Chronique d'Evariste
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Régionales : la gauche de la gauche part en ordre dispersé dans une certaine confusion

par Évariste
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29 mai 2005 : le Non de gauche fait 31,3% des voix. Bien plus que le Oui de gauche. La possibilité que le Non de gauche puisse passer dans une élection à deux tours devant les tenants du oui de gauche devient donc envisageable. Cela permettrait de créer de la perspective pour une avancée émancipatrice dans le champ politique. Deux possibilités s’ouvrent alors : soit entamer une stratégie à front large dans la gauche de la gauche à partir d’une recomposition de celle-ci soit courir devant l’illusion des comités unitaires anti-libéraux pratiquant le double consensus mortifère qui a l’inconvénient majeur de ne rien pouvoir trancher par la démocratie. C’est ce deuxième choix qui est fait. Le résultat est une bérézina pour la gauche de la gauche.

Interviennent alors deux éléments de recomposition : la création du NPA et la création du Parti de gauche. Puis la stratégie du Front de gauche est mise en mouvement autour du PCF et du Parti de gauche.

Arrivent les européennes. Bien que cette élection ait montré le fossé grandissant entre les couches populaires (ouvriers, employés) majoritaires dans le pays et la gauche dans son ensemble (PS, Europe écologie et gauche de la gauche), les résultats globaux de la gauche de la gauche sont meilleurs qu’à la présidentielle grâce à une petite percée dans les couches moyennes. Mais la confusion s’installe avec le ralliement de José Bové, chantre du non de gauche, aux sociaux-libéraux d’Europe écologie ! Et des communistes soutiennent José Bové contre la candidate des communistes !

On aurait pu croire que les régionales permettraient enfin à la gauche de la gauche de se mettre en action dans les meilleures conditions. Que nenni !

Le NPA choisit l’isolement hors de la stratégie du Front de gauche avec une direction affaiblie représentant un gros tiers des adhérents et donc obligé de composer soit avec ceux qui souhaitaient participer au Front de gauche, soit avec ceux pour qui la stratégie à front large est une trahison par nature (un petit tiers pour chacune des deux tendances). La direction a choisi l’alliance avec ceux qui ne souhaitent aucune alliance dans la gauche de la gauche. Triste conclusion provisoire.

Le PCF, quant à lui, a décidé de se présenter sur trois listes différentes. D’abord parce que le PCF devient un parti qui fédère des partis régionaux qui peuvent choisir des stratégies différentes. Triste décentralisation qui ne permet aucune cohérence d’ensemble. La grande majorité du PCF se présentera sur les listes du Front de gauche. Mais dans au moins cinq régions, le PCF se présentera sur les listes du PS et au moins en Ile-de–France, des élus communistes importants (au moins un maire et un vice-président de conseil général) seront également sur les listes d’Europe écologie. On peut toujours penser que cela procède d’une clarification mais dans ce cas, elle se fait dans une confusion encore plus grande que pour les européennes.

Le Parti de gauche reste entièrement sur la stratégie du Front de gauche mais va sans doute dans les régions ou le PCF va s’allier dès le premier tour avec le PS , se liguer avec d’autres forces y compris le NPA contre les élus communistes au premier tour pour les retrouver ensuite au deuxième tour en cas de dépassement des 5% nécessaires pour cela. Sans parler de la proposition du président du Parti de gauche de faire une alliance privilégiée avec Europe écologie entre les deux tours pour passer devant le PS avant la discussion de deuxième tour !

Bonne chance pour expliquer tout cela aux électeurs !

En fait, c’est toujours le PCF qui donne le “la” de la gauche de la gauche, car aucune autre organisation, y compris le Parti de gauche, n’est en position de peser suffisamment dans la gauche de la gauche. Alors quand le PCF montre le chemin de la confusion, l’image de la gauche de la gauche se brouille.

A ReSPUBLICA, qui a salué la création du Parti de gauche, création que nous jugions nécessaire pour engager la stratégie du Front de gauche, nous ne pouvons que déplorer cette confusion et cette division pour la mobilisation des régionales.

Alors que faire ?

Pour les élections, partout où ce sera possible, nous pensons qu’il faudra voter pour le Front de gauche. Quand ce ne sera pas possible, nous pensons qu’il faudra voter pour une liste du non de gauche.

Mais, cette prise de position n’est pas suffisante pour préparer l’avenir. Nous ne devons pas rester l’arme au pied, en attendant Godot ou de nouvelles incantations ! Nous devons préparer la clarification de la ligne stratégique dans une perspective à front large. Pour cela, nous appelons d’une part à constituer des équipes militantes avec comme principale activité l’éducation populaire tourné vers l’action par réunions publiques, stages de formation, universités populaires dans lesquels nous pouvons, suivant les sujets, vous proposer des orateurs. Les sujets importants que nous proposons sont :

  • Quelle perspective stratégique pour la gauche ?
  • Les sujets thématiques qui intéressent les couches populaires : chômage et précarité, santé et protection sociale, école, services publics et laïcité, citoyenneté et vivre ensemble, l’Europe, etc.

N’hésitez pas à nous faire part de votre point de vue en écrivant à evariste@gaucherepublicaine.org

Identité nationale
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Contre l'identité nationale Canada Dry

par Bernard Teper
Secrétaire National de l'Union des FAmilles Laïques
Portail des médias de l'UFAL : www.ufal.info

Source de l'article

Le « grand débat sur l’identité nationale » lancé le 2 novembre par Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Immigration, Eric Besson, fait couler beaucoup d’encre et commence même à diviser au sein de la majorité. Directement liée à la campagne électorale UMP des régionales de mars 2010, l’opération devrait durer jusqu’au « grand colloque de synthèse » du 4 février 2010. Le débat est animé par les préfets aux ordres et par les parlementaires UMP, ce qui devrait suffire à disqualifier cette manœuvre électorale.
Sur le site officiel, véritable site UMP bis, une vidéo d’Eric Besson justifie ce débat par l’objectif de « valoriser notre identité nationale », « valoriser la fierté d’être Français » et « concilier compétitivité et solidarité ». La direction bonaparto-libérale française vise à promotionner l’identité nationale française avec le même type de marketing que pour vendre une marque de lessive. La caricature est arrivée à son comble avec l’amalgame réalisée par le triste porte-parole de l’UMP, Frédéric Lefebvre,led26 octobre, entre ce débat et la chanson « Douce France » de Charles Trenet.
De plus, tout est fait pour détourner ce débat de ce qu’il devrait être. En utilisant le paradigme réactionnaire de la diversité contre l’égalité, il permet d’évincer du débat tout ce qui est constitutif d’une identité, à savoir les questions laïques, sociales, démocratiques et républicaines.
Qu’est que l’identité nationale ? L’expression « identité nationale » désigne le sentiment, ressenti par un ensemble de citoyens de faire partie d’une nation. Il est formé de l’ensemble des « points communs » entre ceux-ci. C’est donc un concept culturel qui ne peut pas ne pas s’appuyer sur la réalité de la vie dans la dite nation. Un concept qui se construit dans la vie de tous les jours, il se constate et mais ne vient pas d’ailleurs comme une vérité révélée. La grande Révolution française donnait la nationalité française à qui voulait défendre les idéaux de la dite révolution française comme dans l’armée française victorieuse à Valmy le 20 septembre 1792. Le gouvernement de 1944 issu du Conseil national de la Résistance facilita l’entrée dans la nation de nombreux immigrés par l’application d’un droit du sol républicain. Nous n’aurons pas l’outrecuidance de pousser plus loin ces rappels historiques tellement la nation française aujourd’hui est tout sauf républicaine. Car le problème est bien là. L’identité française s’est construite pour beaucoup dans les luttes laïques, démocratiques, sociales et républicaines. Pour beaucoup et en tout cas pour la majorité des couches populaires (ouvriers, employés) majoritaires dans ce pays, il ne peut pas y avoir d’identité nationale sans référence sérieuse aux principes laïques et républicains.
L’identité nationale française s’est construite sur plusieurs siècles autour des luttes qui ont abouti à l’application plus ou moins aboutie des principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de démocratie, de solidarité, de sûreté, de souveraineté populaire et aujourd’hui de développement écologique. L’identité nationale française s’est construite sur un paradigme républicain qui organise le vivre ensemble selon un triptyque Etat, société civile et corps politique des citoyens. La société civile devant avoir une autonomie par rapport à l’Etat, le corps politique des citoyens devant être autonome par rapport à l’Etat tout en nommant les responsables de l’Etat. On en est bien loin. Depuis de nombreuses décennies, les forces économiques et politiques dominantes ont petit à petit détruit cette identité nationale française jusqu’à produire une sorte de Canada Dry de cette identité, qui ne sert aujourd’hui qu’à courir derrière l’extrême droite à des fins électorales et à conforter la grande bourgeoisie néolibérale. Celle-ci se bat pour conserver son pouvoir au sein de la nouvelle phase du capitalisme (que nous appelons le turbocapitalisme ) : maintien de la déformation du partage des richesses au profit des profits supprimant la possibilité de répondre aux besoins sociaux, suppression du principe de solidarité par le processus de marchandisation et de privatisation de toutes les activités humaines et donc des services publics et de la protection sociale solidaire, suppression du principe de laïcité par l’alliance des néolibéraux avec les communautarismes et intégrismes ethniques et religieux, suppression du principe de la souveraineté populaire en organisant le recul de la démocratie (29 mai 2005 et diminution des pouvoirs des élus du peuple au profit des hauts fonctionnaires nommés, etc.), suppression de l’aspiration au principe d’égalité en organisant l’accroissement des inégalités sociales y compris de santé, décroissance de l’autonomie du corps politique des citoyens par la construction d’une école anti-républicaine n’ayant pas pour objectif de faire de chaque élève une liberté constituée, etc.
En fait, il n’y a plus d’identité nationale française à cause de la crise économique et politique actuelle due aux politiques néolibérales. Cette identité nationale est donc à reconstruire. Pour nous, gauche internationaliste, laïque et sociale, cela ne peut s’effectuer que par la résistance aux politiques néolibérales, communautaristes et intégristes, et par la lutte pour la construction d’un nouvel ordre international pour promouvoir l’ensemble des principes laïques, sociaux et républicains notés dans cet article. Notre action sera entièrement liée à cet objectif avec tous ceux qui nous rejoindront.

Annexe : commentaire de Marie Perret, Secrétaire nationale de l’UFAL

Ce texte montre qu’il y en effet une relation de cause à effet entre la destruction d’un modèle politique (dont la traduction dans les institutions d’une part et dans le droit d’autre part a nécessité une révolution ainsi qu’un combat qui s’est déroulé pendant deux siècles, notamment à travers des luttes sociales) et l’instrumentalisation de la question de l’identité nationale par un gouvernement qui est en train de parachever cette destruction. Ce qu’on appelle “modèle républicain” est devenu un mot vide, puisque les politiques néolibérales l’ont vidé de toute substance. Comment insuffler un supplément d’âme à un mot vide, c’est-à-dire à un signifiant qui a perdu son point d’ancrage dans le réel ? Comment faire en sorte qu’il trouve un écho dans l’imaginaire collectif ? Par la publicité, qui est au fond l’art de conférer à des mots dépourvus de toute consistance symbolique un poids imaginaire.
Le problème est que le peuple français est encore très attaché au modèle républicain. Cela, Sarkozy l’a bien compris. Nous sommes dans une situation exactement inverse à celle que les républicains de la IIIe République ont dû affronter. A la fin du XIXe siècle, l’Etat était républicain, mais la société était majoritairement antirépublicaine. Il fallait donc républicaniser la société. La solution consistait alors à créer une bourgeoisie républicaine (dont le noyau dur était le corps professoral) à qui l’on a confié la mission de républicaniser la société. Cela ne s’est pas fait sans difficultés. Mais l’opération a finalement marché. Le traumatisme de Vichy a, dans cette optique, été salutaire : la société française a pu mesurer les conséquences du maurassisme et d’une conception ethnique du peuple. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les conditions étaient réunies pour qu’une alliance entre la droite catholique nationale et les communistes soit possible, ce qui a permis l’instauration de droits-créances (la République sociale). Le paradoxe est aujourd’hui inversé : la société est devenue majoritairement républicaine, mais l’Etat n’est plus républicain. Le politique n’a donc plus les moyens de garantir la concorde républicaine : les inégalités se creusent au point que le corps social est menacé de délitement. La solution consiste en l’occurrence à produire un substitut imaginaire à un modèle qui n’existe plus.
Le mécanisme est le même que celui que Lacan a mis en évidence à travers sa théorie du stade du miroir : entre 18 et 22 mois, le corps infantile n’a pas encore conquis son unité (c’est encore un corps morcelé). En s’identifiant à l’image que lui renvoie le miroir, il conquiert le sentiment imaginaire d’une “assise unaire du corps”. A travers le débat sur l’identité nationale, le gouvernement tend au peuple français un miroir qui rendra possible cette captation imaginaire. C’est là un moyen de produire l’assise unitaire du corps social !

