Les artifices du sapeur*

Beurrer les lunettes des citoyens

Lorsque l’on veut analyser la politique du gouvernement en matière de santé et de protection sociale, il est préférable d’ignorer les discours tant ils sont contradictoires avec les faits, bien que certains lapsus ou circonstances particulières permettent de distinguer la réalité. Pour n’en citer que quelques uns, on se rappellera les saillies du grand inspirateur (le Président) qui, par exemple, justifiait il y a quelques temps les franchises affectant les remboursements de la Sécu par cette formule : « peut-on imaginer une assurance sans franchises », alignant ainsi la santé au même niveau que la possession d’une automobile. Depuis et récemment, devant le congrès de la mutualité Française, Monsieur Sarkozy n’a pas caché sa volonté de « confier davantage de responsabilités » aux organismes d’assurance complémentaire, ce qui signifie que son intention est bien de faire glisser la protection sociale du système de solidarité créé à la Libération (la Sécu) vers la prévoyance individuelle privée (assurances, mutuelles,…). Il s’agit bien de saper les fondements de notre pacte social.

Les faits significatifs de cette politique sont plus ou moins visibles. On ne peut ignorer « les franchises » ou le déremboursement, voire la diminution de ce remboursement, des produits pharmaceutiques, mais d’autres dégradations sont plus discrètes et peut-être beaucoup plus graves.

La couverture sociale rétrécit, au détriment des ménages

En examinant les grands agrégats de la prise en charge des dépenses de santé, on constate immédiatement qu’il convient de démystifier les assertions des responsables politiques qui prétendent que la charge des ménages n’a pas augmenté en matière de santé. Les chiffres avancés sont souvent erronés et les plus favorables aux thèses gouvernementales cachent des tendances significatives des dures réalités vécues par les malades.

Globalement la part de la consommation de soins et de biens médicaux remboursée par la sécurité sociale a diminué entre 2000 et 2008 passant de 77,1% à 75,5% et, apparemment, la charge des ménages n’augmente que de 0,4%. Cependant, cet indicateur général dissimule une progression des soins remboursés à 100% (forte évolution des affections de Longues durées), mais une diminution des remboursements subissant le ticket modérateur. En outre, examinée par type de dépense, la prise en charge collective est nettement plus réduite : la Sécu ne couvre que 65% des soins ambulatoires (au lieu de 66,7% en 2003) et pour les médicaments, cette couverture n’est que de 64,8% après avoir été de 67,2% en 2003.

Bien plus que les organismes complémentaires, ce sont les ménages qui font les frais de la régression de la part remboursée par la Sécu : pour les soins ambulatoires, la charge des ménages était de 10,9% en 2000. Elle est aujourd’hui de 12,5% ; en 2008, pour les médicaments, les ménages supportaient 17,5% des dépenses. En 2000, leur contribution n’était que de 14,2%.

En constatant ce qui reste globalement à la charge de nos concitoyens (après remboursement de la Sécu et des organismes complémentaires) sur la consommation de soins et de biens médicaux, soit 9,4% des 170,5 Mds. d’Euros (16,1 Mds.), il convient d’observer que ceci pèse lourdement sur ceux qui cumulent une santé déficiente et des capacités financières réduites.

Lorsque l’on fait le compte des mesures qui ont été prises depuis 2005 (franchises, déremboursement de médicaments, augmentations du ticket modérateur pour les soins ne respectant pas le fameux « parcours », etc…) et qui ont directement amputé le budget des ménages puisque les organismes complémentaires ne les prennent pas en charge, on aboutit à la coquette somme de plus de 2 milliards.

Plusieurs enquêtes démontrent que le renoncement aux soins pour des raisons financières affecte une population de plus en plus nombreuse et atteint désormais les catégories dites « moyennes ».

