Intervention et politiques des puissances impérialistes en Syrie :  le cas francais

NDLR – L’auteur insiste sur le manque de cohérence (de « logique ») entre les positions françaises en matière d’intervention en Syrie et au Mali. De fait, dans l’un et l’autre cas, des intérêts stratégiques et économiques peuvent soit freiner la volonté de lutter contre l’islamisme, soit la conforter.
Sa condamnation de l’intervention française au Sahel ne fait cependant pas l’unanimité au sein de la Rédaction de ReSpublica comme en témoigne un précédent article. Un « coup d’arrêt » militaire à portée de main n’était pas à négliger, même si à terme il ne règle rien en l’absence d’une remise en cause des politiques néolibérales dans la région.

 

La France a joué et joue encore un rôle important depuis le début du soulèvement populaire en Syrie, qui peut surprendre. A priori, beaucoup d’éléments auraient dû pousser ses dirigeants à une grande prudence, notamment son désengagement relatif et celui de l’Union européenne vis-à-vis de « l’Orient compliqué » (comme disait le Général de Gaulle), et ses moyens très affaiblis, en cette période de crise et d’austérité. Or, elle a délibérément fait le choix d’une attitude  « en pointe » sur ce dossier, parmi les pays les plus engagés dans une politique interventionniste de gardien de l’ordre néo-libéral imposé d’abord par les Etats-Unis.
Quels sont les ressorts de cette attitude ? Nous tenterons de formuler quelques hypothèses sur cette question.
Un rapprochement avec l’engagement actuel de la France au Mali, s’il n’est pas au cœur du sujet, pourra être esquissé. Lui aussi peut apporter quelques lumières….

1. L’héritage du Mandat français en Syrie

Au lendemain de la Première guerre mondiale, en vertu des accords Sykes-Picot, la France est imposée aux Syriens comme puissance mandataire, en dépit de la très forte opposition nationaliste qui les anime. La période mandataire sera une période très troublée, où le contraste sera extrême entre le développement économique, social et culturel de la Syrie, où la France imprimera durablement son empreinte, et la tutelle politique qu’elle exercera avec brutalité, réprimant constamment le sentiment nationaliste et la volonté d’indépendance de la majorité de la population, jusqu’à ce que cette indépendance lui soit définitivement arrachée de force en 1946. Cette tutelle répressive et fondamentalement hostile au nationalisme arabe, s’est constamment accompagnée d’une politique favorable aux minorités (chrétiennes, alaouite, druze) et aux amputations de la Grande Syrie (création du Grand Liban, cession du Sanjak d’Alexandrette, tentatives de morcellement en « Etats » rivaux d’Alep, de Damas, du pays alaouite, de la montagne druze…) dont le souvenir reste vivace, et a pesé sur l’histoire de la Syrie de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui.

2. Les relations complexes de la seconde après-guerre entre la France et la Syrie.

Cet héritage ambivalent de la période mandataire se fera sentir tout au long des décennies qui suivront, et il s’inscrit d’abord dans l’hostilité fondamentale et profonde marquée par la France vis-à-vis de l’essor du nationalisme arabe au Levant comme au Maghreb, et identifié comme une menace mortelle contre son « pré carré » colonial, puis également dans l’installation pérenne du conflit israélo-palestinien dans la région du Proche-Orient. Ainsi les relations diplomatiques sont rompues à la suite de la crise du canal de Suez en 1956. Les relations seront rétablies en 1961 après l’épisode de la République Arabe Unie, et se développent dans le cadre de la « politique arabe » voulue par le général de Gaulle et poursuivie par ses successeurs, Georges Pompidou (89-94) et Valéry Giscard d’Estaing (74-81). Mais elles se tendent à nouveau lors de la guerre civile au Liban. On a pu dire que « la politique syrienne de la France a toujours été commandée par les intérêts de la France au Liban » (Caroline Donati) : après avoir approuvé l’intervention syrienne dans le cadre de la Force arabe de dissuasion en 1976, la France critique son ingérence, notamment du fait de son alliance avec la République islamique d’Iran. La vision des intérêts géostratégiques de la France dans le monde arabo-musulman se dilue peu à peu dans la période qui suit, sans jamais disparaître totalement. C’est l’islam religieux, sociologique, politique, qui opère son grand retour en France même, comme un facteur nouveau de déstabilisation potentielle, alors qu’une grande partie de la mémoire ancienne (administrative, culturelle, savante) à son sujet a disparu.