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Ils sont fous ces Romains !

par Caroline Fourest

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La mondialisation a quelque chose de vertigineux. Pour trier dans cette immensité, la tentation est grande de se raccrocher à ce qui nous ressemble plutôt qu’à ce qui nous rassemble : l’identité et non les idées. La peur de l’uniformisation favorise paradoxalement le repli identitaire, qu’il soit communautaire, culturel, religieux, régional ou national. Face à ces crispations, qui s’entrechoquent, il existe deux tentations : celle de laisser “filer” le lien social et celle de recoudre la société avec un corset.

Un certain angélisme multiculturaliste voudrait croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’inflation de demandes particularistes au nom du religieux ne poserait aucun problème. Dans certains pays, l’invocation de la culture ou de la religion permet même d’obtenir des passe-droits. Une femme en voile intégral a le droit de faire ses courses masquée alors qu’une femme en cagoule serait arrêtée.

Au Canada, un patient juif a été soigné en priorité aux urgences pour lui permettre d’être rentré avant shabbat, alors qu’un fan de “Stargate” n’aurait jamais obtenu pareille faveur pour ne pas rater sa série favorite. En Grande-Bretagne, les sikhs ont le droit de conduire une moto sans casque pour porter le turban, alors que des bikers en bandana récolteraient une amende. Aux États-Unis, les Américains d’origine amérindienne peuvent consommer des substances hallucinogènes traditionnelles, alors que de nombreux fumeurs de cannabis sont arrêtés au titre des lois antidrogues… Ces passe-droits n’ont l’air de rien. Mis bout à bout, ils défont l’égalité et l’universalité.

Usés par des débats sans fin sur comment “accommoder” ou interdire ces demandes insolites, les peuples perdent patience. Il devient facile de leur expliquer que tous les maux viennent d’une seule religion, l’islam, et non de l’intégrisme. Qu’il suffirait de stopper l’immigration pour sauver l’identité nationale… alors que des converties aux yeux bleus portent le niqab et que des Algériennes ont immigré en France pour ne pas porter le voile.

Qu’importe ces subtilités. Les plus hautes autorités suggèrent de se replier sur l’identité nationale pour répondre au repli communautariste. L’islam serait la religion des “accueillis” et n’aurait qu’à se faire discret pour ne pas choquer ceux qui “accueillent”. Tout sonne faux dans le récit qu’on nous propose. L’islam devient une religion exogène du seul fait de l’antériorité judéo-chrétienne. Et la France se voit redéfinie par ses racines religieuses davantage que par ses lois laïques, comme si Clovis l’avait emporté sur la Révolution française. N’était-ce pas, déjà, le propos risqué du président à Saint-Jean-de-Latran ?

On croit également reconnaître un slogan à la mode : “A Rome, fais comme les Romains.” Tant pis si l’intégrisme est un phénomène politique et non culturel. S’il séduit certains Gaulois et révulse d’autres musulmans, tout aussi “Romains” que les autres. Subtilités d’intellectuels, on vous dit…

Comment ne pas conforter la surenchère avec de tels arguments ? Déjà, Marine Le Pen nous explique que la solution ne réside pas seulement dans l’identité nationale mais l’identité française voulue par le FN. Comme si l’intégrisme catholique et le nationalisme étaient la réponse au communautarisme musulman… Comme si on pouvait résoudre la crise du multiculturalisme en revenant au monoculturalisme !

Heureusement, il existe une alternative à ces deux tentations. Accepter de reconnaître que ce défi est politique et non culturel. Ne pas y répondre par l’identité mais par l’idéal : l’humanisme laïque et universaliste. Retrouver le chemin d’un modèle français qui combat les inégalités et renforce la citoyenneté. Continuer à faire de la laïcité le coeur de ce nouveau pacte citoyen. En un mot : ne pas appeler à faire comme chez les “Romains”, mais résister à tous ceux qui voudraient nous ramener soit à l’âge de la pierre, soit à celui de l’Empire romain.

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Il faut interdire le voile intégral

par Hakim Arabdiou

Les membres de la Commission parlementaire sur le port du voile intégral ont enfin compris que l’on ne pouvait pas l’interdire au nom de la laïcité. Cet ordre institutionnel garantit dans la sphère privée la liberté de conscience, dont le libre exercice des cultes et des particularismes, y compris les plus rétrogrades tels que le hidjab intégral, qui n’a au demeurant aucun fondement religieux.

C’est pourquoi il faut recourir à un autre dispositif, si l’on veut interdire cet uniforme politique.

Il s’agit du principe du respect de l’ordre public, dans son volet relatif à la sécurité. Toute personne circulant sur notre territoire doit être identifiable en permanence. Il faut néanmoins préciser le terme « identifiable », dans la formulation d’une éventuelle loi protégeant les victimes musulmanes de cette pratique sectaire des islamistes, car ils auraient vite fait de la vider de 90% de sa substance.

Interrogée à ce propos par le site islamiste oumma.com, une chrétienne convertie à l’islamisme, et qui porte le niqab depuis vingt ans, a répondu : « Quand je suis face à un agent de l’administration, si c’est nécessaire je soulève mon voile […] il faut savoir faire preuve de souplesse et de politesse. »1

Car nous devons nous assurer que celui qui circule sous le voile intégral n’est pas un criminel en cavale ou un terroriste se dirigeant tranquillement vers sa cible. Il y a une année, la presse algérienne avait relaté le cas d’un couple de malfaiteurs, vêtu du voile intégral, qui avait réussi, dans un pays pourtant quadrillé par les forces de sécurité contre l’islamoterrorisme, à parcourir plus de soixante kilomètres en taxi pour attaquer une bijouterie.

L’objet de la loi doit-il viser nommément le voile intégral ? Ou le viser implicitement, mais non moins efficacement, par l’exigence de circuler le « visage découvert » (sauf période de carnaval, etc.) dans l’espace public, a fortiori dans la sphère publique ? Cette dernière formulation a l’avantage, au moment où l’on déplore l’inflammation des lois en France, de réprimer d’autres pratiques de même type, par une seule et même loi. Il s’agit par exemple de ces fascistes qui se masquent le visage, puis infiltrent les manifestants de gauche en vue de s’adonner à des destructions, ainsi qu’à la violence contre les forces de l’ordre et la population locale.

Autre avantage à ne pas négliger : cette seconde mouture compliquera la campagne de désinformation des islamistes et de leur marche-pied au sein de la gauche contre la promulgation d’une telle loi. Ceux-ci, comme à leur habitude, tentent déjà d’instrumentaliser la musulmanophobie, pour faire croire aux musulmans de France que cette loi les stigmatise en tant que tels, alors même qu’elle les protège, et protège leur religion des manipulations politiques de la part aussi bien des islamistes que des racistes.

Ce n’est un secret pour personne que les uns et les autres essaient séparément, mais de manière convergente, d’empêcher par tous les moyens l’accès à la citoyenneté des musulmans de France et d’Europe ; objectif dont s’est rendu complice depuis longtemps une frange des militants de gauche et de féministes.

Ce sont les mêmes, pour la plupart, qui s’étaient opposés, avec l’acharnement que l’on sait, à la loi du 15 mars 2004, prohibant les signes religieux à l’école publique et laïque, et qui prennent en toute occasion fait et cause contre les musulmans, en particulier les musulmanes, dès lors qu’il s’agit des islamistes.

L’opposition à une loi contre le hidjab intégral revient à prôner de fait — l’impunité — aux bourreaux des femmes musulmanes pour qu’ils continuent à sévir, en toute légalité.

Les complices des islamistes au sein de la gauche devraient méditer ces propos prononcés en 1848 par l’abbé Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »2

Comme pour la loi du 15 mars 2004, une éventuelle loi interdisant l’infâme voile intégral — pour des raisons de sécurité (surtout dans la seconde version) — ne manquera pas de recueillir une adhésion encore plus grande des familles musulmanes.

On le sait, la loi du 15 mars 2004 a armé les parents musulmans contre les islamistes, les islamogauchistes et les chaînes satellitaires arabes, telles que El-Djazira, qui intoxiquent leurs enfants, par le biais notamment des conférences hebdomadaires du millionnaire intégriste misogyne et bigame égyptien, Youssef Qaradhaoui. Au besoin, les jeunes musulmanes se prévalent aussi de cette loi pour refuser de porter cet accoutrement qui porte atteinte à leur féminité et face aux pressions des intégristes musulmans et leurs instruments dociles et des voyous.

Certains, à l’annonce de la mise sur pieds de la mission parlementaire sur le voile, avaient trouvé absurde qu’on veuille interdire le voile intégral, mais pas les autres formes de voiles islamistes, sous prétexte que les divers hidjabs revêtent la même signification. S’il n’existe pas de différence de nature entre ces voiles, il existe néanmoins entre eux une différence de degrés. Et c’est cette différence, dans le cas du voile intégral, qui le fait tomber sous le coup de la loi ; loi, non pas de la laïcité, comme ils le déplorent également par ignorance, mais celle du droit commun.

Le hidjab sous toutes ses formes est, rappelons-le également, l’uniforme politique aussi bien de la droite conservatrice, que de l’extrême droite et des fascistes musulmans.

De même que la mise en avant de l’« atteinte à la dignité humaine » et/ou à l’ « égalité homme-femme » pour justifier une telle loi permettra aux intégristes et à leurs fantassins au sein de la gauche d’hurler à la stigmatisation des musulmans, comme ils ont commencé à le faire. Ils auraient d’ailleurs vite fait d’évoquer une longue liste de discriminations que les pouvoirs publics n’ont pas interdits. Ils citeront alors les intégristes juives à qui ont fait raser le crâne, les ecclésiastiques chrétiens à qui on a imposé des prescriptions aussi inhumaines que le célibat et l’abstinence sexuelle, etc.

  1. “Vingt ans de vie de femme avec un niqab” : http://oumma.com/Vingt-ans-de-vie-de-femme-avec-un []
  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Lacordaire []
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Le maquis des honoraires médicaux. L’omerta administrative

par Raymond MARI

Une pétition sur les dépassements d’honoraire a été lancée par l’UFAL : retrouvez l’ensemble des informations sur le site dédié. NDR

L’inégalité devant le service public de la santé

A quoi sommes nous confrontés lorsque nous sommes malades ? En tant que consommateurs, hormis notre faible visibilité sur les compétences des professionnels de santé et celles des structures de soins, selon notre implantation sur le territoire, nous connaissons des situations très différentes pour consulter le médecin. L’offre est pléthorique à Paris, importante dans les départements du sud, faible en revanche dans les régions du centre ou du nord, ou, par exemple, en Seine Saint Denis.

