La santé est un capital social. Cela implique un service public de la santé

La santé : une inquiétude, un espoir pour une autre politique

Nos concitoyens ressentent et, de plus en plus, expriment leur inquiétude pour leur protection sociale contre la maladie et, plus largement, pour leur santé.

Des associations d’usagers s’engagent dans une résistance à la politique de désagrégation de nos structures sociales.

Si une alternative politique veut être crédible, elle doit clairement se déterminer pour rétablir ce droit fondamental.

Reconnaître à la santé le statut de service public

La santé doit être reconnue comme un objectif social avant d’être un objectif individuel. À cet égard, outre les actions sur l’environnement, les dispositions favorisant l’accès aux soins des individus ont un effet collectif, car l’addition des niveaux de santé individuels constitue un capital commun propre à endiguer les épidémies et à créer les conditions d’une collectivité harmonieuse et dynamique.

Dans cet esprit, la santé doit être considérée comme un service public et les systèmes mis en œuvre pour servir cette ambition doivent intégrer les contraintes liées à ce statut.

Réformer un système stratifié par des dispositions régressives

Le laxisme (et l’influence des lobbys) qui a présidé à la constitution des dispositifs en vigueur est en opposition avec l’intérêt général. Pour ne prendre que cet exemple, le statut faussement libéral des professionnels de santé (le revenu des professionnels résulte d’un financement public) entraîne des conséquences néfastes sur le plan sanitaire et sur le plan économique (le paiement à l’acte est un facteur d’inflation en volume et en prix — dépassements —. C’est un mécanisme peu propice à la qualité de l’acte médical. La liberté d’installation entraîne des suréquipements ou des sous-équipements selon les régions, etc.).

Si l’on veut rationaliser le système de protection sanitaire et sociale, il faut revenir sur ces égarements et imposer des règles qui modifieront le dispositif. En contrepartie de l’investissement initial (les études de médecine sont globalement prises en charge par l’État), on peut imposer une répartition harmonieuse des soignants. Il faut mettre en œuvre un financement des soins différent. On peut contraindre les professionnels à une rationalisation de leur pratique (respect des protocoles de soins). Il est nécessaire de promouvoir une organisation différente de la production médicale (des cabinets pluridisciplinaires).

Si ces réformes (1)Le terme est utilisé au sens littéral : « changement qu’on apporte dans la forme d’une institution afin de l’améliorer, d’en obtenir de meilleurs résultats » (P. Robert). Précision apportée pour marquer la différence avec un gouvernement qui dévoie ce terme en l’employant pour qualifier les dégradations qu’il inflige aux structures sociales. remettent en cause des situations établies (au détriment des patients), elles ne sont pas utopiques et elles peuvent s’imposer en dégageant des avantages pour les soignés et les soignants. Il faut s’y engager avec détermination pour en négocier les modalités avec les professionnels.

Le chantier est considérable. Il doit s’attaquer à des situations résultant des rapports sociaux et inscrits dans l’histoire. Si l’on ne peut pas imaginer que les réformes s’opèrent rapidement, il convient de les positionner dans une planification rigoureuse. Il faut s’allier les usagers par une communication intense sur les enjeux en anticipant les réactions hostiles des lobbys sanitaires.

La décadence de l’encadrement des honoraires

L’exemple du système de rémunération des soins est significatif des difficultés à surmonter. Au cours du temps, les dispositifs conventionnels ont désagrégé l’encadrement des honoraires médicaux qui constituait l’objectif principal des accords passés entre la Sécu et le corps médical.

La liberté des honoraires a connu des évolutions erratiques, la « fissure du barrage » ouverte en 1980 (création du secteur 2) s’élargissant au point d’entraîner la fin définitive des tarifs opposables a provoqué un tarissement des flux en 1990 (gel du Secteur 2), tout en laissant ceux qui avaient passé antérieurement le barrage conserver leurs avantages et en autorisant les médecins disposant de titres (essentiellement des spécialistes) et s’installant pour la première fois, à franchir le Rubicon.

Ultérieurement, plusieurs évolutions conventionnelles ont aggravé la situation et une nouvelle extension des honoraires libres (le secteur optionnel) risque d’entraîner une régression supplémentaire des tarifs opposables.

Aujourd’hui, en France, chez les généralistes, le secteur 2 qui n’est plus alimenté diminue (-7,2 % entre 2005 et 2008). En revanche, chez les spécialistes, le secteur 2 progresse (+5,2 % entre 2005 et 2008).

Pour prendre une comparaison avec une localité particulièrement affectée par les dépassements, la proportion de généralistes exerçant en secteur 2 à Paris diminue de 4,2 % sur la même période et le taux de spécialistes pratiquant les honoraires libres progresse de 2,8 %.