La « menace » potentielle apparaît aussi bien intérieure, avec la réislamisation des banlieues, qu’extérieure : l’ambassadeur de France au Liban est assassiné le 04/09/81 et les soupçons désignent la Syrie. L’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République est marquée par une nouvelle tentative de rapprochement entre la France et la Syrie. Chirac sera le seul chef d’Etat occidental à assister aux obsèques de Hafez el Assad en 2000.

L’attentat du World Trade Center en 2001 lance les USA dans leur croisade contre le « Mal » (lutte contre le terrorisme d’Al Quaïda et de ses alliés supposés, guerre en Afghanistan, 2e guerre du Golfe, projets pour le remodelage complet d’un Grand Moyen-Orient, etc… Avec la déroute finale du nationalisme arabe, la politique arabe de la France n’est plus qu’un souvenir, et pour l’essentiel, la singularité française dans ce domaine fait place à la normalisation, pour sauvegarder ce qui peut l’être du « pré carré » et garder un rang de sous-traitant majeur au sein de l’ordre mondial néo-libéral qui s’installe. Entre la Syrie et la France, la tension revient avec les affaires libanaises, et culmine avec l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri en 2005, ami proche du président de la République. La normalisation interviendra après l’élection de Nicolas Sarkozy, à la suite de l’accord de Doha en 2008, qui entraîne le départ définitif des soldats syriens du Liban. Ce changement entraîne une succession de contacts et de visites bilatérales initiées par Bachar el Assad à l’occasion du sommet de l’UPM le 13/08/2008 et celle de Nicolas Sarkozy le 03/09/2008. Ce dernier tentera de faire entrer la Syrie dans son jeu méditerranéen et proche-oriental, pour être à son tour déçu, considérer le régime comme irrécupérable et donc se montrer fort peu favorable à son soutien, quand s’annonceront les soulèvements populaires du « printemps arabe ».

3. Le positionnement de la France face au « printemps arabe »

Quand s’achève la première décennie du XXIe siècle, la France qui a pour l’essentiel abdiqué sa singularité face au leadership américain, demeure une puissance qui garde de fortes relations avec le monde arabo-musulman, relations imprégnées d’un néo-colonialisme très classique. Plus intensément que la plupart des autres Etats européens, du fait de son passé colonial, elle gère sans trop de complexes ses relations avec les diverses variétés de pouvoirs autocratiques (monarchies, dictatures) de cette région de la périphérie asservie du capitalisme globalisé.

Dans ces conditions, le « printemps arabe » qui prend naissance en Tunisie à la fin de décembre 2010, saisit totalement la France au dépourvu. Devant le soulèvement qui emporte le régime du dictateur Ben Ali en trois semaines au cri devenu mythique de « dégage ! », le flottement des autorités françaises est total : Mme Alliot-Marie, ministre de la Défense, elle-même déjà affaiblie par le soupçon d’avoir bénéficié de diverses faveurs de la part de l’entourage de Ben Ali, offre à son régime aux abois le savoir-faire de la France en matière de maintien de l’ordre… Le contraste avec la réactivité des Etats-Unis est saisissant : eux circonviennent prestement le général Rachid Ammar qui organise le départ de Ben Ali en Arabie Saoudite  ; par ailleurs, les contacts réguliers sont réactivés et amplifiés avec Ennahda.

