Loi pour une école de la confiance à l’école Dite « LOI BLANQUER » … Une nouvelle loi aux contours très flous mais potentiellement dévastatrice

Finalement Jean Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale aura lui aussi choisi d’imprimer sa marque en faisant une nouvelle loi alors qu’il avait indiqué au début du quinquennat, qu’il n’en ferait pas.
Une nouvelle loi assez fourre -tout qui mêle des sujets assez divers qui ne semblent avoir aucune unité les uns avec les autres et surtout qui reste très floue quant à ses objectifs. Ce qui la rend inquiétante à plus d’un titre, dans un contexte d’économie budgétaire et de destruction annoncée de la fonction publique.

De la refondation de l’école à l’école de la confiance (1)Nous n’aborderons pas ici les contre-réformes en cours dans les lycées et via PARCOURS SUP. D’autres articles seraient nécessaires.

Cette nouvelle loi arrive donc 5 ans après la loi sur la refondation de l’école initiée par l’un de ses prédécesseurs : Vincent Peillon.
Une loi qui n’aura même pas eu le temps d’être déclinée et encore moins appliquée dans son intégralité.
5 années de réformes permanentes viennent de s’écouler avec : la réforme des rythmes scolaires, la transformation des IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) en ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) et la réforme de la formation des enseignantes, de nouveaux programmes de la maternelle au collège, la mise en place de LSU (Livret Scolaire Unique) et de l’école numérique, la réforme des REP (Réseau d’Education Prioritaire. Autrefois appelé ZEP (Zone D’Education Prioritaire), la mise en place des PDMQDC (Plus De Maitres Que De Classes. Poste supplémentaire d’enseignant, permettant le travail en demi-groupe classe. )…

Le cycle infernal des réformes qui réforment les réformes

Mais le nouveau ministre a choisi, de nouveau, de réformer les réformes du précédent.
On a, dès la première année du ministère Blanquer, eu dans le premier degré une avalanche de nouvelles mesures et dispositifs à mettre en œuvre.
De la modification des rythmes scolaires et la possibilité de retour à 4 jours à de nouveaux programmes à l’école élémentaire que le ministère a nommé des ajustements avec des modifications profondes pour le CP (Cours Préparatoire – Première année d’élémentaire.) et le CE1 (Cours Elémentaire 1ère année – Seconde année élémentaire) en lecture.
Des activités imposées pour les APC (Activités Pédagogiques Complémentaires) des animations pédagogiques obligatoires exclusivement centrées sur les maths et le français et l’imposition de méthodes pédagogiques en lecture.
A cela s’ajoutent les évaluations de CP et de CE1 pluri annuelles. La mise en place des CP et des CE1 100 % réussite en REP et REP+ (Même acronyme que REP. REP+ est une classification qui correspond à des établissements scolaires situés dans des quartiers populaires particulièrement précaires Ce « label » donne des moyens humains et des primes supérieurs aux REP.) et la suppression des PDMQDC.
Mais aussi la chorale à l’école et la rentrée en musique et toute une série d’annonces plus médiatiques les un-e-s que les autres qui vont du port de l’uniforme à l’école en passant par la lecture syllabique, la surenchère sécuritaire avec la police dans les écoles, les REP qui coûtent trop cher et les suppressions de postes qui vont augmenter le pouvoir d’achat des enseignant-e-s.

Une loi au service d’une école libérale et réactionnaire

Ces annonces vont toutes dans le même sens, celle de la vision libérale et réactionnaire de l’école, du ministre et du gouvernement Macron.
Pompeusement nommée « loi pour une école de la confiance », cette loi ne déroge pas à cette idéologie libérale en franchissant toutefois un nouveau cap celui d’une libéralisation assumée de l’école avec un financement encore plus important de l’école privée et une mise en concurrence de l’école publique et privée.

L’école obligatoire à trois ans : c’est bien, non ?