Un autre handicap, et pas des moindres, concerne la charge financière des soins. Si le recours à l’hôpital public n’implique qu’une participation modérée (à condition de ne pas choisir l’activité privée d’un praticien hospitalier), les cabinets médicaux ou les structures de soins libéraux peuvent entraîner des dépenses considérables non prise en charge par la Sécurité sociale ou les assurances complémentaires pour ceux qui en disposent.

En ce qui concerne les médecins qui exercent une activité privée, qu’elle soit dans une structure ou en cabinet, les pratiques financières sont différentes selon le statut pour lequel les praticiens ont opté au sein d’une convention à laquelle la sécurité sociale les invite à adhérer. Très peu exercent en dehors du cadre conventionnel (moins de 0,5% pour les spécialistes, moins de 1,5% pour les généralistes).

Les médecins conventionnés se répartissent en deux principales catégories : Ceux qui facturent des honoraires conventionnels (base du remboursement par la Sécu) et les autres qui disposent du droit à pratiquer des honoraires différents (et non « libres » comme on a coutume de le dire).

Les prix flambent pour les actes médicaux

Les premiers ne peuvent dépasser les tarifs qu’exceptionnellement lorsqu’un malade démontre une exigence particulière et, pour tout dire, exorbitante. Pour déterminer leurs honoraires, les seconds doivent respecter une règle qu’énonce le code de Sécurité Sociale et que reprennent le code de déontologie médicale et la convention médicale : ils sont tenus de respecter « le tact et la mesure », c’est-à-dire, d’adapter leurs exigences aux moyens financiers de leurs patients, ce qui exclut le systématisme et l’excès.

Les disparités que nous signalions dans la répartition des médecins sur le territoire se constatent également dans la distribution des praticiens respectant ou non les tarifs de remboursement. A titre d’exemple on comparera ci-dessous la répartition nationale avec celle de Paris, record de France en matière d’honoraires « libres ».

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Les moyennes présentées ci-dessus dissimulent des différences entre les spécialités : par exemple 82% des urologues disposent du droit à dépassement pour seulement 4% des néphrologues.

Au sein de chaque spécialité, l’éventail des dépassements est considérable avec, à l’extrême, des exigences financières qui font frémir : 630% à la « pointe » de la chirurgie, 515% chez les urologues, ou 476% chez les pneumologues pour ne citer que quelques chiffres.

Il faut souligner que la densité des spécialistes dans une région entraîne une élévation des pratiques tarifaires. Ainsi, à Paris, pour les gynécologues, les chirurgiens et les ophtalmologues, les taux moyens de dépassements atteignent respectivement 121%, 120% et 99%, ce qui est très supérieur à la moyenne métropolitaine.

Pour en terminer sur ces constats qui donnent le vertige, citons quelques chiffres relevés dans la catégorie des praticiens hospitaliers temps plein disposant d’une consultation privée et exerçant en secteur 2 à Paris : La fréquence des dépassements est de 99,4% et le taux moyen est de 366,5%… !

Pourtant, des règles existent pour maîtriser les prix

Comme nous l’évoquions ci-dessus, la quasi-totalité des médecins ont volontairement adhérés à une convention qui sur le plan des honoraires fixe la règle (application stricte des tarifs conventionnels en secteur 1) ou rappelle des dispositions législatives (observance du tact et de la mesure). Le contrat souscrit par les professionnels prévoit bien entendu des sanctions lorsque l’accord n’est pas respecté.

Ce sont les organismes de sécurité sociale qui ont la mission d’intervenir en la matière. A cet effet, ils disposent d’une information exhaustive sur les pratiques financières des praticiens. L’exploitation informatique de la saisie des prestations fait un bilan extrêmement précis des situations individuelles comparées aux moyennes du groupe ou de la spécialité.

Lorsque les caisses constatent des anomalies, elles doivent en aviser le médecin. Si celui-ci ne modifie pas ses comportements, le dossier est communiqué à une commission paritaire (composée de représentants des syndicats professionnels et de conseillers représentants les assurés de la caisse) qui, après les étapes d’une procédures, émet un avis à l’attention des autorités administratives qui décident d’éventuelles sanctions.

Ces sanctions pourraient être dissuasives : Elles vont de la suspension du droit à dépassements à la mise hors convention pendant une période variable en passant par la suspension de la participation de l’assurance maladie à la prise en charge des cotisations sociales.

Mais, constate le citoyen ébahi, dans ces conditions, comment expliquer les invraisemblables excès relevés précédemment… !?

L’étrange inertie des structures chargées du contrôle des prix

Et bien, il est clair que l’action des caisses dans le domaine essentiel des prix des prestations sanitaires est quasiment nulle. Que dit l’Inspection Générale des Affaires Sociales avec des euphémismes « convenables » dans son rapport d’avril 2007 : La CNAMTS devrait assurer le suivi des dépassements : « ce travail n’a semble-t-il pas été mené ou rendu public à ce jour ». « les contrôles de la CNAMTS restent pour l’instant très limités » « Les actions des caisses sont très hétérogènes ». On pourrait également citer la Cour des Comptes dans un constat féroce précédent sur la gestion du risque des caisses. Elle dénonçait les « abus et mésusages » des professionnels pour souligner que « contrairement à une idée reçue, les fraudes des assurés à l’assurance maladie sont limitées », alors que les abus des premiers sont « insuffisamment sanctionnés ». La Cour précisait que « …les sanctions constituent l’un des éléments nécessaires dans l’ensemble d’actions qui seul peut permettre d’infléchir de manière significative les comportements abusifs et les mésusages. Cet élément à jusqu’ici largement fait défaut ».

On voit que la justice est sélective, En effet, à l’heure de la tolérance zéro concernant les infractions même limitées aux limitations de vitesse pour le commun des mortels, le système de production des soins ambulatoires est étonnant : les producteurs (médecins) sont face à une collectivité qui finance une grande part des puissants véhicules qu’ils pilotent (ce sont eux qui ordonnancent les dépenses de la collectivité). Cette collectivité a fixé des limites (l’application stricte des tarifs en secteur 1 ou le tact et la mesure dans les secteurs de liberté tarifaire). La connaissance de la vitesse est exhaustive (l’exploitation informatique du remboursement des actes citée plus haut). Mais la police regarde ailleurs… ! Qui résisterait dans ces conditions au plaisir de la vitesse (le revenu du pilote). Tant pis pour les morts !

Devant cette situation, les arguments que l’on oppose sont assez ahurissants : La thèse du Conseil de l’Ordre des médecins agrémente la notion de tact et de mesure de toute une série de circonstances (les conditions de l’acte, etc…) qui rendent ce concept encore plus abstrait, alors que cette juridiction pourrait sanctionner les déviants (Art. L 145-1 du code SS) et même prononcer le remboursement du trop perçu au malade (Art. L 145-2). On entend des responsables de caisses primaires prétendre qu’il ne doit pas y avoir de problème car, disent-ils, il n’y a quasiment aucune réclamation des assurés et, qu’après tout, les dépassements n’ont pas d’incidence sur les dépenses de l’assurance maladie. En ce qui concerne les malades, l’analyse du rapport entre le patient et le praticien et l’objet du « colloque singulier » (la santé) qu’ils entretiennent entraîne pour le premier une subordination difficile à surmonter. Quant à l’attitude des responsables administratifs qui osent de tels raisonnements, on peut parler de cynisme ou d’aveuglement.

Mais que penser de l’inertie des représentants des assurés sociaux siégeant au sein des Conseils des caisses, qui, même privés d’une grande part de leurs pouvoirs par la réforme « Douste-Blazy » conservent celui d’interpeller, voire, de dénoncer les carences des services administratifs ? (On a noté qu’ils sont présents dans la commission paritaire qui examine les abus en matière de fixation des honoraires - Encore faut-il leur soumettre des infractions).

Un laxisme qui entraîne une grave régression du droit à la santé

Si l’on ajoute à ce triste constat, la méconnaissance des citoyens sur les éléments qui pourraient éclairer les pratiques financières des médecins (l’invraisemblable complexité de la nomenclature des actes professionnels que le Conseil de l’Ordre avait qualifié de « labyrinthe »), la mauvaise volonté des praticiens à respecter leurs obligations en ce qui concerne l’affichage de leurs honoraires et une faible contribution de la Sécurité Sociale, même quelque peu améliorée ces dernières années, pour l’information de ses assurés, on disposera de quelques solides éléments pour comprendre ce qui génère l’inflation des honoraires médicaux.

Tout cela concourt à dégrader progressivement les intentions du législateur en 1945 d’instaurer une protection sociale solidaire égalisant relativement les chances des citoyens devant ce qui leur est le plus cher : La Santé.

Les dernières atteintes à ce principe sont récentes avec la mise en oeuvre d’une nouvelle extension de la liberté tarifaire (le secteur optionnel) dont nous avons décrit la perversité. La volonté gouvernementale est limpide : transférer les dépenses de santé de la solidarité collective vers la prévoyance individuelle privée.

En aucun cas, notre analyse n’est destinée à faire la promotion d’un système de rémunération des soins (à l’acte) tel qu’il existe. Au contraire, nous pensons qu’il faudrait rompre avec cette escalade à la quantité d’actes et à leurs prix. Les rémunérations forfaitaires sur des critères de clientèle par exemple avantageraient à la fois malades et médecins et élimineraient les sanctions indispensables pour moraliser le système actuel.

En attendant une réforme aussi fondamentale que nécessaire à laquelle s’oppose farouchement bon nombre d’acteurs, les syndicats de médecins en premier lieu, comment expliquer, comment justifier, que le quasi service public qu’est l’assurance maladie n’applique pas la loi et ne joue pas son rôle de protection des malades… !?

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Un féminisme non interventionniste face à l’extrémisme religieux

par Micheline Carrier

Source de l'article

Ce texte est la deuxième partie de l’article “Un féminisme gangrené par le relativisme” publié dans le numéro 630 de ReSPUBLICA.

Aux résistantes de tous les horizons.

Avant la récente vague de fondamentalisme religieux dans le monde, très peu de Québécoises musulmanes portaient un foulard islamique dans les lieux publics. Il aurait été étonnant que la montée de l’islamisme politique dans certains pays musulmans n’exerce aucune influence sur la diaspora. Combien de femmes et d’adolescentes porteraient le foulard si elles ne subissaient pas les pressions de leur milieu ? Des extrémistes religieux, qui sont loin de représenter la communauté musulsane du Québec et du Canada mais n’en jouissent pas moins d’une grande influence dans les domaines privé et public, encouragent à se servir du foulard islamique comme symbole identitaire. Ils se fabriquent ainsi un prétexte pour taxer de racisme les éventuels critiques : « Quand vous critiquez le fait que je porte le voile ou le hijab, vous m’attaquez en tant que musulmane, donc vous êtes raciste. » Celles qui ne le portent pas sont-elles moins musulmanes ?

Des gens s’exclament : « On ne les oblige tout de même pas à le porter, ce voile ! » Certes, pas toutes.

