Chronique d'Evariste
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Que faire après une succession de désastres électoraux ?

par Évariste
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Cette lancinante question doit être prise à bras le corps. Dire que la transition vers l’après capitalisme doit se faire démocratiquement implique, pour nous, de ne pas continuer à agir comme par le passé. Déjà, Albert Einstein nous avait enseigné que l’« on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ». Changer de mode de pensée est en même temps nécessaire mais difficile. Pire, les trois événements de janvier 2015 (les attentats, la victoire électorale de Syriza et la démonstration de force de Podemos du 31) n’ont pas fait bouger la plupart des responsables de l’Autre gauche. Cerise sur le gâteau de la déprime, certains courants de l’Autre gauche s’enfoncent encore plus radicalement dans leurs impasses.

La laïcité rassemble quand les communautarismes et les intégrismes divisent

Cette désintégration idéologique et politique s’observe tout particulièrement dans le renforcement du communautarisme dans toutes les organisations de l’Autre gauche. Au lieu de porter haut et fort la lutte contre tous les racismes et la lutte contre tous les communautarismes et les intégrismes (qui comprend logiquement la lutte contre le racisme anti-juif et les racismes anti-arabe ou anti-musulman), au lieu de porter haut et fort le désir du peuple du vivre ensemble entre athées, agnostiques, chrétiens, juifs et musulmans, ils ont choisi de participer au meeting du 6 mars « contre l’islamophobie » à Saint-Denis (93).

Le PC, ATTAC, le NPA, Solidaires se sont mis à la remorque des communautaristes néolibéraux de l’organisation internationale des Frères musulmans (en France, l’Union des organisations islamistes de France-UOIF) et des ultras-communautaristes anti-libéraux des Indigènes de la République, de l’organisation réactionnaire(pour pas dire plus) de Présence et spiritualité musulmane (PSM) et d’autres organisations qui ont manifesté avec l’extrême droite catholique de la « Manif pour tous ». Même dans les organisations qui n’ont pas apposé leur signature à ce rassemblement réactionnaire, comme EELV et le Parti de gauche (ils ont sauvé l’honneur de ce point de vue), des militants et courants minoritaires sortent du bois pour attaquer la laïcité et faire la promotion des dérives communautaristes de l’islamo-gauchisme.

Agir sur toutes les causes des injustices et non sur une seule. Agir contre toutes les causes des désastres électoraux

Ce renforcement du communautarisme dans l’Autre gauche – contraire au souhait du peuple – rejoint les autres causes des désastres électoraux: mépris de la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population pour la classe en soi), refus de comprendre les lois tendancielles du capitalisme, refus de penser un modèle politique alternatif global en restant à la constitution d’un programme au sein du capitalisme, refus d’étudier toutes les causes du terrorisme religieux, incapacité de lier et de globaliser tous les principes de la République sociale, toutes les ruptures nécessaires, toutes les exigences indispensables. Le progrès du communautarisme est la sanction de l’impasse des stratégies d’alliance avec les néolibéraux en négligeant la stratégie de l’évolution révolutionnaire, et de l’incapacité de donner dans les faits une priorité à l’éducation populaire refondée, sans laquelle aucune bataille pour l’hégémonie culturelle contre le capitalisme n’est possible.

Pour la stratégie du double front

Face à l’alliance planétaire du néolibéralisme avec les communautarismes et les intégrismes, l’Autre gauche se tire une balle dans le pied en s’alliant aux communautarismes et autres intégrismes contre les impérialismes et le néolibéralisme. La clé du soutien populaire est bien dans la stratégie du double front contre le néolibéralisme et les impérialismes et contre le communautarisme et les intégrismes. Il n’y a pas de religion des pauvres, il n’y a que les différents « opiums du peuple » selon la formule de Karl Marx. Se placer du côté des exploités, des dominés, des expropriés face aux exploiteurs, aux dominants, aux expropriateurs ne doit pas être confondu avec la doctrine sociale des églises qui reste dans l’indignation en se déclarant du coté des pauvres contre les riches. S’indigner est insuffisant malgré le best-seller de Stéphane Hessel Indignez-vous !, si on ne se bat pas contre les causes de la pauvreté et de la misère.

Notre tâche est de rassembler le peuple contre les diviseurs communautaristes et intégristes. Nous retrouvons Jaurès pour qui la laïcité et la loi de 1905 permettaient d’unifier la classe ouvrière qui serait divisée sans la laïcité et sans la séparation des églises et de l’État. Le communautarisme divise alors que la laïcité unifie.

Laïcité et féminisme
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Féminisme : ambiguïtés et leçons d'un 8 mars

par Monique Vézinet
Union des Familles Laïques, Réseau Education Populaire

 

La Journée internationale des droits des femmes 2015 aura été un cru particulier, avec davantage d’écho sans doute grâce à la coïncidence du lancement de la Marche mondiale des femmes en France (MMF France, tous les 5 ans) mais sans pour autant apporter de réelles raisons de se réjouir dans le camp du féminisme progressiste.
Quelques impressions tirées des manifestations organisées au plan national, et donc avec un prisme parisien assumé.

Le « dur » de la condition sociale

La question des inégalités salariales et professionnelles reste bien sûr un thème prioritaire ; car la réduction des écarts hommes-femmes stagne et, malgré la volonté affichée par les gouvernements néolibéraux (voir encore la loi du 4 août 2014), il est clair que l’égalité « réelle » se trouve renvoyée aux négociations entre partenaires sociaux, donc à des rapports de force (de classe) particulièrement défavorables en période de politiques austéritaires1. Le refus de la flexibilisation du travail du dimanche prévue par la loi Macron aura été un thème très visible dans le cortège, à côté des revendications plus classiques concernant l’accueil des jeunes enfants ou le temps partiel.
Mais la problématique de la place des revendications « spécifiquement féminines » dans le mouvement social qui a déjà parcouru le XIXe et le XXe siècle reste plus actuelle que jamais. S’il appartient à chaque syndicat d’y apporter sa réponse et si la solidarité joue lors d’épisodes de mouvements spontanés de travailleuses surexploitées (femmes d’entretien dans l’hôtellerie, employées de salon de coiffure…), la représentation des femmes reste notoirement handicapée par leurs conditions de travail et de vie quotidienne, si bien que leurs demandes propres risquent toujours d’être mises en attente… Les mouvements féministes qui ne prennent pas en compte cette dimension trahissent en fait toutes les femmes !