Actuellement l’instruction est obligatoire de 6 à 16 ans.
Cette nouvelle loi modifie l’âge de la scolarisation obligatoire en l’abaissant à 3 ans. Elle rend par-là l’école maternelle obligatoire.
Pour justifier cette modification de l’âge de la scolarisation, Macron a parlé de 25000 enfants de 3 ans qui ne seraient pas scolarisés.
Abaisser la scolarité obligatoire, serait donc à la fois une mesure de justice sociale et une reconnaissance du rôle pédagogique de l’école maternelle.

L’école maternelle en quelques chiffres

Dans l’étude annuelle de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) de 2018 sur les 804 725 enfants nés en 2013 de 3 ans en âge d’entrer à l’école maternelle, il y en a 784 545 de scolarisés. Le nombre d’enfants non scolarisés en maternelle serait plutôt de 20180.
Le nombre moyen d’élèves par classe en maternelle est de 25,5 enfants.
Par rapport à la moyenne des élèves de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), c’est assez élevé puisqu’ailleurs celle-ci est de 14 élèves pour une enseignante.
Les enfants de moins de 3 ans sont scolarisés à hauteur de 30 % en France avec de fortes disparités selon les départements.
La quasi intégralité des enfants de maternelle sont scolarisés à l’école maternelle publique.

La quasi-totalité des enfants de 3 ans scolarisés en maternelle

Avec un taux de 97,6 % d’enfants scolarisés à l’école maternelle, on peut considérer que la quasi-totalité des enfants sont actuellement scolarisées en maternelle.
Il n’y avait donc pas vraiment de nécessité ni urgence à légiférer là-dessus.
Pour justifier cette mesure, Macron l’a présentée comme une mesure de justice sociale étant donné les écarts entre certaines régions comme dans les territoires d’outre-mer où il n’y aurait que 70 % d’enfants scolarisés en maternelle.
On sait depuis longtemps que la scolarisation précoce permet aux enfants d’entrer plus facilement dans les apprentissages et de pallier le retard notamment lié aux facteurs sociaux.

Alors, où est le problème ?

S’il s’agissait de résoudre les inégalités d’accès à l’école maternelle dans certains territoires pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas choisi de concentrer ses efforts sur ces territoires (Guyane en particulier) avec des mesures volontaristes ? Constructions de nouvelles écoles, création de postes d’enseignantes supplémentaires, transports collectifs …
Parce que derrière cette mesure de justice sociale se cache un cadeau fait aux établissements privés.

La justice sociale instrumentalisée pour faire des cadeaux au privé !

Avec le passage de la scolarisation obligatoire à 3 ans, le gouvernement permet aux établissements privés d’être bénéficiaires des subventions pour la scolarisation des enfants de 3 à 5 ans.

Comment sont financées les écoles privées ?
Depuis la Loi Debré́ de 1959, la législation oblige les collectivités locales à assumer les coûts de fonctionnement et d’entretien des « établissements d’enseignement privés » sous contrat d’association avec l’Etat.
Ce financement concerne « l’entretien des locaux liés aux activités d’enseignement», les dépenses de fonctionnement (fluides, maintenance, assurance), le mobilier scolaire, les fournitures scolaires, l’informatique, les intervenants extérieurs « sur les heures d’enseignement prévues dans les programmes officiels », certains transports (piscine, gymnase).
Les communes sont tenues d’assumer la prise en charge des dépenses de fonctionnement des classes élémentaires privées sous contrat d’association des élèves domiciliés sur son territoire
La participation de la commune est calculée par élève et par an en fonction du coût de fonctionnement relatif à l’externat des écoles publiques de la commune ou, à défaut, du coût de fonctionnement moyen relatif à l’externat des écoles publiques du département.
Lorsque la commune de résidence est membre d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI)
Ce qui signifie que l’abaissement de l’âge de la scolarisation des enfants à 3 ans va permettre aux établissements privés d’ouvrir davantage d’écoles maternelles et ce avec le financement public des municipalités et en particulier dans les territoires déficitaires.
Plus de 7,6 milliards d’euros du budget de l’État sont consacrés chaque année à subventionner l’enseignement privé (confessionnel à 90%).
A cela s’ajoute la prise en charge des salaires des enseignantes par l’état.
Donc en résumé, cette mesure va coûter de l’argent à l’état et aux collectivités territoriales pour le plus grand bénéfice des écoles privées sous contrat qui sont à 90 % confessionnelles et un bénéfice nul pour les écoles maternelles publiques.
Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices (RFVE) et adjoint au maire de Villeurbanne, estime ce coût supplémentaire à 150 millions d’euros pour l’ensemble des villes de France.
Pour compenser, le gouvernement a promis une enveloppe de 40 à 50 millions d’euros seulement, réservée qui plus est aux communes n’ayant jusqu’à présent versé aucun forfait aux écoles privées. Or, les deux tiers des municipalités ont déjà signé des accords avec ces écoles préélémentaires. Mais elles leur versaient souvent un forfait par élève d’un montant inférieur au coût de la scolarisation d’un enfant dans les écoles publiques.

