En marche vers l’égalité
Ce respect de l’humanité pour les femmes a traversé toute l’histoire humaine, même si c’est à partir du siècle des Lumières que cette revendication a pris de l’ampleur. Il faut sortir des clichés longtemps véhiculés : l’image de l’homme tirant par les cheveux sa compagne, les femmes ne pouvant être considérées comme de grands chasseurs ou chefs. Ainsi, des femmes à l’aspect robuste enterrées avec des armes ne pouvaient être que des hommes selon l’interprétation souvent faussée des scientifiques eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’enjoliver la situation : il y eut parfois des périodes où les femmes pouvaient être considérées comme des égales et d’autres, bien plus nombreuses, où elles étaient rabaissées plus bas que terre, où elles n’avaient pas accès au savoir, où elles occupaient dans la hiérarchie les échelons inférieurs.
Des contre-exemples de l’infériorisation des femmes
Le squelette de l’« Homme de Menton » reconnu comme la « Dame de Cavillon », semble donner du corps à une presque égalité des sexes et à l’existence possible d’un matriarcat durant le Paléolithique. L’Égypte ancienne, sans aller aussi loin que nos sociétés modernes, reconnaît aux femmes une parfaite égalité légale. Des femmes de hautes lignées peuvent être vénérées en tant que souveraines. En est-il de même pour les femmes du peuple ? Au 1er millénaire avant l’ère conventionnelle, dans la Perse des Achéménides, les femmes bénéficiaient d’un principe analogue à la revendication contemporaine, comme le principe « à travail égal salaire égal », avaient le droit de travailler et de participer aux affaires politiques(1)Source : caminteresse.fr, histoire, n°84 de mai-juin 2024 ; par la suite, Cyrus le Grand jeta un voile sur les femmes, obérant la possibilité pour les femmes de s’émanciper..
Autres contre-exemples contemporains : matriarcat vs patriarcat
La question se pose : le matriarcat est-il l’opposé de patriarcat ? Les exemples présentés par Véronique Chalmet(2)Source : caminteresse.fr, histoire, n°84 de mai-juin 2024., qui s’appuie sur Heide Goettner-Abendroth et son ouvrage « Les Sociétés matriarcales », montrent que ce n’est pas le cas. Les responsabilités y sont attribuées sur des critères de mérites et de compétences, non de sexe. Ainsi, le consensus sans distinction de genre y semble dominant, même si les principes matrilinéaire (filiation par la mère) et matrilocal (le couple vit dans la famille de la femme) sont la règle. Des pratiques qui nous paraissent singulières permettent à un homme d’être choisi comme porte-parole s’il est considéré comme « une bonne mère »(3)Indonésie chez les Minangkabaus., à un garçon de choisir d’être commerçant s’il s’habille comme une fille(4)Mexique, Juchitán.. Les hommes travaillent aux champs et les femmes s’occupent d’économie.
Renaissance et siècle des Lumières : obscure clarté
La reconnaissance de l’égalité hommes-femmes ne fut pas un long fleuve tranquille. Il y eut des fulgurances féministes avec Montesquieu qui s’offusque de la « mâle tyrannie » et affirme que « les forces seraient égales si l’éducation l’était aussi » ou encore avec le philosophe François Poullain de la Barre pour qui « l’esprit n’a pas de sexe…[et] les femmes sont aussi nobles, aussi parfaites et capables que les hommes »(5)https://www.les-philosophes.fr/feminisme/de-l-egalite-des-deux-sexes.html..
La Renaissance, vrai progrès, ne le fut pas pour les femmes. Montaigne, catholique, est favorable à la liberté des cultes, s’en offusque : « Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles ». Avis aux féministes actuelles qui estiment que le voile islamique n’est qu’une question de mode et non de soumission au patriarcat.
De même, certains philosophes libres, émancipés des dogmes religieux, chantres de l’égalité, de l’indépendance d’esprit, pourfendeurs de l’obscurantisme ont, sur le sujet de l’égalité des sexes, raté le rendez-vous de l’histoire. Cela n’enlève rien à leur apport décisif au progrès de l’esprit humain. Ne pratiquons pas la culture de l’effacement ou cancel culture. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau traite les propos féministes de « déclamations vaines » et n’est pas contredit par Voltaire, qui ne prend pas la plume pour s’indigner. Sauvent l’honneur des Lumières masculines Choderlos de Laclos et Condorcet, qui prônent l’éducation et le droit de vote des femmes à l’instar de Olympe de Gouges avec sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne(6)Olympe de Gouges : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».. Si la Révolution améliore la considération des femmes au travers du mariage civil, du divorce quasiment par consentement mutuel, légifère sur l’héritage en le rendant plus égalitaire, elle limite l’intégration des femmes dans les cercles politiques et n’opte pas pour leur accès au droit de vote.
