pour raisons économiques6, qui aurait permis la reprise des traitements à base d’Avastin® pour la DMLA.
  • Nous vous demandons, en conséquence, d’exiger du ministère de la Santé qu’il abroge sur le champ sa circulaire du 11 juillet 2012 interdisant l’usage de l’Avastin® comme substitut au Lucentis®, et cela, suite à la publication de l’arrêt de la Cour européenne de justice, en date du 11 avril 20137 déboutant de sa plainte Novartis, qui avait essayé de bloquer les initiatives de l’industriel allemand Apozyt. Ce dernier, en fractionnant l’emballage d’origine du Lucentis®, en avait déjà divisé par deux le prix pour le patient et se promettait de faire mieux en reconditionnant l’Avastin® de la même manière.
  • Nous vous demandons, en accord avec le même arrêt de la Cour européenne de justice, de favoriser l’importation des seringues préremplies par la firme Apozyt et, simultanément, d’encourager les laboratoires français à combler leur retard sur leur collègue allemand dans les délais les plus brefs.
  • Nous vous demandons de saisir l’Autorité de la concurrence aux fins d’enquête sur le soupçon d’entente illicite entre les groupes Roche et Novartis, en vue de bloquer la mise en marché de l’Avastin® sous forme de préparation ophtalmologique. Rappelons que l’Autorité italienne de la concurrence nous a précédés pour déjà infliger aux deux groupes l’amende record de 180 millions d’€, sur le même dossier, justement pour entente illicite8. Le préjudice, pour la France, étant nettement plus élevé, nul doute que l’amende le soit, en conséquence.

Dans cette situation, nous récusons par avance la bénédiction que pourrait donner le même ministère de la Santé à Novartis, qui essaie aujourd’hui de sauver une grande partie de sa marge indue en fractionnant ses flacons de Lucentis®, comme le fait Apozyt. La seule solution acceptable est désormais celle qui réduira effectivement le prix de ce médicament à sa vraie valeur : le vingtième de son prix actuel. Cet exemple illustre l’énormité des sommes en jeu, et jette une lumière aveuglante sur les mécanismes du mal qui ronge certaines parmi nos institutions, et non des moindres. Une enquête parlementaire étendue aux principales classes de médicaments, aux agissements de certaines firmes, ainsi qu’aux complicités qu’elles ont pu trouver au sein de l’Administration, ferait ressortir l’ampleur de ces détournements. Nous ne nourrissons, pour notre part, aucun doute quant au montant considérable des sommes potentiellement récupérables par la Sécurité sociale, au terme de cette enquête.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre considération la plus haute.

Contacts : Didier Ménard, Séraphin Coll, Marie Kayser

Notes : 1 Voir sur le site de Pratiques : 2 « Dans cette affaire poignante, où l’on instrumentalise comme on le voit le principe de précaution, nous sommes face à l’absurdité poussée à son degré ultime, a déclaré à Slate.fr le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique. Pour ma part, je trouve que l’Assurance maladie dans son indifférence à ces questions est passible de la Haute Cour. » http://blog.ehesp.fr/mediasantepublique/2012/08/07/la-tres-absurde-affaire-lucentisavastin-1/ 3 Le Lucentis®, produit par Novartis, est utilisé dans le traitement de la DMLA (Dégénérescence maculaire liée à l’âge) qui menace de cécité des millions de personnes à travers le monde. 4 L’Avastin® est produit par Roche. Ce dernier s’est toujours refusé à demander l’extension de son AMM à l’usage ophtalmologique. Rappelons que son « concurrent » Novartis détient plus de 30% de son capital. En outre, Roche, via le contrôle total qu’il exerce sur le laboratoire GENENTECH, inventeur du Lucentis, touche des royalties conséquentes sur les ventes du Lucentis® à travers le monde. 5 Autorisation de mise en marché 6 Recommandation temporaire d’utilisation 7 Voir le site de Pratiques : http://pratiques.fr/Avastin-R-Lucentis-R-face-a-la.html 8 Voir sur le site de Pratiques : http://pratiques.fr/Scandale-Avastin-R-Lucentis-R-a.html