Cette mesure représente pour Brest un coût supplémentaire de 1,6 million d’euros, à ajouter aux 2,5 millions d’euros déjà dédiés au financement du privé. « Cela nous met en difficulté financière. Nous craignons d’être obligés de devoir diminuer la qualité de l’école publique pour que l’impact de la réforme soit moins important », regrette Emilie Kuchel. Au point de supprimer l’ATSEM (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) par classe ? « Nous aimerions ne pas en arriver là mais nous pourrions y être contraints. (2)Alternatives Economiques. Avril 2019. »

À Toulouse (LR), le surcoût de la réforme pourrait frôler les 3 millions d’euros. Le budget éducation est le premier poste de dépense de la ville (170 millions d’euros par an dont 32 millions de frais de fonctionnement).
Deux notes de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) établissent que la hausse de fréquentation de l’enseignement privé s’opère au détriment de l’enseignement public.
Dans le premier degré, le nombre d’élèves baisse à cette rentrée : -0,6% dans le public, alors qu’il augmente de 0,2% dans le privé.
Dans le second degré, le nombre d’élèves augmente plus vite pour le privé (+1,1%) que dans le public (+0,9%).
En dix ans, ce sont près de 100 000 élèves de plus qui accomplissent leur scolarité dans le privé.
Cette évolution n’a rien d’étonnant : d’une part, en supprimant des postes le ministère organise son propre démantèlement. D’autre part, en subventionnant toujours davantage le privé par rapport au public, le ministère favorise sa propre mise en concurrence et, in fine, la privatisation progressive du service public d’éducation.
Avec le taux de scolarisation actuel de l’école maternelle, cette mesure va représenter un coût de postes pour l’EN assez marginal.

Les postes au concours de professeur des écoles ont été publiés au Journal Officiel. Pour la deuxième année, les postes au concours du public sont en chute. En 2019, il y aura 1065 postes de moins qu’en 2018 (-9%). Dans le même temps, l’enseignement privé bénéficiera d’une hausse de 310 postes (+38%). Cette distorsion déroge à la règle des 80/20 et attribue un nouveau privilège aux établissements privés.

A ce premier cadeau au privé s’en ajoute un second celui d’un nouveau droit à l’expérimentation pédagogique.

