La laïcité expliquée à la Gauche de Gérard Biard Charlie Hebdo

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La laïcité, de la Révolution française aux débuts des années 1980, a été longtemps un marqueur de la gauche française dans toute sa diversité. Ce fut le cas lors de moments historiques majeurs comme lors de la Commune insurrectionnelle, patriotique et sociale de 1871, lors des lois scolaires laïques des années 1880, lors du vote de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des Églises et de l’État, lors du Front populaire de 1936.

 

Aujourd’hui la gauche se caractérise soit par un attachement légitime au principe de laïcité et un abandon du combat social, soit par une volonté de combat social pour une société plus juste et égalitaire tout en faisant preuve au mieux d’angélisme à l’égard de l’islam politique. Ces derniers ne prennent pas conscience que derrière le fondamentalisme religieux pointe une volonté d’organisation totalitaire de la société qui écrasera toute perspective d’émancipation individuelle et collective. Le pire de la gauche est celle qui a abandonné la défense de la laïcité tout en tournant le dos aux travailleurs par leur adhésion au libre-échange ultralibéral.

 

La laïcité que la droite et l’extrême-droite font mine de défendre est une imposture et une manipulation, car elle stigmatise une religion, celle des musulmans. Ce faisant, ils contribuent à diviser les travailleurs. À ReSPUBLICA, nous sommes pour le peuple rassemblé en menant le combat laïque et social.

 

La République laïque est adogmatique et s’abstient de dire quelle est la bonne option spirituelle, religieuse ou athée. En revanche, elle n’hésite pas ou ne devrait pas hésiter à sanctionner les dérives obscurantistes ou intégristes de quelque religion que ce soit, hindouiste, bouddhiste, chrétienne, musulmane, judaïque… Elle permet, autorise l’expression des critiques à l’égard des idées politiques et religieuses. La christianophobie, la judéophobie, l’islamophobie, l’athéophobie… ont droit de cité. En revanche, les discriminations en raison des opinions politiques exprimées même religieuses sont interdites, sauf si ces dernières entrent en opposition avec la liberté de conscience ou avec l’ordre public, à savoir la protection des biens et des personnes, la tranquillité publique et la salubrité publique.

 

Suivent, en italique, y compris les intertitres, des passages fondamentaux du texte de Gérard Biard assortis le cas échéant de commentaires ou de mises en forme qui sont de l’auteur de la recension.

« La droite fille aînée de l’Église »

L’auteur a raison de rappeler que « voir la droite défendre la laïcité relève de la plaisanterie de mauvais goût ». Il rappelle :

  • que « Jacques Chirac lors de la fatwa contre Salman Rushdie disait tout son mépris pour l’écrivain et considérait le blasphème comme un viol des consciences. »,
  • que « François Fillon faisait un lien direct entre son programme et sa foi »,
  • que « Nicolas Sarkozy célébrait la France des cathédrales, la supériorité du curé sur l’instituteur »,
  • qu’« Éric Ciotti s’émerveillait devant la magnifique crèche dressée dans le hall du Conseil départemental Alpes-Maritimes »,
  • qu’en « 2015, les maires de Roanne, Belfort et Charvieu-Chavagneux, tous estampillés de droite, claironnaient qu’ils n’accepteraient d’accueillir des réfugiés syriens et irakiens dans leur commune qu’à la condition expresse qu’ils soient chrétiens. »

À juste raison, il affirme que certains représentants de la droite (j’ajoute, y compris Emmanuel Macron) « se drapent dans la laïcité pour la transformer en torchon ». Il ajoute qu’ils peuvent se le permettre, car « une partie de la gauche [a] jeté la loi de 1905, et les principes qu’elle porte, en pâture aux barbus. »

« Les perroquets de la gauche Allah Akbar »

Après avoir analysé la généalogie de l’abandon par une partie de la gauche des principes républicains et laïques, depuis 1979 et la Révolution islamiste iranienne à nos jours, l’auteur fustige les intellectuels et responsables politiques qui confondent ou font semblant de confondre la laïcité avec « l’instauration officielle d’un athéisme militant »(1)Régis Debray, 9 décembre 2020 dans l’Obs., affirment ou laissent entendre que « ce serait la laïcité, et non les dogmes religieux, qui dirait comment les filles doivent s’habiller ou quels rayons alimentaires seraient fréquentables, qui écraserait les aspirations démocratiques, qui s’opposerait à la musique et au divertissement… »

« La boîte à outils laïque »

Encore une fois, il fait bien de préciser que la « laïcité n’est pas un outil pour permettre le dialogue interreligieux », que l’article premier de la Constitution met en exergue : « L’État ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » Il rappelle que « la neutralité religieuse en France, ce n’est pas une neutralité bienveillante ou inclusive… qui reconnaît toutes les religions (à l’anglo-saxonne), mais une neutralité qui n’en reconnaît aucune. » C’est simplement, faut-il le préciser, que l’État s’abstient de dire quelle est la bonne option spirituelle, athée ou croyante, et ce quelle que soit la religion. De fait l’État connaît en France, selon le ministère de l’Intérieur, près de 3 000 religions.