Argumentaire n°2

Vous voulez des arguments qui montrent que la “grande politique” de l’actuelle négociation du Partenariat transatlantique (PTA) cache en fait des futures attaques contre la santé publique. Lisez: a)  Communiqué de presse du Collectif Europe et Médicament - Traité commercial US/UE : menace sur les politiques publiques européennes et la santé publique Trouver en pièce jointe le rapport conjoint qui analyse les 5 propositions les plus inquiétantes de la “liste de souhaits” de l’industrie pharmaceutique dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement : - modifications de la réglementation relative à la propriété intellectuelle ; - ingérence en terme de politiques de fixation des prix des médicaments et de remboursement ; - tentative de limiter la transparence sur les résultats des essais cliniques (lire aussi : “Règlement européen sur les essais cliniques : dernière ligne droite - www.prescrire.org/Fr/1/194/48278/3314/3305/SubReportDetails.aspx) ; - renforcement et institutionnalisation du lobbying industriel et mise en œuvre d’un “mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États” (en anglais, investor-to-state-dispute mechanism) ; - standardisation à l’échelle mondiale. Ce “partenariat” constitue une réelle menace sur les systèmes de santé et les processus démocratiques européens.  Cordialement, Pierre Chirac, Pour le Collectif Europe et Médicament b) Traité commercial US/UE : les propositions de l’industrie pharmaceutique menacent les politiques publiques européennes et la santé publique Un rapport publié aujourd’hui par l’organisation Commons Network et d’autres organisations de la société civile révèle que la “liste de souhaits” de l’industrie pharmaceutique dans le cadre du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ; en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) est préjudiciable à la santé publique, entraînera une hausse des prix des médicaments, et sape les processus démocratiques. Ce partenariat transatlantique est un accord sur les échanges et les investissements actuellement en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. « La liste de souhaits de Big pharma témoigne d’un mépris flagrant à l’égard des processus démocratiques et des politiques publiques », analyse Sophie Bloemen, coordinatrice de Commons Network. « Les firmes cherchent à prolonger la durée de leurs monopoles sur les brevets de médicaments, à contrecarrer les réglementations des États membres visant à contenir les prix des médicaments, et à entraver les récentes avancées de l’Agence européenne des médicaments (EMA) vers plus de transparence des données des essais cliniques. » Leurs propositions tombent à un moment où les systèmes de santé sont plus que jamais sous pression à cause de la crise financière et où, dans certains pays, les patients n’ont plus les moyens de payer les traitements dont ils ont besoin. « Ces négociations, menées en secret, offrent à l’industrie une opportunité unique de faire valoir leurs intérêts ». Les propositions visant à instituer un “mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États” (en anglais, investor-to-state-dispute mechanism) sont particulièrement inquiétantes. Un tel mécanisme donne en effet à l’industrie pharmaceutique le droit de poursuivre les gouvernements en justice pour les décisions de politiques publiques légitimes, mais que les firmes estiment préjudiciables à leurs investissements. Cela offre aux firmes un mécanisme juridique permettant de contrer directement les politiques gouvernementales, y compris les mesures destinées à protéger la santé publique. L’industrie du tabac, par exemple, a utilisé ces mesures pour contester les obligations d’emballage neutre en Australie. Une firme pharmaceutique a intenté un procès contre le Canada après l’invalidation de brevets sur deux de ses produits. Bloemen ajoute : « Nous ne voulons pas voir cette possibilité inscrite dans le droit européen. ». L’industrie pharmaceutique est l’un des plus puissants lobbys des deux côtés de l’Atlantique. Selon Bloemen, « Les gouvernements européens ne doivent pas céder à ses exigences, qui vont à l’encontre des intérêts de la population européenne et sapent le processus démocratique légitime d’adoption des politiques publiques. Les gouvernements européens doivent au contraire garder leurs distances vis-à-vis du lobby pharmaceutique et promouvoir le bien commun. » Berlin/Bruxelles/Genève, lundi 24 mars 2014 : Lire le rapport (en anglais) : The Transatlantic Trade and Investment Trade Aigrement  (TTIP) - A Civil Jet-society Response to the Big Pharma wish list (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP/PTCI) - Réponse de la société civile à la “liste de souhaits” de Big Pharma) http://commonsnetwork.eu/ttipbigpharmawishlist/