Le droit à l’expérimentation pédagogique

Qu’est-ce que c’est ?
C’est un droit qui a été consacré par la loi en 2005 mais qui existe depuis très longtemps avec en figure de proue ce qu’on appelle les pédagogies actives.
C’est la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a ouvert la possibilité́ de recourir à la mise en œuvre d’expérimentations pour favoriser l’évolution des politiques publiques sans qu’il soit porté atteinte au principe d’égalité́.
La loi d’orientation et de programme du 23 avril 2005 dans son article 34 a consacré l’usage pour l’éducation nationale et a fait de l’expérimentation pédagogique une pratique institutionnellement reconnue.
Voici ce que dit cet article du code de l’éducation : «  Sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement mentionné à l’article L. 401-1 peut prévoir la réalisation, dans des conditions définies par décret, d’expérimentations pédagogiques portant sur tout ou partie de l’école ou de l’établissement, d’une durée limitée à cinq ans. Ces expérimentations peuvent concerner l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire, l’utilisation des outils et ressources numériques, la répartition des heures d’enseignement. »

Vive les pédagogies « alternatives » !

Encore une bonne mesure qui correspond à une demande forte des équipes pédagogiques. Alors qu’est ce qui ne va pas encore ?

Pourquoi une modification de ce droit à l’expérimentation pédagogique ?
«Art. L. 314-1.- Des travaux de recherche en matière pédagogique peuvent se dérouler dans des écoles et des établissements publics ou privés sous contrat. »
Ce droit est étendu aux établissements privés sous contrat.
Ce qui va permettre entre autres à des établissements hors contrat de type école Montessori par exemple d’être contractualisée et de toucher les subventions de l’état qu’elles ne pouvaient pas jusqu’ici percevoir.
En effet en 2017, la DEEP a recensé en 2017, 4 700 élèves de moins dans les écoles sous contrat avec l’Etat, mais 6 600 de plus dans le « hors contrat ». Ecoles hors contrat qui sont les plus nombreuses à offrir une offre scolaire dite alternative comme les écoles Montessori, Steiner, « démocratiques », bilingues…
On a là encore un cadeau pour les écoles privées qui va à la fois leurs permettre de toucher des subventions de l’état mais également de concurrencer les écoles publiques avec une offre scolaire diversifiée que les écoles publiques ne peuvent même pas mettre en œuvre.
En effet si le droit à l’expérimentation existe à l’EN, on ne peut pas dire que la hiérarchie y soit favorable et l’encourage.
C’est un véritable parcours du combattant pour gagner ce droit parce qu’en général cela s’accompagne d’une demande de moyens.

Il est très surprenant dans le contexte d’évaluation à tous crins de voir que les expérimentations pédagogiques voient leur cadre assoupli par rapport à l’existant, c’est une porte grande ouverte pour l’introduction par la force de méthodes pédagogiques douteuses, du type de la méthode de lecture d’Agir pour l’École que l’on a tenté d’imposer en fin d’année aux collègues de CP alors même qu’un rapport de l’IGEN (Inspection générale de l’éducation nationale) remet clairement en question le bienfondé de cette méthode. Cet assouplissement du droit à l’expérimentation profitera aux établissements privés sous contrat auxquels il est étendu et instaurera une concurrence accrue entre l’offre scolaire établissements publics et privés et ce pour le bénéfice des classes sociales les plus favorisées.
Cette loi c’est aussi celle de la mise en place de ce que le ministre appelle la culture de l’évaluation et de la mise au pas pédagogique des enseignant-e-s.

Le renforcement de l’école inclusive ou des économies sur le dos des élèves porteurs de handicap ?
Le projet de loi prévoit la création de Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés. Ce PIALE regroupe IEN (Inspecteur de l’Education Nationale. Premier échelon de la hiérarchie à l’école primaire), directeurs d’école et chefs d’établissement d’une même circonscription et constitue un conseil visant à organiser au niveau circonscription la « mutualisation des AESH (Accompagnant des Élèves en situation de Handicap).
Ces PIALE devront gérer les moyens mis à disposition des circonscriptions pour la scolarisation d’élèves porteurs de handicap. Vu le manque d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire. Qui doivent devenir des AESH) ou d’AESH (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap), il est à craindre que l’on passe d’une prise en charge individuelle –par une AVS ou AESH- au sein de la classe par élève, à une «aide mutualisée ». La répartition serait 80 % mutualisée et 20 % individuelle.
Soit l’AVS/AESH passerait d’une classe à l’autre pour prendre en charge quelques heures différentes élèves. Et dans ce cas l’élève n’aurait pas le volume d’heures de la prise en charge prévue par la MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) ou alors les élèves porteurs de handicap seraient regroupés dans une classe par niveau.
Et là le volume d’heures serait respecté, mais pas l’individualisation de la prise en charge. Sachant que chaque handicap a une déclinaison singulière. Dans tous les cas ce sont des économies budgétaires !
L’inclusion scolaire de tous les enfants va devenir encore plus cruciale avec la scolarisation obligatoire dès 3 ans, vouloir scolariser tous les enfants en milieu ordinaire, quelle que soit la lourdeur du handicap, peut constituer une forme de maltraitance.