« Sûrement que, contrairement à d’autres contextes où l’on oblige ces femmes à le porter, c’est vrai dans un contexte canadien, c’est-à-dire de société démocratique, dit une internaute québécoise musulmane. Je suis tentée de vous dire que la définition même de l’aliénation, c’est d’en être consentant(e) ! Ces femmes ont raison de vous dire que le voile est dicté par dieu. C’est normal, c’est dans le Coran ! C’est là qu’intervient la nécessité d’être vigilant. Il ne s’agit pas de prendre un fouet et de fouetter ces pauvres femmes, ou de leur mettre une étoile verte sur le costume. À titre individuel, il n y a pas d’autres choix que de les respecter dans leur… choix consentant ! « Mais à titre collectif, ma foi, il est temps d’affûter ses arguments et d’oser s’attaquer à l’essentiel, c’est-à-dire les idées. Le voile n’est pas un simple habit : c’est un étendard idéologique. Derrière le voile se cache non pas une violence physique (la plupart des voilées d’ici ne sont pas sujettes à des violences physiques, bien au contraire), mais une violence symbolique. »

Il existe bien des manières d’influencer la liberté d’autrui. Menacer et manipuler la vérité sont parmi les plus fréquemment employées. L’automne dernier, le site du Centre communautaire musulman de Montréal — ce Centre où s’entraînaient les petites filles de 8 a 12 ans (l’âge des grands choix “libres“, n’est-ce pas ?) qui ont fait les manchettes au Québec parce qu’“elles voulaient“ porter le hijab lors de compétitions de Tae Kwan Do1 — a publié un article menaçant les femmes musulmanes qui ne portent pas le foulard islamique : « Ne pas porter le hijab peut entraîner “des cas de divorce, d’adultère, de viol et d’enfants illégitimes“, disait l’avertissement pour le moins ahurissant. On y disait aussi que celle qui enlève son voile voit sa “foi détruite“, adopte un “comportement indécent“ et sera punie en “enfer“. On y traitait aussi la femme occidentale de “prostituée non payée“ ». 2

Combien de discours semblables avait entendu dans des mosquées, ou lu sur des sites, le père ontarien qui a tué sa fille de 16 ans, Aqsa Parvez, rebelle aux règles islamiques (dont le port du hijab) ? Parce qu’elle souhaitait s’intégrer à la société canadienne et à son milieu scolaire, cette adolescente avait antérieurement quitté sa famille qui voulait l’en empêcher. On a essayé de faire croire que ce meurtre n’était qu’un crime familial comme il y en a tant au pays, sans connotation religieuse ni politique. Les groupes féministes, une fois encore, même ceux qui militent contre la violence envers les femmes, se sont montrés plutôt discrets sur ce crime et sa signification. Il faut peut-être se demander dans quelle mesure l’autocensure engendrée par le relativisme culturel restreint les luttes des femmes.

Quoiqu’on essaie parfois de le faire croire, le discours sur le foulard islamique n’a rien à voir avec la liberté de religion. Porter ou non ce foulard relève de croyances, et les croyances ne sont pas à l’abri des critiques. « Tolérer ne veut pas dire se taire ». 3  Quand des hommes, au nom d’une religion créée par eux et qu’ils se disent les seuls à pouvoir interpréter, imposent ce symbole de soumission aux femmes, et à elles seules, c’est faire l’autruche d’agir comme si cet acte n’avait aucune portée particulière. Des féministes devraient être capables de dénoncer ce sexisme sans craindre d’être accusées d’intolérance.

Des organisations féministes peuvent prétendre défendre les droits de “toutes les femmes“ dans le respect de la diversité, en s’abstenant de critiquer des symboles politico-religieux réservés aux seules femmes musulmanes. Il me semble que cette attitude n’aide en rien celles qui y résistent ou voudraient y résister. En acceptant la différence des droits au nom de traditions culturelles ou religieuses, ces organisations collaborent d’une certaine façon à la marginalisation et à l’instrumentalisation de ces femmes à des fins idéologiques.

Un silence troublant

Des musulman(es) progressistes admettent que des traditions archaïques et discriminatoires pèsent lourdement sur les femmes et les adolescentes de leur communauté, mais ce n’est pas dans les médias du Québec que ces progressistes s’expriment habituellement. Certain(es) disent connaître plusieurs adolescentes qui doivent se battre, comme Aqsa Parvez, pour leur liberté. Les mariages forcés ne sont pas rares au sein de la communauté musulmane canadienne, selon une femme qui a refusé un mariage qu’on voulait lui imposer, il y a 20 ans, et qui en a payé le prix, dont la mise à l’écart de sa communauté (facteur qui influe sur le “choix“). Un professeur à la retraite déclare connaître « au moins 9 familles dont les filles ont dû se débattre comme Aqsa avec une double vie, arrivant au collège vêtue des traditionnels hijab et vêtements amples, avant de se changer dans les toilettes et d’en émerger en jeans serrés, avec la chevelure dénouée. Lorsque trois des pères ont découvert le pot aux roses, leurs filles furent rapidement mariées à des hommes du Pakistan qu’elles n’avaient jamais rencontrés : les cérémonies religieuses de mariage se déroulèrent au téléphone ! » 4 . Leur communauté évite d’en parler afin ne pas accroître les sentiments islamophobes… Si on ajoute à ce silence le non-interventionnisme du reste de la société, les extrémistes islamistes ont la voie libre tandis que les femmes qui voudraient leur échapper se retrouvent seules.

Ces musulman(es) progressistes déplorent que trop peu d’entre eux dénoncent ces extrémistes. Ce silence relatif est troublant, car il indique la force réelle de l’intégrisme qui réussit par la peur à imposer ses règles du jeu. Les intégristes religieux savent aussi tirer profit du relativisme culturel et religieux. Des femmes et des hommes musulmans ont quitté des fonctions en vue au sein de leur communauté à la suite de menaces de mort lancées contre eux et leur famille. « Pour des raisons de sécurité », une intellectuelle musulmane canadienne nous a demandé de retirer son nom d’un communiqué annonçant sur Sisyphe une conférence à laquelle elle avait participé quelques mois plus tôt. Le fait que des individus ou des groupes se sentent à l’aise d’intimider autrui et même de menacer leur vie, dans un pays qui se prétend à la fine pointe de la défense des droits fondamentaux, donne la mesure de la complaisance dont ils se savent gratifiés.

Le syndrome de l’accommodement : tout le monde est féministe !

Une sorte de démission face à la complexité et à la difficulté des luttes à mener incite des femmes et des groupes à essayer d’accommoder le féminisme à toutes les sauces. Le féminisme est presque devenu une sorte d’auberge espagnole. On voit du féminisme dans n’importe quoi et n’importe qui peut se dire féministe. On devrait la ou le croire du moment qu’elle ou il le dit. Qui sommes-nous pour en douter ? Dans les années 1970, Playboy affirmait aussi servir la cause féministe en favorisant la libération sexuelle des femmes… Un tel brouillage sert parfois à masquer les hésitations et les craintes face aux religions ou aux groupes extrémistes. Ce “syndrome de l’accommodement“ se développe dans des circonstances où l’on imagine l’adversaire invincible. On préfère se replier, se taire et collaborer au lieu de l’affronter.

Quelques femmes ainsi que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) ont déclaré devant la Commission Bouchard-Taylor qu’on peut être féministe et porter le voile islamique. C’est peut-être le cas pour certaines et, sans doute, la FFQ ne voulait-elle exclure personne. Mais sur quelles bases une telle affirmation s’appuie-t-elle ? Les Québécoises musulmanes qui portent le voile et ceux qui les incitent à le porter sont-elles/ils favorables à la mixité dans les institutions et les lieux publics ? À la liberté sexuelle des femmes ? Au droit à la contraception et à l’avortement ? Aux droits des lesbiennes et des homosexuels ? À l’égalité des conjoints et au divorce ? À la liberté d’une femme musulmane de choisir son conjoint, sa carrière, ses engagements politiques, sociaux ou religieux ? Peuvent-elles s’opposer à la polygamie et au mariage arrangé ? Reconnaissent-elles dans les faits l’égalité sociale, juridique, politique et économique des femmes et des hommes ? Bref, sont-elles et sont-ils favorables à la liberté et à l’égalité des femmes ? Si oui, comment concilient-elles cette profession de foi féministe et l’adhésion à des codes religieux et culturels qui nient tout cela ? Si la communauté musulmane traite hommes et femmes également — le principe d’égalité est défendu par les féministes de toutes tendances —, quel est l’équivalent du voile pour les hommes ? Quelle forme de marquage infériorisant leur impose-t-on, à eux, prétendûment au nom de la religion ?

On s’insurge contre des femmes qui voient un symbole de soumission dans le foulard islamique ou la burqa. À la lumière du relativisme qui tend à tout niveler, on leur reproche de juger.

« Mais bien sûr qu’il n’y aura pas de femme voilée pour venir dire qu’elle le porte en guise de soumission, commente l’internaute musulmane citée plus haut. Du moins, surtout pas parmi les militantes islamistes. Elles ont même réussi à s’approprier le discours féministe occidental et à l’adapter à leur idéologie. […] Il s’agit d’une ruse, une escroquerie intellectuelle que les islamistes manient très bien pour détourner le débat sur l’essentiel, à savoir que le voile reste un signe de discrimination et de minorisation des femmes. Elles ont réussi à développer tout une rhétorique autour du voile en empruntant à l’Occident les notions de liberté et de libre-arbitre. Mais laissez-moi vous dire que là où le contexte socio-politique et culturel s’y prête, les femmes voilées sont les suppôts directs de tous les islamistes et autres conservateurs qui s’opposent aux droits fondamentaux des femmes. » À un homme qui la mettait “paternellement“ en garde contre le risque de “diaboliser“ les femmes musulmanes portant le voile, elle répond :

« Celles qui seraient diabolisées dans le contexte que je décris [l’Algérie] sont les féministes démocrates qui se battent depuis des décennies pour arracher aux femmes le droit au divorce, le droit de refuser la polygamie, le droit de signer un quelconque document (scolaire, bancaire, etc.), à leur enfant ». Et elle conclut ainsi : « Ce n’est pas le voile qui menace […], mais la mollesse des débats féministes, la perte de sens, le manque d’affirmation des idéaux et justement les dérives de ce féminisme folklorique où il suffit de prononcer le mot patriarcat pour être promu féministe ».

La revanche du patriarcat

Un mot ne fait pas une analyse. Et le terme même patriarcat est rejeté dans certains milieux, par exemple ceux qui se disent postféministes, tandis que dans d’autres milieux on fait un usage très sélectif de l’analyse patriarcale. La majorité des féministes évoquent volontiers la culture patriarcale pour expliquer et dénoncer la violence en milieu conjugal et le viol, mais elles hésitent à appliquer la même analyse à la prostitution, une institution patriarcale parmi les plus anciennes et qui équivaut aux religions en termes d’oppression des femmes. Une rhétorique ambiguë, qui fait appel à la liberté individuelle, s’élabore pour masquer la peur de se compromettre sur cette question au cœur de laquelle se situe la responsabilité de beaucoup d’hommes.

