Recension du livre 120 ans de laïcité, 120 ans de liberté

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Chez l’Harmattan, dans la collection Débats laïques dirigée par notre ami Gérard Delfau, sort ce livre de 154 pages au prix de 17 euros. Ce livre, coordonné par Eddy Khaldi, président de la Fédération des délégués départementaux de l’Éducation nationale (DDEN), est la retranscription d’un colloque organisé par cinq organisations du Collectif Laïque National qui s’est tenu en début d’année 2025 au Sénat. Ouvert par un message de Gérard Larcher, président du Sénat, il s’est terminé par la proposition de constitutionnalisation des principes édictés dans les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905 présenté par le grand maître du Grand Orient de France, Nicolas Penin, et par le texte des 44 articles de ladite loi de 1905. Les articles de nombreux intellectuels de la laïcité et de personnalités politiques rendent ce livre d’un grand intérêt dans un format court.

La loi de 1905 n’est qu’une partie de l’édifice laïque

« Rappelons, pourtant, que la loi de 1905 n’est qu’une partie de l’édifice laïque », écrivent très justement en avant-propos Gérard Delfau et Eddy Khaldi. Cette phrase s’appuie sur l’idée que la consolidation d’un principe philosophique dans le droit positif est bien sûr fonction des évènements dans toute conception matérialiste de l’histoire. La phrase « toute la loi de 1905 et rien que la loi de 1905 » que nous lisons ici et là n’a aucun fondement autre que la fossilisation de l’idée laïque, alors que ce principe reste une idée émancipatrice nécessaire et vivante.

Déjà, cet ouvrage aurait pu rappeler qu’en France, la première séparation est instaurée, de fait, en 1794, par la Convention nationale, par le décret du 2 sansculottides an II (18 septembre 1794), qui supprime le budget de l’Église constitutionnelle, et confirmée le 3 ventôse an III (21 février 1795) par le décret sur la liberté des cultes, qui précise, à son article 2, que « la République ne salarie aucun culte ».

Et ensuite, qu’après les premiers décrets passés dès le lendemain de son installation à l’Hôtel de Ville, le gouvernement de la Commune poursuit son œuvre réformatrice en décidant, le 2 avril 1871, de décréter la séparation de l’Église et de l’État, garantissant ainsi la liberté de conscience et supprimant le budget des cultes.

Suit, une dizaine d’années plus tard, tout le bloc de la laïcité scolaire, puis l’interdiction des signes politiques et religieux à l’école par le Front populaire avec les trois circulaires de Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, du 1er juillet 1936, du 31 décembre 1936 et du 15 mars 1937.

C’est l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 de Lionel Jospin qui stipulait, contre la circulaire du 15 mai 1937 de Jean Zay, que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression » qui permit par la hiérarchie des normes de supprimer les circulaires du Front populaire. Le Grand Orient de France organisa donc le grand banquet du 21 octobre 1989 (1 300 participants), qui fut le démarrage de la campagne pour une loi contre les signes religieux à l’école. Le journal Le Monde titrait, dans son numéro du 24 octobre 1989, « Les francs-maçons sonnent la charge contre les intégrismes religieux ».

Suivit le mois d’après la tribune de la bande des 5 du Nouvel observateur emmenée par Catherine Kintzler, Elisabeth Badinter et Régis Debray, qui s’adressait aux enseignants. La loi du 15 mars 2004 qui a été finalisée à la Commission Stasi l’a été aussi préalablement à la mission parlementaire Debré avec un vote de 23 députés sur 25 pour interdire « les signes religieux visibles ». La Commission Stasi a in fine uniquement substitué le mot « ostensible » au mot « visible », ce dernier ayant été proposé par le président de l’Ufal nationale dans son audition.

Plusieurs intellectuels et personnalités interviennent dans ce livre

Pierre Ouzoulias, vice-président communiste du Sénat, a eu raison de dire « vous avez à faire aujourd’hui un travail de refondation » (page 20).

L’historien Jean-Paul Scot insiste sur les « principes » de la laïcité et sur les points saillants de l’histoire de cette loi, qui mérite d’être connue de tous.