Dans le même temps, des enseignantes d’IMP (Instituts Médico-Pédagogiques) ont été prévenues des projets de fermetures de ce type d’établissement, un peu comme en Italie… Sauf qu’en Italie, pour chaque élève porteur de handicap, il y a un enseignant spécialisé de nommé…

La « réforme » de la direction d’école. Les Etablissements Publics des Savoirs Fondamentaux.
« Art. L. 4211916. – L’établissement public des savoirs fondamentaux est dirigé par un chef d’établissement qui exerce les compétences attribuées au chef d’établissement par l’article L. 4213. Un directeur-adjoint exerce, sous son autorité, les compétences attribuées au directeur d’école par l’article L. 4111 et assure la coordination entre le premier degré et le second degré ainsi que le suivi pédagogique des élèves et anime le conseil des maitres”.

La direction d’école

Les missions des directions d’école ont évolué vers une hiérarchisation rampante inspirée du management. C’est pourquoi, la réforme du statut des directeurs-trices pourra se résumer à un changement de statut mais pas des missions. Et puis les conditions de travail et de la charge accrue des missions des directeurs-trices se sont accrues. Ils et elles sont sous payé-e-s au vu de l’ampleur de leurs responsabilités et peu reconnus dans leur fonction. La tentation de monnayer cette charge de travail et les difficultés du terrain qui sont engendrées par l’institution elle-même qui amoncèle les réformes et accentuent les pressions institutionnelles en faisant des directeurs-trices des courroies de transmission de ses réformes délétères et dévastatrices.

Le ministre a fait le choix de potentiellement réduire le nombre de postes de directions d’écoles. Un directeur adjoint pourrait suffire pour remplacer les directeurs/directrices des écoles en réseau avec le collège référent. Actuellement cela peut représenter une dizaine (ou plus) d’écoles par collège. Il y a là, des postes dits de « décharge de direction (3)En fonction du nombre de classes de l’école, la directrice peut bénéficier d’un temps de décharge : 1/3 ; ¼ ou une décharge complète. Ce temps de décharge veut dire concrètement, qu’une enseignante prend la classe de la directrice pendant qu’elle gère l’aspect administratif, relationnel, institutionnel de l’école. » qui peuvent être récupérés.
Par ailleurs si ces écoles sont intégrées dans un même établissement, l’administration pourra faire des moyennes d’effectifs par classe sur un plus grand diviseur. L’expérience prouve que cela permet de fermer plus facilement des classes. Quitte à faire « glisser » des élèves d’une école à l’autre.