Mais à partir du 25 février, la révolution égyptienne qui éclate après la tunisienne constitue un signal sans ambiguïté pour la France : l’immobilisme n’est plus de mise. Il lui faudra désormais composer avec ces mouvements populaires inédits, et s’adapter à cette situation nouvelle. Mais comment ? La réponse sera, hélas, en composant avec l’Islam politique et les Frères musulmans…

Mais c’est avec l’insurrection libyenne déclenchée dès le 17 février (la 7e dans l’ordre de surgissement), que la vague des soulèvements populaires qui parcourt le monde arabe va prendre un cours radicalement nouveau avec l’intervention militaire brutale et cynique des puissances occidentales. La France va y jouer un rôle majeur.

Votée par le Conseil de Sécurité dès le 26/02/11, la résolution 1970 met en place un embargo sur les armes à destination de la Libye. Mais le président Sarkozy est décidé à aller plus loin. Il lance avec le soutien du Royaume-Uni et l’appui de la Ligue arabe (mais contre une majorité d’Etats européens…) une bataille diplomatique au Conseil de Sécurité en vue d’obtenir l’instauration au-dessus de la Libye, une zone d’exclusion aérienne.

Le 10/03/13, convaincu par Bernard Henri Lévy, le président Sarkozy prend l’initiative de recevoir à Paris les représentants du CNT (Conseil national de transition) et est ainsi le premier chef d’Etat à reconnaître officiellement cet organe de l’insurrection libyenne comme seul représentant de la Libye.

La progression des troupes de Kadhafi sur Benghazi est à ce moment telle qu’on peut craindre un massacre de grande ampleur en cas de prise de la ville. Les Etats-Unis se joignent à la France et au Royaume-Uni pour faire voter le 17 mars par le Conseil de Sécurité la résolution 1973 instaurant la zone d’exclusion aérienne au-dessus du territoire libyen et permettant de « prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles ».

Hostiles à cette résolution, cinq pays et non des moindres, s’en tiennent à l’abstention : l’Allemagne, le Brésil, l’Inde, la Russie et la Chine. Une coalition de pays occidentaux emmenés par la France, le Royaume-Uni et les USA et comprenant l’Espagne, la Suède, la Pologne, la Belgique, la Grèce, le Danemark et le Canada se forme aussitôt, qui s’adjoint le Qatar décidé à s’affirmer à tout prix sur la scène internationale, et les Emirats arabes unis comme caution arabe  ; au nom d’un concept nouveau : « la responsabilité de protéger ». La Libye n’ayant pas respecté le cessez-le-feu qu’elle avait fait mine d’accepter, les frappes aériennes commencent dès le 19 mars sur une grande échelle. Douze jours plus tard, les opérations de la coalition passent du contrôle des Nations-Unies à celui de l’OTAN, à la grande fureur de la Russie, et de la Chine, qui n’oublieront pas cette duperie… Les opérations ne cesseront que le 20 octobre, avec la mort de Kadhafi.

4. Le bilan de la guerre de Libye, ou la nouvelle Boîte de Pandore

La guerre se solde par la destruction de l’Etat kadhafien, qui fut longtemps un rouage important de la périphérie asservie, par ses missions assumées : contrôle des islamistes, barrage contre les migrants subsahariens, production massive d’hydrocarbures. Il est remplacé par l’anarchie, le règne des bandes armées, la dominance des factions islamistes.

On estime le nombre total des morts de 30 à 50 000. Beaucoup d’infrastructures sont détruites. La reconstruction d’un Etat solide n’est pas pour demain

Le Qatar, qui joue volontiers « à tous les coups l’on gagne », a pris le contrôle de la Libyan Oil Company créée par les insurgés… Les contrats pétroliers en faveur des Occidentaux ont été renégociés dans des termes beaucoup plus avantageux pour eux.

Enfin et surtout, nul ne semble avoir prévu la dispersion des mercenaires subsahariens au service de Kadhafi au Sahara et au Sahel, une véritable Boîte de Pandore, avec de gigantesques quantités d’armes modernes et de munitions… ouvrant la voie à une déstabilisation générale du Sahel.