Contrairement à ce qu’affirment les partisans d’une laïcité « apaisée », « la séparation des religions et de l’État repose sur un principe clair : ce sont les religions qui doivent se tenir à l’écart des affaires de l’État, et non l’inverse. » C’est ce qui justifie l’article de la loi de 1905 intitulé « Police des cultes » qui sanctionne les prêtres prononçant, diffusant des appels à résister à l’application de la loi commune, à monter, entre autres par les armes, une partie de la population contre une autre.

« Athéisme et démocratie »

Rappelons d’emblée que la laïcité n’est pas le synonyme d’athéisme. L’auteur s’interroge « A-t-on encore le droit de ne pas croire en Dieu ? … [de penser] que Dieu n’est qu’un postulat loin d’être vérifié, une construction fantasmatique destinée à donner un sens à la vie (pour les croyants) et, non accessoirement à exercer un pouvoir très terrestre. »  Poser une telle question, revient à être regardé « comme si [on venait] de se moucher dans la soutane d’un prêtre. » Ainsi au lieu de parler de l’histoire des religions avec tous les doutes qui l’accompagnent, on en vient à parler d’enseigner le « fait religieux ». Ainsi, la religion se voit travestie en science exacte alors qu’elle relève des convictions personnelles et de la foi.

L’auteur dénonce cette perversion de la démocratie qui fait qu’« on accorde le plus grand… crédit, pour ne pas dire la préséance intellectuelle, à des gens qui croient plutôt qu’à des gens qui savent. » Cela implique la conscience que la science dit des choses à un moment qui peuvent être modifiées, voire invalider au fur et à mesure des avancées de la recherche, alors que les croyances sont figées et n’acceptent aucune remise en cause, même s’il est démontré qu’elles sont infondées en tout ou partie.

Il cite une publication de deux sociologues Anne Muxel et Olivier Galland(2)La Tentation radicale, Presses universitaires de France.. Ainsi sur un échantillon de 7 000 lycéens (¼ de musulmans, ¼ de chrétiens, 41 % d’athées), « il en ressortait que 81 % des musulmans et 27 % des chrétiens pensaient que c’est la religion plutôt que la science qui a raison sur la question de la création du monde. » 80 % de ces lycéens estimaient que « les critiques ou moqueries contre la religion d’une personne, c’est manquer de respect ». La démocratie, pourtant, pour être vivante, doit permettre la critique des opinions politiques et religieuses. Seule l’injure à la personne en raison de ses opinions, même religieuses, est condamnée par la loi.

« Pas de démocratie sans laïcité »

Tous les textes dits sacrés ou supposés d’origine divine, voire prétendument inspirés directement par une divinité ou plusieurs, « prétendent édicter des règles de pensée et de vie sociale dont il est interdit de s’écarter sous peine de châtiments éternels » ou d’excommunions c’est-à-dire l’exclusion de toutes relations sociales. La démocratie, contrairement aux régimes théocratiques et aux dictatures, « pose comme principe que toute loi est discutable, modifiable, opposable, qu’aucune n’est intangible ».

L’interprétation intégriste et littérale des religions et de leurs textes cache souvent une volonté totalitaire d’organisation de la société, à savoir que tous les aspects privés et publics de la vie devraient être impactés par les dogmes religieux. Toutes celles et ceux qui dérogeraient à ces règles particulières seraient taxés d’attitudes blasphématoires. Blasphème et démocratie sont antagoniques.