Prostitution et identités

Comme cela avait été le cas dans le passé, un collectif « 8 mars pour TouTEs » appelait à Paris à une manifestation séparée. Il rassemblait cette année plusieurs associations pro-LGBT, de tenants du voile islamique (notamment pour l’accompagnement scolaire), ainsi que de travailleurs du sexe ou de partisans de la reconnaissance de la prostitution. Le caractère hétéroclite et minoritaire de ce cortège ne doit pas faire oublier qu’il incarne trois abcès de fixation anciens mais toujours présents dans le mouvement féministe :

  • Sur la question de l’abolition du « système prostitueur », les positions ont bougé à partir de plusieurs constats : la nécessité de reconnaître comme victimes les personnes qui le subissent ; la mondialisation de la traite et le besoin d’y apporter de nouveaux moyens de lutte ; l’exemple suédois avec la pénalisation du client. Ce dernier aspect reste controversé et nous attendons le proche débat parlementaire pour actualiser nos précédentes analyses.
  • Sur les identités de genre, des crispations subsistent entre les militant(e)s féministes et LGBT, avec toutes les subtilités que permettent des affiliations multiples : la réflexion sur le genre a apporté d’importants acquis théoriques depuis une quarantaine d’années, et permis à de nombreux individus de sortir de la souffrance et de la discrimination, pour autant nous estimons qu’en aucun cas l’identité de genre ne doit créer de droits spécifiques ou de ghettos.
  • Sur la question du voile, les lecteurs de ReSPUBLICA connaissent nos positions, héritières de la longue lutte qui a mené à la loi du 15 mars 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école (publique). Les tentatives de contestation de celle-ci sont clairement politisées. C’est l’objet des points suivants.

Un climat confus, deux mois après les attentats de janvier

Le 8 mars faisait suite … au 6 et, comme on se le rappelle, ce jour-là, le meeting de Saint-Denis « contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire » vint semer le trouble et la division dans une partie de la gauche politique, syndicale et associative. Les réactions à l’intérieur même des mouvements n’ont pas manqué d’impliquer les féministes et/ou les républicains laïques (en particulier chez Attac) qui en sont membres et de susciter des explications alambiquées des directions pour justifier leur signature à l’appel au nom de principes à géométrie variable.
Sur place le 8, entre la place de la République et l’Hôtel de Ville, il était possible de mesurer l’impact de cette confusion : des membres de ces organisations signataires de l’appel du 6 faisaient part individuellement de leur conviction laïque et de leur trouble ; mais parmi ceux appartenant à des organisations non-signataires qui ne s’y étaient pas ralliées, des propos relevant de la laïcité « ultra » ou de la laïcité « molle » pouvaient aussi être entendus.

La laïcité, préalable à toute émancipation féminine

La prise en compte de la situation internationale ne peut que travailler le mouvement féministe français1. Les actes de barbarie dont les femmes sont victimes sur plusieurs continents exige la solidarité et le fait que la Marche Mondiale des Femmes 2015 parte de Kobané est significatif. Mais si le mouvement conserve des ambiguïtés (dont c’est la 4e occurrence depuis 2000), la MMF France cette année a clairement pris position pour la lutte contre tous les extrémismes politiques et religieux, ce qui a permis a des mouvements laïques qui ne l’avaient pas soutenue précédemment (l’UFAL, Femmes Solidaires…) de s’y associer.
Chacune, chacun, choisissant son adversaire privilégié (le Front national, l’islamisme, le catholicisme…), la convergence des extrémismes et fondamentalismes n’est pas toujours perçue ; de plus les atteintes que les uns et les autres font subir aux droits des femmes ne sont pas forcément superposables (droits civiques, civils, sexuels et reproductifs) et les objectifs ne sont pas toujours ouvertement exprimés. La prise de conscience de cette convergence est donc fondamentale : elle conduit vers une conclusion qu’il va falloir encore et encore expliquer, que la laïcité est le socle de possibilité de l’égalité entre les sexes parce qu’elle s’attaque aussi aux représentations qui infériorisent les femmes.

Que faire demain ?

Ce 8 mars 2015 encore le mouvement féministe français reste éparpillé et divisé. La génération du MLF se trouve devoir à présent passer le témoin mais, si les organisations semblent peu évoluer, si aucun mouvement à recrutement large ne se crée, comment la transmission va-t-elle se faire et permettre d’affronter de nouvelles problématiques ? Sans compter que dans les acquis des années 1970/80 certains sont mal stabilisés sinon remis en cause.
De ce qui précède on déduira quelques pistes qui sont proposées aux lecteurs/lectrices de ReSPUBLICA :
– L’identification de « l’ennemi principal » selon la célèbre formule de Christine Delphy, n’est pas une question réglée : dire que l’on lutte simultanément contre le patriarcat et contre le capitalisme n’est pas une proposition satisfaisante tant que l’on ne définit pas les formes de « domination masculine » à l’oeuvre dans les différentes phases du capitalisme ; et sur la période de crise actuelle, il n’est pas sûr que l’analyse et la théorie soient suffisantes.
– Puis il y la stratégie, les luttes spécifiques : si la gauche abandonne facilement la cause des femmes au nom d’autres priorités, il reste au mouvement féministe à tirer au clair sa volonté d’influer à l’intérieur des institutions et mouvements existants ou à l’extérieur. mettre en place une éducation populaire en direction des catégories sociales laissées au bord de la route. Les jeunes filles de ces quartiers qui produisent, dit-on, des terroristes ou de ces territoires livrés à la survie par les allocations sont-elles davantage menacées par la radicalisation ou par la résignation ? Quel sera le versant féminin de la République sociale que nous appelons de nos vœux ?
Voilà quelques questions sur lesquelles nous espérons poursuivre la discussion avec vous !

