La démocratie à l’hôpital, le levier des ruptures nécessaires

Depuis le début de l’année, le gouvernement a supprimé toute délibération citoyenne utile, pertinente et nécessaire pour faire face à la covid-19. Les citoyens, « enfants dociles » à qui on ment impunément, doivent obéir ou être punis. Voilà un autre symptôme d’un régime autoritaire qui n’entend pas en rester là : en effet, le président Macron a trouvé dans Conseil de défense, dont les délibérations sont secrètes, l’outil idoine pour exercer « en toute liberté » son sens de gouvernement vertical et solitaire (article d’Évelyne Vanderheym, directrice d’hôpital en retraite, est membre de la commission Santé et Protection sociale du PCF, initialement publié dans la Revue Progressistes).

 

Depuis plusieurs décennies, nous assistons à un processus continu de dépossession, d’instrumentalisation, d’étatisation, de soumission aux objectifs de régression, tout en donnant pleins pouvoirs aux « experts » en tout genre. Ce sont les conditions pour imposer les politiques d’austérité à l’hôpital public en muselant toutes les expressions, protestations et interventions des salariés, des citoyens et des élus.

Les techniques de management font des ravages dans l’hôpital-entreprise.

La situation actuelle des hôpitaux publics

Elle est caractérisée par une logique cohérente, guidée par l’objectif unique de baisse des dépenses de l’Assurance maladie, institué par les ordonnances Juppé de 1996. La mainmise de l’État sur les finances de la Sécurité sociale avec les lois de financement de la Sécurité sociale a ouvert une nouvelle ère de transformation globale de l’hôpital. Nous assistons, depuis lors, dans un processus pensé, à une véritable entreprise de dénaturation de l’hôpital public, de dévitalisation de l’intérieur, de rétrécissement de son périmètre d’action : mise sous tutelle budgétaire et financière, remise en cause des prérogatives des uns et des autres, mise en concurrence et système généralisé de sanctions. Ce sont les valeurs de l’hôpital-entreprise, où des techniques de management issues du secteur privé dominent.

Un encadrement autoritaire et technocratique

Les dispositifs d’agences – ARH (agence régionale de l’hospitalisation) en 1996 puis ARS (agence régionale de santé) en 2009 –, censées territorialiser la politique hospitalière, représentent en fait une forme d’exercice de pouvoir de police sanitaire pour le compte du ministère de la Santé. Des dispositifs de contractualisation constituent de vrais outils de contrôle. Et pour être sûr que les établissements publics atteindront les objectifs qui leur sont fixés, des agences nationales sont là pour imposer une diminution des dépenses remboursées par la Sécurité sociale. Loin des réalités du terrain, les évaluations qui portent sur des critères et référentiels et sur des indicateurs éloignés du travail réel portant plus sur les procédures que sur l’efficacité clinique sont aussi des méthodes inspirées de l’industrie.

La fermeture des lits à l’hôpital en France rapportée à la population (1974-2013)

Une gouvernance téléguidée

Le directeur d’un hôpital concentre la majeure partie des pouvoirs de gouvernance dans son établissement, mais il est choisi et évalué par l’ARS, ou le ministère de tutelle lorsqu’il s’agit des directeurs des CHU. Il devient ainsi l’agent de la mise en place de la politique de santé gouvernementale au sein de son établissement. Adieu la loi du 31 décembre 1970 qui avait institué un conseil d’administration votant le budget. Le but officiel affiché par ces réformes est d’équilibrer la représentation médecins/administratifs au sein de la gouvernance, d’associer les médecins à la décision, de leur déléguer des pouvoirs de gestion. En fait, il s’agit de faire des médecins les gestionnaires de la pénurie des moyens alloués à l’hôpital en assurant des recettes afin d’équilibrer les dépenses. C’est la mise en application forcée pour les soignants de l’EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses) et de la T2A tout en restant dans le cadre d’une enveloppe fermée en constante diminution.

Aujourd’hui, l’organisation des hôpitaux publics est centrée sur le directeur d’établissement, assisté d’un directoire (chargé de la gestion) et d’un conseil de surveillance (chargé du contrôle). Notons la diminution de la place des élus et des représentants du personnel, noyés dans un océan de personnes « qualifiées désignées ». Le directeur, lui, est sur un siège éjectable : il peut être mis sous tutelle ou en recherche d’affectation.

Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) : un cran de plus…

Les directeurs d’ARS décrètent, au mépris des avis des équipes médicales et des cohérences territoriales, le regroupement de plusieurs milliers d’hôpitaux et d’établissements médico-sociaux en 135 GHT sur l’ensemble du territoire. Dans un premier temps, la loi de 2016 délègue au directeur de l’établissement support du GHT quatre fonctions qui sont habituellement gérées par les différentes directions fonctionnelles de chacun des établissements parties du GHT (direction du système d’information, direction des achats, direction des ressources humaines…). Nous assistons à une fusion de fait des établissements au sein des GHT. Quant à la stratégie Ma santé 2022 d’Agnès Buzyn, la labellisation d’environ 500 établissements va accentuer la fusion d’établissements, et par conséquent celle de leur gouvernance. La boucle est bouclée…

Les représentations des personnels détournées… ou intégrées

Autre instance censée participer à la gestion et à l’organisation de l’hôpital est la commission médicale d’établissement (CME), organe consultatif de la représentation médicale. Le comité technique d’établissement (CTE) est une instance représentative du personnel non médical dotée de compétences consultatives sur les sujets ayant une incidence sur le fonctionnement et l’organisation de l’établissement. En conclusion, on voit que le processus consistant à rechercher la performance économique et la maîtrise des dépenses de santé s’est doté en plusieurs étapes de puissants leviers de pilotage des hôpitaux publics, extrêmement autoritaires et antidémocratiques, que nous dénonçons.