« Laïcité, nom féminin »

« Comme pour la laïcité, [les adversaires du féminisme] lui adjoignent des adjectifs pour en amoindrir le sens, voire pour l’en vider complètement. On invente un féminisme intersectionnel, un afroféminisme, un féminisme islamique, un féminisme chrétien… Et pourquoi pas un féminisme machiste, tant qu’on y est ? »

« Voiles, burqas et hijabs, instruments d’oppression dans leur pays d’origine, sont devenus des emblèmes politiques et identitaires en Occident, [voire des] outils d’émancipation qui permettraient aux femmes musulmanes qui sont interdites de sortie par leurs maris, leurs parents ou leurs frères d’investir l’espace public. »

Le pape François y va de propos antiféministes en comparant, en 2018, l’idéologie nazie de la pureté de la race et la légalisation de l’avortement : « Au siècle dernier, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour veiller à la pureté de la race. Aujourd’hui, nous faisons la même chose en gants blancs. » Dans la foulée, il invitait les fidèles argentins à lutter contre l’avortement, symbole de la « culture du déchet ».

Religion et féminisme, religion et droit à l’égalité pour tous et toutes ne font pas bon ménage, car les « religions se font largement le relais de la plus ancienne et la plus tenace des discriminations : celle qui frappe les femmes ».

« Le voile en étendard »

L’auteur remet à sa place ce que signifie vraiment le voile : « un marqueur social, un signe d’infamie qui place celle qui le porte au mieux en retrait du champ public… au pis totalement à l’écart, effacée par une burqa ou un niqab, quand elle n’est pas tout simplement maintenue au confinement dans la sphère privée et domestique ».

Le voile est le support du « fumeux concept de féminisme islamique -magnifique oxymore- dont le but est d’imposer une version 100 % charia du rôle de la femme »

Ce ne sont pas les lois qui visent au respect du principe de laïcité qui sont stigmatisantes, mais bien le voile intégral ou non, la burqa, le niqab ou encore le burkini qui sont des « stigmates ». Le voile, plus qu’une simple appartenance religieuse, signifie une oppression patriarcale, une « indignité sociale… un statut inférieur ». La gauche, surtout celle qui vise une société plus juste socialement, plus égalitaire, devrait dénoncer avec plus de conviction « cette inégalité-là » qui place la femme en état d’infériorité.

« L’école laïque sous le joug de Dieu »

L’auteur cite les rapports qui indiquent la montée en puissance du communautarisme religieux qui remet en cause le « contenu de certains enseignements », qui incite des jeunes gens à « refuser de dessiner des représentations humaines », à se boucher « les oreilles dans les cours de musique », à « ne pas donner la main à une petite fille », à « ne pas déjeuner à côté d’autres enfants qui mangent du porc » ou encore de « refuser d’aller à la piscine de peur de boire la tasse et de rompre ainsi le jeûne du ramadan ».

Le rôle de l’école est bien de former des citoyens libres, émancipés et conscients et non de les conformer à des dogmes religieux, politiques, idéologiques ou économicopolitiques.

L’école ne doit pas renoncer à sa mission de contribuer à la formation, chez tous les jeunes gens qu’elle accueille, de l’autonomie de jugement. Un député sous la 4e République, du temps où une partie de la gauche n’avait pas renoncé au principe d’émancipation individuelle et collective, s’adressait ainsi à la droite qui voulait défendre le droit du père : le seul droit du père à l’égard de ses enfants, le seul droit de l’État à l’égard de tous les enfants, est de leur donner une instruction qui leur permettra de choisir, adulte, ses options spirituelles athées, agnostiques ou religieuses. Le rôle de l’école est bien de former des citoyens libres, émancipés et conscients et non de les conformer à des dogmes religieux, politiques, idéologiques ou économicopolitiques. Elle doit veiller à ne pas assigner les élèves aux cultures des familles, quelles qu’elles soient. Il ne s’agit pas d’aller contre les particularités philosophiques ou religieuses des élèves, mais de leur permettre une mise à distance facilitant la compréhension et la maîtrise de leurs propres convictions.

« L’islamophobie, escroquerie sémantique »

L’islamophobie n’est que le symptôme d’une peur de l’islam. En soi, cela ne peut être condamné au même titre que l’agoraphobie et d’autres phobies… Si l’islamophobie revient à considérer que « dessiner Mahomet, publier un dessin l’évoquant », que « boire en terrasse, entrer dans un stade, aller assister à un concert… » est un manque de respect des individus de culture musulmane, croyants, pratiquants, non pratiquants, alors ce terme est une supercherie. Cette supercherie, ce mésusage de l’islamophobie est une façon d’interdire « de penser et de débattre ».