Argumentaire n°3

Vous voulez comprendre pourquoi le néolibéralisme développe les complémentaires santé contre la Sécurité sociale et contre la santé publique. Lisez: Réforme du financement de la santé : la raison politique prime la rationalité économique, par Frédéric Pierru (CNRS – CERAPS) Dans une récente Note du Conseil d’Analyse Économique, trois économistes réputés, parmi lesquels l’économiste de la santé Brigitte Dormont, critiquent l’inefficience et les inégalités d’un système d’assurance-maladie français dans lequel le panier de soins et de biens « essentiels » est co-financé par la Sécurité sociale (AMO) et les assurances maladie complémentaires (AMC). Ce système mixte, inédit dans les pays développés, est source de confusion des rôles, neutralise pour partie les incitations financières mises en place pour « responsabiliser » les assurés sociaux (en effet, les tickets modérateurs sont en partie couverts par les AMC) et, surtout, principale critique, n’invite pas à actionner le véritable levier d’amélioration de l’efficience du système de santé : la contractualisation, sur la base de critères de coûts et de qualité, des payeurs avec les offreurs de soins. En outre, à la suite d’autres travaux, ils soulignent combien le « marché » des AMC, en grande partie solvabilisé sur fonds publics – via des dépenses fiscales et des exonérations de cotisations sociales –, est intrinsèquement inefficace et inégalitaire. En gros, les salariés les mieux intégrés sur le marché du travail, comme les cadres des grandes entreprises, bénéficient de contrats d’entreprise « haut de gamme », généreusement sponsorisés par l’État, tandis que les fonctionnaires, les retraités, les chômeurs, les jeunes doivent se contenter de contrats individuels d’entrée ou de milieu de gamme qu’ils doivent presque totalement financer. En outre, la tarification et la segmentation en fonction du risque sévissent sur ce « marché », malgré les quelques garde-fou posés ici et là pour éviter que cette concurrence très peu régulée ne soit excluante. Dès lors, le trio d’économistes en appelle le gouvernement à choisir à terme entre deux scénarios pour mieux en finir avec ce système mixte où AMO et AMC interviennent de conserve : un scénario où un seul payeur public contractualise avec les offreurs de soins de façon décentralisée ; un scénario de mise en concurrence « régulée » de caisses, sur le modèle néerlandais ou suisse, qui là encore auraient les moyens légaux et informationnels de contractualiser avec les offreurs de soins afin d’aller vers l’efficience. On remarquera d’abord que le second scénario de mise en concurrence des caisses, que tout économiste « orthodoxe » défend par réflexe quasi-professionnel – la concurrence est toujours mieux que le monopole – ne fonctionne pour l’instant que sur le papier : les évaluations des expériences étrangères en la matière, notamment batave, ne sont guère concluantes, ce que mentionnent d’ailleurs honnêtement les auteurs, même si c’est pour en donner une autre interprétation. En effet, même les experts de l’OCDE ont souligné que la « régulation », mot magique censé rassurer les citoyens attachés au service public face aux projets néolibéraux, de ce marché est techniquement très difficile à réaliser, les opérateurs ayant toujours un temps d’avance pour se jouer des règles qu’on prétend leur appliquer. En réalité, la concurrence du côté du financement ne fonctionne pas en santé, comme l’ont montré les évolutions divergentes des États-Unis et du Canada. Mais nous souhaiterions davantage évoquer ici les limites du regard de la « science » économique dans un monde aussi saturé d’intérêts contradictoires et mobilisés qu’est celui de la santé. En effet, l’auteur de ces lignes se souvient qu’un tel débat avait, par exemple, déjà eu lieu, à la veille des élections présidentielles, au sein du groupe santé du think tank Terra Nova, auquel il participait. Ou encore, au même moment, entre les auteurs du futur Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire. Fallait-il favoriser la reconquête de la Sécurité sociale et éliminer les AMC – position minoritaire qui était la mienne et celle d’André Grimaldi – ou plutôt privilégier la concurrence des financeurs, dans le cadre d’une forte « régulation » ? Nous avions alors été frappé par le fait que le débat quittait assez rapidement le terrain des faits et des études académiques pour aller sur celui de la « faisabilité politique ». En effet, il semblait inenvisageable de défendre une plate-forme électorale en matière de santé qui plaiderait pour la disparition d’un groupe d’intérêt aussi puissant que la Mutualité française ou encore du rôle des institutions de prévoyance, gérées de façon paritaire par les syndicats de salariés et le patronat, et qui tiennent des positions très fortes sur le marché des contrats de complémentaire santé d’entreprise… Pour le dire autrement, les belles constructions intellectuelles, aussi séduisantes et rationnelles fussent-elles, devaient céder le pas à des calculs politiques plus prosaïques : comment ne pas s’aliéner, ou au moins obtenir la neutralité, de groupes d’intérêt puissants ? C’est sur ce constat que le politiste à beaucoup à dire. En effet, il sait que la réforme des systèmes de santé est un exercice politiquement très difficile, dans lequel les idées comptent moins que les rapports de force entre groupes d’intérêt et les contraintes de type institutionnel. Ainsi, Barack Obama voulait originellement faire évoluer le système de santé étatsunien, dans lequel la concurrence entre assureurs privés produit le formidable résultat de le rendre le plus coûteux et inégalitaire des pays développés, vers un modèle « single payer » public à l’européenne… La réforme Obamacare a fini par drainer toujours plus de fonds publics vers le marché privé de l’assurance. Pour prendre une image, les assureurs et l’industrie du managed care, aidés par une partie du corps médical et un Parti Républicain radicalisé, pratiquent le judo àla perfection : une offensive publique finit par être retournée en renforcement des acteurs privés. Ippon. Revenons au cas français. Si notre système de santé est « mixte », ce n’est certainement pas par hasard ni par choix. Historiquement, l’avènement des premières assurances sociales y a été très tardif, au cours des années 1920 – 1930, en raison de l’opposition et de l’obstruction de groupes partisans de ce que l’historien Henri Haztfeld a appelé « l’objection libérale » : petits artisans et commerçants, une frange du petit patronat, assureurs, médecins libéraux et… Mutualité. Il faut le rappeler, tant ce fait est aujourd’hui oublié, la Mutualité, plutôt conservatrice et notabiliaire, ne s’est ralliée que tardivement – dans les années 1960 – au principe des assurances sociales obligatoires, pour une raison simple : elle avait un quasi-monopole en matière de prévoyance individuelle avant l’avènement de la Sécurité sociale. De même, la CSMF craignait les menaces que la mise en place d’un financeur public ferait peser sur les fameuses libertés médicales consacrées en 1927. C’est la raison pour laquelle le gouvernement d’après-guerre avait décidé que les mutuelles prendraient en charge le ticket modérateur de 20% : absurde d’un point de vue économique, ainsi que le souligne notre trio d’économistes, cette décision est complètement raisonnable d’un point de vue politique. De même, le Patronat, un temps discrédité, est reparti à l’offensive et a obtenu rapidement, dès les années 1950, la création de régimes complémentaires gérés de façon strictement paritaire et conçus comme une « Sécu bis » alternative à la démocratie sociale tant honnie du régime général. Ce sont ces institutions de prévoyance, parties du marché des retraites complémentaires, qui sont ensuite venues concurrencer les mutuelles, en voie de concentration accélérée, et les assureurs sur le marché de la complémentaire santé… Passons à une expérience in vivo du primat des considérations politiques sur les exigences économiques et sociales. L’Accord National Interprofessionnel (ANI) de 2013 a présenté comme une « grande avancée sociale » la généralisation des contrats de complémentaire santé d’entreprises aux salariés qui n’en bénéficient pas encore. En fait, il s’agit d’une avancée à reculons. Par cette décision, le gouvernement et certains syndicats signataires ont acté le recul, entamé depuis les années 2000, du seul mécanisme efficient et juste pour financer les dépenses de santé : la sécurité sociale au profit… des AMC. Un combat s’est alors engagé entre mutuelles, assureurs et institutions de prévoyance autour des « clauses de désignation » pour savoir comment ces acteurs allaient se répartir cet élargissement de marché. Il en résulte des revirements cocasses. Ainsi la CFDT, principal syndicat signataire, a défendu pendant trente ans la « beveridgisation » de notre système de santé arguant que le risque santé relevait de la solidarité nationale, donc de l’État et de l’impôt, et non des assurances sociales et de la sphère du salariat… Et elle finit par apposer sa signature sur un accord qui en réalité créé une « Sécu bis » au-dessus de la véritable Sécu, mais une « Sécu bis », qui en plus d’être inégalitaire et inefficiente, est adossée à l’entreprise-providence et au travail.. Pour être juste, on n’a guère entendu non plus les autres centrales syndicales sur ce point, alors qu’elles dénonçaient la dérégulation du marché du travail portée par cet accord… Et pour cause : les syndicats tirent de moins en moins leurs ressources des cotisations d’adhérents en voie de raréfaction que de la participation à divers organismes sociaux, à la formation professionnelle ou aux régimes complémentaires. Ils ont donc tout intérêt à ce que le marché de la complémentaire santé se développe, aussi dysfonctionnel soit-il. Il en va de même pour les grands groupes mutualistes dont certains sont d’ailleurs proches de centrales syndicales. Sans parler bien entendu des assureurs qui taillent des croupières aux mutuelles et aux IP depuis quelques années. Ainsi va la réforme du système de santé : aussi économiquement irrationnelle et socialement injuste soit-elle, elle vise d’abord à préserver des équilibres politiques qui s’inscrivent dans la longue durée. La rationalité économique et sociale cède à nouveau, comme en 1945, devant la raison politique.