 

  1. Comme exemple de l’optimisme libéral le plus cynique, citons à la veille du 8 mars, grâce à Télérama et à M. Taddéi, la promotion de l’ouvrage (publié chez Gallimard) de Camille Froidevaux-Metterie, La Révolution du féminin. ]
Politique française
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Comment un appareil s’éloigne de sa base

par Julian Mischi

Source de l'article

 

Julian Mischi est chercheur en sociologie à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), auteur de l’ouvrage Le Communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970 (Agone, 2014) dont Evariste a déjà longuement rendu compte dans une chronique intitulée « L’impensé de toutes les gauches : l’exclusion politique de la classe ouvrière et employée ».

 

De multiples facteurs expliquent l’affaiblissement du Parti communiste français. La volonté d’adapter son discours aux attentes des classes moyennes l’aurait-il précipité ?

Janvier 2014. Nous arrivons au siège du Parti communiste français (PCF), place du Colonel-Fabien à Paris, pour demander des données sur les adhérents. Combien sont-ils ? Mais surtout, qui sont-ils ? D’après tous les indicateurs, les catégories populaires sont de moins en moins présentes au sommet de l’organisation. Mais qu’en est-il à la base ? La réponse devrait être facile à obtenir. Le département « Vie du parti » centralise depuis 2009 les nombreux renseignements que la formation possède sur ses membres : âge, sexe, lieu d’habitation, secteur d’activité… Mais nul mot sur la catégorie socioprofessionnelle. On peut savoir que tel militant travaille à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) ou dans l’aéronautique, mais pas s’il est cadre ou ouvrier. Ce manque d’intérêt pour la condition sociale des adhérents illustre une tendance à l’œuvre au sein du PCF depuis trente ans : jadis centrale, la question de la représentation des classes populaires est devenue secondaire.

De la Libération aux années 1970, au temps où il était le premier parti de gauche en France, le PCF pouvait se présenter comme le porte-parole de la classe ouvrière, car ses responsables étaient majoritairement issus des milieux populaires : ancien mineur comme Maurice Thorez, dirigeant du parti de 1930 à 1964 ; « petit maraîcher » comme son successeur Waldeck Rochet ; apprenti pâtissier comme Jacques Duclos, candidat à l’élection présidentielle de 1969, où il obtint 21 % des voix. Il en allait de même à l’échelon local : avant de devenir maire d’Aubervilliers entre 1945 et 1953, Charles Tillon était ajusteur ; ses successeurs Emile Dubois (1953-1957) et André Karman (1957-1984), respectivement gazier et fraiseur. En propulsant des militants d’origine modeste dans des instances de pouvoir jusque-là réservées aux représentants de la bourgeoisie, le Parti communiste est parvenu, un temps, à bouleverser l’ordre social de la vie politique française. Le caractère populaire de l’organisation était alors perçu comme une nécessité pour inscrire le projet d’émancipation des travailleurs dans les pratiques militantes.

La base du PCF a été frappée de plein fouet par les transformations socio-économiques que connaissent les milieux populaires depuis les années 1970. Confronté à la précarité et au développement du chômage, le monde ouvrier a perdu en cohésion sociale. Pourtant, la crise du parti ne peut être attribuée à une hypothétique disparition des ouvriers : ceux-ci représentent toujours près d’un quart de la population active, et la décrue des effectifs du PCF est bien plus rapide que l’érosion de la classe ouvrière. La France comptait huit millions deux cent mille ouvriers en 1975 et encore sept millions en 1999, alors que, dans le même temps, le PCF perdait plus de la moitié de ses adhérents, passant de cinq cent mille à deux cent mille encartés. En outre, aux côtés des ouvriers, de nouvelles figures populaires ont émergé, dans les services notamment, avec l’essor du groupe des employés. Les ouvriers et les employés demeurent majoritaires dans la population active française, mais les mutations de leurs conditions de vie (relégation spatiale) et de travail (division des collectifs de travail) ont fragilisé leur entrée dans l’action politique. L’affaiblissement du PCF reflète ainsi les profondes transformations sociales et culturelles subies par les classes populaires ; il exprime le reflux du mouvement ouvrier. Ce déclin, qui marque l’épuisement d’une séquence d’intense politisation de la société française durant les « années 1968 », s’explique également par les bouleversements de l’ordre international, en particulier par l’implosion du système soviétique, ou encore par l’évolution du régime politique vers un système présidentiel et bipartisan.

Au cœur du quartier de la Défense, le choix de l’humanisme et de la démocratie

Mais ces explications externes au parti ne suffisent pas, et il serait réducteur d’envisager le déclin du PCF sous l’aspect d’une évolution mécanique, programmée, dont il n’y aurait aucune leçon à tirer.

Pour comprendre l’éloignement du PCF vis-à-vis des classes populaires et son effondrement électoral (il passe de 15,3 % lors de la présidentielle de 1981 à 1,9 % en 2007), il faut analyser les évolutions de son discours et de son organisation. A partir des années 1980 et surtout 1990, le PCF entend représenter non plus seulement les classes populaires, mais la France dans sa « diversité ». La lecture de la société en termes de classes s’efface derrière des thématiques comme la « participation citoyenne » ou la recréation du « lien social ». A l’image de la ville de Montreuil, les municipalités communistes de banlieue adoptent largement la thématique de l’« exclusion » dans les « quartiers » et entérinent sa dimension dépolitisante ((Lire Sylvie Tissot, « L’invention des “quartiers sensibles” », Le Monde diplomatique, octobre 2007.)). Les élus communistes se font les chantres d’une « démocratie locale » censée combler le fossé entre la classe politique et les « citoyens ».

