La ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou l’éloge des mauvaises herbes

En 1974, le Conseil général de Loire atlantique préempte 850 hectares sur les 1 650 ha prévus pour construire le futur aéroport Notre-Dame-des-Landes. Ainsi est créée la « zone d’aménagement différé » (ZAD) qui deviendra en 2008 la « zone à défendre » pour s’opposer à la déclaration d’utilité publique du futur aéroport dont la construction est confiée au groupe Vinci. Le mot ZAD, avec cette nouvelle signification, s’installe dans le paysage médiatique pour débattre du projet controversé d’un nouvel aéroport jugé inutile pour les uns, nécessaire pour les autres. Suit alors une décennie durant laquelle le conflit prend une ampleur sans précédent qui dépasse la seule région nantaise. Il se cristallise autour de plusieurs événements marquants : grève de la faim d’agriculteurs et opposants à l’aéroport, opération César d’évacuation et de réoccupation de la ZAD (2012), manifestation « sème ta ZAD » et lancement d’une douzaine de projets agricoles (2013), rejet de tous les recours des opposants par la justice administrative et procédures d’expulsions à l’encontre des occupants de la ZAD (2015), referendum local favorable au transfert de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes (2016), abandon du projet par le gouvernement actuel, sur la base d’un rapport de médiateurs (janvier 2018).

Si en février 2018, des milliers de personnes se retrouvent sur la ZAD pour fêter la victoire contre l’aéroport, l’affaire n’en reste pas là. Le 9 avril 2018 à 3h20 du matin, le gouvernement envoie 2 500 gendarmes et véhicules blindés contre 300 jeunes engagés dans un projet de vie collective sur un territoire confetti de 16 km². Les véhicules militaires équipés de lance-grenades écrasent les jardins potagers, des rangées de plantes médicinales, les pelleteuses abattent les cabanes fabriquées en terre-paille et détruisent le lieu de conservation des semences. Dans une telle opération, l’État assume (mot d’usage souvent adopté par le gouvernement d’Emmanuel Macron) le risque de blesser des civils à coup de grenades lacrymogènes et grenades assourdissantes. Un usage tellement disproportionné de la force révèle un lourd sens politique. La question se pose alors : de quoi l’État veut-il à tout prix effacer la trace ?

C’est à cette question que tente de répondre le livre « Éloge des mauvaise herbes, ce que nous devons à la ZAD » (ed. Les Liens qui Libèrent, 2018), coordonné par une journaliste de Mediapart, Jade Lindgaard, en donnant la parole à des intellectuels, écrivains pour qui la ZAD de Notre-Dames-des-Landes est bien plus qu’un bout de bocage. On pourra regretter l’absence de contribution d’un responsable politique local (un maire par exemple) et/ou d’un syndicaliste (des contacts positifs ont eu lieu entre la ZAD et CGT Vinci opposé au projet de Notre-Dame-des-Landes) qui auraient apporté un éclairage supplémentaire à cette réflexion multiforme.

La ZAD est née avec le slogan « Contre l’aéroport et son monde ». Il est possible de percevoir cette expérience comme émanant d’un mouvement anarchiste et libertaire, empreinte d’une utopie et d’un lyrisme révolutionnaire. Mais peut être est-ce aussi autre chose à l’heure où un système social s’effondre tout autour de nous et où beaucoup ont perdu la capacité à imaginer qu’autre choses puisse exister. C’est ce qui rappelle le mot célèbre de Margaret Thatcher « TINA, there is no alternative », message de propagande adressé à notre inconscient sur lequel repose tout l’édifice du système capitaliste. A ce titre, en évoquant l’expérience de la ZAD, toute comparaison gardée, il n’est pas étonnant que deux territoires soient évoqués : les Caracoles zapatistes du Chiapas au Mexique et le confédéralisme démocratique kurde du Rojava au nord de la Syrie où, sur une région plus grande que la Belgique, un avenir se construit contre le capitalisme, en s’appuyant sur l’écologie et le féminisme.

La ZAD pose la question de l’autonomie, la possibilité d’être un lieu d’apprentissage et de déconstruction du pouvoir. Elle revendique le droit à l’expérimentation par rapport aux obligations de la normalisation bureaucratique. A ce titre, elle peut ne pas être vue comme une seule utopie mais comme une expérience concrète, hors de l’emprise du marché, en redonnant un sens au travail, cultivant, élevant des animaux, prenant soin de la forêt et en tentant un « vivre ensemble » toutes générations confondues. La ZAD symbolise également un lieu de refuge par rapport à la cruauté du monde contemporain, un lieu d’accueil de déracinés sociaux rejetés par la société. Elle est aussi le lieu d’une bataille politique bien concrète sur des projets d’agriculture où se profilent le productivisme agricole de la FNSEA et les stratégies d’accaparements de terres par les grands distributeurs alimentaires (Auchan, Leclerc).

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes nous interpelle en regard de la société telle qu’elle se crée et se développe. De son côté, l’État a fait le choix de traiter la ZAD avec mépris et brutalité et de n’agir que du point de vue de l’ordre public, et comme le suggère Jade Lindgaard, que c’était aussi en toute légalité, qu’il s’apprêtait à détruire le bocage et la zone humide de Notre-Dame-des-Landes. Cela montre à quel point cet ordre républicain, au service du capitalisme financier, est dépassé et impuissant. Les visions subjectives portées par chacune des quinze contributions de l’ouvrage alimentent une réflexion pour chacun sur une réalité de demain qui prend forme sous nos yeux, tentatives de réponses au bouleversement du climat et au saccage des communs.