Concernant le % des dépassements par rapport à la totalité des honoraires (tous secteurs confondus), en France, pour les généralistes, la proportion diminue très légèrement (4,8 % en 2005, 4,5 % en 2008). Pour les spécialistes, le pourcentage de dépassements augmente (14,1 % en 2005, 15,8 % en 2008).

À Paris les taux de dépassements sont beaucoup plus élevés. Toutefois, chez les généralistes, ils baissent très légèrement sur la période considérée (25,2 % en 2005, 24,4 % en 2008). Au contraire, chez les spécialistes, ils augmentent (37,4 % en 2005, 41,8 % en 2008).

Il faut noter que l’évolution annuelle des dépassements des généralistes est faible et relativement stable en France et à Paris (autour de 1 %). Celle des spécialistes au contraire est beaucoup plus forte (+12,3 % entre 2005 et 2006 en France — +11,1 % à Paris), mais elle connaît un ralentissement conséquent au cours de la période triennale 2005/2008 (+4,1 % entre 2007 et 2008 en France — +2,5 % à Paris). Si cette tendance se confirme, on peut espérer que la profession commence à tenir compte des débats que les usagers ont multipliés au cours de ces dernières années sur cette grave dérive de l’encadrement des honoraires.

L’instauration progressive d’un marché libre de la santé

Le gouvernement quant à lui, malgré de vagues promesses, n’a pris aucune mesure pour juguler ce phénomène et l’assurance maladie n’est pas sortie de sa léthargie sur le sujet. À propos du gouvernement, notons que la dégradation de l’encadrement des honoraires converge parfaitement avec les objectifs des libéraux : satisfaire une clientèle électorale globalement acquise sans affecter les dépenses de l’assurance maladie et pousser les patients vers les assurances complémentaires privées.

Des dépassements qui, faut-il le rappeler, représentent 6,5 Mds d’euros annuels (médecins : 2,5 Mds, dentistes 4,0 Mds) et pèsent principalement sur les charges des ménages, entraînant des renoncements aux soins de plus en plus conséquents.

Des réformes nécessaires, profondes et difficiles.

Pour résoudre ce problème des dépassements, la solution consiste à modifier le système de rémunération des soins en adoptant par exemple une rémunération calculée sur les caractéristiques de la patientèle des praticiens (solution anglaise où les médecins ont des revenus plus importants qu’en France). Pour les omnipraticiens qui pratiquent des actes relativement homogènes et dont la clientèle est assez stable, cette réforme ne devrait pas poser des difficultés techniques insurmontables.

En revanche, pour des raisons inverses, le problème des spécialistes est beaucoup plus ardu. En France, à l’instar des omnipraticiens, leur activité s’est développée en cabinets individuels (en Angleterre, les spécialistes exercent principalement dans les hôpitaux où ils sont salariés). Dans une profonde réforme du système de distribution des soins, forcément progressive, peut-on imaginer, des structures pluridisciplinaires (généralistes, spécialistes, auxiliaires) uniquement consacrées aux soins ambulatoires et disposant d’un budget intégrant la rémunération des professionnels ?

Or, les dépassements se manifestent principalement en médecine spécialisée et chez les dentistes, essentiellement pour les actes prothétiques ou orthodontiques.

En ce qui concerne les soins dentaires, la solution aux considérables dépassements d’honoraires passe par une refonte totale de la politique menée en la matière. Il faut réviser le barème actuel de la rémunération des soins et en y intégrant des traitements actuellement exclus de la couverture sociale (ex. : parodontologie, implants). Mais il est également nécessaire de soumettre la prothèse à un encadrement tarifaire qui moraliserait des prix de vente qui n’ont plus aucune mesure avec les prix d’achat (au prothésiste) et qui permettent aux chirurgiens dentistes d’obtenir des revenus supérieurs à ceux des omnipraticiens (en 2007 : revenu libéral moyen dentistes : 81 400 € — omnipraticiens : 66 800 €).

Poser ces constats et émettre ces solutions ne font qu’esquisser des principes dont l’application posera de multiples difficultés. Outre les résistances de corps inscrits et arc-boutés dans des habitudes de privilèges et de laxisme — mais on peut peut-être compter sur une modification des valeurs des jeunes praticiens – il faudra faire accepter un relatif nivellement des revenus, notamment à ceux dont les chiffres d’affaires décuplent l’honoraire moyen de la spécialité (ex : chirurgiens : honoraire moyen : 266 969 € — hono maxi : 2 144 756 €. Ophtalmo : hono. moyen : 275 458 € — hono. Maxi : 2 639 238 €) — Généralistes : hono moyen : 135 192 € — hono Maxi : 894 582 €).

Dans cette attente, il faut appliquer les règles qui existent.

Il est évident qu’aboutir à de telles réformes prendra beaucoup de temps. Or, il n’est pas possible de conserver le statu quo lorsqu’un droit fondamental est bafoué, la sélection par l’argent en matière de santé étant intolérable.