Argumentaire n°4

Une fois oubliée les pseudos-justifications médiatiques du remaniement ministériel, réfléchissons ensemble. Tout va bien à court terme pour les néolibéraux, les dettes publiques augmentent et donc comme le répétait Marx” la bourgeoisie tient l’État par la dette”. Mais sur le moyen terme, les néolibéraux tentent de freiner  l’augmentation de la dette. Mais si on reste dans “le modèle politique réformateur néolibéral”, il n’y a pas d’autre solution que d’ intensifier la politique d’austérité. C’est le rôle entre autres de Marisol Touraine. Son maintien témoigne de la volonté du pouvoir en place de poursuivre sa politique d’austérité dans le cadre  la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009. Multipliant les concertations sans suite, elle calme à court terme le mécontentement médical dans l’hôpital. Mais ,à part sa déclaration de stopper la convergence tarifaire entre les hôpitaux publics et les cliniques à but lucratif pour les actionnaires, elle accélère la néolibéralisation du système en s’appuyant sur les complémentaires santé et les ARS contre la Sécurité sociale. Pour diminuer les dépenses publiques, elle va continuer à transférer le remboursement aux complémentaires santé. Tant pis si elles sont moins égalitaires, moins solidaires et plus coûteuses! Elle continue le pilotage bicéphale de la médecine via la Sécurité sociale pour la médecine ambulatoire et via les Agences régionales de santé pour le secteur hospitalier. Elle maintient les conflits d’intérêts dans les commissions d’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Elle a légalisé les dépassements d’honoraires avec un dispositif qui va les augmenter. La mise en pratique de l’accord du Medef (dit accord national interprofessionnel signé par des syndicats complaisants) contribuera à la privatisation de la Sécurité sociale en préparant le développement de l’Union nationale des organismes complémentaires à l’Assurance-maladie(Fédération nationale de la mutualité française, Instituts de prévoyance et assurances lucratives pour leurs actionnaires) contre l’Assurance-maladie. De plus, le panier de soins de cet “accord” est nettement inférieur au panier de soins de la Couverture maladie complémentaire ce qui va entraîner à terme une baisse des paniers de soins. Elle persiste à organiser le financement de l’hôpital par la tarification à l’activité, qui est la tarification inflationniste (Nous expliquons par le calcul dans nos réunions publiques la logique tendancielle profonde totalement arithmétique de ce financement qui voit les établissements multiplier les actes pour  avoir plus financements pour contrer la baisse régulière de  cette tarification) . La gestion des hôpitaux est réalisée comme dans une entreprise industrielle avec le “business-plan” du directeur  avec le volant des personnels comme variable d’ajustement sans tenir compte de tous les impératifs de santé publique. Le rapport Couty, pourtant bien timide, avait tenté de modifier le fonctionnement monarchique du directeur. Il est au placard. Pour l’instant , la “stratégie nationale de santé” de la ministre, ne change pas les fondamentaux néolibéraux du fonctionnement du système.