Plus sérieux encore pour l’avenir des luttes féministes est la concurrence qui semble exister entre le combat contre le racisme et le combat contre le sexisme et la misogynie. Il semble qu’on se croie parfois obligé de choisir entre les deux. La misogynie et le sexisme traversent pourtant, et depuis toujours, toutes les cultures, toutes les religions, tous les systèmes de pensée et de droit, mais leurs attaques contre les femmes continuent d’être perçues — même par des femmes — comme moins importantes que le racisme, et les luttes pour les éliminer paraissent moins légitimes que celles qui visent l’élimination du racisme. Les femmes sont toujours prêtes au renoncement quand il s’agit de servir d’autres causes que la leur… Cette perception de la hiérarchie des luttes contre le racisme et le sexisme, ainsi qu’une estime de soi vacillante, jouent un rôle certain dans l’attitude non-interventionniste de la majorité des féministes québécoises et canadiennes face à l’extrémisme islamiste. Elles se croient obligées de démontrer ainsi leur rejet du racisme. 5

« Ainsi, plusieurs décennies après la refonte des droits de la personne provoquée par l’émancipation sociale des femmes, commente la chroniqueure Rosie DiManno, les féministes les plus aguerries et les plus combatives marchent sur des œufs et hésitent à lancer la pierre. Le dieu du multiculturalisme, réincarné en un avatar autorisant une interprétation radicale des impératifs religieux et culturels, transcende l’égalité des sexes. » 6

Pris entre le relativisme culturel, le néolibéralisme et les théories révisionnistes du postmodernisme, le féminisme québécois (majoritairement libéral) ne semble pas conscient de la gravité de la menace que représente l’extrémisme religieux pour les droits et l’égalité des femmes. Il semble renoncer à combattre le système patriarcal sur ce front. Avec, d’un côté, l’esclavage sexuel (prostitution et traite des femmes et des enfants) propulsé et banalisé par la mondialisation et, de l’autre, l’intégrisme religieux protégé par le relativisme, le patriarcat prend sa revanche sur le féminisme des dernières décennies… avec la complicité de féministes…

  1. “Des musulmanes refusent d’enlever leur hijab pour un tournoi de tae kwon do“, Nouvelles musulmanes, décembre 2006.  []
  2. Rima Elkoury, “Voile et viol“, La Presse, 17 décembre 2007.  []
  3. Daniel Baril, “Tolérer ne veut pas dire se taire“. Communication présentée au débat-conférence “Kirpan, kippa, voile : la tolérance, jusqu’où“, organisé par Tolérance.ca, le 20 mai 2004. []
  4. “La mort d’Aqsa Parvez, attribuée à son père, est le résultat d’un choc culturel“, par Michele Mandel, Sisyphe, le 7 janvier 2008.  []
  5. Rosie DiManno, “Maintenir notre engagement envers toutes les Aqsa Parvez. Le fanatisme religieux est le pire des péchés“.  []
  6. Haideh Moghissi and Shahrzad Mojab, Of “Cultural” Crimes and Denials Aqsa Pervez, Znet, January 08, 2008 []
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A propos du voile islamiste

par Hakim Arabdiou

Seuls les intégristes musulmans obligent les femmes, qui tombent sous leurs escarcelles, à porter le hidjab. Jamais vous ne trouverez un imam, un théologien ou un intellectuel musulman, non islamiste, faire la propagande pour le hidjab ou le faire porter aux personnes féminines de son entourage.

L’intégriste, Tariq Ramadan, l’a fait porter à sa femme, Isabelle, une convertie à l’islam, et à des milliers de jeunes musulmanes d’Europe et d’Amérique du Nord, à partir de son interprétation fondamentaliste de l’islam, tandis que l’intellectuel musulman et imam de Marseille, Soheib Bencheikh, ne le fait pas porter à sa femme, car il considère, à l’instar de centaines de millions de musulmans, que le port de cette tenue n’est pas une obligation religieuse, et qu’elle est de surcroit anachronique.

Sophie Bessis, française d’origine tunisienne, rappelle dans son ouvrage les Arabes, les femmes, la liberté les propos sur le hidjab du féministe égyptien, Kacim Amin (1863-1908), dans son livre l’Émancipation de la femme (1897) : « C’est quand même étonnant ! Pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile ou de dérober leurs visages aux regards des femmes, s’ils craignaient tant de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle des femmes ? »

Elle cite aussi le théologien, Tahar Haddad (1898-1935), de l’université islamique de Tunis, la Zeitouna (deuxième ou troisième référence, après celle d’El Azhar, au Caire), qui a, quant à lui, comparé dans son livre Notre femme, la législation islamique et la société (1930), le hidjab à « la muselière qu’on met aux chiens pour les empêcher de mordre. »

Gamal Banna, réformiste moderniste et jeune frère de Hassan Banna, considère lui aussi que le port du hidjab n’est pas une obligation islamique. Il ne cesse d’ailleurs de dénoncer les islamistes et les conservateurs religieux d’El Azhar et du monde musulman.

Les sectateurs des islamistes, qui veulent dégager la responsabilité de ceux-ci dans l’imposition de cet uniforme aux femmes musulmanes, affirment que ce dernier, expression des cultures patriarcales, existe depuis plusieurs siècles dans les diverses cultures du pourtour de la Mer méditerranéenne.

Ils omettent cependant de préciser que ce sont les Frères musulmans égyptiens et à leur tête, Hassan Banna, qui l’avaient adopté, comme une obligation religieuse et un uniforme politique, lors de leur création, en 1927.

C’est cette caractéristique politique qui le différencie du voile traditionnel que portent les Algériennes très âgées, et qui n’a aucune connotation partisane.

Signalons que ce dernier type de voile a quasiment disparu en Algérie, en l’espace d’une génération seulement, grâce à la modernité sociale résultant des développements socio-économiques considérables que ce pays connaît depuis sa décolonisation.

Il en est de même de la svastika ou croix gammée. Cette dernière est un symbole religieux existant, depuis la nuit des temps, dans plusieurs aires géographiques, mais qui a pris un sens particulier, après son adoption par les nazis.

Il est néanmoins un fléau qui sévit ces dernières années au Maroc, en Algérie et en Tunisie : l’extension du port du hidjab.

Néanmoins, un phénomène concomitant est en train de se généraliser et de vider le hidjab de sa signification, qui est d’imposer aux musulmanes la chasteté en dehors du cadre du mariage.

Car, pour les islamistes, ces obsédés du pubis des musulmanes, le corps de la femme est une awra (une honte), qu’il faut cacher. La musulmane est réduite par conséquent à une femelle, qui ne doit pas exciter les hommes, réduits, eux aussi, à des phallus, prêts à entrer en furie.

C’est ainsi que l’immense majorité des « enhidjabées » non mariées, aussi bien celles qui le portent, sous la pression idéologique islamiste ou par hypocrisie sociale, que celles qui croient à tort le porter par « conviction », s’interdisent de moins en moins à flirter ou parfois à faire l’amour.

C’est ainsi qu’au Maghreb, ces jeunes filles, ces jeunes femmes et ces femmes ont investi encore plus massivement tous les lieux publics ou discrets de rencontres (salons de thé, restaurants, jardins publics, plages, garçonnières, soirées entre amis…) en compagnie de leurs amoureux ou pour faire des rencontres amoureuses. Il en est de même des forums et chats internet.

Pour autant, il ne viendra pas à l’esprit de la plupart d’entre elles qu’elles trichent avec Allah. Elles pratiquent simplement leur sexualité, à partir de leur compréhension plus ou moins intuitive de l’islam.

Elles sont de cette manière, et involontairement, en train de transformer le voile islamiste en coquille de plus en plus vide de sa substance ; une coquille qui finira par disparaitre pour toujours.

Cette liberté sexuelle croissante des « enfoulardées » n’est que le reflet de la libération sexuelle  en marche dans les sociétés musulmanes et dans les communautés de cette origine en Occident ; une libération qui enterrera, dans un avenir pas très lointain, le tabou de la virginité, un tabou déjà entamé en vérité. Cette libération s’inscrit au cœur d’un mouvement (contradictoire) plus global de modernité et de déconfessionnalisation des sociétés musulmanes, en dépit des apparences et du pessimisme ambiant.

Par ailleurs, on a souvent entendu dire que certaines portent le hidjab, parce qu’elles étaient aliénées (ou forcées) par les intégristes, mais que d’autres le portent par choix. C’est vraiment faire preuve de mépris, que de prendre les femmes musulmanes pour des tarées.
Comment peut-on croire un instant qu’une femme, de quelque origine qu’elle soit, puisse porter volontairement atteinte à sa dignité d’être humain, à sa féminité, à sa liberté…

Certaines féministes, bien en vue, nous avait d’ailleurs évoqué cette idée de « choix » à propos de la prostitution, qui serait selon elle un métier, comme un autre. Quelle ignominie !

Le summum de l’aliénation des consciences, souvent à la base de la manipulation mentale, n’est-il pas atteint, lorsque justement la victime assimile sa propre aliénation, à un bienfait librement consenti.

Malka Marcovich montre, dans son livre les Nations désunies : comment l’ONU enterre les droits de l’homme, comment la suppression par des régimes réactionnaires et des ONG, gangrenées par le relativisme culturel, que « le consentement d’être abusé dans la prostitution ou à porter le voile au nom des convictions religieuses vise à faire porter la charge de la preuve sur les victimes qui devront désormais prouver la contrainte ou le consentement. » Elle ajoute que « La mise en exergue de la cœrcition comme seul ressort de violation des droits humains aboutit à de graves conséquences juridiques […] La négation qui structure les mécanismes d’oppression et d’aliénation sabote… » toute visée « émancipatrice…universaliste. » (p.56)

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Iran : de l’urgence de mettre fin à l’engrenage des violences

par Chahla Chafiq
Ecrivaine

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De l’étranger, la facette la plus fascinante des protestations massives qui, depuis six mois, ne cessent d’ébranler l’ordre établi en Iran, réside dans leur caractère pacifique. Le silence des centaines de milliers de personnes qui ont marché dans les rues de la capitale pour contester les fraudes électorales, criait leur désir ardent de citoyenneté, entièrement bafouée par le système du « Velayat Fagih » (règne du guide religieux suprême).

Rien que de voir marcher côte à côte des femmes et des hommes qui ne prêtaient aucune attention aux habituelles frontières sexuées imposées par les tenants de l’ordre, nous renseignait déjà sur l’ampleur du défi auquel allait être confronté le régime iranien. Les slogans « A bas la dictature » n’ont effectivement pas tardé à retentir dans les rues des grandes villes iraniennes et, en dépit de la répression, le mouvement s’est étendu jusqu’aux petites villes où la facilité du contrôle policier rend les manifestations publiques plus difficiles.

En l’absence totale de droits politiques et de libertés fondamentales, et en présence d’une répression permanente, le caractère pacifique de ce mouvement était la condition sine qua non de son existence. Comme l’ont démontré les événements qui ont suivi, les aspects originaux de ce mouvement, à savoir son caractère horizontal et l’absence de tout centre de décision, sont devenus ses points forts en rendant inefficace la stratégie de répression engagée par le pouvoir. Les arrestations, les aveux médiatisés des prétendus repentis et les menaces n’ont pu arrêter le cours du mouvement de contestation qui a su utiliser chaque occasion pour se déployer.

Tous les moyens utilisés pour instaurer la terreur n’ont pu, pour le moment, empêcher les contestations. Mais, le silence pacifique a été brisé très tôt par une violence à de multiples visages : la police officielle, déjà plurielle : armée traditionnelle, pasdarans et bassidjis, a été renforcée par les « lebas shakhsi » (agents en civil), munis d’armes blanches et d’armes à feu ; les prisons officielles se sont étendues à des centres d’arrestation où la pratique des tortures, les viols et autres actes barbares nous est rapportée par des prisonniers. La pendaison du jeune militant kurde, Ehsan Fatahian, le 11 novembre dernier, annonçait déjà la volonté des gouvernants de procéder à des mises à mort pour étouffer les mécontentements.

Face à cela, la désobéissance civile a trouvé mille canaux pour mobiliser les jeunes et les moins jeunes. Chaque contestataire est devenu un correspondant de combat. La censure a été contournée par des médias invisibles et terriblement efficaces : téléphones portables et internet. La présence de centaines de milliers d’exilé(e)s iranien(ne)s qui soutiennent ce mouvement, l’a aussi indéniablement renforcé. Si une nouvelle vague d’exil s’enclenchait à cause de la répression, loin d’être un facteur de relâchement du mouvement en Iran, elle viendra grossir l’opposition à l’extérieur du pays. En effet, le pouls des contestations iraniennes bat dans le monde entier. C’est pourquoi les instances policières du régime multiplient leurs menaces envers les opposants à l’étranger.

Les tenants de l’ordre qui comptaient sur l’épuisement du mouvement, se confrontent, au contraire, chaque jour à de nouvelles vagues de contestation. Celles-ci amènent à une radicalisation des slogans qui visent de plus en plus clairement la plus haute autorité : le guide suprême.