Entre-temps, un nouveau théâtre de belligérance s’est ouvert en Syrie, où la France se retrouvera parmi les acteurs majeurs.

5. Le positionnement de la France face au soulèvement syrien

Bien avant le soulèvement, dans un contexte de refroidissement dans les relations avec la Syrie, la France est en contact suivi avec des membres de l’opposition laïque francophone (Michel Kilo). Beaucoup de ces opposants s’exilent en France, alimentant le discrédit qui touche le régime. L’hostilité déclarée de la Syrie à l’intervention militaire en Libye alourdit encore le climat. Les premières manifestations pacifiques qui commencent sporadiquement à partir du 16 mars sont accueillies favorablement comme un nouvel épisode du printemps arabe, et la violente répression qui s’ensuit est immédiatement condamnée. En conséquence, la France se montre favorable aux sanctions votées par l’UE contre les dignitaires du régime dès le mois de mai. Durant ce temps, la campagne militaire contre le régime de Kadhafi a soudé encore plus la France aux Etats-Unis et l’a rapprochée de leurs positions (notamment quant à la prise en considération de l’islam politique). Tournant délibérément le dos à tout vestige de sa « politique arabe » passée, la France sera donc d’emblée dans une posture interventionniste, mais suiviste, sans vision précise, qui s’accentuera encore après la fin de la campagne libyenne (hâtivement présentée par les alliés comme un grand succès). Mais il apparaîtra rapidement que le schéma libyen n’a aucune chance de se répéter en Syrie.

En effet, si comme en Libye, le régime syrien n’entend aucunement négocier un compromis avec son opposition soulevée, il dispose d’un Etat fort, que soutiennent notamment les minorités alaouites et chrétiennes, et d’une armée solide, bien entraînée et bien équipée. Enfin il dispose d’alliés déterminés : le Hezbollah libanais, la majorité irakienne chiite, et surtout l’Iran, composant l’Arc chiite. Et en appui à celui-ci, la Russie et la Chine, déterminées à ne pas se laisser berner comme avec la résolution 1973, ainsi qu’elles le démontreront avec les trois vetos successifs qu’elles opposeront aux Occidentaux entre octobre 2011 et juillet 2012.

Le mois d’octobre 2011 marque un tournant majeur dans le conflit syrien : outre le premier veto russo-chinois, à l’heure où disparaît Kadhafi, une partie importante de l’opposition a commencé à s’armer et à se structurer en une « Armée syrienne libre ». Or cette ASL va être inspirée, aidée et soutenue par les puissances régionales sunnites, liées à l’islam politique : la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. Pour les pays occidentaux, dont la France, l’aide effective à l’ASL devient une question récurrente, jamais définitivement et officiellement tranchée jusqu’à maintenant (1)Le 14 mars dernier, François Hollande, en accord avec le Premier ministre britannique David Cameron, affirmait la volonté de la France de voir levé sans attendre l’embargo européen sur les armes à destination de la Syrie, en vigueur jusqu’au 1er juin. Français et Britanniques se déclaraient prêts à passer outre les réticences marquées de l’Allemagne et de certains pays nordiques. Mais dès le 28 mars, dans une nouvelle déclaration, à France2, le Président de la République faisait spectaculairement machine arrière et remettait à plus tard l’armement des insurgés de l’ASL, le danger de voir ces armes tomber « en de mauvaises mains » (lire les groupes djihadistes) n’étant pas conjuré.
Depuis d’autres soucis sont venus accaparer l’attention du Président Hollande, mais les rumeurs d’une allégeance du groupe djihadiste Jebhat al Nosrat à Al Quaïda ne favorisent guère le passage à l’acte de l’armement des rebelles par les Européens. On sait néanmoins que la France fournit déjà certains armements à des groupes « sélectionnés » de l’ASL
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A côté de cette force armée embryonnaire, la nécessité d’une structuration de l’opposition et de la création d’une instance représentative s’impose. C’est ainsi que la France contribue très largement à mettre sur pied le Conseil national syrien (CNS qui apparaît comme une réplique du CNT libyen) avec la Turquie et le Qatar, une instance hétéroclite qui intègre d’entrée de jeu les Frères musulmans syriens à côté de personnalités libérales, laïques, voire de gauche, souvent réfugiées en France depuis longtemps, comme l’universitaire Burhan Ghalioun, qui en sera le premier président. Cette orientation assumée – qui correspond bien à l’alignement du gouvernement français sur les Etats-Unis – aura de graves conséquences sur l’avenir : cet attelage contre nature amènera la France à tourner de plus en plus le dos aux courants d’opposants laïques et progressistes qui lui étaient traditionnellement favorables, mais qui refusent la collaboration avec les Frères musulmans et les salafistes. Les autorités françaises vont effectivement « coller » au CNS contre vents et marées.

