Approfondissement de la crise à gauche après les européennes

Près d’un électeur sur deux n’a pas voté ce dimanche 26 mai 2019 (1)la légère remontée du taux de votation par rapport à l’élection de 2014 suffit pour disqualifier les appels à l’abstention révolutionnaire d’une partie du gauchisme français. . Cela touche surtout les jeunes de moins de 24 ans et les couches populaires : 60% des ouvriers, des employés et des couches moyennes intermédiaires et des moins de 35 ans se sont abstenus ! Voilà pourquoi la gauche ultra divisée fait largement moins d’un tiers des suffrages exprimés. La perspective de la révolution citoyenne demain matin à 8H30 est clairement bouchée !

La perspective d’un front du peuple sans les couches populaires et la jeunesse n’est pas à l’ordre du jour

Le pôle droite –extrême droite fait donc plus des 2/3 des suffrages exprimés. Le pôle néolibéral (LREM, RN, EELV, PS, etc.) fait près de 90% des suffrages exprimés (mais n’oublions pas que RN ou LREM ne représente que 11% du corps électoral !).
A noter qu’une partie de l’électorat LREM est partie vers EELV et PP-PS et qu’une partie de LR a rejoint LREM. La conséquence est la droitisation de l’électorat macronien.

Par rapport à la présidentielle, c’est le couple FI-PC crédité de 19,6% à la présidentielle qui est le plus grand perdant tant en nombre de voix qu’en nombre d’électeurs. Il perd plus de la moitié du pourcentage des voix en suffrages exprimés multiplié par le ratio des taux d’abstentions soit plus de 5 millions d’électeurs. La perte de plus d’un million et demi de voix du Front de gauche aux élections intermédiaires sous Hollande avait entraîné le changement de stratégie de Jean-Luc Mélenchon et ses amis avec la constitution de la France insoumise.
Cette décroissance aussi brutale du couple FI-PC de 2017 a eu comme conséquence :
• d’abord un nouvel équilibre des forces de gauche ce qui montre pour ceux qui l’avait oublié que le conflit gauche-droite est toujours l’agonisme structurant, les uns (EELV et à un degré moindre PP-PS) bénéficiant d’un transfert d’électeurs venant des autres ou dit autrement une partie de l’électorat qui avait voté JLM a voté EELV et PP-PS!
• la marginalisation des marqueurs démocratiques, laïques, sociaux et critiques de l’Union européenne et de la zone euro de la France insoumise a entraîné un transfert de voix vers EELV. La FI a perdu son originalité de 2017 où elle globalisait les combats pour n’intervenir que prioritairement que sur l’écologie et l’évasion fiscale.
Pour la France insoumise, des erreurs importantes de communication politique ont eu lieu. Le slogan « Fin du monde, fin de mois, même combat »fut considéré par les gilets jaunes et leurs soutiens comme, scandaleux car ce slogan ne tient pas compte du fait que la fin de mois arrive très nettement avant la fin du monde pour les couches populaires ! L’appel à un référendum anti-Macron fut une catastrophe car il faisait le jeu du RN dans un effet miroir au positionnement de Macron.

Quelles lignes et stratégie pour la FI ?

Par ailleurs, même si la FI a appelé à rejoindre les manifestations des Gilets Jaunes, l’écart béant entre l’appel à la démocratie des gilets jaunes et le fonctionnement a-démocratique de la FI, la marginalisation de la question laïque dans un pays qui est de plus en plus attaché à la laïcité (de ce point de vue, cela dénote un fossé se creusant entre les couches populaires et la FI), l’insuffisante prise en compte tant dans les discours que dans la pratique sociale de la sphère de constitution des libertés (école, sécurité sociale, services publics) a pesé dans le scrutin. L’abandon de la lutte des classes via une stratégie populiste de gauche de type Laclau-Mouffe et enfin l’abandon de la formule « l’UE, on la change ou on la quitte » qui a fait le succès de la présidentielle de 2017 pour la FI , a fait que petit à petit la FI a rejoint les positions coupées des masses du PC et a diminué les différences positives qu’elle avait avec EELV et le couple PP-PS.

La FI a lourdement payé l’idée d’avoir fait croire que l’on pouvait sortir des traités sans sortir de l’UE et de la zone euro comme elle l’avait fait en 2017. Elle n’a pas préparé et montré les différences entres les plan A, B, A/B et C pendant la campagne. Il est temps que la gauche arrête de fuir le débat sur cette Union européenne complexe qu’il faut clarifier. Cette gauche doit dire « Pourquoi et comment désobéir » et surtout “Comment on construit patiemment une alternative européenne ?”
Et il ne suffit pas de dire qu’il faut soutenir les gilets jaunes, encore faut-il aussi répondre à leur demande sociale !

Notons également que le changement stratégique de la France insoumise par rapport à la présidentielle de 2017 a renforcé les partisans de l’Union européenne néolibérale par effacement progressif des marqueurs qui ont construit la poussée de la présidentielle de 2017.
Soulignons que les élections municipales se profilent dans moins de 10 mois. Sans un sursaut salutaire, le désastre sans précédent est prévisible : seuls 35,8% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (JLM) en 2017 ont voté FI en 2019.
JLM qui avait mobilisé un record historiques de jeunes électeurs a été boudé par la jeunesse en 2019. Dans la tranche des 18-24 ans, l’institut Harris Interactive note que la FI arrive en 2019 en 4ème position avec 7,9% des suffrages exprimés (40% des votants) derrière EELV 22,1%, En marche 15,4%, le RN 14,4%. 4ème position également chez les 25-34 ans et les 35-49 ans.