Le projet initial du parti, d’inspiration marxiste, laisse alors place à une rhétorique humaniste largement partagée dans le monde associatif et politique. « Association, partage, mise en commun, coopération, intervention, concertation : ces exigences prennent une vitalité inédite, en lien avec le développement de la révolution technologique et informationnelle et la complexification de la société, l’évolution du travail, le besoin de citoyenneté, de nouvelles relations humaines respectant l’autonomie des individus… », proclame par exemple le document adopté lors du XXIXe congrès de 1996. Ce congrès, qui fait le « choix de l’humanisme et de la démocratie », de la « révolution humaine, citoyenne, solidaire » pour répondre au fait que « c’est la civilisation humaine tout entière qui est en péril », se déroule pour la première fois dans le quartier des affaires de la Défense.

Douze ans plus tard, dans le texte proposé par le Conseil national du PCF comme « base commune » pour le XXXIVe congrès de 2008, le mot « ouvrier » n’apparaît qu’une seule fois, et comme un groupe social au même titre que beaucoup d’autres : il s’agit en effet de rassembler « ouvriers, techniciens, employés ou cadres, femmes et hommes salariés de toutes catégories, précaires, intellectuels, sans-papiers, sans-emploi, paysans, créateurs, étudiants, retraités, artisans ». En rejetant l’ouvriérisme associé au stalinisme, les représentants du PCF ont tendance à abandonner la priorité accordée au rôle des ouvriers et des classes populaires dans le combat politique. Ayant délaissé la réflexion sur les rapports de classe et sur l’organisation de la lutte par ceux-là mêmes qui subissent la domination, ils ont naturellement éprouvé des difficultés à prendre en compte l’essor des nouvelles figures populaires — les employés des services et les descendants des travailleurs immigrés du Maghreb notamment.

L’entreprise de rénovation du communisme français passe par une transformation des modes d’organisation du parti. Les dispositifs de sélection et de formation de cadres militants d’origine populaire sont abandonnés dans les années 1990 et 2000 sous l’effet de la baisse des effectifs, mais aussi d’une remise en cause des pratiques autoritaires du centralisme démocratique (lire « A l’école des militants »). Les écoles, par exemple, disparaissent ou perdent leur fonction d’éducation populaire. La « politique des cadres » — un système de formation qui favorisait les militants ouvriers des entreprises — s’éteint progressivement. Pour le renouvellement du parti, on discute désormais surtout de rajeunissement et de féminisation. Quand il est question de « mixité », il ne s’agit jamais de la promotion explicite des militants issus des classes populaires.

Aux permanents d’origine ouvrière, formés dans les écoles du parti, succèdent des responsables dont la trajectoire (scolaire, professionnelle et militante) est étroitement associée au monde des collectivités territoriales. C’est autour de ces administrations locales que se restructure et survit le communisme contemporain et non, comme jadis, autour des réseaux syndicaux. En 2013, sur l’ensemble des adhérents répertoriés par le département « Vie du parti », 75 % indiquent travailler dans le secteur public, dont 23 % dans une collectivité territoriale. Et il en va de même au sommet de l’appareil. Le dernier dirigeant national passé par des fonctions au sein de la Confédération générale du travail (CGT) fut Georges Marchais : ajusteur de profession, il fut responsable syndical dans la métallurgie avant d’occuper la tête du parti de 1970 à 1994. Ses successeurs, eux, ont partie liée à la gestion des collectivités locales. M. Robert Hue fut le premier édile à devenir le secrétaire national du PCF, en 1994 ; il était alors maire de Montigny-lès-Cormeilles, conseiller général, conseiller régional et surtout président de l’Association nationale des élus communistes et républicains. Mme Marie-George Buffet lui a succédé en 2001. Elle fut d’abord employée à la mairie du Plessis-Robinson avant d’être maire adjointe dans une autre municipalité, puis élue au conseil régional d’Ile-de-France.

Quand les nouveaux dirigeants du PCF passent par le syndicalisme, il s’agit du syndicalisme étudiant. Mme Buffet a fait partie du bureau national de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Secrétaire national du PCF depuis 2010, M. Pierre Laurent, lui, a dirigé l’Union des étudiants communistes (UEC). Titulaire d’une maîtrise de sciences économiques de la Sorbonne, cet ancien journaliste et directeur de la rédaction de L’Humanité symbolise la puissance de l’engagement familial au sein du communisme contemporain. Fils de Paul Laurent, député et cadre de l’appareil dans les années 1970-1980, il est aussi le frère de M. Michel Laurent, autre dirigeant national qui fut responsable de la fédération de Seine-Saint-Denis. Les nouveaux dirigeants deviennent communistes davantage par héritage local et par fidélité familiale qu’en faisant l’expérience des inégalités sur leur lieu de travail.

La recherche de sources de financement par les permanents, qui ne peuvent plus être rétribués par un parti en perte de vitesse et cherchent à se salarier sur des postes électifs, explique aussi l’évolution du PCF. En 2013, selon le rapport financier présenté au congrès, la contribution des élus s’établit à 46 % des ressources totales du parti (contre 26 % au Parti socialiste et 3 % à l’Union pour un mouvement populaire). Ainsi, partout en France, les dirigeants communistes ont été appelés à entrer dans les assemblées électives. Il existait jusqu’ici une distinction forte entre les responsables d’appareil et les élus, les premiers étant chargés de « surveiller » les seconds en évitant leur « notabilisation » et en assurant la vitalité des réseaux militants. Or les responsables départementaux du parti ont eu pour consigne d’entrer dans leurs conseils régionaux à partir de 1998. Grâce à une alliance avec le Parti socialiste (PS), beaucoup ont pris des responsabilités dans les exécutifs de leur région. La notabilisation élective des cadres d’appareil est en marche.

