Le national-capitalisme autoritaire deviendra-t-il le modèle dominant dans le monde ?

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Image par Thomas Breher de Pixabay

Les économistes Ahmet Insel et Pierre-Yves Hénin ont avancé le concept de NaCA, acronyme de national-capitalisme autoritaire(1)Dans Le National-capitalisme autoritaire. Une menace pour la démocratie, Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel, éd. Bleu autour, 2021. pour décrire la forte inflexion donnée au capitalisme dans la nouvelle géopolitique actuelle. Avec, d’abord, le cas de Singapour dès 1965, suivi par la Chine dès 1978, mais qui a fait des petits sur tous les continents jusqu’à l’intérieur de l’Union européenne (UE). La poussée partout ailleurs des extrêmes droites pourrait poursuivre son développement, sauf si les gauches se refondent en conséquence. Ce NaCA serait l’association d’une démocrature illibérale doublée d’une efficacité économique à court terme, d’une pratique autoritaire du pouvoir et d’une orientation identitaire et culturelle nouvelle. Mais sa perspective à moyen terme est loin d’être assurée.

Comme l’UE est de plus en plus divisée, que le fonctionnement ordolibéral qui est le sien manquera de souplesse face au NaCA américain et que la construction européenne empêche une Europe puissance d’advenir, la ligne de plus grande pente, et c’est triste, sera l’alignement atlantique. En ce qui concerne les États-Unis, la victoire du clan MAGA (« Make America Great Again ») autour de Donald Trump, JD Vance et Joss Hawley(2)Voir notre précédent article « Les racines théologico-politiques de l’extrême droite américaine du XXIe siècle ». et de nombreux patrons des multinationales étasuniennes (Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Vivek Ramaswamy, etc.), qui ont très rapidement rejoint le couple Trump-Musk dès la victoire présidentielle, laisse augurer l’installation d’un NaCA aux États-Unis. Ce système oligarchique marque sa différence avec le système russe par le fait que les multinationales concernées sont celles qui gèrent le haut de gamme technologique et les multinationales plus anciennes.

Donald Trump veut transactualiser avec ceux qui dépendent des EU

Nous avons l’impression que, pour Trump, la vie économique et financière est la continuation de la guerre par d’autres moyens autoritaires : une sorte de rapport des forces brut de décoffrage – tout en utilisant des moyens déjà utilisés par ailleurs, comme le protectionnisme et l’agression économique sur les prix, ainsi que sur la possession des infrastructures, qu’elles soient physiques, numériques, spatiales ou autre. Ses visées sur le canal de Panama, le Groenland, le Canada sont liées à la bataille mondiale qui s’ouvre sur le contrôle des infrastructures face aux « Nouvelles routes de la soie » de la Chine.

Donald Trump fonctionne à la tête du pays le plus puissant du monde comme il a fonctionné pour faire sa fortune, c’est-à-dire par la méthode transactualiste. Il commence à mettre des enchères hautes avec tous ceux qui sont dépendants de lui (l’UE, les pays des Amériques, etc.) pour ensuite tenter de transactualiser sous la pression avec eux sur une base plus avantageuse pour les EU. Bien sûr, il joue sur les contradictions internes des différents pays et de l’Union européenne. Cette dernière a démarré la désunion de façon exemplaire. L’Italie, la Hongrie ont fait tout de suite allégeance. L’est, le nord et le sud-est de l’UE sont joués comme acquis, le pseudo-couple franco-allemand est aux abonnés absents, la présidente de la Commission semble aphone.

Mais cette stratégie américaine n’est pas sans contradictions. Donald Trump réussira-t-il à honorer son accord avec les oligarques américains ? Ces derniers veulent par exemple une immigration choisie et une croissance énergétique phénoménale pour leurs projets, d’où le slogan « drill, baby, drill » (fore, chéri, fore) pour les énergies fossiles. Évitera-t-il, après le MAGA (Make American Great Again), le MIGA (Make Inflation Great Again) ? Car son énorme plan protectionniste est inflationniste et va renchérir le niveau du dollar. Il ne faut jamais oublier que l’adversaire principal de Biden a été l’inflation, pour laquelle il a une part de responsabilité.

De fait, la locution « capitalisme démocratique » est devenue un oxymore dans la nouvelle géopolitique pour les adorateurs des mythes du passé. Les gauches européennes feraient bien de prendre cela en considération et d’arrêter d’être toujours en retard d’un métro. Alors que le réseau d’allégeance autour de Donald Trump institue un capitalisme d’allégeance (crony capitalism), les gauches européennes s’organisent selon un fonctionnement d’allégeance interpersonnelle (crony functioning). On ne construit pas une alternative en s’organisant avec les mêmes principes que son adversaire. Il suffit de lire des livres d’histoire.

Les premiers décrets pris par Donald Trump dès son investiture montrent bien le basculement du monde dans une ambiance NaCA.

Trump frappe fort sur certains domaines et décide qu’il est urgent pour lui d’attendre dans d’autres. Il frappe fort concernant l’attaque contre la fonction publique américaine, idem contre certaines subventions aux agences, voire la suppression de certaines agences elles-mêmes. Il frappe fort sur le sociétal. Il frappe fort contre la politique environnementale américaine. Il fait comme Biden en graciant ses « amis » politiques. Il a organisé les premiers charters d’immigrés, mais la Colombie n’a pas donné le droit d’atterrir. La riposte brutale de Donald Trump contre le dirigeant de gauche Petro de la Colombie a eu raison en 24 heures de sa résistance. La présidente de gauche du Mexique a en moins d’une semaine accepté le retour de plus de 4 000 migrants. Donald Trump a menacé également les BRICS+ de représailles si la création d’une monnaie commune rivalisant avec le dollar voyait le jour.

