Pour la première fois, c’est la gauche qui casse nos retraites

Il y a des jours tristes dans l’histoire de la gauche et des jours de honte. Il faut savoir les reconnaître. Et il faudra savoir laver la tâche qu’ils incarnent. Il faudra savoir corriger, redresser. La première loi contre les retraites jamais proposée par la gauche est une de ces tâches.

Les 15 octobre et le 22 novembre, les députés ont voté, de façon forcée et bloquée, à une faible majorité, un recul historique de nos retraites. Ce n’est ni une réforme modérée, ni juste, ni équilibrée. Ils ont effacé 30 ans d’histoire depuis la conquête de la retraite à 60 ans avec Pierre Mauroy et la gauche unie. Ils ont contrecarré 20 ans de grandes luttes sociales, de 1993 à 1995, de 2003 à 2010, contre les sales réformes successives de la droite.

Ils ont validé et aggravé ce qu’a fait la droite depuis 20 ans.

Il faut dire cette vérité et argumenter pour demander encore et encore à nos députés de ne pas confirmer : le vote final aura lieu le 18 décembre juste avant Noël.

La droite a fait passer le droit à retraite de 60 à 62 ans en 2010.

Elle a fait passer le nombre d’annuités cotisées de 37,5 à 42 entre 1993 et 2020

Elle a fait passer le nombre d’années pour calculer le taux de la retraite de 10 à 25 entre 1993 et 2008

Elle a fait l’âge du départ à taux plein (sans le nombre d’annuités cotisées) de 65 à 67 ans en 2010

Elle a fait passer la date butoir de 65 à 70 ans en 2009

Les pensions ont officiellement diminué de 9 % entre 1993 et 2003 selon le COR (conseil d’orientation des retraites)

Les pensions devraient baisser de 25,5 % entre 2011 et 2060 toujours selon le COR

Les pensions ne sont plus revalorisées selon les salaires mais selon les prix depuis 1993

Les régimes de retraite complémentaires ont été aussi diminués depuis 1996, le calcul du prix d’achat du point est fixé en fonction de l’évolution du salaire moyen alors que la valeur du point est indexée sur les prix

Les régimes spéciaux des grandes entreprises publiques ont été progressivement diminués.

Il s’agit de la pire contre réforme d’Europe (en Allemagne, les 67 ans étaient envisagés en 2029 et leur mise en œuvre est contestée, en Grande-Bretagne, les 68 ans sont envisagés en 2048…)

Tout cela s’est produit alors que le Pib doublait, et que la France devenait plus riche que jamais elle ne l’a été dans son histoire. Avec cette régression des retraites, les inégalités se sont creusées,

Chaque fois depuis 20 ans, la gauche a combattu ces mesures de régression :

– En 1993, Balladur a fait passer la première loi violente contre les droits du secteur privé, en plein été.

– En novembre décembre 1995, Alain Juppé s’est heurté à une grève quasi générale qui l’a obligé à annuler et à différr toute une parti de sa contre reforme anti retraite

– En 2003, il y eut 140 jours de lutte, 11 journées nationales de grève enseignante, 9 journées interprofessionnelles de lutte

– En 2010, il y eut 8 millions de participants au moins une fois aux différentes manifestations

La gauche a bénéficié électoralement de ces combats :

– En 1997 Lionel Jospin a été élu sous l’impact du grand mouvement de novembre décembre 1995. Il n’a pas touché aux retraites. Il a réduit la durée du travail à 35 h sans perte de salaires : il est contradictoire d’allonger la durée du travail sur la vie après l’avoir réduit sur la semaine.

– En 2004, elle a gagné 20 régions sur 22 en profitant du mécontentement issu du grand mouvement social non satisfait de 2003

– En 2012, elle a gagné la Présidence de la République, et la majorité Parlementaire en profitant du grand mécontentement du mouvement social non satisfait de 2010.

En 1995, la force du mouvement imposa l’unité syndicale et l’unité à gauche, et Lionel Jospin a du sa victoire, et celle de la gauche plurielle, de juin 1997 au grand mouvement de novembre décembre 1995 et en proposant les 35 h sans perte de salaire, il défendit même la ré-indexation des retraites sur les salaires dans sa déclaration d’investiture et se garda de toucher aux retraites tout son quinquennat en dépit des pressions de la droite.