Sur le plan sociologique, pour les couches populaires – majoritaires en France mais qui n’ont voté qu’à 40 % -, l’institut Ipsos note les pourcentages suivants parmi les votants des catégories respectives employés et ouvriers  : pour le PC 1% et 1 %, pour la FI 11% et 7%, pour Génération.s 3 % et 3%, pour le PS 3 % et 8%, pour EELV 13 % et 12%, pour LREM 15 % et 12%, pour l’UDI 1% et 1%, pour LR  8% et 3%, pour Debout la France 4% et 3% , et enfin 27% et 40% pour le RN.   Le retrait de la vie politique de Benoît Hamon est un symptôme de l’incohérence des positions de ce courant politique notamment sur le revenu de base et son européisme.

Le PC a réalisé en nombre de votants le score le plus faible de son histoire. Son non remboursement de la campagne doublée de grandes difficultés financières du journal l’Humanité et sa triste perspective concernant ses municipalités pour les municipales qui auront lieu dans moins de 10 mois risquent d’accompagner sa disparition dans les couches populaires.

Des appels déconnectés à la réalité, il faut construire et agir !

La priorité des priorités reste donc le débat sur la ligne stratégique et non pas la promotion des chapelles politiques. Disons tout de go que les appels à l’union des gauches resteront incantatoires tant que des sujets qui relèvent de la demande sociale resteront tabous ou non débattus (laïcité, démocratie partout y compris dans l’entreprise, carcan de l’UE et de la zone euro, éducation populaire refondée, question sociale, lutte des classes, etc.)
Les débats doivent répondre d’abord aux demandes sociales des couches populaires ouvrières et employés et des couches moyennes en voie de prolétarisation puis assurer la protection sociale et civilisationnelle des citoyens en général. Pour cela, il est nécessaire d’intégrer dans la praxis quotidienne la dizaine de principes du seul modèle politique alternatif au néolibéralisme à savoir le modèle de la République sociale. Pour cela, il faut engager les 4 ruptures concomitantes nécessaires démocratique, laïque, sociale et écologique en disant comment on s’y prend.

Pour cela, il convient d’avoir comme objectif les marqueurs qui font aujourd’hui défaut à la gauche à savoir de dégager la sphère de constitution des libertés (école, sécurité sociale, services publics) du marché(en précisant les changements souhaités), à savoir de vouloir refonder l’Europe mais hors des traités de l’Union européenne irréformable, d’engager la bataille pour l’égalité hommes –femmes aussi sur le plan social (par exemple, combien de temps va-t-on accepter les inégalités inimaginables en matière de retraite entre hommes et femmes à diplômes et qualifications identiques ou la croissance exponentielle de la pauvreté chez les familles monoparentales, etc.). Nous pouvons aussi citer d’autres ruptures, comme celle d’engager, en disant comment on compte opérer un projet de réindustrialisation de la France sous transition énergétique et écologique, ou bien encore d’engager une refonte des lois sur l’immigration et la nationalité dans le but d’une meilleure intégration républicaine à partir des meilleures politiques de notre histoire en ce domaine, et enfin pour « ne pas faire la même erreur que les révolutionnaires de 1848 » (Jean Jaurès) qui n’avaient pas engagé la réforme du droit de la propriété en acceptant que la démocratie s’arrête à la porte de l’entreprise. Il faut donc par exemple, présenter un projet de la socialisation progressive des entreprises liée à une refondation du syndicalisme de lutte avec la stratégie de l’évolution révolutionnaire qui intègre celui de la double besogne de la Charte d’Amiens (revendications immédiates liées à un projet de société cohérent).
Rappelons au passage, que depuis le 26 mai, Clémentine Autain critique la stratégie de la France Insoumise, mais pour des raisons qui différent bien de notre analyse. En fait, elle propose d’aller encore plus loin dans le changement stratégique en revenant à une simple “union de la gauche” sans un corpus commun démocratique, laïque, sociale et écologique. C’est tout le contraire qu’il faut faire.

Et bien sûr avec le développement de campagnes d’éducation populaire refondée couplé aux luttes sociales et politiques car il faudra bien obtenir d’abord une victoire d’une nouvelle hégémonie culturelle.
Lectrices et lecteurs, n’est-ce point de bons sujets de débats en réunions publiques dans cette période de doute ? N’hésitez pas à nous proposer des contributions sur ces thèmes ou autres !

Nous vivons la fin d’une époque et le besoin d’une réorganisation, voire une refondation tant sur le plan idéologique et culturel que stratégique et global. Nous avons besoin d’un front unique permettant à terme la constitution d’une bloc historique majoritaire qui permette en son sein aux idées de s’affronter pour construire une alternative radicale de démocratie, de laïcité, d’égalité, et d’émancipation où les citoyens et les travailleurs puissent devenir auteurs et acteurs de leur propre vie. Et n’oublions pas de réaffirmer le rôle essentiel que peut jouer en un tel moment l’éducation populaire refondée !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 la légère remontée du taux de votation par rapport à l’élection de 2014 suffit pour disqualifier les appels à l’abstention révolutionnaire d’une partie du gauchisme français.