Les experts en communication aux manettes lors des campagnes électorales

M. Hue entendait en 1995 libérer « de toute “tutelle” ombrageuse du parti les élus qui détiennent leur mandat non des seuls communistes mais du suffrage universel ((Robert Hue, Communisme : la mutation, Stock, Paris, 1995.)) ». Dès lors, les dirigeants nationaux eux-mêmes peuvent dévaloriser les ressources militantes au profit des élus et des expériences gestionnaires. Sur le terrain, les militants voient leur rôle se réduire, et l’activité électorale devient prioritaire. Les nouveaux adhérents ne restent pas longtemps de simples militants, mais sont rapidement sollicités pour se présenter aux élections municipales, avec pour conséquence un affaiblissement récurrent du militantisme local — d’autant que les élus, cumulant les mandats, délaissent rapidement les réunions du parti. Aux sièges des fédérations départementales, la présence militante s’efface, les réunions se tiennent avant 18 heures, et les militants « bénévoles » laissent la place à des professionnels (permanents, collaborateurs des groupes d’élus, personnel administratif, etc.) absents le week-end.

Or les élus ont leurs propres préoccupations. Pour préparer la prochaine campagne électorale, ils embauchent des experts en communication ; du fait de la technicisation croissante de l’action locale, ils s’entourent de cadres de la gestion publique ((Lire Fabien Desage et David Guéranger, « Rendez-vous manqué de la gauche et de la politique locale », Le Monde diplomatique, janvier 2014.)). Ils peuvent délaisser les relais militants ou associatifs au profit de professionnels, qui leur ressemblent socialement. Résultat : l’univers social des élus communistes se détache de celui de leurs administrés, et les catégories populaires jouent un rôle plus effacé dans la vie politique locale.

Cet éloignement des responsables communistes à l’égard des groupes sociaux qu’ils ont vocation à défendre affecte les pratiques militantes. Pendant longtemps, le PCF a impulsé une sociabilité politique étoffée dans les territoires où il était bien implanté (les « banlieues rouges », certaines communes rurales…). Ses militants animaient un ensemble d’organisations « amies » (Union des femmes françaises, Confédération nationale des locataires, Mouvement de la paix, Fédération sportive et gymnique du travail, etc.), mais aussi des cellules de quartier ou d’entreprise. Au cours des années1980 et 1990, à mesure que la base militante se réduit et que les responsables se focalisent sur les enjeux électoraux, le militantisme local au PCF se limite de plus en plus à des actions de type associatif. L’essentiel des activités de masse est alors consacré à l’organisation de rassemblements festifs et commémoratifs, à l’image des traditionnels banquets du 1er-Mai ou du 14-Juillet.

Pris au piège de la droitisation de l’allié socialiste

Les communistes tirent en quelque sorte les leçons du moindre impact des réunions politiques d’autrefois, d’autant plus que cette dimension festive a traditionnellement constitué une force du communisme français, à l’image du succès continu de la Fête de L’Humanité au-delà des rangs du parti. Ainsi, au niveau local, la sociabilité autour de rendez-vous festifs perd son caractère politique, car les associations et les municipalités prennent le pas sur le parti dans l’organisation. Dans le village de Treban (Allier), par exemple, trois instances se substituent progressivement au PCF dans l’animation locale : l’amicale laïque, le comité des fêtes et le club du troisième âge. Les adhérents, une cinquantaine dans les années 1960-1970, ne sont plus qu’une dizaine dans les années 1990, essentiellement des agriculteurs à la retraite. Ils ne se rassemblent qu’une fois par an, lors de la remise des cartes organisée par le maire — un enseignant à la retraite — et son épouse. La réduction continue du nombre des travailleurs de la terre et de l’industrie, les déceptions vis-à-vis de la participation du PCF au gouvernement (d’abord en 1981-1984, puis en 1997-2002), la fin de l’Union soviétique : un ensemble de processus contrarie le maintien de l’organisation, qui a pourtant vu différentes générations de communistes se succéder depuis les années 1920. Faute de renouvellement militant, la mairie, communiste depuis l’entre-deux-guerres, est finalement perdue en 2001.

Les élus PCF de cette région rurale axent leurs politiques sur les thèmes de la vitalité associative : à la « citadelle rouge » succèdent des communes à la pointe dans le domaine de l’animation et de la promotion de la vie associative, sans référence à la défense d’une identité populaire ou politique. Dans l’éditorial du journal municipal de Bourbon-l’Archambault (deux mille cinq cents habitants) du début de l’année 2014, le maire communiste remercie « le monde associatif bourbonnais et les acteurs économiques locaux [qui] ont travaillé pour défendre et développer l’activité locale (…). Qu’ils soient commerçants, artisans, agriculteurs, chefs d’entreprise, membres de professions libérales, salariés ou agents de l’administration, retraités ou tout simplement concitoyens, les habitants de notre commune méritent remerciements et encouragements ».

Sur le plan pratique, la thématique de la lutte des classes perd sa position centrale pour les militants et laisse peu à peu place à une multitude de combats ciblés : répartition des richesses, féminisme, environnement, diversité, mondialisation. Il s’agit moins de s’engager au PCF au nom de la société socialiste future que de rejoindre certains réseaux à thème (éducation, immigration, Europe, etc.) qui se développent avec des comités propres et des manifestations particulières. Les militants sélectionnent les domaines qu’ils investissent sans se reconnaître forcément dans l’ensemble du message partisan. Cette segmentation de l’engagement contraste avec la place centrale qu’occupaient le parti et l’idéologie marxiste dans l’univers communiste. Dans ces conditions, certains militants ouvriers investissent la CGT mais se détournent du PCF ; d’autres, souvent plus diplômés, participent aux activités de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) ; d’autres encore se consacrent exclusivement à leurs tâches d’élu local. Le parti a progressivement perdu sa position centrale dans les réseaux militants de la gauche du PS.