Argumentaire n°5

Le nouveau gouvernement a avalisé le début de baisse globale des prestations familiales de la Sécurité sociale. Ce gouvernement débute fort: baisse de 2,2 milliards d’euros de prestations qui toucheront 4 millions de familles. Et comme ce gouvernement a pour mission de supprimer toutes les cotisations sociales patronales qui financent les prestations familiales, il va sans dire que cette baisse n’est donc qu’un début. Le mouvement syndical revendicatif et les militants politiques auraient intérêt à ne pas négliger la politique familiale au moment ou le gouvernement veut diminuer les prestations familiales. Blocage de la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), quasi-blocage des allocations familiales. Ce n’est pas les micro-revalorisations du complément familial( CF, majoration d’environ 17 euros par mois) ni celle  de l’allocation de soutien familial(ASF), versée aux familles monoparentales sans  pensions alimentaires familles (majoration d’environ 5 € par mois) qui feront oublier la baisse globale.Même l’abaissement du quotient familial (de 2 000 euros à 15 00 euros) qui ne pourrait se justifier que si les sommes récupérées servaient à abonder les prestations familiales aux plus modestes. Nous rappelons que nous préconisons l’abandon des quotients conjugaux et familiaux et son remplacement par une allocation unique pour chaque enfant dont la somme devrait représenter au moins le volume total des anciens quotients familiaux et conjugaux déplafonnés. Cette mesure serait favorable pour 60 % des familles les plus modestes et sans effets pour les 20% des familles qui suivent. Seuls les 20% des familles les plus aisées seraient défavorisées. Mais baisser le plafond sans redistribution  est un scandale. Nous pouvons avoir la même réaction sur l’abaissement de l’allocation de base de la PAJE avec en plus le scandale de ne pas construire les 400.000 places de crèches collectives ou familiales nécessaires(voilà une mesure qui irait dans le sens de l’égalité entre hommes et femmes) et de ne pas autoriser la scolarisation des enfants dès deux ans(alors que nous avons perdu depuis le début du siècle plus de 100.000 places en maternelle.   Argumentaire n°6 La bataille pour l’hégémonie culturelle nous demande de répéter qu’il n’est pas possible de baisser les dépenses publiques et de répondre à la question sociale et à la lutte contre les inégalités sociales de santé. Les fraudes à l’Assurance-maladie ne représentent qu’environ 1 % des dépenses des santé soit un peu plus de deux milliards. Il est facile de comprendre que nous arrivons presque au cas où l’augmentation du contrôle coûtera plus cher que la diminution des fraudes obtenue. Oui, le financement de la protection sociale doit être “sanctuarisé” car le salaire socialisé, c’est la part du salaire qui doit partir à la Sécurité sociale. Nous devons demander la fin de toutes les exonérations de cotisations sociales et même nous devons demander que tous les produits du travail des salariés soient soumis à cotisation(stock-options, retraites-chapeaux, épargne salariale, intéressement, etc.). Sans oublier la forte taxation des profits non réinvestis dans l’investissement productif. C’est au gouvernement sur son budget fiscalisé de l’État (et non sur le budget de la Sécurité sociale) de faire une bonne politique industrielle et économique , de donner aux entreprises les aides nécessaires. Tout gouvernement qui fait la politique du Medef, qui veut pousse le gouvernement à donner aux patrons l’argent qui doit aller à la Sécurité sociale, trahit le peuple.   Argumentaire n°7 Dans le livre Contre les prédateurs de la santé écrit par Catherine Jousse,Christophe Prudhomme et Bernard Teper (collection Osez la république sociale, 2e édition), il est justement proposé dans notre modèle alternatif, que les centres de santé devaient devenir les pivots du système de santé de premier recours à coté des hôpitaux généraux, des CHU et des secteurs psychiatriques. Dans un modèle politique alternatif (pour nous celui de la République sociale) il faut défendre la création de plusieurs milliers de centres de santé en France. Non seulement le gouvernement solférinien ne veut pas aller dans cette voie puisqu’il continue sa politique néolibérale mais la Bérézina des mairies socialistes et communistes (voir les deux derniers numéros de ReSPUBLICA) va permettre à la droite néolibérale d’attaquer les centres de santé existants. Voilà pourquoi la mobilisation est nécessaire.  

Appel à la vigilance et à la mobilisation. Centres de santé en danger

Le 30 mars dernier, plusieurs villes qui ont été pour certaines les pionnières de la mise en place des centres de santé, ont changé de majorité. La lecture de leur programme municipal nous laisse penser que ces centres indispensables aux populations qui les fréquentent, sont en danger.

Nos organisations syndicales et la coordination de défense et promotion des centres de santé, se doivent aujourd’hui de lancer un appel à la vigilance et à la mobilisation pour défendre leur existence, pour leurs usagers comme leurs personnels.

C’est pourquoi, nous proposons de nous retrouver au sein de la Coordination de défense et de promotion des centres de santé, afin d’unir nos efforts pour défendre le maillage de santé publique que nous défendons ensemble.

Une rencontre dans ce sens sera proposée, dans les jours à venir aux organisations syndicales nationales, à la Coordination nationale de défense des Hôpitaux et maternités de proximité, à toutes celles et tous ceux, personnels, élus et usagers qui le souhaitent pour se retrouver et adopter ensemble une stratégie commune de mobilisation pour la défense des centres de santé.