Si les discours tentent (et réussissent malheureusement) de dissimuler la réalité, la volonté du pouvoir actuel est évidente pour détricoter la trame sociale « tissée » en 1945 (comme le réclamait haut et fort l’ineffable Monsieur Kesler, ancien animateur du MEDEF). La plupart des mesures qu’il conviendrait de prendre pour maîtriser les dépenses de l’assurance maladie ne font pas partie des dispositions mises en place par le gouvernement : il faut que la manne sociale continue à alimenter les intérêts privés (producteurs de soins libéraux, industrie pharmaceutique, etc…) qui s’en gavent au moyen d’une production irrationnelle.

La dérive volontaire des honoraires médicaux

Parmi les phénomènes qui modifient profondément les principes ayant fondé notre système de protection sociale (la dépense de santé est mutualisée, les produits de santé – les soins par exemple – sont financièrement encadrés pour que la dépense des malades prise en charge par la Sécu soit maîtrisée et que son remboursement soit optimal) la dérive des honoraires médicaux des médecins et des dentistes libéraux est un indicateur révélateur du glissement d’une conception de service public vers un système assurantiel individuel, évidemment soumis aux moyens dont chacun de nous dispose.

Sur le plan financier, les dépassements représentent aujourd’hui environ 6,5 Milliards d’Euros par an (2,5 pour les médecins et 4 pour les dentistes en 2007) qui sont principalement à la charge des ménages puisque la Sécu ne les rembourse pas et les assurances complémentaires, peu. Ces dépassements augmentent considérablement, chez les médecins spécialistes surtout, dont la moitié pratiquent les honoraires « libres » : entre 2005 et 2007 leurs honoraires ont augmentés d’un peu plus de 9%, mais dans cet ensemble, les dépassements ont progressés de 21%.

Sur le plan du droit c’est un déni de justice, en premier lieu au regard de la Constitution (11ème alinéa du préambule) et une anomalie vis-à-vis des dispositions du code de Sécurité Sociale (Art L. 145-1 et Art 145-2) ou du code de déontologie médicale et une négation de la Convention souscrite entre les praticiens et l’assurance maladie à laquelle adhèrent, dans leur grande majorité, les médecins et les dentistes.

On sait (carences dénoncées par la Cour des Comptes et l’Inspection Générale des Affaires Sociales) que ceci résulte d’une invraisemblable inertie du quasi service public (l’assurance maladie) en principe chargé de l’application des règles et des sanctions en cas d’irrégularités. Or, la mansuétude de l’administration pour les producteurs de soins n’est pas la conséquence d’une incompétence mais l’application d’une volonté politique au plus haut niveau (voir les quelques mesurettes prévues dans le projet de loi sur la Sécu pour réguler les dépassements tarifaires, disparues dans le texte final) pour atteindre un triple objectif : augmenter le revenu des médecins libéraux, sans affecter le budget de l’assurance maladie et transférer les frais médicaux vers les assurances individuelles.

Le phénomène des dépassements tarifaires va d’ailleurs s’accentuer puisque, le gouvernement a instrumentalisé le Conseil de l’UNCAM (c’est l’instance créée par la loi Douste-Blazy qui détient tous les pouvoirs dont à été dépossédé le Conseil de la Caisse Nationale d’assurance Maladie) en le poussant à accepter une nouvelle extension de la liberté des honoraires. Le « secteur optionnel » est en outre le faux nez d’une disparition à court ou moyen terme de l’encadrement des honoraires médicaux.

Les établissements hospitaliers : la course aux objectifs financiers au détriment des finalités sanitaires

Dans les phénomènes peu visibles, mais qui modifient profondément le système conçu à la libération, on pourrait également évoquer deux tendances de même nature, mais dont les effets diffèrent. Au sein des structures hospitalières, qu’elles soient publiques ou privées, une finalité univoque s’impose désormais : gagner de l’argent !

Dans les établissements publics, il faut réduire les coûts, quel qu’en soit le prix sur le fonctionnement des structures et des personnels et, par conséquence, sur la qualité des soins. On taille dans les effectifs, on ferme des lits. La carrière des directeurs d’hôpitaux est liée à leur capacité de respecter les contraintes financières que le pouvoir leur impose.