Le ministre parle d’expérimentation et que les conseils d’Ecoles seront consultés. La belle affaire ! l’expérience de ce qui s’est passé à propos des rythmes scolaires montre que les avis consultatifs des Conseils d’Ecoles n’ont aucune valeur contraignante pour l’Education Nationale et les municipalités. Certes ces dernières pourraient jouer un rôle de blocage important contre la mise en place de ces Etablissements Publics des Savoirs Fondamentaux. Mais, réduire le nombre de directions d’écoles, c’est réduire la facture que représentent les indemnités versées par les communes aux directeurs. En zone « rurale » ou « péri-urbaine », il n’est pas exclu que les collectivités territoriales aient intérêt à regrouper les écoles dans les mêmes locaux.
Par ailleurs, une fois les écoles rurales intégrées dans ce dispositif, il sera possible de généraliser « l’expérimentation », à toutes les écoles…Le contre-feu des sénateurs de droite : refus des EPSF mais mise en place d’un statut de chef d’établissement pour les directeurs ne doit pas faire illusion. Il est contradictoire avec la politique libérale de la droite Macroniste ou LR, à savoir récupérer des postes de fonctionnaires. Par ailleurs, il relève de la même idéologie : casser le collectif de travail que peut être un « conseil des maîtres/maîtresses » si les enseignantes en ont la volonté.
Le recul de Blanquer concernant « Les Etablissements Publics des Savoirs Fondamentaux » est une réelle victoire partielle à mettre au crédit des enseignantes et des parents (et parfois des élus) en lutte contre cette réforme.

«Culture de l’évaluation » et mise au pas pédagogique

La loi crée un nouveau conseil de l’évaluation.
Le Ministre poursuit dans son obsession de l’évaluation à tous crins : il instaure une nouvelle instance bureaucratique, supposée évaluer “en toute indépendance” le système éducatif alors qu’elle sera “placée auprès du Ministre de l’Éducation Nationale”. On envisage bien avec une telle tutelle à quoi sera réduite l’indépendance de cette instance.
Il faut souligner qu’il existe déjà plusieurs instances au sein de l’éducation nationale qui sont chargées de produire des évaluations sur le système éducatif.

Il y a la DEPP qui est le service ministériel qui produit essentiellement des statistiques sur le système évaluatif qui est composé d’inspecteurs généraux. Et Il y a le CNESCO.

Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) est une institution chargée d’une évaluation indépendante, créée par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, du 8 juillet 2013.
Il est composé de scientifiques issus de champs disciplinaires variés nommés par Vincent Peillon, de parlementaires ainsi que de membres du Conseil économique, social et environnemental, nommés pour 6 ans (2014-2020) ( soit plus qu’une mandature).

La nouvelle instance nommée Conseil d’évaluation de l’Ecole sera composée de 10 personnes dont 8 choisies par le ministre. Sur les 8 membres désignés par le ministre 4 sont des fonctionnaires.
Ce nouveau conseil sera encore moins indépendant que le CNESCO.
La durée de leur mandat, 3 ans seulement aggrave cette dépendance.
Ce sera un organisme d’évaluation maison au profit de la politique menée par Blanquer.
En ce qui concerne ces missions, elles changent par rapport à celles du CNESCO puisqu’il n’évaluera plus les politiques scolaires.
Il veille à la cohérence des évaluations conduites par le ministère portant sur les acquis des élèves, les dispositifs éducatifs et les établissements d’enseignement scolaire. A ce titre, il établit une synthèse des différents travaux d’évaluation sur le système éducatif et a pour mission d’enrichir le débat public sur l’éducation. Il définit le cadre méthodologique et les outils des évaluations des établissements conduites par le ministère…Il donne un avis sur les méthodologies, sur les outils et sur les résultats des évaluations du système éducatif organisées au niveau national par les services du ministre“.

Un conseil de l’évaluation au service de l’école managériale
Le futur conseil n’est plus qu’un assistant à la politique ministérielle travaillant sur les évaluations décidées par le ministre.
Cette nouvelle instance sera surtout chargée d’évaluer les élèves, les enseignant-es et les écoles sans remettre en cause les politiques éducatives menées.
Avec les évaluations de CP de l’année dernière et de cette année, on a déjà un bon aperçu de ce que pourra donner la généralisation de ces pratiques évaluatives.
La culture du résultat chère au ministre permettra d’instituer une école managériale qui distribuera les bons et les mauvais points aux équipes enseignantes avec :
• l’augmentation du nombre de postes à profil ;
• l’arbitraire et l’injustice des promotions ;
• la mise en place de la prime REP+ au mérite ;
• la mise en place d’évaluation des établissements et le projet de leur classement.