En revanche, il semble prendre plus de temps sur les droits de douane promis. Malgré le chiffre de 60 % sorti pendant la campagne électorale contre la Chine, il déclare vouloir rencontrer Xi Jinping. Par ailleurs, il menace l’Union européenne de droits élevés si elle n’achète pas suffisamment de produits aux États-Unis. Et Ursula von der Leyen a immédiatement relayé dans une dépendance avérée l’appel de Donald Trump vers les pays européens. Pour le Mexique et le Canada, il a reparlé d’une taxation de 25 %.

L’argumentation de Donald Trump est clairement donnée dans son discours d’investiture. « Je vais commencer immédiatement le remaniement de notre système commercial pour protéger les travailleurs et les familles américaines. Au lieu de taxer nos citoyens pour enrichir d’autres pays, nous imposerons des droits de douane et des taxes aux pays étrangers pour enrichir nos citoyens ». Il a même dit qu’il n’était pas le premier président américain protectionniste en parlant du 25e président des États-Unis, William McKinley ! Et il a annoncé la création d’une agence pour collecter les droits de douane (alors qu’il veut en fermer d’autres !), l’External Revenue Service. En fait, il fait en grand ce qu’il a fait en petit sur l’acier et l’aluminium lors de son premier mandat.

Fin de la mondialisation « heureuse » et entrée dans l’ère du « un dollar, une voix »

Tous les thuriféraires de la mondialisation « heureuse » des sociaux-chrétiens (type Jacques Delors et autres ordolibéraux de droite, de gauche ou écologistes) et autres néolibéraux de droite ou de gauche sont aujourd’hui Gros-Jean comme devant. Grâce aux politiques néolibérales, ils ont permis une transition du capitalisme des 30 glorieuses vers le NaCA. Le « un homme, une voix » a explosé devant l’arrivée du « un dollar, une voix ».

Que vont faire à terme, la France et l’UE ?

Malheureusement, il n’y a pas que les gauches qui ont un métro de retard, il y a aussi les dirigeants occidentaux néolibéraux et ordolibéraux de droite et de gauche qui restent dogmatiquement multilatéralistes et fragmentés, alors que le multilatéralisme est mort, les deux principaux impérialismes étant entrés dans le NaCA. Peut-on rester libre-échangiste et multilatéraliste dans un monde qui ne l’est plus ? Oui, ce serait possible si l’UE tentait de devenir une Europe puissance autonome et proposait des alliances avec des pays du Sud global. Mais les dirigeants de la BCE, de la Commission et la grande majorité des dirigeants des pays de l’UE souhaitent l’alignement autour du clan MAGA. Et même les traités européens sont écrits dans le cadre du multilatéralisme !

Et les gauches, quelle discrétion ! Où sont les analyses des responsables des gauches face à la dynamique trumpienne ? Ne me parlez pas des petites dénonciations morales inefficaces, car la moraline ne remplace pas l’analyse politique. Et que fait le gouvernement de la France ? Il joue une pièce qui justifie le titre d’un article sur la toile(3)Celui-ci : « Un discours de politicaillerie générale » | Le blog de Descartes.. Il négocie le matin avec le PS, puis l’après-midi avec le RN. Et pendant ce temps-là, l’administration Trump prépare sa tentative d’améliorer son solde commercial avec l’UE. En grosse masse, le solde est bénéficiaire de plus de 150 milliards d’euros au bénéfice de l’UE (exportations d’environ 500 milliards d’euros et importations d’environ 350 milliards d’euros). Ce solde profite surtout à l’Allemagne, l’Irlande et l’Italie. En ce qui concerne la France, ses exportations dans l’aéronautique, la pharmacie et les alcools représentent plus de 35 % des exportations. Pour le cognac, 38 % du chiffre d’affaires part aux États-Unis. Quant à Bernard Arnault, patron de LVMH, sa direction prépare la possibilité de s’expatrier aux États-Unis. Sans doute, l’administration américaine peut attendre l’élection à la chancellerie allemande de Friedrich Merz (CDU-CSU) le 23 février prochain pour négocier avec lui.

Que faire ?

Nous reviendrons ultérieurement sur la politique de la France et de l’Europe sur différents supports. En attendant, le maître mot, tant pour la gauche de gauche en France que pour l’Union européenne dans le monde, est « autonomie » : autonomie pour accroître le degré des principes de la République sociale(4)Liberté, égalité, fraternité, démocratie, solidarité, laïcité, universalisme concret, sûreté et sécurité, souveraineté populaire et développement écologique et social. et pour dégager de plus en plus de marges de manœuvre vis-à-vis de deux impérialismes dominants.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Dans Le National-capitalisme autoritaire. Une menace pour la démocratie, Pierre-Yves Hénin et Ahmet Insel, éd. Bleu autour, 2021.
2 Voir notre précédent article « Les racines théologico-politiques de l’extrême droite américaine du XXIe siècle ».
3 Celui-ci : « Un discours de politicaillerie générale » | Le blog de Descartes.
4 Liberté, égalité, fraternité, démocratie, solidarité, laïcité, universalisme concret, sûreté et sécurité, souveraineté populaire et développement écologique et social.