Dans les structures privées, de plus en plus gérées par des groupes investisseurs voraces, il faut générer du bénéfice en poussant les « machines à produire », aux frais, bien entendu, de la collectivité (la Sécu) qui paye les soins, parfois, au détriment du service rendu aux malades et, souvent, à la confusion des médecins confrontés aux dictats de gestionnaires pour lesquels « l’éthique médicale » ressort de la poésie.

L’abandon des personnes âgées dépendantes à la solidarité familiale

La réduction des coûts pour ce qui concerne l’hôpital public, puisque ce dernier a « le privilège » d’assumer seul la prise en charge des personnes âgées atteintes de polypathologies, entraîne une volonté de s’en débarrasser au plus vite. Combien de familles sont mises en demeure de trouver dans la précipitation une maison de santé médicalisée privée (les structures publiques ou subventionnées sont surchargées) où elles devront assumer des frais considérables qui ne bénéficieront d’aucune couverture sociale. Que de drames silencieux, de ruines, d’abandons… !

On prétendait jusqu’à présent que l’hôpital public était « gratuit ». Il n’en est rien ! En particulier pour les malades que nous venons d’évoquer qui présentent la double particularité de subir des hospitalisations de longues durées – on ne les jette quand même pas dehors mourantes – et d’être souvent démunies d’assurance complémentaire qui prennent en charge le forfait hospitalier. Or, pour des personnes disposant de faibles retraites et devant faire face par ailleurs aux charges habituelles qui perdurent (loyers, impôts, etc…), les 540 Euros par mois (18 E. x 30) qu’elles doivent verser au trésor public constituent un poids souvent insupportable.

Dans les frais qui pèsent sur ce type de situation, désormais le blanchissage des malades n’est plus assuré par l’établissement. Dans les unités de médecine ou de « soins de suite », on demande aux familles de fournir et d’entretenir les vêtements du malade. Bientôt, devra-t-on acheter les médicaments et autres produits… !?

Faut-il ajouter que le moindre dérivatif proposé à ces malades souvent délaissés (la télévision) est facturé à des taux prohibitifs ? Des recettes de poche pour les établissements ?

Réduire la prise en charge des maladies graves

Autres mesures souterraines, qui touchent les plus malades et les plus mal adaptés à cette évolution (peu disposent d’assurances complémentaires), l’exonération du ticket modérateur (remboursement à 100%) accordée aux personnes atteintes d’une affection de longue durée (cancer, diabète, sida, etc…) fait l’objet par les Médecins Conseils de l’assurance maladie d’une surveillance et d’une pression sur les médecins traitants pour que ces derniers réduisent au maximum les soins et les prescriptions reconnus consécutifs à l’affection individualisée. Pour éviter « les tracasseries administratives », parfois par conviction, les médecins traitants, qui doivent distinguer les soins et prescriptions en rapport avec la maladie individualisée cèdent à cette pression et tout ce qui n’est pas dans le cadre strict de la pathologie est désormais frappé du ticket modérateur. Tant pis pour les affections opportunistes qui atteignent ces malades aux défenses immunitaires amoindries.

Le Graal des libéraux : Le « gros risque » pour la Sécu, le « petit » abandonné à la prévoyance individuelle.

De façon insidieuse, une conception fondamentalement différente de ce qui a inspiré le législateur à la libération, modifie profondément les finalités du système. Le rêve que caresse tout bon libéral consiste à faire l’arbitrage habituel entre le collectif et l’individuel. On connaît le principe : privatiser les bénéfices et socialiser les pertes.