Néanmoins, après une longue période de léthargie et de vieillissement, un certain renouvellement des réseaux militants est intervenu depuis quelques années. D’abord lors de la campagne victorieuse contre le traité constitutionnel européen de 2005, puis dans le cadre du Front de gauche, la coalition électorale mise en place en 2008 entre le PCF et d’autres formations de gauche. Pour la première fois depuis 1980, les effectifs militants annoncés par la direction se sont stabilisés autour de soixante-dix mille adhérents ((Ce chiffre des adhérents à jour de leur cotisation est plus exact que les cent trente mille « cartes placées » annoncées.)), et la part des moins de 30 ans a légèrement augmenté. La campagne présidentielle de 2012 a tout particulièrement remobilisé les rangs communistes. A cette occasion, le PCF a soutenu M. Jean-Luc Mélenchon, responsable du Parti de gauche (PG), qui a obtenu 11,1 % des suffrages. Ce dernier, ancien socialiste, a opéré une certaine radicalisation du discours avec un retour de la thématique des antagonismes sociaux, alors que les campagnes précédentes étaient marquées par une euphémisation des référents communistes et anticapitalistes.

Si la stratégie du Front de gauche a freiné le déclin électoral du PCF aux élections présidentielle (2012) et européennes (2009, 2014), la décrue s’est poursuivie lors des élections législatives (2012) et municipales (2014), c’est-à-dire lors de scrutins où le PCF, plus que le Front de gauche, était en première ligne. Cette stratégie a mis au premier plan le problème de l’influence des élus dans l’appareil communiste et de leur dépendance à l’égard du PS. Le Front de gauche a en effet impulsé une dynamique qui s’accorde mal avec la poursuite d’une configuration classique d’union de la gauche PCF-PS. Les élections municipales de mars 2014 ont d’ailleurs donné lieu à des tensions très fortes entre le PCF et le PG, favorable à des listes autonomes du PS dans les grandes villes dès le premier tour. Elles ont également suscité des contestations internes au PCF, de la part de nouveaux adhérents qui s’opposent à la reconduction de l’alliance avec le PS. Mais, pour les élus et pour une part significative de la direction du PCF, conserver les municipalités à direction communiste avec le soutien du PS et les postes d’adjoint dans les autres mairies d’union de la gauche reste une priorité, au risque, selon certains, d’alimenter le lent déclin du militantisme.

L’équilibre semble compliqué à trouver pour les militants. Les élus locaux ont permis indéniablement le maintien d’une certaine influence du PCF alors que son audience nationale s’est effondrée. Par le passé, les municipalités communistes étaient en outre au cœur de l’implantation du PCF dans les milieux populaires : point d’appui à la diffusion des idées, elles constituaient des bases pratiques d’organisation militante et de résistance aux élites politiques et sociales. Plus que la bolchevisation de 1924-1934, ce sont les compromis du « communisme municipal », tout comme la stratégie du Front populaire d’alliance avec le frère ennemi socialiste, qui ont favorisé l’ancrage populaire du PCF. Néanmoins, dans le contexte contemporain de droitisation du PS, de professionnalisation des collectivités territoriales et de faiblesse des réseaux militants, ce qui fut une force pour le PCF peut parfois constituer un frein à son renouvellement.

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Défaite d’Obama : la totalité des gouvernements sud-américains lui demande de retirer son décret contre le Venezuela

par Thierry Deronne

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Cinglante défaite pour Barack Obama et nouveau pas dans l’unité et la souveraineté latino-américaines : tous les Etats membres de l’Union des Nations Sud-Américaines (Unasur), à savoir l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Surinam, l’Uruguay et le Venezuela se sont réunis en session extraordinaire à Quito ce samedi 14 mars 2015 pour manifester leur rejet unanime du décret pris par Washington contre le Venezuela le 9 mars 2015 parce qu’”il constitue une menace d’ingérence et de violation de la souveraineté et du principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres États”.

Chargé de lire la déclaration finale, le chancelier de l’Uruguay a expliqué que les douze gouvernements ont réaffirmé leur engagement “avec la pleine actualité du droit international, la solution pacifique des controverses et le principe de non-intervention” et, dans une claire allusion à la possibilité d’un blocus économique ou d’une invasion militaire, ont appelé tout gouvernement “à s’abstenir de mesures coercitives unilatérales qui violent le droit international”. Les participants à la réunion de Quito ont demandé instamment aux États-Unis d’évaluer et de mettre en pratique “des alternatives de dialogue avec le Gouvernement du Venezuela basée sur les principes de souveraineté des peuples« .

En outre, le porte-parole a rappelé que l’UNASUR poursuivra sa mission d’accompagnement du “plus large dialogue politique avec toutes les forces démocratiques vénézuéliennes, dans le plein respect de l’ordre constitutionnel, des droits humains et de l’État de droit”. La semaine passée la délégation de l’UNASUR s’était rendue à Caracas pour enquêter sur la tentative de coup d’État du 12 février contre le gouvernement de Nicolas Maduro, avait invité les diverses forces politiques à un réunion et s’était entretenue avec les autorités du Centre National Électoral. Au terme de ces travaux, le président de l’UNASUR, l’ex–président colombien Ernesto Samper, avait rejeté l’ingérence extérieure et recommandé à l’opposition de jouer le jeu électoral et de renoncer à la violence.