En 2003 Bernard Thibault fut ovationné au congrès de Dijon de mai 2003 après que François Chérèque ait signé séparément dans le bureau du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. François Hollande, dans son discours de clôture au congrès fit ovationner la « retraite à 60 ans à taux plein ».

En 2010, le parti socialiste fut présent dans toutes les manifestations qui défendaient la retraite à 60 ans à taux plein avec les huit syndicats du pays. Il s’opposa dans son « projet » comme dans le programme du candidat à la présidentielle au report de l’âge légal et à l’allongement du nombre d’annuités.

En 2013 le revirement est complet, injustifié, honteux

En cet automne 2013, c’est l’abandon de tous ses projets, votes de congrès, déclarations, manifestations et luttes, par la majorité du PS : elle fait voter une contre réforme qui est un reniement complet, une trahison des millions de salariés qui ont lutté deux décennies, avec lui et voté pour lui, un recul social immense qui va plonger des millions de retraités dans la misère et dégrader la situation économique du pays, par une austérité durable.

La majorité du PS dans un premier temps prend une mesure limitée « à ceux qui ont commencé à travailler tôt » et qui ont atteint le nombre d’annuités avant 60 ans… puis avalise et aggrave tout ce qu’a fait la droite pendant 20 ans. Le PS fait voter :

1°) Une hausse de 0,3% des cotisations sociales salariées ce qui va diminuer le pouvoir d‘achat direct de 2,2 milliards

2°) Une hausse de 0,3% des cotisations patronales, équivalent aussi à 2,2 milliards. Mais le patronat se verra « remboursé » ces 2,2 milliards sous forme d’allégement progressif des cotisations aux caisses d’allocations familiales. Ces 2,2 milliards (sur un total futur de 34 milliards) seront repris par l’impôt…payé par les salariés.

Il faut noter que la part des cotisations patronales retraite était respectivement de 0,6 et celles des salariés de 0,4, là c’est moitié moitié.

3°) Une baisse des pensions par trois moyens :

a) un décalage de la date d’ajustement des pensions sur les prix par report du 1er avril au 1er octobre.

b) Une fiscalisation de la part de 10 % attribuée aux retraités qui ont eu trois enfants.

c) Un gel des hausses des retraites complémentaires désindexées des prix en 2013, 2014, 2015

Il s’ajoutera la hausse de la TVA qui, le 1er janvier 2014, va frapper autant les retraités que les autres salariés.

L’inflation prévue en 2013 est de 1,75 %. Le recul progressif en trois ans, des pensions, additionnant toutes ces mesures, peut-être estimé entre 4 et 7 %.

4°) Un allongement des annuités de cotisations de 41 ans et 3 trimestres en 2020 à 43 trimestres en 2035.

Des fausses « contreparties » ont été présentées abusivement comme des « avancées » : un système aléatoire et humiliant de « points individualisés » de « pénibilité » – prévu pour 2015 après la promulgation de 25 décrets – viserait à redonner à une fourchette de 100 à 150 000 salariés soumis à des travaux « pénibles » (sur 24,5 millions concernés) une partie des trimestres… qui leur sont enlevés par la loi.

L’opposition au sein du PS (sans doute 80 % des adhérents sont hostiles à cette contre-réforme) a pris des formes féroces au niveau parlementaire : il s’en est fallu de 21 voix pour qu’elle ne passe pas en 1e lecture.

Le Sénat a finalement voté contre un projet tellement remanié que le gouvernement lui même a appelé à voter contre et il a obtenu 0 voix.

En deuxième lecture à l’assemblée, devant le nombre d’articles retoqués par les députés, le gouvernement a été obligé de recourir à un vote bloqué (faisant exactement ce qu’il avait reproché à Sarkozy de faire en 2010).

Les écologistes, qui avaient envisagé de voter contre une réforme « qui n’est pas réussie » se sont finalement abstenus. Les radicaux de gauche, qui s’étaient abstenus après la première lecture, ont voté quasiment tous.