La réforme des ESPE et la mise sous tutelle du ministre de la formation initiale.

Les ESPE sont remplacées par les INSP (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat).
Cela a pour conséquence une reprise en main autoritaire par le Ministre de la formation des enseignantes. Les directeurs et directrices des instituts de formation ne seront désormais plus désignées par leurs pairs dans le cadre de la procédure universitaire actuelle, mais par le ministre lui-même pour 5 ans.
De plus, on peut supposer que les ESPE ne vont pas se contenter de changer de nom et que cela va s’accompagner d’une réforme de leurs missions, de la formation et des référentiels des missions des personnels d’éducation et par extension de l’évaluation des personnels.

Des AED (Assistants d’Education) sous-payés pour effectuer des missions de remplacement

En lien avec une probable réforme de la formation des enseignantes, la nouvelle loi prévoit dans son article 13 de confier aux Assistants d’Éducation des missions supplémentaires d’enseignement : “lorsqu’ils sont recrutés alors qu’ils sont inscrits dans une formation préparant aux concours d’accès aux corps des personnels enseignants ou des personnels d’éducation, (les assistants d’éducation)  peuvent également se voir confier, respectivement, des fonctions pédagogiques et d’enseignement ou des fonctions d’éducation”.
Cependant cela est actuellement déjà possible pour les AED ayant une licence.
Cela signifie donc que le ministère veut étendre les missions des AED à des missions de remplacement pour l’enseignement et ce en deçà de la licence dans le cadre d’une formation pour devenir enseignant-e-s.

En clair, les AED pourront assurer des missions de remplacement avec un BAC + 2 dans le cadre d’une formation en étant sous payé comme AED. De grosses économies en perspective pour le ministère.
Ils-elles seraient amené-e-s à faire un certain nombre d’heures de cours à partir de la L2 :
-8 heures en L2 (Licence 2ème année) et L3, dans le cadre de co-interventions en classe ou de l’aide aux devoirs en L2, puis de la prise en charge de l’APC dans le premier degré ou de l’AP et des EPI dans le second degré
-en M1 (Master 1ère année), 8 heures dans le premier degré et 6 heures dans le second degré, dans le cadre de la prise en charge intégrale de classes

La rémunération de ces heures de cours correspondrait à 240 euros par mois pour les 312 heures de cours ainsi réalisées sur l’année.
Une nouvelle fois, on n’hésite pas à exploiter les personnels plus précaires en flexibilisant leurs missions et leur temps de travail pour pallier les suppressions de postes d’enseignant-e. Ceci constitue à la fois une attaque contre les droits et les missions des personnels enseignant-e-s et des AED.
Cette mesure s’inscrit dans un projet de casse du concours et du statut, avec la mise en œuvre d’une formation destinée à déboucher sur un recrutement direct par les chef-fe-s d’établissement
Elle décline une forme inédite d’austérité budgétaire, avec une rémunération de l’heure de cours scandaleusement basse.
Entre cela et la contractualisation croissante des enseignant-e-s du 1 er degré notamment pour effectuer des missions de remplacement, on a une vague idée du projet de démantèlement du service public d’éducation et de la fonction publique en général qu’est en train d’entreprendre le gouvernement.

La possibilité de légiférer par ordonnances sur l’organisation territoriale

Les articles 17 et 18 prévoient que le gouvernement pourra engager la réforme territoriale de l’éducation nationale par ordonnance.
Ce qui signifie qu’il décidera unilatéralement du découpage territorial alors que cela va avoir un impact important pour l’affectation des enseignant-e-s, leur mobilité mais également le nombre de postes et leur rationalisation.