Une position réaffirmée ce samedi par le chancelier uruguayen : “L’Unasur considère que la situation intérieure du Venezuela doit être résolue par les mécanismes prévus dans la Constitution vénézuélienne” et offre son plein appui dans le cadre de l’observation des prochaines élections législatives prévues cette année au Venezuela,  “convaincue de l’importance de maintenir l’ordre constitutionnel, la démocratie et la plus totale permanence des droits humains fondamentaux de l’Unasur”.

Pour rappel, le lundi 9 mars 2015, le gouvernement des États-Unis avait franchi un nouveau seuil dans les menaces vis-à-vis du Venezuela lorsque le président Barack Obama avait signé un ordre exécutif décrétant “l’urgence nationale aux États-Unis vu la menace extraordinaire et inhabituelle que représente le Venezuela pour notre sécurité nationale et notre politique extérieure” (sic). Ce document avait, en peu de jours, suscité une solidarité active avec le Venezuela de la part des mouvements sociaux latino-américains et de collectifs du monde entier qui ont défilé à Buenos Aires, à Brasilia, à La Paz, à Managua, à La Havane, etc. jusqu’à Madrid : collectifs citoyens, mouvements étudiants, syndicats de travailleurs, mouvements paysans comme les Travailleurs Sans Terre du Brésil…

Le président équatorien Rafael Correa a déclaré : “Comment ne pas rejeter avec indignation cette barbarie ! A l’époque des dictatures des années 70, c’était quelque chose de commun mais aujourd’hui, en plein XXIe siècle ! Le droit international existe ! Que l’on soit ou non d’accord avec le gouvernement de Nicolas Maduro, la plus élémentaire des dignités nous oblige, en tant que latino-américains, à rejeter tant d’arrogance, tant d’unilatéralisme, tant d’impérialisme. Nous en avons assez ! Quelle honte !”. Pour l’ex-Président Mujica, dire que « le Venezuela est une menace est une folie, nous en avons assez de l’intromission permanente des États-Unis ! » et  le président bolivien Evo Morales a exigé du président Obama de présenter ses excuses à l’Amérique Latine.

Des théologiens brésiliens de la Libération comme le père franciscain Leonardo Boff et l’évêque Pedro Casaldáliga, le Père nicaraguayen Miguel d’Escoto, ex-Président de l’Assemblée des Nations-Unies, ainsi que l’évêque Thomas Gumbleton et l’ex-Procureur Général des États-Unis Ramsey Clark, 1.

T.D., Caracas, 14 mars 2015.

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Sur la distinction droite/gauche

 

A propos de l’article de Didier Hanne

Voir http://www.gaucherepublicaine.org/debats/mines-defaites-et-flambee-dorthodoxie-a-gauche/7395476)

J’ai beaucoup apprécié de lire enfin un papier en défense de Michéa. Un gars que j’ai découvert il y a moins de deux ans et depuis j’ai lu pas mal de ses bouquins. J’assimile assez bien son concept de libéralisme culturel porté par la gauche pour que le capitalisme ne soit pas bancal, la droite s’occupant du libéralisme économique. Bien que la gauche a démontré qu’elle aussi sait y faire en la matière. Le travail du dimanche en est un exemple et celui-ci à l’avantage d’être autant économique que culturel.
Syndicaliste dans un syndicat situé entre la CNT et la CGT, ouvrier de culture et de profession, j’ai toujours voté à gauche, sauf en 2002. Travaillant sur un campus universitaire et côtoyant des militants de différentes obédiences de la gauche dite « radicale », j’ai constaté en réel comment étaient fondés les propos de Michéa.
J’ai vu des amis passer de la LCR au NPA puis rejoindre la FdG avec Ensemble, et aujourd’hui faire une alliance électorale, ici à Montpellier (ville de Michéa) avec des écolos qui étaient il y a peu de temps encore, alliés à ceux qui nous gouvernent. Aux européennes, je n’avais pas été voter, à ces cantonales, j’irai voter blanc. Peut-être que Michéa a raison, il faut sortir du jeu droite/gauche quand celui-ci ne veut plus rien dire et finit comme en Allemagne avec une coalition. Ce n’est pas la peine de tenter de nous culpabiliser, il ne s’agit pas de politique du pire ou de voter encore une fois pour le moins pourri. La colère est bien là, contre ceux qui nous ont trahis depuis quelques décennies et qui nous poussent à nous mettre hors-jeu en nous faisant prendre le risque d’en subir quand même les conséquences.

Hughes Domergue

Réponse de l’auteur : Adieux à la gauche ?

Faut-il abandonner l’étendard de la gauche aux socio-libéraux qui s’en réclament ? A un moment où le glissement vers la droite du parti socialiste s’est tellement accentué qu’il n’est plus faux de parler à son sujet de « droite socialiste », la question posée par notre lecteur est d’une cruelle actualité.

Certes, ce débat n’est pas simple. S’il faut partir d’un constat, celui-ci est encore contradictoire : d’un côté, pour des millions de gens, notamment dans la jeunesse, la référence à la gauche ne veut plus rien dire de positif, quand elle n’est pas un repoussoir. Jugeant sur les actes et non sur les étiquettes, ceux- ci, comme l’a écrit Michéa ne veulent plus se courber sous la bannière identitaire d’une gauche qui semble parfaitement installée dans le monde capitaliste tel qu’il va. D’un autre côté, on doit aussi tenir compte que la gauche, pour des centaines de milliers de personnes, c’est encore le nom que porte l’envie de combattre la droite pour engager une transformation sociale plus profonde des rapports économiques et sociaux, c’est la mémoire des

Notons au passage que s’il s’agit d’abandonner un terme parce qu’il serait définitivement pollué par les pratiques du parti dominant (jusqu’à quand ?) de la gauche, la logique devrait être poussée jusqu’à son terme et rapidement il faudra aussi abandonner au PS le terme de «socialiste».