Dr Fabien Cohen, Secrétaire général du SNCDCS, Danièle Messant, Présidente du SNKCS, Dr Eric May, Président de l’USMCS

Argumentaire n°8 La bataille contre le chômage doit prendre force et vigueur. Lisez:    Quinze millions de nouveaux chômeurs depuis 2007 dans les économies dites avancées. Deux fois plus de ménages vivant sans aucun revenu du travail en Grèce, en Irlande et en Espagne. Des perspectives d’emploi des jeunes scandaleuses… Face à cela l’OCDE, qui a un double langage, ose inviter, dans la septième édition du Panorama de la société 2014, un recueil d’indicateurs sociaux,  les États à construire des politiques sociales “plus résilientes” face aux crises alors que ce bureau d’études du néolibéralisme accompagne les États à diminuer les dépenses publiques , c’est -à-dire à diminuer la “résilience” des structures de protection sociale. Hypocrisie d’une schizophrénie congénitale.  Angel Gurria, secrétaire général de l’institution va jusqu’à dire « La priorité, écrit-il, doit être de faire en sorte que les politiques sociales soient aptes à faire face aux pires situations que l’économie mondiale puisse engendrer. » Comprenons que nous devons argumenter. Car ils ont décidé de taper dans la protection sociale. Voyez l’augmentation du chômage, de la pauvreté, de la misère alors que dans l’OCDEles dépenses sociales publiques, tirées par les dépenses de redistribution sur l’ensemble de la zone , sont passées de 19 % du produit intérieur brut (PIB) en 2007 à 22 % en 2009-2010. Qu’est-ce qui se passerait avec une diminution des dépenses publiques de protection sociale ?  Au deuxième trimestre de 2013, la zone OCDE comptait 17 millions de chômeurs de longue durée (l’effectif a doublé en cinq ans). Les perspectives d’emploi des jeunes se sont effondrées, ce que l’OCDE juge « particulièrement préoccupant » car « le chômage et les autres difficultés rencontrées au début de la vie active peuvent compromettre le parcours professionnel à long terme et les perspectives de revenu ». Le pourcentage de jeunes qui ne sont ni employés, ni scolarisés, ni en formation a augmenté partout. A la fin 2012, il était supérieur ou égal à 20 % en Espagne, en Grèce, en Italie, au Mexique et en Turquie. Dans tous les pays de l’OCDE, les inégalités sociales de salaires et de revenus augmentent fortement sauf en Islande (seul pays où les plus aisés ont le plus perdus ) Dans une grande majorité de pays, les jeunes adultes et les familles avec enfants font face à des risques de pauvreté beaucoup plus élevés aujourd’hui qu’en 2007. Ils ont même remplacé les personnes âgées en tant que groupe le plus exposé au risque de pauvreté monétaire (vivre avec moins de 50 % du revenu médian de son pays). L’augmentation de la fécondité constatée dans plusieurs pays avant la crise s’est interrompue. dans certains pays comme l’Espagne, cela devient catastrophique avec un taux de l’ordre de 1,4 enfants par femme.   Argumentaire n°9 Cette tendance va perdurer : le trio chômage, pauvreté, misère est en croissance. La protection sociale est partout en recul. L’école est entrée dans une phase récessive. les services publics sont en recul. Le carcan de l’Union européenne et de la zone euro va de plus en plus corseter nos vies. Les rustines ne suffisent plus. Nous devons populariser un modèle global,politique, économique, social,écologique et culturel alternatif . Pour nous, c’est la République sociale du XXIe siècle. Déjà, trois livres sont sortis en soutien aux réunions publiques du Réseau Éducation Populaire dont vous pouvez trouver les dates sur l’agenda du site de ReSPUBLICA (www.gaucherepublicaine.org ) : - Néolibéralisme et crise de la dette, par Michel Zerbato et Bernard Teper (2e édition). A noter dans ce livre, un passage sur la monnaie comme élément important de l’économie politique de crise  qui devrait être popularisé par des initiatives d’éducation populaire - Contre les prédateurs de la santé, par Catherine Jousse, Christophe Prudhomme et Bernard Teper (2e édition) - Retraites : l’alternative cachée, par un collectif d’auteurs chez Syllepse Quatre livres vont sortir dans les semaines qui viennent: un sur la laïcité, un sur la protection sociale et deux sur le modèle politique alternatif de la République sociale. D’ores et déjà, vous pouvez programmer les réunions publiques sur 2014 et 2015. Nous allons intensifier l’idée de la globalisation des combats sans prééminence surplombante de l’un sur les autres dans toutes nos initiatives d’éducation populaire. El pueblo unido jamas sera vencido (un peuple uni jamais ne sera vaincu) !

