Sur le patronat, qui a bien pu écrire cela ?

Il n’y a de classe dirigeante que courageuse. A toute époque, les classes dirigeantes se sont constituées par le courage, par l’acceptation consciente du risque. Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer. Est respecté celui qui, volontairement, accomplit pour les autres des actes difficiles ou courageux. Est un chef celui qui procure aux autres la sécurité prenant pour soi les dangers.
Le courage, pour l’entrepreneur, c’est l’esprit d’entreprise et le refus de recourir à l’État : pour le technicien, c’est le refus de transiger sur la qualité ; pour le directeur du personnel ou le directeur d’usine, c’est la défense de l’autorité, et avec elle, celle de la discipline et de l’ordre…

Lorsque les ouvriers accusent les patrons d’être des jouisseurs qui veulent gagner beaucoup d’argent pour s’amuser, ils ne comprennent pas bien l’âme patronale. Sans doute y a-t-il des patrons qui s’amusent, mais ce qu’ils veulent avant tout, quand ce sont de vrais patrons, c’est gagner la bataille. Il y en a beaucoup qui, en grossissant leur fortune, ne se donneront pas une jouissance de plus : en tout cas, ce n’est pas surtout à cela qu’ils songent. Ils sont heureux, quand ils font un bel inventaire, de se dire que leur peine ardente n’est pas peine perdue.

Non, en vérité, le patronat, tel que la société actuelle le fait, n’est pas une condition enviable. Et ce n’est pas avec des sentiments de colère ou de convoitise que les hommes devraient se regarder les uns les autres, mais avec une sorte de pitié réciproque, qui serait peut-être le prélude de la justice !

Réponse ci-après dans les Tags (L’Humanité, 23 mai 1890)