Ainsi, il devient répréhensible, au nom de la lutte légitime contre les discriminations en raison de l’appartenance supposée à telle ou religion improprement nommées christianophobie, athéophobie, islamophobie, judéophobie…, d’établir « un lien entre salafisme [frérisme] et terrorisme, entre une idéologie religieuse totalitaire et les effets [délétères et mortifères] qu’elle produit dans la société ». Il ne faudrait pas non plus « s’indigner du sort des millions d’individus, intellectuels, artistes, écrivains, homosexuels, athées, militantes féministes ou simples quidams musulmans victimes de l’islamisme à travers le monde ».

L’auteur pointe du doigt un fait qui assigne à résidence spirituelle, donc sans autonomie de pensée, les musulmans en les réduisant « à une identité sociale exclusivement religieuse » les empêchant d’adhérer « à une citoyenneté laïque ». Pour les intégristes islamiques et les idiots utiles de l’islam politique, la laïcité, principe de liberté, serait « l’expression de l’islamophobie de la société française ».

Sous prétexte que « les barbus parlent avec talent de l’impérialisme américain [réel], du complot sioniste [qui martyrise de fait le peuple palestinien], du malaise des banlieues [véritables ghettos socialement parlant] », une certaine gauche ferme les yeux ou ne condamne pas avec la fermeté nécessaire le fait « de lapider quelques féministes, de fouetter quelques blogueurs, de décapiter quelques apostats ». Cette partie de la gauche qui se complaît dans ce non-sens, à la fois indigne et traître aux idéaux d’origine, fait « semblant de croire que ces intégristes représentent la totalité du monde musulman » et est incapable de qualifier de terroristes les actes barbares commis le 7 octobre 2023.

« Les racistes utiles »

L’auteur dénonce la volonté de certains islamistes, donc pas des musulmans pratiquant un islam non conquérant sur un mode non fanatique, d’obtenir « des lois spéciales pour leur communauté…, un droit pour les musulmans, des programmes scolaires pour les musulmans, des hôpitaux pour musulmans, des piscines [ou des créneaux spécifiques] pour musulmans et des rues pour musulmans. Bref, ils réclament l’apartheid. » Rappelons que Nelson Mandela, qui a bien connu l’apartheid délétère pour les Noirs, exigeait non pas le droit à la différence, mais le droit à l’indifférence, c’est-à-dire le droit pour les Noirs d’être considérés non pas selon leur couleur de peau, mais comme des êtres humains.

Enfin, rappelons que la République est adogmatique et considère que les options spirituelles athées, agnostiques, religieuses relèvent de la liberté de chacun et chacune. Elle connaît les religions, mais ne les reconnaît pas ; elle s’abstient de dire laquelle est préférable et met, au-dessus de tout, la liberté de conscience. Les individus sont considérés en tant que citoyens et non selon leurs croyances.

« Macron, mon curé à l’Élysée »

Un chapitre est consacré au cas Macron pour qui la laïcité serait « religion d’État ». Il ne « sépare pas Dieu du reste ». Il peut le penser à titre individuel, mais en tant qu’homme d’État cela est une entrave au principe de laïcité, car il ne représente pas que les croyants, mais aussi les athées et agnostiques, c’est-à-dire le peuple dans son entier.

L’auteur a raison d’affirmer que nous sommes dans la même situation qu’au moment du débat sur l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. Il s’agissait alors d’émanciper la société et les individus de la domination religieuse catholique. « La religion a changé, mais son offensive est de même nature : sociétale et politique. » « Aujourd’hui, « il y a une différence de taille : désormais, nous avons une loi, et le principe qui est attaché ».

« Tout homme politique devrait avoir conscience que la foi relève de l’intime, l’exercice du culte [relève] de l’expression publique de la foi, et la religion est l’organisation sociale. » « Comme tout citoyen français, [Emmanuel Macron] a le droit d’avoir la foi. Mais comme tout représentant de l’État, il doit s’interdire d’en faire mention. » Rappelons ce qu’affirmait Clermont Tonnerre(3)Stanislas de Clermont-Tonnerre, officier et homme politique français, en décembre 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus »., « tous les individus, quelle que soit leur profession ou leur religion, sont des citoyens égaux. Mais rien ne doit faire écran entre les individus et la Nation. Aucune nation particulière ne peut se constituer au sein de la grande Nation : ce serait mettre à mort la volonté générale, donc la souveraineté [du peuple]. »

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Régis Debray, 9 décembre 2020 dans l’Obs.
2 La Tentation radicale, Presses universitaires de France.
3 Stanislas de Clermont-Tonnerre, officier et homme politique français, en décembre 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».