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"Pelo Malo (Cheveux rebelles)", film de Mariana Rondón (2013). Le matriarchat de la précarité ?

par Monique Vézinet
Présidente UFAL Ile-de-France, Réseau Education Populaire

 

Film de femme ? On dira plutôt le regard d’une femme, la réalisatrice vénézuélienne formée à Paris et à Cuba Mariana Rondón, qui est aussi plasticienne. A certains égards, on pourrait parler de film ethnographique comme on l’a fait de Wadjda, de la Saoudienne Haifaa Al Mansour (2012), qui porte aussi sur les rôles genrés dans une société donnée, illustrés au travers de la violence qu’ils exercent sur les enfants, ici un petit garçon, là une petite fille. Dans l’un et l’autre cas leurs rêves – ici les cheveux lisses d’un chanteur, là une bicyclette – renvoient à des rôles sexuels hors norme et les parents doivent gérer à leur façon un conflit dont ils sortiront vainqueurs. Dans les deux cas, les mères sont en première ligne et dans les deux cas, malgré des comportements différents, ce sont elles qui appliquent la norme sociale, quoi qu’elles en aient. Notons aussi qu’il s’agit d’enfants prépubères, ils jouent avec les rôles sexuels, ils n’affirment pas (encore ?) d’identité sexuelle autre mais les adultes, eux, sont inquiets.
Cela est particulièrement net dans le cas de Pelo Malo, où Marta, qui élève seule Junior et son petit frère, est tellement obsédée par l’idée que son aîné puisse devenir homosexuel qu’elle consulte un médecin pour lui faire part de ses craintes. Percevant bien que la mère tente de faire de ce garçon l’homme de la famille, le praticien lui répond sagement que l’enfant a besoin d’un référent masculin. Mais Marta, tout au long du film restera bloquée dans cette attitude qui la conduit à refuser à Junior la tendresse qu’elle prodigue au plus jeune, à envisager de le confier à sa belle-mère (contre rétribution)… Quand elle aura dit à l’enfant « je ne t’aime pas », il ne restera à ce dernier qu’à passer lui-même la tondeuse dans ses cheveux. Le film se termine sur un plan de rentrée des classes où les petits écoliers en uniforme chantent en choeur : Junior a les cheveux courts mais la bouche fermée. Fin-fermeture beaucoup plus dramatique que celle de Wadjda où un certain compromis a pu se réaliser entre mère et fille, entre femmes et hommes, laissant espérer des temps meilleurs dans une société islamique qui évolue lentement.
Mariana Rondón, elle, ne nous laisse rien espérer. Le film n’a pas les apparences d’une critique politique. Nous voyons Caracas comme une ruche surpeuplée, la vie dans des barres construites comme des Cités radieuses des années 60, mais nul misérabilisme malgré les difficultés d’existence qu’illustre bien la recherche de travail de Marta. Un clin d’oeil à Hugo Chavez avec une scène étonnante de dévotion populaire où l’on voit les gens dans la rue sacrifier leur …chevelure pour obtenir la guérison du chef d’Etat malade.
Mais la critique sociale est radicale. La réalisatrice l’indique elle-même : elle questionne l’image de la masculinité dans une société qu’elle qualifie de matriarcale. Rien à voir avec le matriarchat supposé et mythifié de certaines tendances du féminisme, mais un matriarchat du pauvre, un pouvoir sur le quotidien, celui des femmes seules des couches populaires paupérisées où l’éducation des enfants reproduit l’oppression. « Les hommes, dit M. Rondón, ont déserté la maison, ne s’occupent pas des enfants… C’est une société très machiste, très dure, et la situation s’est durcie. Le Venezuela est un des pays d’Amérique latine où il y a le moins d’égalité sur ces questions d’identité sexuelle. »  La caméra s’attarde sur le visage de Marta, murée dans la dureté, incapable de verbaliser les situations. Deux scènes de sexe opposées complètent ce portrait de femme : celle du plaisir, avec un jeune voisin qu’elle invite ; celle de l’obligation, avec le patron qui peut lui rendre le poste qu’elle a perdu (elle est vigile, autre élément paradoxal de sa propre identité, transformée par l’uniforme, là aussi).
Un film dur, donc, au scénario minimal, tourné avec des non professionnels dans un lieu où l’équipe a cherché à se faire oublier, sans volonté apparente d’expliquer ou de dénoncer. Le regard fort d’une femme.

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"Crop", de Marouan Omara et Johanna Domke