Transparence sur les salaires
En 2023, les syndicats ont obtenu la promulgation d’une directive européenne sur la transparence des salaires qui exige des entreprises la publication des écarts de salaires entre les hommes et les femmes. En France, le patronat cherche à en limiter l’application et le gouvernement traîne des pieds pour la transposer dans la loi. Quand il s’agit d’accentuer l’orientation ultralibérale, nos dirigeants sont plus prompts à appliquer les directives européennes. Quand c’est l’inverse, ce n’est plus la même musique. Cette directive est impérative pour les entreprises de 100 salariés et plus. Le patronat souhaite sa mise en œuvre à partir de 250 salariés et la CGT à partir de 50 salariés. De plus, cela aurait un impact vertueux sur l’équilibre de la Sécurité sociale.
Une lutte sans fin
Tout comme les conquis sociaux, les avancées en matière d’égalité homme-femme ne doivent pas être considérées comme des acquis intouchables, immuables. Simone de Beauvoir y insistait : « Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en cause. » Tel Sisyphe, il faudra toujours remonter le rocher des conquêtes sociales et des avancées féministes pour les améliorer et les garantir. Rien n’est définitivement acquis. Les régimes théocratiques d’Afghanistan et d’Iran, les régimes monarchiques, princiers ou « républicains » du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord le montrent, qui font reposer les lois sur la charia d’inspiration très patriarcale. De même, dans certains de nos quartiers, les contraintes de mode de vie, alimentaires en général et de vêtement pour les femmes en particulier, marquent des reculs dus aux intégrismes, notamment islamistes. Les violences conjugales, sexuelles qui touchent toutes les catégories avec, tous les trois ou quatre jours, une femme victime de son compagnon l’indiquent également.
La montée de l’extrême-droite n’est pas de bon augure, avec sa volonté affichée de supprimer les financements publics du Planning familial, qui, au travers d’informations utiles, participe de l’émancipation des femmes. De même, vivre librement sa sexualité, préserver des violences sexistes et sexuelles, revaloriser les métiers exercés majoritairement pas les femmes, généraliser le congé menstruel constitue des droits fondamentaux qui dépassent, transcendent les particularismes, les communautarismes. Veillons à conforter le bloc populaire pour porter ces revendications, un bloc populaire qui émancipe les individus et les libère de l’état de dépendance à l’égard des courants de pensée dogmatiques, obscurantistes qui dégradent la condition des femmes et les invisibilisent.
Emancipation des femmes : universalisme vs différentialisme
La laïcité se conjugue avec l’universalisme. Pour reprendre une expression utilisée par Henri Peña-Ruiz, trois boussoles doivent guider pour sortir de la confusion sur la laïcité :
- 1ère boussole : la laïcité, c’est l’universalisme opposé au différentialisme. Cela signifie qu’est universaliste ce qui est valable pour toutes et tous : croyants, athées, agnostiques et indifférents aux choses des religions ;
- 2ème boussole : la laïcité est un levier pour l’émancipation individuelle et collective, levier qui affranchit les femmes, les homosexuels, les transsexuels, les athées, les croyants … ;
- 3ème boussole : la laïcité c’est la préséance du bien commun, de l’intérêt général sur les intérêts particuliers.
Contrairement à l’idéologie woke, au dé-colonialisme victimaire, à l’intersectionnalité, au féminisme identitaire, la laïcité donne chair et vie à ce qui est partageable universellement, à rebours de tout enfermement communautaire.
Comme pour la laïcité adjectivée « fermée, ouverte, tolérante, accommodante » de ses faux-amis qui la dévoient pour mieux la vider de sa substance libératrice, le féminisme adjectivé – féminisme dit musulman, l’afro-féminisme, le féminisme inclusif, le féminisme dit dé-colonial – le détourne de ses fondements universalistes réellement émancipateurs. Cela n’empêche en rien de prendre conscience des discriminations particulières et supplémentaires qui concernent certaines minorités et de les combattre dans un cadre rassembleur.
Pour autant, cela ne doit pas aboutir à des droits différents, mais à des droits universels, ou, comme aurait dit Nelson Mandela, au droit à l’indifférence, à savoir être considéré comme un être humain indifféremment des origines sociales, culturelles, spirituelles, de la couleur de sa peau.
L’émancipation de la femme comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s’émancipera du capital.
Clara Zetkin, Discours à la Première Conférence de l’Internationale Ouvrière
Notes de bas de page
↑1 | Source : caminteresse.fr, histoire, n°84 de mai-juin 2024 ; par la suite, Cyrus le Grand jeta un voile sur les femmes, obérant la possibilité pour les femmes de s’émanciper. |
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↑2 | Source : caminteresse.fr, histoire, n°84 de mai-juin 2024. |
↑3 | Indonésie chez les Minangkabaus. |
↑4 | Mexique, Juchitán. |
↑5 | https://www.les-philosophes.fr/feminisme/de-l-egalite-des-deux-sexes.html. |
↑6 | Olympe de Gouges : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». |