Pour réprimer ce mouvement, les autorités iraniennes usent encore et encore de la violence. Ainsi, le caractère religieux de la cérémonie de l’Ashoura n’a pas empêché une répression sanglante des manifestants. Le nombre de personnes tuées est estimé de 9 à 38 personnes. Depuis, les arrestations se multiplient (près de 2 000 personnes arrêtées). Outre les personnalités politiques et les militants proches de Moussavi et Karoubi, les membres actifs des mouvements de la société civile, notamment les étudiants et les féministes, sont sur les listes noires du régime. Parmi les nouvelles arrestations, nous comptons des personnes telles que : Mansoureh Shujahi, traductrice et membre fondatrice de la campagne « 1 million de signatures pour l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes », Zoreh Tonékaboni, membre des mères pour la paix, Emadedin Baghi, journaliste connu et membre actif en faveur des droits des prisonniers, Ardavan Tarekamé, étudiant…

Dans ce contexte, une grande poussée de violence menace la société iranienne. La répression sanglante des manifestations non-violentes est un appel à d’autres violences. Il est urgent d’arrêter ce processus. Les défenseurs de la liberté et de la démocratie ne peuvent fermer les yeux sur la dégradation de la situation en Iran. La fin des violences nécessite une réponse immédiate et pacifique aux revendications légitimes du peuple iranien pour la reconnaissance de leurs droits citoyens élémentaires.

(Re-So, 2 janvier 2010)

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Interview de Rafael Correa

par Stéphane Boisson

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Entretien publié sur le site de la Revue de la régulation.

Rafael Correa remporte l’élection présidentielle en Équateur le 26 novembre 2006. Il est investi à ce poste le 15 janvier 2007. Une nouvelle Constitution destinée à « enterrer le modèle néolibéral » et à le remplacer par un nouveau modèle de développement est élaborée par une assemblée constituante. Elle est adoptée par voie référendaire le 28 septembre 2008 et permet d’accélérer les réformes. Soucieux d’asseoir leur légitimité, Rafael Correa organise une élection présidentielle anticipée qu’il remporte au premier tour avec 54 % des voix le 26 avril 2009 pour un mandat de quatre ans.
Rafael Correa est économiste de formation. Il a entrepris ses études à Guayaquil, avant de poursuivre à l’Université catholique de Louvain, puis à l’Université de l’Illinois. Il a été professeur en sciences économiques de 1993 à 2005. Il se définit comme un humaniste et chrétien de gauche. Sa politique se caractérise par une forte volonté de se détacher de l’influence des États-Unis, premier partenaire commercial de l’Équateur.
Son arrivée au pouvoir intervient sept ans après la dollarisation complète de l’économie en 2000, après deux années de crise financière. La dollarisation a permis d’enrayer un début d’hyperinflation mais elle n’est pas parvenue à installer une croissance stable et à enrayer la pauvreté (70 % de la population sous le seuil de la pauvreté). L’économie équatorienne reste très dépendante de ses exportations de pétrole brut, de banane et de fleurs et reste vulnérable du fait de son endettement extérieur. En décembre 2008, le président Correa a prononcé un moratoire sur le paiement des intérêts d’une partie de la dette souveraine, suite à un audit démontrant le caractère « odieux » et « illégal » d’emprunts passés avec les banques JP Morgan et Citibank.

Stéphane Boisson : Votre pays a adopté une nouvelle Constitution en 2008. Pour vous, quelles sont les nouvelles résolutions issues de ce texte qui vont modifier le processus de développement en Équateur ?

Rafael Correa : Sur le plan économique, ce texte comporte d’importantes innovations. Par exemple, l’indépendance de la Banque centrale a été abolie. Comment pouvions-nous accepter qu’une politique aussi déterminante que la politique monétaire soit dirigée de façon autonome par des technocrates opposés aux orientations prises par le gouvernement, tout en étant totalement assujettis au FMI et à la Banque mondiale ? Avec ce changement nous espérons coordonner de façon plus efficace la politique monétaire, la politique budgétaire et la politique du commerce extérieur. C’est une nouveauté fondamentale. Un autre changement important par rapport à l’époque du néolibéralisme est la restauration de la planification économique, si importante pour le développement. Le CONADE (Consejo Nacional de Desarrollo : Conseil national du développement) avait été supprimé par la nouvelle Constitution de 1998. Nous l’avons rétabli et la planification est en cours de reconstruction dans le cadre de la nouvelle politique d’action collective. Les dépenses publiques ont désormais l’obligation de s’inscrire dans un plan national de développement. Concrètement, les budgets vont devenir pluriannuels et seront établis en conformité avec les objectifs fixés par ce plan. Ceci constitue une avancée importante visant à restituer le rôle de l’État en tant que régulateur de l’économie. C’est également dans cette perspective que le gouvernement équatorien s’assure aujourd’hui du contrôle des ressources naturelles non renouvelables. Avec la nouvelle Constitution, un nouveau modèle économique se met donc en place. Un modèle qui met fin au néolibéralisme qui a occasionné tant de dégâts. Un modèle qui reconnaît l’existence du marché et l’économie capitaliste, mais qui est attentif à ce que l’économie de marché ne conduise pas à une société de marché et qui attache une grande importance à l’action publique et l’économie populaire.

S.B. : Partagez-vous l’idée selon laquelle les pays latino-américains s’orientent vers une croissance plus favorable à la justice sociale ? Selon vous, existe-t-il un nouveau modèle de développement latino-américain capable de se détacher du Consensus de Washington ?

R.C. : Oui, je crois que l’Amérique latine du xxie siècle a opéré un virage à 180 degrés par rapport au fameux consensus de Washington. Aujourd’hui, une majorité de pays du continent sud-américain se réclament du socialisme ou du centre-gauche et accordent une priorité à la justice sociale. L’époque du Consensus de Washington où nous n’avions pas notre mot à dire dans la définition de nos politiques publiques est révolue. Ce consensus a échoué. Il n’a donné aucun résultat probant. Que ce soit dans les pays du Sud ou dans les pays industrialisés, comme le montre l’actualité. Ce consensus s’appuyait sur l’idéologie du marché et la croyance dans la main invisible. Nos propositions, dans le cas de l’Équateur, mais aussi dans la plupart des pays d’Amérique latine, sont diamétralement opposées : substituer les principes de coopération et de solidarité au principe de concurrence, rétablir l’interventionnisme de l’État, ne pas chercher seulement à développer l’économie capitaliste et privilégier l’économie populaire. Sur le volet international, ce modèle de développement implique une insertion internationale décidée et maîtrisée par les gouvernements des pays en développement. Il met ainsi fin à l’ouverture incontrôlée et la libéralisation totale de nos économies. Ce modèle de développement se distingue aussi du socialisme traditionnel. Selon moi, les modèles de développement socialistes du xxe siècle ont un défaut majeur. Bien qu’inspirés par une idéologie différente, ils reposaient sur les mêmes fondements du développement que le capitalisme : l’industrialisation, l’accumulation, la production et la consommation de masse, etc. Ils n’ont donc pas véritablement fait émerger un modèle de développement économique alternatif au capitalisme. Notre modèle de développement, lui, s’inscrit dans le socialisme du xxe siècle. Il est profondément novateur et alternatif en ce sens où il érige de nouveaux principes fondamentaux tels que la recherche du bien-être social, le respect des cultures ancestrales, ou encore le respect de l’environnement.

S.B. : Comment voyez-vous l’évolution future des stratégies de développement des pays d’Amérique latine ? Convient-il de privilégier des politiques de développement national ? Quelle place attachez-vous à l’intégration régionale dans ces stratégies de développement ?

R.C. : Pour ce qui concerne l’Amérique du sud, des étapes décisives ont été franchies récemment en matière d’intégration régionale. On peut prendre les exemples de la Banque du Sud ou de la création de l’UNASUR (Unidad de Naciones Suramericanas). Il convient de persévérer. Reconnaissons toutefois que certains pays sont moins intéressés que d’autres par ce processus d’intégration. Ma position est que si nous ne pouvons pas avancer tous ensemble, cela ne doit pas empêcher les quatre ou cinq pays les plus motivés à poursuivre le processus. Les autres rejoindront le groupe plus tard, à l’instar du processus de construction européenne. Je crois, vous savez, qu’il y a aussi beaucoup de romantisme dans cette idée d’intégration régionale en Amérique du sud. Le rêve de nos libérateurs, tels que Simon Bolivar, n’était-il pas celui de bâtir une Amérique latine unie ? Néanmoins, il ne s’agit pas seulement pour nous de réaliser ce rêve un peu romantique. L’intégration régionale est avant tout une nécessité. Une nécessité de survie pour nos petites économies particulièrement vulnérables face à la mondialisation. Force est de constater que la mondialisation est inhumaine et n’a fait que transformer les individus en consommateurs plutôt qu’en citoyens du monde. L’intégration est, selon moi, une formidable opportunité. Non seulement elle nous permettra de nous défendre d’un seul bloc face aux ravages de la mondialisation, mais elle renforcera la coopération régionale au profit de tous.

S.B. : Votre gouvernement a joué un rôle moteur dans la constitution de la Banque du Sud en 2007. Pourquoi créer une nouvelle institution concurrente des autres institutions de financement du développement existantes ?

R.C. : Cette question a fait l’objet d’une longue discussion. Pourquoi créer la Banque du Sud alors que la CAF (Corporation Andina de Fomento) et le FLAR (Fonds Latino-américain de Réserves) pourraient assumer ces nouvelles responsabilités ? Tout simplement parce que ces institutions sont incapables de se détacher de la forte orientation néolibérale qui guide leurs opérations. Elles ne partagent pas nécessairement notre vision du développement. La Banque du Sud nous permettra de financer sereinement notre développement. Elle mettra fin à une situation ridicule. Les pays d’Amérique latine sont actuellement contraints de rechercher des financements extérieurs pour leur développement alors que dans le même temps ils disposent de plusieurs dizaines de milliards de dollars de réserves investis dans les pays du Nord. Par manque de coordination, nous empruntons et dépendons de l’extérieur alors que nous avons les moyens de nous autofinancer ! Dans le cas de l’Équateur, savez-vous combien de centaines de millions de dollars sont placés en Floride ? Nous finançons les États-Unis au lieu de financer notre propre développement. Quel est le sens de tout cela ? La Banque du Sud nous permettra de récupérer une partie des réserves de change accumulées par les Banques centrales. Ceci permettra de stabiliser les pays de la région en cas de crise de liquidité et surtout de financer leur développement. Tout cela sans dépendre de la conditionnalité du FMI ou de la Banque mondiale.

S.B. : Vous avez une formation d’économiste, vous avez été professeur d’économie. Quels sont les écoles théoriques et les économistes contemporains dont vous vous sentez le plus proche ? Comment ces travaux influencent-ils votre politique économique ?

R.C. : Joan Robinson, fameuse économiste anglaise, a dit un jour : « j’ai passé toute ma vie à enseigner l’économie théorique et je me demande si j’ai gagné honnêtement ma vie ». Je pourrais faire mienne cette affirmation. Joan Robinson est une de mes économistes préférées. J’apprécie aussi John Kenneth Galbraith et Gunnar Myrdal. Parmi les économistes contemporains, ma préférence va à Joseph Stiglitz, Paul Krugman et Dani Rodrik. Je suis aussi particulièrement intéressé par les travaux institutionnalistes et ceux de l’école de la Régulation. Ils apportent beaucoup plus que les travaux orthodoxes. De manière générale, je demeure très critique à l’égard des économistes. La plupart d’entre eux se préoccupent davantage de la maîtrise d’outils mathématiques que de la compréhension et l’explication des problèmes économiques et sociaux. Très souvent, ce qui est présenté comme une science recourant à des outils et techniques sophistiqués ne sert qu’à tenter de légitimer une idéologie dominante libérale. Je pense que ces dérives ont nuit gravement à la réputation de la science économique ces dernières années. L’économie a besoin de faire sa révolution et ne doit plus être aussi prétentieuse. La crise globale a d’ailleurs donné tort à l’économie standard ! Nous autres, économistes, sommes très orgueilleux. Notamment parce que la science économique est l’unique science sociale à être récompensée d’un prix Nobel. Nous dédaignons à tort les autres sciences sociales, telles que la sociologie ou l’anthropologie. Comment prétendre expliquer le comportement du consommateur sans se soucier des facteurs culturels ou sociaux ? J’avoue être déçu par l’évolution de la science économique. C’est pourquoi je suis très intéressé par les initiatives qui entendent aller au-delà, tel que par exemple le mouvement contre l’autisme en science économique apparu en Europe ces dernières années.

