Le capitalisme porte en lui l’extrême droite comme la nuée porte l’orage

Ce détournement de la formule de Jean Jaurès (remplacement de « la guerre » par « l’extrême droite ») est aussi vrai que l’original, même si à un siècle de distance la catastrophe annoncée n’a pas le même visage. Après la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne, il s’en est fallu d’un cheveu en Autriche le 22 mai dernier pour que le représentant du parti FPÖ ne l’emporte, et l’afflux récent de réfugiés du Moyen-Orient n’explique pas tout.
En France, comme dans d’autres pays en crise, l’extrême droite se développe à pas de géant en l’absence d’une vraie gauche de gauche. Comme dans les années 30, l’extrême droite est utilisée par l’oligarchie capitaliste quand l’alternance sans alternative entre les néolibéraux de droite et les néolibéraux de gauche ne suffit plus à assurer la défense de ses propres intérêts dans un contexte d’incertitude des profits et de dégradation de la rente.
Or, tous les pseudo votes « utiles » que commencent à prévoir, pour faire barrage dès le premier tour de la présidentielle, les néolibéraux tant de droite que de gauche vont permettre le développement ultérieur de l’extrême droite. Ces bonnes âmes de la pensée conformiste (de gauche ou de droite) n’ont qu’une idée pour s’opposer à l’extrême droite, soutenir le candidat néolibéral le mieux placé, c’est-à-dire celui qui a le mieux promu le système qui est la cause de l’objet à combattre ! De quoi renforcer la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population française) dans l’abstention (de fait, aux dernières élections françaises, plus de 60 % de ces derniers se sont abstenus). Comme quoi, ces bonnes âmes de la pensée conformiste sont celles qui sont les plus aveuglées par le visible qu’elles n’ont pas vu venir. Mais derrière le visible se cache le réel qu’elles ne voient pas. Et c’est le réel qui doit être soumis à une analyse concrète de la situation concrète. En tenant compte notamment des lois tendancielles du capitalisme qu’elles soient économiques ou politiques. La majorité de la gauche de la gauche enchantée par des impasses maladives ou inopérantes – le solipsisme, le seul volontarisme, le simplisme, le néo-keynésianisme et le communautarisme – n’est plus en mesure aujourd’hui de répondre à la montée de l’extrême droite.

Notre identité républicaine et sociale contre la leur !

Une partie de la gauche dénonce le recours à la définition identitaire dont elle fait à juste titre un marqueur de droite dans l’acception qui va du discours de Grenoble à celui des Indigènes de la République. Mais entendons-nous, il y a les identités subies ou héritées, celles qui segmentent, assignent au lieu de naissance, à l’apparence ou aux coutumes, et celles qui libèrent parce qu’elles sont choisies, parfois au prix d’une certaine coupure des racines dans le champ citoyen du moins.
Or, comme animal social, l’homme ne peut généralement survivre au manque d’identité reconnue par ses pairs, pas plus qu’il ne peut survivre au manque d’oxygène. Si on récuse l’identité ethnique ou religieuse, si on refuse le repli de type libertarien, il reste à endosser une identité républicaine et sociale pour participer à l’objectif de progrès social ! Il ne reste en magasin que ce choix puisque les illusions du communisme soviétique se sont éteintes sauf chez certains gardiens du temple. D’ailleurs, n’est-ce pas mieux ainsi, d’avoir à accoucher, même difficilement, d’un nouveau modèle de société, plutôt que d’importer un modèle issu d’analyses théoriques et d’applications datées ?

Pourquoi insister sur la formulation « République sociale » ? C’est qu’aujourd’hui il ne suffit plus d’opposer l’identité républicaine aux identités religieuses ou ethniques : tout simplement parce que Liberté, Egalité, Fraternité ne suffisent plus. Il faut y rajouter Démocratie, Solidarité, Laïcité et anti-racisme radical, Sûreté, Universalité et droits des femmes, Souveraineté populaire, enfin Développement écologique et social. Et pour chaque principe, il convient d’aller au bout de l’implication et non de s’arrêter au charme des mots. Cette exigence n’est-elle pas ce qui porte aujourd’hui à incandescence le mouvement social vent debout contre la loi Travail comme, d’une autre façon, les Nuit debout ? Mais comme nous ne sommes pas des prophètes du Grand Soir pour demain matin, proposons la stratégie du temps long.

Trois leviers pour enclencher le processus

  • D’abord soutenir la résistance syndicale face au modèle politique néolibéral (aujourd’hui combattre la loi El Khomri) sans laquelle il n’y a point de salut.
  • Ensuite travailler à l’émergence d’une organisation politique de masse, une gauche de gauche, capable de mobiliser la classe populaire ouvrière et employée sans laquelle aucune transformation sociale progressiste ne verra le jour.
  • Et enfin, mener la bataille de l’hégémonie culturelle. Pour cette dernière, il faut développer une éducation populaire refondée. Cette dernière devrait permettre à tout(e) citoyen(ne) et à tout(e) salarié(e) de comprendre le réel, de mener une transformation sociale et culturelle aux fins que chacun(e) devienne acteur et auteur de sa propre vie.