L’UMP que l’UDI ont voté contre ce texte, qui selon eux, « manque de courage » parce qu’il n’est pas assez violent et ne revient pas notamment sur l’âge légal de départ à la retraite, maintenu à 62 ans. Cela annonce ce qui nous attend si la droite revient : la retraite à 65 ans et à taux plein à 70 ans sur une base de calcul de pension affaiblie : le gouvernement a évacué « la convergence entre les retraites du privé et du public » selon l’UMP Denis Jacquat. Medef et droite surenchérissent.

Le gouvernement a dû menacer violemment son propre groupe parlementaire et afficher des concessions mineures de dernière minute : à 1h du matin, il a lâché une aide de 50 euros à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les plus de 60 ans (disposant d’une retraite inférieure à 967 euros) et la revalorisation du minimum vieillesse deux fois en 2014. Un petit placebo qui n’empêchera pas la majorité des petites retraites de baisser dramatiquement dans les trois ans à venir. En deuxième lecture le scrutin a été acquis avec 291 voix contre 243 et 27 abstentions le 22 novembre.

Le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites va désormais repasser entre les mains des sénateurs, qui devraient à nouveau le rejeter, puis les députés auront le dernier mot, le 18 décembre.

Rien, rien, rien ne justifie que la gauche ait fait cette concession aux libéraux de Bruxelles, aux agences de notation et aux marchés. 90 % de la « dette » présumée du pays ne provient pas de nos caisses sociales (Sécu, retraite…). Le « trou » prétendu de 7,5 milliards, attribué aux retraites cette année, c’est « peanuts » alors que nous savons qu’il existe 60 à 80 milliards de fraude fiscale, 590 milliards d’avoirs français dans les paradis fiscaux, 200 milliards de dividendes, et que les 500 familles ont amassé 59 milliards de plus en un an, passant de 271 à 330 milliards (16 % du Pib). La France n’a jamais été aussi riche et c’est honteux de prendre aux petites retraites dont la moitié est inférieure à 993 euros.

L’annonce d’un « trou » de 20 milliards en 2020 faite par les médias n’a pas de sens : personne ne sait calculer la croissance et les déficits dans les 6 mois qui viennent, qu’en savent-ils pour 2020 ? La retraite n’étant pas une épargne mais assise sur les cotisations versées, en direct, en temps réel par ceux qui travaillent à ceux qui sont retraités, on peut régler un problème de 2020… en 2019 ! Il suffit de définir la prestation : un droit à retraite à 60 ans, 75 % de taux, calculé sur 10 ans, indexé sur les salaires, pas inférieur au Smic… et de moduler la cotisation pour y pourvoir.

Les difficultés présumées de nos caisses de retraites n’ont pas de raisons structurelles : l’espérance de vie stagne à nouveau, l’espérance de vie en bonne santé régresse depuis 5 ans, la démographie est favorable. Quand aux difficultés conjoncturelles, elles proviennent du chômage de masse : pour le combattre, il faut réduire la durée du travail, pas l’allonger. Pour la relance, il faut augmenter les salaires et les retraites et non pas les baisser !

Le gouvernement s’est réuni le 18 août 2013 pour plancher sur le « plein emploi » en 2025. Pourquoi propose t il une hausse des annuités de cotisations de 2020 à 2035 ?

Même si on accepte les chiffres du COR le Pib en 2011 s’élève à 2000 milliards, il devrait être multiplié par 2,25 en 2060 et donc atteindre 4500 milliards. Le Cor estime que la productivité du travail aura doublé : 1,35 cotisant produira en 2060 autant que 2,7 cotisants aujourd’hui. Il ne devrait pas être trop difficile d’augmenter la part du Pib destinée aux retraites, même avec 21,8 millions de retraités en 2060 contre 15,1 millions en 2011 ! En augmentant cette part de 8,1 points pour annuler les contre réformes depuis 2003, soit une augmentation de 365 milliards d’euros annuels en 2060, il resterait quand même 4135 milliards d’euros supplémentaires à partager entre l’augmentation des salaires directs, celle de l‘investissement public et celle des profits des entreprises.