Dès lors, la situation diplomatique va se figer autour du blocage intervenu au sein du Conseil de Sécurité, vouant à l’impuissance les missions conjointes des Nations-Unies et de la Ligue arabe coopérant désormais étroitement avec les Occidentaux, comme les manifestations d’hostilité des puissances sunnites de la région, telle la Turquie qui condamne avec une force inédite Bachar El Assad, dont elle réclame la démission.

Au début de février 2012, la Russie et la Chine opposent leur second veto au projet de résolution du Conseil de Sécurité soutenant un plan de la Ligue arabe. La France, avec d’autres pays, lance le projet d’un « groupe des amis du peuple syrien ». Le 23 février, Kofi Annan est nommé émissaire de la Ligue arabe et de l’ONU pour la Syrie, le 24, le « Groupe des amis de la Syrie se réunit pour la première fois à Tunis.

Le 12 avril, un cessez-le-feu négocié par Kofi Annan entre en vigueur. Le 14 avril, le Conseil de Sécurité adopte à l’unanimité la résolution 2042 qui prévoit l’envoi d’une mission de surveillance en Syrie. Mais le cessez-le-feu ne tient pas, et les combats qui ont balayé les manifestations pacifiques des débuts, deviennent chaque jour plus meurtriers. On approche alors des 30 000 morts.

L’arrivée du Parti socialiste au pouvoir, avec l’élection de François Hollande comme Président de la République le 6 mai, malgré le poids retrouvé du ministère des Affaires étrangères avec à sa tête Laurent Fabius, n’apportera aucune inflexion notable dans la ligne suivie.

Le 16 juin, les observateurs de la Misnus suspendent leurs opérations.

Le 30 juin, réunis à Genève sous la conduite de Kofi Annan, les pays du Groupe d’action sur la Syrie s’accordent sur les principes d’une transition politique dirigée par les Syriens, mais ils ne parviennent pas à s’entendre sur le rôle d’Assad dans ce processus. Du moins les bases d’une transition politiques sont-elles ainsi posées.

En août 2012, le CNS apparaît nettement en perte de vitesse et de plus en plus boudé par les Etats-Unis pour son inefficacité. Basma Kodmani, réputée proche des positions américaines, démissionne. Mais François Hollande remet en selle le CNS en recevant ses dirigeants à l’Elysée, quelques jours avant une visite de l’émir du Qatar.

Les Occidentaux, dont la France, menacent la Syrie d’une intervention armée en cas d’utilisation des armes chimiques qu’elle possède. En septembre, la France appelle à la création d’un gouvernement provisoire qui serait formé à partir d’un CNS élargi. Elle maintient en attendant l’embargo sur les armes.

Début novembre, une grande réunion de l’opposition est convoquée à Doha par le Qatar, avec comme objectif de regrouper enfin les différents mouvements en une Coalition nationale pour les forces révolutionnaires et l’opposition en Syrie. Mais la France sauve une nouvelle fois le CNS menacé de dissolution. Ce dernier demeurera une entité distincte au sein de la nouvelle Coalition, avec à sa tête l’opposant chrétien Georges Sabra. Dès lors, le 11, le cheikh Moaz Al Khatib, un islamiste réputé « modéré », est élu à la tête de la nouvelle « Coalition nationale Syrienne » voulue par les Américains. Le 13, Paris reconnaît officiellement cette coalition comme la seule représentante du peuple syrien.