Repenser l’hôpital public

De vrais pouvoirs aux personnels

Il faut repenser l’organisation de l’hôpital sur un mode démocratique. La meilleure organisation est celle décidée localement : les GHT doivent être supprimés ; et les coopérations volontaires entre les établissements, favorisées. Des droits nouveaux doivent être donnés aux représentants syndicaux des personnels médicaux et paramédicaux. La fusion CTE-CHSCT voulue serait une hérésie : il faut, au contraire, élargir les prérogatives des CHSCT également aux personnels médicaux. Il faut noter que dans ses conclusions le Ségur de la santé est particulièrement muet quant aux moyens accrus à octroyer aux représentants des personnels non médicaux, alors qu’il était censé « donner plus de voix aux soignants dans la gouvernance »… Par ailleurs, des liens plus étroits entre CTE et CME seraient intéressants pour mettre fin à la rupture entre médecins et autres soignants. Il faut en finir avec le simple pouvoir consultatif et donner le pouvoir de codécision. Il demeure que faire reconnaître le rôle et la place des personnels hospitaliers est une bataille incessante : le gouvernement vient de faire passer, dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire, des dispositions pour « mettre en veilleuse » toutes les instances consultatives, sous couvert de préserver les capacités soignantes des équipes.

De nouveaux conseils d’administration

Le conseil de surveillance doit redevenir un conseil d’administration, avec des prérogatives renforcées : c’est le lieu de rencontre par excellence entre les représentants des personnels et ceux des usagers et de leurs élus, entre l’expression des besoins et la manière d’y répondre, à l’opposé de la gouvernance actuelle des GHT, qui isole médecins, personnels non médicaux, usagers et élus dans des structures différentes. Le maire de la commune principale doit retrouver sa fonction de présidence pleine et entière.

Pour une citoyenneté en santé

Le droit des personnes dans le système de santé est une occurrence finalement récente. Il est facteur de progrès parce que la bonne santé ne peut être atteinte que si les individus eux-mêmes en font leur affaire. Il va dans le sens de la démocratie générale, qui est une des aspirations majeures en ce début de siècle. Les différents gouvernements successifs se sont faits les promoteurs de la « démocratie sanitaire » sous réserve de la participation des associations desdits « usagers » à la stratégie nationale de santé. Pour des raisons que l’on peut comprendre, nombre de ces associations privilégient le partenariat avec les services de l’État, qui en retour insistent sur leurs compétences et les déclarent interlocuteurs privilégiés. Parallèlement, une autre conception de mouvement citoyen en santé voit le jour avec les comités de défense qui, en riposte aux déserts médicaux qui s’installent dans nombre de régions, se créent autour d’une maternité, d’un hôpital de proximité, d’un service d’urgences… Nous abordons là la dimension pleine et entière de la citoyenneté, où chaque individu revendique une intervention de coconstruction.

La démocratie dans toutes les instances de décision et de régulation de la santé

A contrario du processus antidémocratique et de dépossession actuel, une bataille frontale doit s’engager, pied à pied. Seule une démarche politique offensive, enracinée dans les besoins de santé et de bien-être, peut opposer une cohérence de progrès et démocratique à cette « grande lessive » de nos droits sociaux et démocratiques. Cela suppose de réinvestir des terrains quelque peu abandonnés,de créer les conditions de la mobilisation la plus large par la convergence de toutes les forces progressistes.

La Sécurité sociale, re-démocratisée, doit retrouver ses missions et ses pouvoirs originels en matière de réponse aux besoins de santé de qualité. Le retour à l’élection des conseils d’administration de la Sécurité sociale est un passage obligé.

Après une âpre bataille, la Coordination des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité a obtenu l’agrément de représentation des usagers pour ses comités locaux ; bien évidemment, il faut relativiser, compte tenu de son faible pouvoir, qui se limite à l’information. Mais nous aurions tout à gagner dans la rencontre des associations d’usagers et des comités de défense des hôpitaux et maternités.

Du local au national, en passant parle niveau régional, l’évaluation des besoins de santé, soins et prévention ainsi que l’organisation du système de santé doivent retrouver le chemin de la participation la plus large de citoyens. La région est devenue, par la force des choses, le périmètre privilégié pour la planification hospitalière et l’organisation des soins. Le concept de territoire deviendrait la variable primordiale de la recherche d’efficience des dépenses de santé.

Pour les communistes, l’organisation administrative régionale de la santé doit reposer sur une organisation politique et citoyenne de la région,redonnant tout pouvoir aux élus, aux usagers et aux professionnels du champ de la santé. La démocratie sanitaire régionale prendrait sa source dans les conseils territoriaux de santé, implantés et organisés à l’échelle de bassins de vie. Nous privilégions une approche de proximité comme niveau et levier principal de l’élaboration. Dans les bassins de vie qui seraient de dimension de 50000à 70000 habitants, nous proposons que se mette en place un lieu de concertation associant élus, professionnels de santé,syndicalistes et associations pour travailler à la formulation des besoins de santé débouchant sur un projet de santé partagé. Le niveau régional doit permettre une cohérence inter-territoire par un développement de l’organisation en réseaux entre hôpitaux, médecine ambulatoire, maternités, EHPAD et services à la personne à domicile. Ainsi les projets médicaux des hôpitaux publics retrouveraient-ils toute leur importance et leur efficacité, au service des besoins démocratiquement définis.