par Brigitte Remer

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Diffusé pour la première fois en France et concourant dans le cadre du XIIe Festival international du film des Droits de l’Homme qui s’est tenu en mars à Paris, Crop, film en anglais, sous-titré en français coproduit par l’Egypte, l’Allemagne et le Danemark, traite de la liberté de la presse, du pouvoir des images et de leur impact. Le choix d’un bâtiment symbole créé sous Nasser, au Caire, siège de l’influent journal Al-Ahram et de plusieurs titres dérivés, en est le protagoniste. Seize mille personnes y travaillent.
Le fil conducteur repose sur le récit d’un photojournaliste qui, depuis trente ans, fait partie de la machine et que des problèmes de santé retiennent à l’hôpital. Il l’écrit à partir de dix-neuf entretiens de photojournalistes, photographes et journalistes de différents médias, restituant leurs points de vue mosaïque. Ses mots guident le spectateur.
Tandis que Soura - qui signifie images - est chanté par Abdel Halim Hafez, une voix des années soixante, la caméra fait le tour du bâtiment. Nous déambulons de salle de rédaction en salle de fax, de salle aux horloges marquant les décalages horaires en pointeuses, et l’ascenseur s’arrête à chaque étage, ouvrant ses portes sur une même scène où le temps semble s’être arrêté : un appariteur en chemisette blanche et cravate assis derrière un grand bureau vide, avec pour décor et accrochées au mur, derrière lui, des fresques d’une Egypte exotique ou rêvée, et ses déclinaisons autant de fois qu’il y a d’étages.
Le film fait un clin d’œil à l’Histoire et nous mène dans le jeu du politique et de l’image présidentielle : Nasser se plaît à cultiver la proximité avec le peuple et à se présenter en homme d’action, inaugurant une école, un pont, un bâtiment public. Sadate prend le contre pied de cette image se laissant difficilement approcher, sauf en version héros, posture qu’il affectionne, et reprise par les égyptiens qui posent à leur tour dans les studios photos ; puis rappel de la mort en direct de ce Raïs, en 1981, à la tribune officielle, battant des records d’impopularité au regard de ses prises de position avec Israël.
Dans ce contexte, le photographe est vite indésirable et mal perçu, sa carte mémoire peut être confisquée le dépossédant de son travail, et les photos sont retouchées, les détournant de leur sens initial. Ainsi celle de Moubarak, - surnommé La vache qui rit en raison de son sourire figé et permanent - prise à la Maison Blanche qui, de dernier sur le tapis rouge devient, après retouche, premier, près du Président américain.
Dans les années 90 la censure est directe et le contrôle partout, certains sujets deviennent tabous et totalement interdits, pour exemple les soufis et mille autres sujets. Seule une image conforme à celle qu’impose Moubarak ou à celle qu’il prétend se faire de la population, devient présentable, le reste est oublié. Les problèmes de société, comme la pauvreté ou la guerre du pain, ne sont pas abordés. Censure et autocensure des journalistes et des photographes, fonctionnent. L’exode vers les Pays du Golfe commence, pour raison de survie, et tout est corruption.
En 2006, on ne parle pas du mouvement d’opposition naissant, et les médias ne sont jamais aux côtés des opprimés, ceux justement dont il faudrait parler.
En 2008, la police agresse physiquement des photographes, pendant des années l’image du pays est la même, glacée et officielle, qui dit que tout va bien. Les quartiers populaires eux-mêmes culpabilisent et refusent de montrer leur visage, leur image, pour ne pas faire, disent-ils, de tort à l’Egypte.
En 2011, pendant les dix-huit jours de la Révolution, le photojournaliste narrateur, sur son lit, fait le tri des photos apportées. Au silence des débuts, - aucune image de la Place Tahrir n’est éditée -, succède le mensonge des premières publiées, laissant à penser que le rassemblement serait pour Moubarak et détournant ainsi la vérité. La réalité pourtant se lit dans les hôpitaux qui se remplissent de blessés, puis par la solidarité qui se met en action et par les premières photos des manifestants, prises avec les téléphones portables, et diffusées en relais par tous les réseaux sociaux.
Après la chute de Moubarak, Al-Ahram cherche à se repositionner. Traditionnellement, on trouve le journal dans toutes les maisons, même dans les familles qui ne savent ni lire ni écrire - on compte en Egypte entre 50 à 60% d’analphabétisme -. Les images du film montrent les journaux sur tapis roulants, la mise en liasses et le ficelage, le chargement dans les camions et sur motos avec side-car. La peur des photographes et de l’objectif alors est dépassée, et l’image du peuple égyptien commence à se construire : « Nous commençons à découvrir qui nous sommes » dit le narrateur photographe, confession ou repentir de son propre rapport à l’image ?
Un débat animé par Guilhem Delteil de Radio France International, en présence du réalisateur Marouan Omara et en dialogue avec la salle, prolonge les thèmes évoqués dans le film : l’image et sa distorsion, aujourd’hui encore ; la liberté d’expression et la liberté de manifestation ; la problématique du photographe dans un pays non démocratique et la transformation-déformation de l’image face aux autorités qui imposent la leur, acceptable et visible ; la chaîne de la censure à laquelle tout le monde, finalement, appartient.
Marouan Omara, également photographe et producteur de séries documentaires et Johanna Domke, réalisatrice allemande qui a étudié les Beaux Arts au Danemark et en Suède, ont décidé de ne pas mettre de photos de la Révolution, ni de la Place Tahrir. Leur choix, d’étudier l’impact des images au cours de cette Révolution de 2011 en traversant les murs d’Al-Ahram, du bureau de direction au plus petit employé, fonctionne, entre mur de censure et mur du silence. A la question posée auprès de chaque personne rencontrée : « Qui décide de publier ou de ne pas publier ? » les réponses sont variées : « l’éditorialiste » dit l’un, « le chef du département photos » dit l’autre, « le directeur du journal » dit le troisième, « le secrétaire de Moubarak » dit le suivant. Cherchez l’erreur.
Crop a nécessité beaucoup de recherches, en amont au tournage, et une sélection rigoureuse d’informations permettant de poser un point de vue. Le travail s’est fait en deux temps : d’un côté, la bande son avec les entretiens, donnant une analyse de l’évolution historique et sociale ainsi que de la relation aux images ; de l’autre, l’image, qui suit le processus anachronique de la fabrication d’un journal.
« Tenir commerce des regards est une bien étrange boutique car on y échange à prix d’or des choses qui ne valent rien et l’on y offre pour rien le plus précieux des biens » reconnaît la philosophe Marie-Josée Mondzain, s’interrogeant sur le voir et le faire voir, et sur l’image comme objet de crise ; et c’est bien de l’interdit et des responsabilités dont traite ce film, dans les limites des figures politiques imposées.