Si cette nouvelle entité réunit bien des personnalités diverses, dont des laïques, les Frères musulmans et d’autres islamistes s’y retrouvent en force, tandis que les organisations politiques laïques et progressistes refusent de s’y rallier. Moaz el Khatib refusera de désavouer les formations paramilitaires jihadistes, comme le Jebhat Al Nosra, dont l’influence ne cesse de grandir parmi les combattants de l’opposition armée.

Fin janvier 2013, la France manifestera son soutien à l’hégémonie de la Coalition en refusant de soutenir et de participer à la Conférence de Genève organisée sur la Transition, par le CNCD de Haytham Manna.

6. Conclusion, et critique de l’intervention française au Mali

Ainsi a-t-on bien assisté depuis le début des « soulèvements arabes » de 2011, à la « conversion » des gouvernements de la France, de la droite comme du PS, au soutien et à l’alliance avec les principaux courants de l’islam politique. C’est là une nouvelle convergence avec la position fondamentale des Etats-Unis sur cette question.

Cette position est manifeste dans le cas de la Syrie, tant dans le soutien de la Coalition, que dans les liens étroits noués avec les Etats sunnites proches des mouvances islamistes : Turquie, Arabie Saoudite, avec une mention spéciale pour le Qatar.

Ce petit Etat pétrolier semble avoir acquis une réelle influence sur la politique française, qui ne peut véritablement s’expliquer que par les moyens financiers qu’il a pu mettre à la disposition de la France, et dont celle-ci a grand besoin.

Enfin les positions de laïcité, malgré les dénégations officielles, sont en repli généralisé.

Dans ces conditions, que peut-on comprendre de la décision de François Hollande de dépêcher l’armée française pour stopper une invasion de djihadistes visant à s’emparer de Bamako, puis pour entreprendre de restaurer l’unité territoriale du Mali, brisée depuis un an ? Une contradiction fondamentale, maintes fois relevée, existe manifestement entre les principes d’intervention en vigueur en Syrie et celles en œuvre au Mali : lutte contre les islamistes djihadistes rebaptisés « terroristes » au Mali, alliance de fait avec ceux-ci en Syrie ! Où est la logique ?

Nous avancerons l’hypothèse suivante : en Afrique sahélienne, la France aurait été contrainte « en catastrophe » de défendre son pré carré gravement menacé, et ce faisant, aurait choisi entre deux maux le moindre. A terme, que la France se retire ou non militairement, il y a un très fort risque d’enlisement ou de pourrissement de cette guerre, sans aucune assurance que AQMI puisse être détruit. En attendant, l’attitude complaisante d’alliance avec les forces islamistes en Syrie montre la curieuse vision qu’a l’actuel pouvoir politique en France, de l’avenir post-assadien de la Syrie…

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le 14 mars dernier, François Hollande, en accord avec le Premier ministre britannique David Cameron, affirmait la volonté de la France de voir levé sans attendre l’embargo européen sur les armes à destination de la Syrie, en vigueur jusqu’au 1er juin. Français et Britanniques se déclaraient prêts à passer outre les réticences marquées de l’Allemagne et de certains pays nordiques. Mais dès le 28 mars, dans une nouvelle déclaration, à France2, le Président de la République faisait spectaculairement machine arrière et remettait à plus tard l’armement des insurgés de l’ASL, le danger de voir ces armes tomber « en de mauvaises mains » (lire les groupes djihadistes) n’étant pas conjuré.
Depuis d’autres soucis sont venus accaparer l’attention du Président Hollande, mais les rumeurs d’une allégeance du groupe djihadiste Jebhat al Nosrat à Al Quaïda ne favorisent guère le passage à l’acte de l’armement des rebelles par les Européens. On sait néanmoins que la France fournit déjà certains armements à des groupes « sélectionnés » de l’ASL