Que dit la loi française ?
Le sujet est clairement défini par le législateur pour les entreprises relevant du droit privé :
Le salarié peut-il porter un vêtement religieux ou un signe religieux en entreprise ?
Oui, le port d’un signe ou d’un vêtement religieux est autorisé.
Toutefois, la liberté de se vêtir pendant le temps et sur le lieu de travail n’est pas une liberté fondamentale. L’employeur peut interdire certaines tenues ou accessoires (ou imposer le port de certaines tenues) pour des raisons de sécurité, de santé ou d’hygiène sanitaire.
C’est le cas, par exemple, d’incompatibilité entre le port d’un signe religieux et d’un équipement obligatoire de protection.
C’est également le cas de risques (mécaniques ou chimiques) accrus par le port de vêtements ou d’insignes non adaptés.
À savoir
Une clause du règlement intérieur peut interdire à un salarié en contact avec la clientèle le port de tout signe manifestant des convictions personnelles.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F20367
L’on peut ainsi saluer des initiatives comme celle de la société Paprec qui a défini en 2014 une charte interdisant le port de signes religieux(1)https://www.paprec.com/wp-content/uploads/2020/11/charte_de_la_laicite_paprec.pdf. :
5 / La laïcité en entreprise implique que les collaborateurs ont un devoir de neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leur travail.
Une prise de position novatrice à l’époque et qui a fait écho dans d’autres entreprises françaises depuis(2)https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/02/10/le-recycleur-paprec-adopte-une-charte-de-la-laicite_4363230_3224.html..
Que vient faire l’Islam dans la promotion d’une formation ?
(c) Datascientest
L’on peut cependant s’étonner qu’un site internet comme celui du centre de formation DataScientest diffuse des contenus sponsorisés proposant à des femmes voilées une formation pour devenir Data Scientist. À l’évidence cette publicité vise les femmes musulmanes – encore que ce point ne soit pas explicite.
Mais pourquoi une religion plutôt qu’une autre ? Et doit-on ici comprendre que les femmes non voilées ne sont pas concernées par l’offre ?
D’autant que, comme le montre la capture ci-contre, il s’agit d’une vidéo pour laquelle la page de garde est par définition publicitairement ostentatoire – puisqu’affichée par défaut.
Y a-t-il donc ici une intention du publicitaire, sinon de DataScientest elle-même, de cibler un public précis ? Cela interroge.
Ici une femme n’est en tout cas pas une ressource ciblée pour son potentiel intellectuel dans un domaine de l’informatique. Et qui plus est, il y a une absurdité au prétexte d’une « discrimination voulue positive » : le port du voile est une pratique très minoritaire en France à croire cet article de Libération en ligne rapportant les chiffres d’une étude l’INED en 2024 :
Selon la dernière étude de référence de l’Ined, 17 % des descendantes d’immigrées âgées de 18 à 60 ans se couvrent la tête. Un chiffre plus élevé (36 %) chez les femmes immigrées(3)https://www.liberation.fr/societe/religions/le-port-du-voile-une-pratique-minoritaire-en-france-mais-en-augmentation-20240315_A3THDAFRWJCBNEX2IOIZPXMYWY/..
Les publicitaires auraient eu meilleure efficacité dans une communication plus neutre de ce point de vue – à moins qu’elle ne cible une population avec un cahier des charges spécifique, mais qui, malheureusement, ne nous est pas accessible. Il serait intéressant de savoir ce qui a motivé et le publicitaire et DataScientest dans cette communication « orientée ».
Certes cette publicité est légale. Mais tout comme celle d’Optical Center faisant référence à Dieu, elle interroge suffisamment le public au point que cette dernière a suscité la saisie de l’ARCOM qui a dû statuer(4)https://www.arcom.fr/se-documenter/espace-juridique/decisions/publicite-en-faveur-de-la-marque-optical-center-reponse-aux-plaignants..
L’entrisme religieux choque dans notre culture française, qui cumule des années de lutte contre les cultes de tout poil qui nous ont valus au cours de l’Histoire, nombre de meurtres, de guerres, et de violences – jusque dans les atteintes sexuelles de masse à l’encontre de centaines de milliers d’enfants. Les Françaises et les Français ne sont donc pas à l’aise avec les religieux. Et à raison(5)Rapport Sauvé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_ind%C3%A9pendante_sur_les_abus_sexuels_dans_l%27%C3%89glise..
Quand les logiciels sont aussi concernés !
Le législateur en France a donc défini des limites, la plus connue étant la loi de 1905 pour instaurer la neutralité religieuse dans les services rendus vers les concitoyens. Nous parlons ainsi de laïcité – bien que ce mot soit absent du texte de loi. Et alors même qu’il ne définit pas les sanctions lors de son non-respect (il n’existe pas de délit d’atteinte à la laïcité dans la loi de 1905).