Dans cette attente, faut-il rappeler que la collectivité a érigé des règles pour définir les droits et les devoirs des professionnels de santé et que ces droits sont définis « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique… » (Art L. 162-2 du code SS).

Outre les règles législatives et déontologiques qui imposent la mesure dans la fixation des honoraires médicaux (le tact et la mesure), l’assurance maladie négocie et signe des conventions avec les professionnels de santé « libéraux ». L’Art. 4.3 de la convention des médecins stipule que : « Le respect des tarifs opposables ainsi que les modalités d’utilisation des possibilités de dépassements listées au paragraphe suivant est un terme essentiel de la convention… »

La convention reprend les obligations déontologiques du tact et de la mesure pour la fixation des honoraires. En cas de non-respect des dispositions conventionnelles, l’Art. 5.4 définit les procédures et les sanctions encourues.

Le dispositif conventionnel subit de multiples critiques souvent justifiées, notamment quant à son application dans les dispositions contraignantes pour le corps médical (Cf rapports Cours des Comptes). Mais cet accord dûment négocié avec les syndicats professionnels, puis accepté par chaque praticien ou auxiliaire et agréé par les pouvoirs publics a le mérite d’exister. Dans les principes tout au moins, sinon dans les faits.

L’encadrement des honoraires existe bien, même pour les praticiens qui ont choisi d’exercer dans les secteurs où les tarifs de remboursement ne sont plus opposables. Bien entendu, la notion de « tact et de mesure » est trop vague pour canaliser les prétentions financières des professionnels. Les régulateurs institutionnels ne jouent pas leur rôle : Le Conseil de l’Ordre des médecins à qui incombe la discipline en la matière ne cache pas sa volonté d’en laisser l’appréciation au « colloque singulier » entre le patient et le médecin. L’assurance maladie qui détient la mission et les moyens de contrôler les pratiques tarifaires néglige cet aspect fondamental de ses devoirs vis-à-vis des assurés sociaux. La vacuité de ces deux acteurs n’a pas permis l’émergence d’une jurisprudence sur le tact et la mesure. Quant aux patients eux-mêmes, majoritairement subjugués par « l’autorité » médicale, ils sont en situation de faiblesse pour contrarier les prétentions financières des garants de leur santé.

Dans une Nation mature, la création et l’application des lois destinées à promouvoir les droits fondamentaux ne peuvent souffrir de laxisme. Quelles que soient les contraintes, même douloureuses, elles doivent s’imposer. Personne ne peut sérieusement contester les mesures prises pour enrayer les accidents de la route, prévention et sanctions comprises. Il en est de même pour ce qui concerne l’accès aux soins subordonné dans le système actuel à l’encadrement des honoraires. À défaut, combien de morts… ?

Dans l’attente d’une profonde modification du système de protection sanitaire et sociale, on peut, on doit, utiliser les règles qui s’imposent à tous les citoyens. L’assurance maladie obligatoire à la mission de faire respecter ces règles. Les citoyens y sont représentés au sein des Conseils. C’est à eux que l’UFAL s’est adressée au début de l’année 2010 afin de les appeler à réagir face à l’inertie de l’administration.

Mais, quelle que soit l’énergie qu’y consacre l’UFAL, si le combat pour la simple application de la loi n’est pas relayé par les autres mouvements qui s’investissent dans le domaine social, si les citoyens eux-mêmes ne font pas pression sur leurs représentants, l’arbitraire s’enracinera pour le prix des actes médicaux et le droit à la santé se limitera aux capacités financières des malades.

Nous sommes à l’orée d’une échéance démocratique qui aboutira à la mise en place du pouvoir qui détiendra la capacité de restaurer notre identité nationale (2)à notre sens, l’identité d’une Nation émerge des structures (enseignement, justice, santé,…) dont elle s’est dotée pour atteindre les objectifs sociaux qu’elle s’est fixés. Quel débat passionnant nous aurions pu avoir en nous engageant sur ce terrain ! — autrement dit, notre pacte social —. Si nous ne pouvons qu’attendre le pire du pouvoir actuel, le combat pour imposer une société solidaire à une alternative politique n’est pas gagné et ne fait que commencer.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le terme est utilisé au sens littéral : « changement qu’on apporte dans la forme d’une institution afin de l’améliorer, d’en obtenir de meilleurs résultats » (P. Robert). Précision apportée pour marquer la différence avec un gouvernement qui dévoie ce terme en l’employant pour qualifier les dégradations qu’il inflige aux structures sociales.
2 à notre sens, l’identité d’une Nation émerge des structures (enseignement, justice, santé,…) dont elle s’est dotée pour atteindre les objectifs sociaux qu’elle s’est fixés. Quel débat passionnant nous aurions pu avoir en nous engageant sur ce terrain !