Dans ce contexte, on comprend mieux trois choses.
Pourquoi l’article 1 du projet de loi prévoit (sous prétexte d’exemplarité) un devoir de réserve pour les personnels de l’Education. Devoir de réserve qui n’existe pas pour ce type de fonctionnaire -statut 1983- (Les enseignantes ont un devoir de confidentialité, tout à fait nécessaire : cela concerne ce que les enseignantes connaissent de la vie des familles), et qui empêcherait les enseignant.e.s de s’exprimer dans des réunions d’éducation populaire, des réunions de parents et d’enseignants, sur les réseaux sociaux. On voit bien la duplicité de ce gouvernement qui prétend défendre les « lanceurs d’alerte »…Et qui a déjà commencé à sanctionner (mutations, pressions etc.) les directeurs/directrices/professeurs des écoles qui osent critiquer ce projet de loi.

Mais aussi, on comprend pourquoi la mobilisation des parents et des enseignants se construit au fur et à mesure, que s’organisent des réunions de parents et d’enseignants dans les préaux de nos écoles. Ces réunions sont souvent l’occasion de vérifier que cette loi n’a en aucun cas l’objectif d’améliorer les conditions d’apprentissage des élèves. De l’éducation populaire en action !

Dans ce cadre, la capacité du mouvement à dépasser les grèves mensuelles de 24 H : grèves reconduites par les PE, école déserte (parents) ; « nuit des écoles et collèges, lycées » : Occupation des établissements hors temps scolaire, avec débats/échanges entre les parents et les profs ; réunions publiques en direction des citoyens. Mais aussi la dynamique de construire des convergences avec les autres secteurs de la fonction publique et les cheminots, va être vitale pour que ce mois de mai fasse reculer Blanquer. De ce point de vue, l’annonce de la limitation des effectifs de classe à 24 pour les CP et CE1 et de l’absence de fermetures d’écoles par ce ministre n’est qu’un effet d’annonce, car sur le terrain les fermetures de classes, les fusions d’écoles sont déjà programmées pour la prochaine rentrée scolaire. Quant aux effectifs limités par classe, on voit déjà que l’objectif des CP/CE1 à 12 n’est pas tenu dans le 93 (là où pourtant les besoins sont les plus criants). Sur le terrain cela risque de se traduire par une augmentation des effectifs dans les classes de préélémentaires (vrai nom des « maternelles ») et des CE2/CM1/CM2. Pour baisser le nombre d’élèves par classe, il faut une programmation pluriel-annuelle de création de postes (et de formation des PE- Profs des Ecoles) en phase avec un plan national de création de locaux dont les écoles ont besoin. Ce ne sont pas les plans de communication d’un ministre qui peuvent être pris au sérieux. Pour concrétiser ces annonces opportunistes de Blanquer, il faut mettre en place une politique en rupture avec l’actuelle politique libérale de Macron…

Philippe Champigny
Grâce à toutes les infos et réflexions de militantes syndicalistes

Alors que nous bouclons cet article, les sénateurs de droite se proposent d’aller encore plus loin en faveur de la mise sous contrôle des enseignantes (art. 1), des jardins d’enfants et d’un management public toujours plus libéral. La seule «surprise» étant que les EPSF seraient recalés par le Sénat. Mais l’idée d’un contrôle hiérarchique via des directeurs -chefs d’établissements- va dans le même sens que Blanquer. Pour suivre la navette entre le Sénat et l’Assemblée Nationale le site http://www.cafepedagogique.net/Pages/Accueil.aspx fait des mises à jour très régulières.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Nous n’aborderons pas ici les contre-réformes en cours dans les lycées et via PARCOURS SUP. D’autres articles seraient nécessaires.
2 Alternatives Economiques. Avril 2019.
3 En fonction du nombre de classes de l’école, la directrice peut bénéficier d’un temps de décharge : 1/3 ; ¼ ou une décharge complète. Ce temps de décharge veut dire concrètement, qu’une enseignante prend la classe de la directrice pendant qu’elle gère l’aspect administratif, relationnel, institutionnel de l’école.