Cette tradition laïque à la française déborde cependant dans l’espace public, des journalistes, écrivains ou politiques sortant la laïcité de l’État de son cadre, pour argumenter de manière erronée une prise de position pour des comportements ostentatoires (ou non) dans l’espace public.
Dans le cas publicitaire que nous venons de voir, la loi de 1905 est en effet sans objet. L’on pourra s’émouvoir de voir qu’une femme est réduite à son appartenance religieuse au lieu de valoriser son intellect pour assumer un emploi d’ingénieur en instrumentalisant son corps pour porter un message politique islamiste. Mais ce n’est que de l’émotion et non un délit constatable.
En revanche, si un employeur définit une charte de la laïcité comme Paprec, il est maintenant factuel de constater que ce document peut être enfreint avec une facilité déconcertante. Comme le montre la capture d’écran suivante, dans un simple logiciel « JIRA » édité par la société australienne Atlassian.
Ainsi, dans JIRA vous pouvez associer à votre compte personnel, un avatar – une icône publiquement partagée dans toute l’entreprise – comme dans de nombreux autres outils où vous pouvez associer votre propre photo d’identité aussi :
Et nous constatons qu’une femme voilée (donc musulmane ?) est affichée et que la religion Sikh (?) est représentée par un homme enturbanné avec un Dastar (cadres en rouge ci-dessus(6)https://fr.wikipedia.org/wiki/Dastar#:~:text=Le%20Dastar%20est%20le%20turban,dans%20l’ordre%20du%20khalsa..
Comment comprendre le choix de l’éditeur Atlassian ? Intéressons-nous à la place de la religion en Australie.
Bien que le peuple australien soit assez éloigné des religions – il y a une loi qui sépare religion et état en Australie – les dernières tendances politiques observées dans ce pays montrent un entrisme certain dans cette partie du Commonwealth, comme l’indique Christina Rocha, directrice du Groupe de Recherche Religion et Société à l’Université occidentale de Sydney :
Christina Rocha […] livre ici son analyse du rapport de force entre religion et politique du point de vue du modèle anglo-saxon, selon lequel l’omniprésence de la foi empêche d’envisager tout principe de neutralité qui affranchirait la sphère publique d’une emprise des religions.
https://www.pourquoilalaicite.fr/australie
La tendance australienne au communautarisme religieux est donc une réalité sociale, comme le souligne avec justesse Christina Rocha :
Le projet moderne – avec les institutions et les différentes formes de pouvoirs sécularisés – est de plus en plus contesté par un nombre croissant de communautés qui considèrent Dieu et les forces spirituelles comme des autorités ultimes pour ce qui est de la manière dont les gouvernements doivent concevoir les politiques et les lois, et de la manière dont nous devons mener nos vies. Pour les pentecôtistes, par exemple, il existe un dessein divin qui agit dans le monde, car Dieu est présent et intervient dans les événements du quotidien.
Il suffit d’observer la croissance des théories du complot et du mouvement anti-vax, en particulier pendant la pandémie de COVID-19, et la façon dont le Mouvement du Mieux-être a fusionné avec les théories du complot dans un phénomène appelé « conspiritualité » pour voir que la science est remise en question par des croyances magiques, spirituelles et religieuses.
L’Australie n’est donc pas moins sujette aux mêmes problématiques que la France et illustre ainsi que l’entrisme religieux est une réalité tant dans le monde politique que plus largement dans la société civile.
Notre conclusion
Le monde de l’emploi n’est jamais qu’un sous-écosystème d’une société. L’entrisme religieux y trouve donc un terrain à son prosélytisme comme ailleurs.
La lutte contre cet entrisme devra donc s’adapter si l’on considère qu’avec lui une régression sociale arrive conjointement, comme par exemple, considérer que le corps d’une femme doit être assujetti par un message politique au mépris de l’égalité des droits femmes-hommes.
Il est des espaces publics qu’il convient de sanctuariser. Une entreprise n’est pas un lieu d’expression de ses opinions personnelles et toute collaboratrice ou collaborateur devrait avoir la liberté d’ignorer l’appartenance religieuse ou politique d’une ou d’un autre collègue. Une entreprise est le lieu où s’applique un contrat établissant comment une capacité de travail est rémunérée dans un rapport d’exploitation au profit d’un employeur. Point final.
Il est fini le temps où la prière était obligatoire chez Michelin … et où les bas déchirés étaient interdits aussi :
3. Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau seront obligatoirement présents.
https://bataillesocialiste.wordpress.com/2008/02/13/un-reglement-dusine-en-1860/
4. L’habillement doit être du type le plus sobre. Les employés de bureau ne se laisseront pas aller aux fantaisies des vêtements de couleurs vives, ils ne porteront pas de bas non plus, à moins que ceux-ci ne soient convenablement raccommodés.
Notes de bas de page