Rappelons ensuite que la gauche aujourd’hui, ce n’est pas le PS seulement, c’est aussi le « Front de Gauche », cartel de plusieurs forces qui se réclament avec vigueur de la gauche, dans la difficulté actuellement, mais avec un certain succès électoral encore il y a 3 ans à peine, et qui peut encore rebondir en 2017. Plus de 11% des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012 se portaient sur Jean-Luc Mélenchon : au moins en 2012, des dizaines de milliers de militants et quelques quatre millions d’électeurs continuaient de se réclamer de la gauche, sans se rallier à l’économie libérale et à la « rigueur » professée par le PS, tout en accusant souvent celui-ci de ne plus être vraiment de gauche. A n’en pas douter, si le FG venait à abandonner le deuxième mot de son nom, il ne manquerait pas de désorienter une bonne part de ceux qui se sont reconnus en lui, surtout dans un contexte politique par le développement d’une force d’extrême-droite qui a fait du « ni droite ni gauche » son slogan central.

Et puis quand même ! La gauche, ce n’est pas que Cahuzac, DSK, Guérini, Macron, Moscovici, les arrivistes-incultes-tirés-à-quatre-épingles-le-smartphone-à-la-main, les petits fours dans les cocktails de nouvelle année organisés à grands frais par les grands manitous des collectivités territoriales, le ralliement au nucléaire, le travail du dimanche, les cadeaux aux entreprises. C’est aussi le nom dont se réclament de nombreux syndicalistes, des militants associatifs et pas mal d’écologistes, parfaitement intègres et dégoûtés par les créatures dites de gauche qui s’emplissent les poches en imposant l’austérité aux gens de peu. Beaucoup de ceux là se vivent encore comme des «hommes ou des femmes de gauche» tout en étant parfaitement capables de lire, de comprendre et d’apprécier un texte de Michéa, en dépit des invectives dont celui-ci est abreuvé par les chasseurs de sorcières de la gauche autorisée.

Dans ses glissements progressifs vers la droite et le centre droit, le PS ne manquera pas d’essayer d’embarquer le terme «gauche» avec lui, pour essayer d’obtenir le suffrage de ces électeurs, en jouant sur le danger de l’extrême droite. Bien entendu, il s’agit d’une sorte d’escroquerie politique, dont on peut prévoir qu’elle fonctionnera de moins en moins – on le verra encore aux départementales – mais renoncer à disputer au PS le terme de gauche ne reviendrait-il pas à lui faciliter ce holdup sémantique? La contradiction entre la référence au socialisme et des pratiques économiques et sociales de plus en plus éloignées de l’idéal proclamé saute aux yeux. Le moment est-il bien choisi pour renoncer à jouer sur cette contradiction ?

Certes, cette gauche, il faut la changer vigoureusement, la tourner vers l’extérieur, vers le peuple tel qu’il est, la refonder de la base au sommet, la moraliser, la républicaniser, la laïciser, ce qui n’est pas une mince affaire. Et on n’est pas obligé de continuer, à toutes les élections, de finir par voter pour la droite socialiste au deuxième tour des élections.Au vu de ce qu’est devenu le PS, cet automatisme-là n’a plus aucun sens. Mais la gauche, c’est encore le nom que porte depuis des dizaines d’années en France l’envie de combattre la droite, pour engager une transformation sociale plus profonde des rapports économiques et sociaux.C’est aussi un combat pour la République, plus que jamais d’actualité, à l’heure du multiculturalisme discret, des entorses à la laïcité, et face à l’ouragan totaliterroriste des fous d’Allah. Elle est encore la mémoire de luttes, nationales et internationales menées par plusieurs générations. On doit inventer, mais pas sur les décombres et le mépris des traditions. Il faut jeter des passerelles entre l’ancien et le nouveau, pas trancher sèchement le fil des continuités, au risque d’y perdre nos propres boussoles.

Abandonner le terme de gauche, c’est renoncer à jouer sur une tension qui est à l’œuvre au sein de la gauche. On peut soutenir que dans la période actuelle, même sans fétichiser quoi que ce soit, et en pleine conscience que références et étiquettes ne sont pas des absolus intangibles, qu’elle peuvent toutes être « salies » par des imposteurs (Sarkozy s’apprête scandaleusement à préempter le nom de « République », Badiou se déclare « communiste », Marine Le Pen se déclare « laïque » et se réclame du « peuple », etc.), il y aurait beaucoup d’inconvénients et peu d’avantages politiques à laisser la gauche captive de ceux qui font tout leur possible… pour la détruire.

Didier Hanne

Note de la Rédaction de ReSPUBLICA

Nous sommes d’avis, comme Didier Hanne, de ne pas abandonner le terme de gauche. Mais nous ne croyons pas qu’il soit possible aujourd’hui de « refonder » la gauche française grâce à des déplacements, des recombinaisons au sein des structures existantes s’en réclamant. Dans la géométrie cahotique actuelle, où l’on voit EELV se dire à la gauche du Parti socialiste, où l’on voit la confusion qui a conduit au meeting du 6 mars « contre l’islamophobie et le climat de guerre sécuritaire », nous avons tendance à utiliser le terme d’Autre gauche pour désigner celle qui refuse les politiques d’inspiration néolibérale de l’actuel gouvernement. Cette Autre gauche française, qu’on peut aussi désigner du terme de gauche de la gauche, n’est pas pour autant unie dans ses objectifs ni dans ses stratégies ; nous avons particulièrement dénoncé une incapacité à se lier aux couches ouvrières et employées et à pratiquer l’éducation populaire, qui explique en grande partie ses échecs électoraux.

C’est pourquoi nous distinguons de cette gauche de la gauche, la gauche de gauche anticapitaliste : on trouvera les sources de cette appellation dans l’éditorial d’Evariste « Pourquoi devons-nous passer d’une gauche de la gauche à une gauche de gauche ? ».