Charles Coutel, professeur émérite en philosophie du droit, fait le lien entre le bloc de laïcité de la 3e république avec la Charte d’Amiens de 1906 et les lois sociales qui suivent et rappelle donc que toutes les avancées laïques ont participé aux avancées sociales, et vice versa.

Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Respublica, organe créé par Jean-Pierre Chevènement, montre, dans son intervention, que la laïcité est un combat inachevé et que l’enseignement catholique reste, à certains égards, un bastion de résistance culturelle contre la laïcité. Elle dit que « c’est au moment où elle est la plus méconnue dans le monde que la laïcité montre en creux sa nécessité, en une époque où le totalitarisme islamiste, les excès d’un hindouisme suprémaciste, le messianisme totalitaire qui affecte de nombreux territoires américains sans oublier les colons de Cisjordanie la rendraient plus nécessaire que jamais ».

Frédérique de la Morena, maître de conférences en droit public, précise que « la laïcité ne se situe pas dans l’ordre de la tolérance ou du vivre ensemble », mais est « un principe juridique d’organisation de l’État républicain ».

Les douze repères du philosophe Henri Pena-Ruiz pour la défense et la promotion de l’émancipation laïque sont, au 21e siècle, une lecture indispensable pour faire passer les nations de communautés ethnico-religieuses à une communauté politico-juridique. Ces douze repères permettent de sortir de l’incantation inutile d’un passé glorieux pour mener des actions d’éducation populaire refondée. Ils montrent par exemple que le révisionnisme anti-laïque est dépourvu de fondement si on lie laïcité et égalité, que « le cadre d’une nation multiculturelle ne peut-être lui-même multiculturaliste », car « on ne peut pas juxtaposer plusieurs normes soumises aux particularismes coutumiers et religieux », qu’il est temps de reposer la question du statut des écoles privées et des particularismes de l’Alsace-Moselle, à laquelle nous rajouterons celle des départements de Mayotte et de la Guyane.

Catherine Kintzler, docteur d’État, professeur honoraire de philosophie, toujours aussi précise dans ses propos, nous montre la différence entre l’individualité politique, qu’elle revendique car elle repose sur la distinction des sujets du droit (construction atomique), et une individualité identificatoire qui se pense en termes de collections catégorielles (construction moléculaire).

Thierry Mesny, président de l’association des libres penseurs de France (ADLPF), nous propose des considérations sur le premier principe de la laïcité qu’est la liberté de conscience.

Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République, compare malicieusement la convention citoyenne dans laquelle 70 % des personnes étaient favorables à une loi sur la fin de vie et la décision du Président de la République au bout du processus, qui va consulter les églises.

Olivier Falorni, député de la Charente-Maritime, développe la nécessité laïque de rendre possible une loi laïque sur la fin de vie.

Eddy Khaldi montre brillamment que l’école, le système éducatif s’écarte de plus en plus de la mixité sociale et s’enfonce dans un séparatisme en grande partie social. Cela est dû à la loi Debré de 1959 et des suivantes, bien sûr, mais force est de constater que même cette loi Debré est dénaturée, car le rapport de l’État et des écoles privées catholiques est devenu une « résurrection insoutenable de la loi pétainiste du 31 décembre 1941 qui avait promu l’église comme seule représentante de l’ensemble des établissements catholiques », alors que la loi Debré ne parlait que du rapport entre l’État et chaque établissement privé. Il montre que la ligne Bayrou-Lang de réintroduire le lien direct entre l’Église et l’État est un continuum des années 90 à aujourd’hui. François Bayrou et Jacques Lang souhaitaient dans les années 90 faire pire que la loi Falloux, déjà combattue par le grand Victor Hugo, en supprimant la limite de 10 % des financements publics pour les investissements des écoles privées.

Charles Arambourou, ancien élève de l’ENA, présentera le Collectif laïque national (CLN). Michel Seelig, ancien professeur associé universitaire, rappellera l’étendue des régimes dérogatoires des cultes en Alsace, Moselle, Guyane, Mayotte et dans la plupart des territoires d’outre-mer. Vous ne regretterez pas la lecture de ce livre.