S.B. : La question du régime de change est devenue une question centrale pour les économies latino-américaines depuis les années 1990. L’Équateur a fait le choix de la dollarisation intégrale en 2000.Comment expliquez-vous ce choix ? Quel bilan tirez-vous de 9 ans de dollarisation ?

R.C. : Non, l’Équateur n’a pas fait le choix de la dollarisation. Le peuple équatorien n’a pas été impliqué dans cette décision. La dollarisation a été décidée et imposée par une oligarchie sur la base d’un diagnostic erroné. Elle a été adoptée suite à la grave crise bancaire et financière de 1999. Les élites au pouvoir, soucieuses de préserver les intérêts bancaires, ont assuré le sauvetage des banques par la Banque centrale. L’émission de monnaie centrale a ainsi été multipliée par trois. Le taux de change est passé de 5 000 à 25 000 sucres pour un dollar. La monnaie nationale a alors été sacrifiée… mais le pouvoir des banques était sauvegardé. L’adoption du dollar est une absurdité. Il s’agit d’un régime de change extrême qui pose beaucoup de problèmes à une petite économie, telle que la nôtre, soumise à des chocs exogènes à répétition. La dollarisation nous oblige aussi à adopter la politique monétaire des États-Unis. Heureusement pour nous, la baisse des taux d’intérêt américains et la dépréciation du dollar nous ont été favorables. Sans ce contexte favorable, nous nous serions effondrés. Ainsi, après toutes ces années, la dollarisation n’a pas été aussi négative qu’on aurait pu la craindre. Non pas en raison de bonnes politiques mais parce que nous avons eu beaucoup de chance.

S.B. : Pour vous la dollarisation est-elle responsable de l’augmentation de la pauvreté et des inégalités ?

R.C. : La dollarisation est un des facteurs, mais ce n’est pas le seul. La libéralisation du marché du travail est également en cause. Nous remédions actuellement à ce problème.

S.B. : Pourquoi avoir maintenu la dollarisation une fois élu alors que vous y étiez farouchement opposé ?

R.C. : Ah ! Cela paraît contradictoire, n’est-ce pas ? En réalité, ceci est parfaitement cohérent. J’ai toujours dit que la dollarisation était absurde, mais que le coût pour en sortir était considérable. C’est comme si vous demandiez à un homme marié qui se plaint du mauvais caractère de son épouse pourquoi il reste avec elle ? Parce que le divorce est plus coûteux que supporter une cohabitation difficile. Nous croyons qu’il est quasiment impossible de sortir de la dollarisation sans en payer le coût. Il pourrait en résulter un effondrement économique et social. Ce que nous cherchons, en revanche, sur le moyen terme est la mise en place d’une monnaie régionale, une monnaie sud-américaine. L’Équateur est à la tête des pays qui soutiennent cette idée d’intégration monétaire régionale (NDLR : Plan SUCRE). L’idée est d’instaurer dans un premier temps un système de paiements régional pour ne plus utiliser le dollar dans les transactions régionales. Le Brésil et l’Argentine ont commencé à le faire. Cela pourrait se faire à l’aide d’une unité de compte régionale commune, utilisée uniquement pour les paiements régionaux. Dans un second temps, cette monnaie pourrait servir de base à une monnaie unique et conduire à une véritable union monétaire. Mais on en est encore loin car la coopération monétaire n’est pas chose facile et prend du temps.

S.B. : Et cela serait un moyen de retrouver une part de souveraineté ?

R.C. : Souveraineté monétaire, sans conteste. En tout cas pour l’Équateur qui récupérerait ses marges de manœuvre sur la politique monétaire.

S.B. : Les exportations de pétrole représentent la principale source de revenu de l’économie équatorienne. Quelle est votre position sur les velléités de remplacer le dollar par l’euro comme monnaie de facturation du pétrole émises par le Venezuela et d’autres pays exportateurs de pétrole ?

R.C. : La facturation en euro pourrait être un objectif. Je pense que cela est opportun dans le cas de l’Équateur dans une logique de diversification du risque. Maintenant si nous abordons la question du pouvoir monétaire, cela signifierait une perte symbolique importante pour les États-Unis, une perte de pouvoir de contrôle au niveau planétaire. J’y suis favorable. Je pense qu’il est nécessaire de passer d’un monde unipolaire à monde multipolaire y compris sur ces questions de change et de monnaies de facturation.

S.B. : Les transferts de fonds des migrants constituent une source importante de revenu pour votre économie. Comment pensez-vous gérer la diminution de ces transferts dans l’avenir ?

R.C. : Les transferts de fonds des migrants sont, avec le prix élevé du pétrole que nous exportons, l’une des principales sources de dollars pour notre économie. Ils ont donc contribué à sauver notre économie. Mais d’un autre côté, ils témoignent d’une terrible réalité de la dollarisation, la fuite de deux millions d’Équatoriens (NDLR : sur une population de 13 millions). Un choc social terrible, des générations perdues, des familles brisées. Notre objectif est de faire revenir au plus vite nos compatriotes expatriés. Il n’est pas acceptable que notre économie nationale repose sur la sueur des migrants et les larmes de millions de citoyens. Mais il est évident que nous aurons à substituer cette source de revenu par d’autres ressources. Nous nous y employons en diversifiant notre économie et en augmentant le volume des emplois et de nos exportations. Nous menons une politique commerciale très agressive. Nous allons développer le secteur minier et nous avons pris toute une série de mesures pour améliorer notre efficacité productive. Il s’agit de politiques qui dévoileront leurs effets sur le long terme mais elles amélioreront sans conteste le développement de notre économie et le bien-être de la population.

Interview réalisée à Quito, le 16 octobre 2008
par Stéphane Boisson
Traduction de Stéphane Boisson et Jean-François Ponsot

Maroc
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Ibtissame Betty Lachgar : abrogation de l’article 222 du Code pénal marocain

par Hakim Arabdiou

Hakim Arabdiou : Pouvez-vous d’abord vous présentez brièvement à nos lecteurs ?

Ibtissame Betty Lachgar : J’ai 34 ans et je suis psychologue clinicienne-psychothérapeute au Maroc.

H. A : Votre projet de pique-nique public en plein ramadan a finalement été empêché d’avoir lieu par la police du roi. Avez-vous été assez naïve pour croire que le pouvoir marocain allait vous laisser déjeuner en public en plein ramadan ?

I.B.L : Naïf n’est pas le terme. Nous voulions une action symbolique qui puisse vraiment pointer du doigt les contradictions entre ce que dit la constitution et la réalité, entre la Convention internationale des droits civiles et politiques ratifiée par le Maroc en 1979 et la réalité, et donc demander l’abrogation de l’article 222 du Code pénal marocain, qui condamne d’un a six mois de prison ferme quiconque “notoirement connu pour son appartenance à l’islam” rompt le jeûne en public.

H. A. : Est-ce que vous vous attendiez à une intervention policière? Votre objectif était-il de provoquer un coup d’éclat médiatique autour de votre revendication de la liberté de ne pas suivre les prescriptions du ramadan ?

I.B.L. : Nous nous attendions nullement à une intervention policière et encore moins de cette envergure. Et, encore une fois, ce n’était pas le ramadan qui était “ciblé” mais la liberté de culte, de conscience. Liberté de croire ou non, de pratiquer ou non, d’être musulman ou non. C’est un choix personnel, individuel et spirituel. Quelle est cette foi par contrainte? Il n’est plus question de foi à ce moment là. De plus, l’article 6 de la Constitution marocaine garantit la liberté de culte pour tous et l’article 18 de la Convention internationale également. Nous avons choisi la période du ramadan, car nous condamnons l’article 222 du CP qui est au cœur de ce combat et représentatif de cette contradiction entre les textes (Constitution et Convention internationale) et le Code pénal.

H. A. : Cette action vous a valu des démêlés avec la police et la justice marocaines.

I.B.L. : Il y a eu enquête, donc interrogatoires. Mais il n’y a pas eu de suite, nous n’avons pas été poursuivies en justice. En revanche, nous avons été interdites de quitter le territoire mais sans notification, ni verbale ni écrite, ce qui était illégal, d’autant qu’il n y avait pas de poursuites. Grâce à l’aide de notre avocat et de plusieurs associations internationales des Droits de l’Homme, l’interdiction fût levée.

H. A. : Quel bilan tirez-vous de votre action ? et quelles perspectives avez-vous tracées à votre Mouvement alternatif pour les libertés individuelles au Maroc ?

I.B.L. : Notre action a été une réussite et un succès. Le buzz médiatique involontaire a délié les langues, on commence à parler de liberté de religion et de conscience, et contrairement à ce que l’on peut croire, de nombreux jeunes marocains sont pour cette liberté là et les libertés individuelles en règle générale.

Quant aux perspectives, nous avons été très actifs, nous, membres de MALI, lors des nombreux procès intentés à la presse, nous soutenons nos camarades journalistes et défendons fermement la liberté d’expression! Nous préparons d’autres actions au nom des droits humains et des libertés, particulièrement la liberté de la femme.

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Mouvement alternatif pour les libertés individuelles

par Hakim Arabdiou

De nouvelles informations alarmantes nous avaient été transmises du Maroc en septembre dernier. Pas moins de 15 membres, résidant dans différentes villes du Maroc, appartenant au tout nouveau Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) avaient été arrêtés. Ils encouraient une peine d’un à six mois de prison, en plus des amendes. Leur « crime » ? Ils s’apprêtaient à déjeuner en public en plein mois de ramadan, mais ils en avaient été brutalement empêchés par les policiers, qui avaient également procédé à des arrestations, dont les deux figures emblématiques de ce groupe : Zineb el-Rhazoui et Ibtissame Betty Lachgar.

Le pouvoir marocain avait cependant été contraint de les relâcher, après les vives protestations que cela avait soulevé.

Les deux jeunes femmes avaient par la suite été interdites de sortie du territoire, car elles devaient représenter leur mouvement à la Rencontre de solidarité (la seule en France, à notre connaissance) que nos camarades de l’association, Le Manifeste des libertés de Tewfik et Brigitte Allal, avait organisée en leur faveur le 19 octobre dernier, à Paris.

Le MALI a rendu public coup sur coup deux communiqués exigeant la relâche de leurs camarades en condamnant leur « lynchage » par la presse, par le pouvoir politique et par les théologiens musulmans marocains.

Il ne s’agissait nullement, selon ces communiqués, de faire de la « provocation » à travers ce déjeuner « symbolique », mais de revendiquer l’abrogation du liberticide article 222 du code pénal de leur pays. Ils estiment que son contenu est attentatoire aux libertés individuelles et collectives, et en opposition à la Déclaration universelle des droits de l’homme et au Pacte international du 16 décembre 1966, relatifs aux droits civiques et politiques, ratifiés par l’État marocain.

Ils demeurent convaincus que leurs camarades n’avaient donc en rien « attenté à l’ordre public », mais seulement exercé leurs libertés individuelles.