Sur le plan de la protection sociale, cela se traduit par des systèmes qualifiés de « panier de soins », formule ambiguë qui aboutit à faire un tri entre les pathologies et leur traitement reconnus graves ou lourds (gros risque) et celles qui, à priori, ne présentent pas un facteur de gravité (petit risque). Le premier serait destiné à la prise en charge socialisée (la Sécu) qui en assumerait le considérable coût. Le second serait laissé à la prévoyance individuelle privée, ce qui implique une première sélection puisqu’il faut payer une assurance complémentaire dont les cotisations et, forcément, les prestations, sont proportionnelles aux capacités financières dont on dispose. Les personnes âgées notamment ayant des besoins sanitaires plus importants et qui ne bénéficient pas de contrats de groupe négociés au sein des entreprises, en sont les premières victimes. La seconde sélection est impitoyable pour les catégories défavorisées et, désormais, les catégories « moyennes » : plus on est malade et moins on a pu payer pour acheter sa protection complémentaire, plus le reste à charge est lourd et…moins on peut se soigner… !

Pour illustrer cette tendance, on développera l’exemple des médicaments dont les taux de remboursement peuvent diminuer jusqu’à 15% de leur prix, voire être totalement déremboursés. Beaucoup de ces médicaments sont frappés d’un nouvelle flétrissure : Ils sont peut-être efficaces, mais ils sont « inefficients ». En fait, on considère que leur effet (démontré) aurait un rendement insuffisant pour que la collectivité les assume. Or, d’après les médecins confrontés aux pathologies pour lesquelles ils sont indiqués (les veinotoniques ou les fluidifiants bronchiques par exemple), ces produits n’ont pas de substituts. On a donc tout simplement conclu que les malades devaient les assumer… Ceux qui en ont les moyens bien entendu !

Pendant ce temps, on continue à inscrire sur la liste des produits remboursables à taux plein (70%) des médicaments qui n’apportent aucune amélioration par rapport à ceux qui existent déjà, souvent avec un prix majoré et une intense promotion marketing impulsée par l’industrie pharmaceutique qui pousse les médecins à les prescrire.

Observons par ailleurs, qu’un aboutissement du principe de sélection des risques avec l’abandon du « petit » à la prévoyance individuelle privée et, en conséquence, l’élimination des malades incapables d’en assumer le coût, serait absolument antinomique avec la prévoyance dont on se rengorge à juste titre, car un accès aux soins aisé et rapide permet de diagnostiquer une maladie grave qui se dissimule sous des symptômes anodins.

Nous pourrions développer davantage les exemples de ce glissement profond d’un système solidaire égalisant les chances devant la maladie vers un mécanisme de prévoyance individualisé qui sélectionne implacablement par l’argent. Nous évoquions précédemment les quelques émergences d’une volonté politique obstinée qui apparaissent dans un discours lénifiant. L’unanimité de la petite phrase « il faut réfléchir à un nouveau partage entre la responsabilité collective et la responsabilité individuelle » dans les déclarations gouvernementales est révélatrice des intentions profondes des leaders de la droite au pouvoir.

Les mêmes, le Président encore très récemment à la télévision, qui s’attribuent les bienfaits de notre protection sociale, comme amortisseur des effets de la crise économique… !

Or, il y aurait tant à faire pour améliorer simultanément les recettes et les dépenses de l’assurance maladie, tout en préservant son efficacité sanitaire et sociale. Encore faudrait-il faire des arbitrages absolument inverses à ce qu’entreprend ce gouvernement, c’est-à-dire consacrer le considérable effort financier de nos concitoyens à la promotion de la santé et non pas aux intérêts privés qui utilisent cet investissement collectif à leur seul bénéfice.

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* Sapeur : soldat du génie militaire dont la mission consistait à l’origine à détruire les assises d’un édifice pour qu’il s’écroule. Le glorieux et sublime « sapeur camembert » s’était distingué en creusant un trou pour mettre la terre d’un autre. Miner la protection sociale et, en conséquence, la santé, tout en creusant « le trou » de la Sécu, présente une réelle analogie avec « l’œuvre » de ce héros…