Ils précisent de plus que leur mouvement n’est pas un groupe « anti-islam », comme leurs détracteurs les avaient calomnieusement présentés à l’opinion publique, alors qu’ils sont pour la liberté de culte.

L’Association marocaine des droits de l’homme et l’ASDHOM avait exprimé leur solidarité avec ces militants et dénoncé l’ « incitation implicite à la violence » par l’agence de presse officielle, et par certains organes d’information : ce qui « constitue une menace réelle » pour l’intégrité physique de ces jeunes gens. Elles ont également condamné les « menaces et harcèlement », dont ces derniers sont victimes de la part du pouvoir.

Le MALI a été crée à partir d’un débat sur Facebook, quelques semaines auparavant, autour de la liberté de jeûner ou non au Maroc pendant le ramadan. Suite à cette mobilisation un pique-nique avait été prévu pour le 13 septembre dans la forêt de la ville de Mohammadia.

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Vidéo surveillance : Delanoë ménage la chèvre et le chou

par Sébastien Claeys
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Compte-rendu 2009 du mandat de Bertrand Delanoë dans le XIIIe arrondissement. Interrogé à plusieurs reprises sur l’installation contestée de 1000 caméras de surveillance à Paris, Delanoë parvient à ménager la chèvre, le chou, et oserais-je dire aussi, le cul du berger. Compte-rendu des débats.

La séance de compte-rendu commence à la mairie socialiste du XIIIe arrondissement par le docte exposé du maire de Paris, Bertrand Delanoë. Politique du logement, maintien de l’emploi, baisse des « frais de fête » et des budgets de communication. Delanoë expose un digest parfaitement maîtrisé du compte-rendu de 70 pages distribué en début de séance pour finir sur ces mots : « L’équipe municipale serre les dents pour passer le cap de la crise ». Mais de quelle crise parle-t-on ? La crise de la vidéo surveillance, bien sûr !

Des questions épineuses…

La séance des questions débute sur un constat dans l’air du temps avant les élections régionales : « La violence et l’insécurité prennent une ampleur de plus en plus importante à Paris ». Un autre intervenant renchérit : « Ce problème est lié à l’éclosion de bandes organisées. Il faut faire quelque chose avant que nous voyions se développer ses effets néfastes car ce problème n’est pas résolu ! ». Le constat est sévère. La réponse à y apporter est épineuse.
D’autant que les méthodes de la mairie de Paris pour résoudre ces préoccupations sont contestées au sein même de la gauche parisienne. Jean-Marc Wasilevsky (Ligue des Droits de l’Homme) prend alors la parole : « La mairie apporte une fausse solution à un vrai problème en accompagnant la politique de vidéo surveillance de la préfecture. Etes-vous d’accord pour entrer en résistance contre cette politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy ? Etes-vous d’accord pour informer et consulter l’ensemble des instances de démocratie locale sur ce sujet ? »
Une banderole soudainement déployée au fond de la salle fait écho au vote sans concertation du plan de vidéo surveillance prévoyant la mise en place 1000 caméras dans les rues de Paris pour le plus grand plaisir des exhibitionnistes et voyeurs de tous poils. Superbement ignorée par M. Delanoë et ses adjoints stoïques.
Un nouvel intervenant appuie alors cette fâcheuse question : «  Les élus socialistes de Paris ont voté avec la droite le plan de vidéo surveillance. Vous comprenez l’émotion du peuple de gauche ! Est-ce que vous seriez prêts aussi à soutenir la mise en place des « volontaires citoyens de la police nationale » proposé par Nicolas Sarkozy ? ».
Pas de quoi effrayer notre maire rhéteur. Clamant haut et fort son attachement profond à la laïcité, Delanoë prépare déjà ces réponses ciselées dans son crâne impassible d’ex Petits Chanteurs à la Croix des Sables. Un doute persiste pourtant : quelle chanson va-t-il interpréter pour notre plus grand plaisir ?

… pour une réponse de jésuite

Son récital commence par la chanson ardente du mari cocu (et vengeur) : « Il n’y a que vous [les militants de gauche et la Ligue des Droits de l’Homme, ndlr] pour penser que nous sommes les alliés de Nicolas Sarkozy. Lui ne considère pas que je suis un allié. Nicolas Sarkozy cherche à atteindre la gauche à Paris par tous les moyens, même les plus détestables. Mais je ne cèderais pas. ».
Ne nous éloignons pas trop de notre sujet, allons plutôt voir chez nos voisins si la vidéo surveillance y est : « C’est ridicule de dire qu’on se met sur la même position que la droite ou que les Anglais. À Londres, il y a 65 000 caméras. Au conseil de Paris, nous en rajoutons 1000 aux 320 qui existaient déjà et qui avaient été votées par tout le monde ! » rétorque t-il.
Commence alors l’épopée du justicier socialiste redresseur de tords : « Il y a plus de 200 caméras installées dans les couloirs de bus car les automobilistes qui empruntent ces voies vont à l’encontre de notre politique juste de transport en commun ! Je considère que nous devons protéger la sécurité des citoyens les plus faibles. C’est dans les quartiers populaires qu’il y a un droit à la sécurité. Par ailleurs, depuis 2001, nous avons accru le budget de prévention. N’oubliez pas que c’est la gauche qui a créé la police de proximité. ». La dose « juste » pour flatter l’auditoire, qui, ne l’oublions pas est sensible à cette question avant les élections régionales.
Son tour de chant finira par l’éternelle ritournelle socialiste du respect des droits de l’homme et de la prévention avant tout : « N’idéalisons pas les caméras et ne les diabolisons pas non plus. Elles s’ajoutent à un dispositif dans le respect des droits de l’Homme car je n’ai pas envie que l’on atteigne les symboles de la démocratie. Nous voulons disposer de cet instrument à condition de ne pas l’utiliser à la façon de Nicolas Sakozy (sic). Un comité d’éthique va encadrer l’utilisation de ces caméras. ». Et quid du changement de majorité ? Quelle utilisation fera t-on alors de ce dispositif ?
Devant le talent ravissant de notre maire enchanteur, une femme se dresse hors de la foule. «  Vous ressemblez à Nicolas Sarkozy ! », lance-t-elle d’une voix hésitante. Compliment ou désaveux ? La preuve, tout simplement, qu’un orateur peut en cacher un autre.

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Mort en buvant, dans le calme, le médicament du médecin

par Sylgorkaya

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« Avec tendresse et amour nous avons laissé partir… » C’est par ces mots, traduits du néerlandais, que débute le faire-part de décès de mon beau-père, « joli-papa ». Il est mort très rapidement en buvant dans le calme et la sérénité, sans hésitation, le médicament que lui a préparé le médecin. Il était entouré de son épouse, de son fils et d’un couple d’amis  (et du médecin). Tout s’est bien passé. Mais reprenons.

Septembre 2007. « Joli-papa », qui vit aux Pays-Bas, vient chez nous et se perd à la gare du Nord alors qu’il connaît très bien les lieux.

Janvier 2008. Le diagnostic est une maladie neuro-dégénérative rare, la dégénérescence cortico-basale.

Avril 2008. Mon beau-père nous annonce à demi-mots qu’il envisage l’euthanasie. Pour des raisons de dignité. Une épée de Damoclès a été accrochée au dessus de nos têtes.

Fin septembre 2009. Sa femme et lui font une tournée d’adieu à la France : ils retournent sur les lieux qu’ils ont aimé et passent chez nous. Belle-maman explique à mon ami qu’ils ont rendez-vous avec le médecin en rentrant aux Pays-Bas.

La procédure est lancée. Celle-ci consiste en un premier rendez-vous avec le médecin traitant, puis un rendez-vous avec un second médecin. Il y aura ensuite une commission qui autorisera ou non l’euthanasie. La durée entre la première visite et le décès ne peut excéder deux mois. Le cas échéant, la procédure peut être recommencée.

Comment parler d’un décès prévu ? Une copine me dit que c’est la même chose avec un malade qui n’en a plus que pour deux ou trois mois. Je ne sais expliquer pourquoi ce n’est pas pareil. Plus tard, j’en parle avec un copain. Lui me dit que la décision de mon beau-père engage tout le monde.

Je sais maintenant : une personne qui n’en a plus que pour deux ou trois mois, c’est la fatalité et on s’attend à l’annonce d’une mort. Dans le cas de mon beau-père, je saurai très exactement quand il mourra.

Début novembre 2009. Nous passons une semaine chez joli-papa et belle-maman. Tous les soirs, nous trinquons. Un soir, alors que je suis sortie, joli-papa et moi nous faisons un signe de main par la fenêtre ; j’ai le sentiment que nous nous sommes dit au revoir. Belle-maman me dit qu’elle n’est pas prête et qu’elle lui a demandé de repousser à janvier. Ils doivent voir un médecin début décembre et cela leur donne un sursis.

Mi- novembre 2009. J’écris sur le site de Rue89 :

« Le refus de débat [de Roselyne Bachelot sur l’euthanasie] tient […] de la même hypocrisie qu’il y avait avant la légalisation de l’avortement : tout le monde sait que cela existe mais les acteurs sont dans l’illégalité […]. En refusant le débat sur la scène publique, on renvoie la question à la sphère du privé. En clair, faites ce que vous pouvez et ne dites surtout rien car c’est votre problème.
Aux Pays-Bas, l’euthanasie est strictement encadrée, on peut en parler, accompagner et se faire accompagner car cela pose des questions pour lesquelles nous n’avons pas de repères. De retour en France, comment en parler, car ça n’existe pas ? »

Fin novembre 2009. Ma belle-mère explique à mon ami que son père n’a plus envie de vivre. La date est fixée. Cela tombe un jour où j’enseigne, comment vais-je affronter cela ? Nous prenons nos dispositions : quand il va y aller en train, quand je le rejoins en voiture avec les enfants. C’est trop gros, il faut se rapporter à des petites choses. Il s’énerve contre cette procédure qui laisse peu de place à l’humain et n’est faite que pour protéger le médecin.

Un copain m’écrit sur le poids du christianisme pour lequel le suicide est une lâcheté. C’est tout de même assez fort, quand on y réfléchit, de cultiver l’idée que l’euthanasie, associée au suicide, est une lâcheté. Un autre copain me rappelle que dans certaines sociétés les vieux partent et vont mourir seuls.

Dimanche. Mon ami prend le train. Lundi soir je l’appelle. Ça va. Il m’explique que demain midi on posera à son père une perfusion de back-up (le médicament qu’il va boire est très puissant et peut provoquer un endormissement avant qu’il ait tout bu, le médicament en perfusion sert
dans ce cas) et que cela aura lieu le soir. Son père me dit au revoir.

Mardi midi. Je rappelle : j’ai quelque chose à dire à joli-papa avant de lui dire au revoir à mon tour. Mardi soir, je reçois un SMS de mon ami me disant de ne plus appeler ; une heure après, un SMS m’annonce le décès.

Vendredi matin. Je pars en voiture avec les enfants et une copine. Nous discutons de l’importance du cadre, de fixer des limites pour savoir où se situer. Je pense qu’à partir du moment où joli-papa a lancé la procédure, la date était fixée, ce n’était plus possible de repousser. Cette procédure, avec ses étapes, est indispensable pour préciser le terme.

Á l’arrivée, nos enfants de 5 et 3,5 ans voient leur grand-père, semblent soulagés et jouent devant lui. Ils ne pouvaient imaginer la mort. Lors de la cérémonie, pendant la lecture de textes, les enfants dessinent sur le cercueil en bois brut qui sera ensuite incinéré. Joli-papa et belle-maman l’avaient ainsi souhaité.

Je pense à toutes celles et tous ceux qui ont vécu sensiblement la même histoire et ne peuvent pas la raconter, car elle se passe dans un pays où l’euthanasie n’est pas encadrée.