Le temps où il fallait prendre mille précautions pour rassurer ceux qui avaient peur d’un 21 avril 2002 est révolu. Le vote dit utile doit être considéré pour ce qu’il est. Une manœuvre pour limiter dès le départ le choix aux élections présidentielles entre deux candidats qui, ayant appelé à voter oui aux référendum de 2005 sur la constitution européenne et ayant ensuite trahi le peuple français en se mettant d’accord sur le traité de Lisbonne copie conforme de celui qui avait été rejeté par la nation, sont disposés à se soumettre à la logique politique et économique imposée par Bruxelles en collaboration avec le FMI.
Le capitalisme industrialo-financier a besoin de politiciens aux ordres. Avec eux, il peut tout exiger des peuples. Sans eux et contre eux, il ne peut rien. D’où son appui aux dictateurs Ben Ali et Moubarak jusqu’au moment où les peuples tunisiens et égyptiens les ont chassés, et son parfait accord, dans les régimes démocratiques, avec tout naturellement la droite, celle de Sarkozy et de Berlusconi, ce dernier qu’ils jettent quand il est trop déconsidéré et impuissant ou comme Sarkozy qu’il s’apprête à lâcher, si malgré ses efforts d’extrême droitisation politicienne pour conserver son électorat, il n’arrive pas à se maintenir opérationnel.
Au Portugal, en Espagne, en Grèce, alternativement droite et socialistes ont joué le jeu du FMI et de l’Union européenne. Le chaos et la souffrance engendrés par leur politique sont là sous nos yeux, trop évidents et insupportables pour qu’ils soient envisageables en France. En Espagne, Zapatero, après avoir pris toutes les mesures d’austérité mandatées par le capital industrialo-financier et avoir trahi le mandat que le peuple espagnol avait donné aux socialistes depuis la chute de la dictature, démissionne, désavoué par son échec aux municipales et la défaite historique du parti socialiste (le PSOE) aux législatives qui a perdu 4,5 millions de voix, en laissant la place à nouveau à la droite qui « termine le travail » faisant reculer socialement l’Espagne à l’époque franquiste. Inutile de s’étendre sur la Grèce martyrisée, son sort était scellé et annoncé depuis des mois par Jean-Luc Mélenchon dans ses entretiens avec des journalistes autistes, et le Front de Gauche dès que le président de l’Internationale socialiste Papandréou s’est couché devant les injonctions de la troïka (FMI, BCE, UE) lors de sa prise de fonction.
Pour les peuples qui connaissent une régression qui les ramène au 19e siècle, en détruisant la législation sociale qui les protège et qu’ils ont acquise, souvent dans le sang par des luttes séculaires, la peine est double : ils perdent, avec l’autodestruction des partis socialistes et sociaux-démocrates au plan politique, le dernier instrument de lutte contre l’implacable volonté du Capital de tout reprendre. Ce dernier n’aura de cesse dans sa volonté de se sauver malgré les crises qu’il engendre lui-même, d’exiger toujours plus. Les propos de Mme Parisot semblaient sortis d’une patronne d’une Compagnie des Charbonnage de Germinal, irréels tant ils étaient réactionnaires, pourtant ils sont mis en œuvre : « la liberté s’arrête où commence le droit du travail ».
Régression totale de la société en France et en Europe, « tiers-mondisation » c’est-à-dire réduction jusqu’à plus soif des salaires (en Grèce, le salaire minimum vient d’être amputé de 25 à 35 %), privatisation et marchandisation de tous les services publics qui peuvent faire de l’argent (école, santé..), chômage massif (en Espagne, 5 millions de chômeurs auxquels s’ajoutent sans interruption les pertes d’emplois dans les services publics ; en Grèce, compte tenu du nombre d’habitants, les dernières mesures, rapportées à la France, équivalent à 100 000 fonctionnaires en moins). Décisions approuvées par Hollande dont, faut-il le rappeler, la première initiative de candidat socialiste a été d’aller se faire adouber par le socialiste Zapatéro sur le départ.
Cette catastrophe ne tombe pas du ciel, ce sont des hommes et des politiques qui prennent ces décisions, pas des agences de notations qui ne sont que » des tigres de papier » qu’ils créent eux-mêmes, destinés à faire peur, mais qu’on peut brûler si on le veut.
Seule la reconstruction d’une gauche de résistance peut, en France comme en Europe, arrêter le chaos qui s’installe dans tous les pays. Car on peut si on s’en donne les moyens mettre un terme à cette politique mortifère comme l’explique l’économiste Jacques Généreux, membre de la direction du Parti de Gauche, dans son dernier livre, « Nous, on peut ». Pour lutter contre cette perspective, la troïka conserve une carte en France, elle s’appelle Hollande et les responsables d’un parti socialiste qui ne doivent leur légitimité qu’à la rente de 1981 dont ils abusent sur le plan électoral. Que proposent-ils d’autre que la politique de Zapatero et de Papandréou ? Rien de différent. C’est si vrai qu’ils ont retardé le plus possible de rendre public un programme, qui ne devait être « dévoilé » que progressivement, tant l’absence de politique alternative était manifeste.
Pourtant, pendant des mois, on n’a parlé que des « primaires ». Nous avons assisté à un véritable matraquage médiatique. Pour accoucher d’une souris. H. Désir, sans honte, n’hésitant pas à parler d’« événement historique ». La réalité est que tout est fait par l’oligarchie et les médiacrates pour s’assurer que le partenaire de rechange qu’ils ont choisi sera bien au rendez-vous, et que l’élection n’échappera pas à un tenant de la politique qu’ils mettent en œuvre, fort du soutien de la troïka.
Pour cela, ils possèdent trois armes principales, la première, nous l’avons vue, la peur d’un 21 avril 2002, pour cela, « le diable de confort » des Le Pen dont, dans un premier temps, on ne cesse de parler, peu importe qu’on ne joue pas impunément avec l’extrême droite, d’ailleurs, elle peut être un recours (en Grèce, elle gouverne avec la droite et les socialistes). La seconde est « l’invention du meilleur candidat », ce fut le cas avec Ségolène Royal dont on fit une icône et qui n’a désormais même pas eu le droit d’être citée au meeting socialiste du Bourget, puis DSK, battu par S. Royal en 2007, les sondages en firent lui, le candidat de Sarkozy et de Hollande au FMI, le sauveur paraît-il attendu des Français. À peine sa chute consommée, celui qui pendant dix ans à la tête du parti socialiste a connu deux échecs présidentiels, raillé par ses propres camarades, Fabius ne voyant en lui qu’un président de Conseil général, Hollande du jour au lendemain survole les intentions de vote.
Mais il faut aussi empêcher la Gauche qui se reconstruit d’apparaître. C’est le troisième moyen utilisé pour que l’élection présidentielle se déroule selon leur objectif. Le Front de Gauche ne doit pas dépasser 10 % dans les sondages, cela pourrait constituer un signe fort dans l’électorat de gauche, d’autant plus qu’on ne peut plus avancer la multiplicité des candidatures de gauche comme un danger.
Pour qui ne comprend pas que les sondages ne sont que des instruments de propagande et qui aurait oublié comment ils furent utilisés lors du référendum sur la Constitution européenne, un élément de réflexion : le monde.fr met en ligne un sondage « qui fait la meilleure campagne ? » 17 600 internautes répondent (20 fois plus que dans les prétendus sondages), ils jugent qu’il s’agit de Jean-Luc Mélenchon, 43,6% loin devant Hollande, Bayrou et Le Pen qui font de 12 à 15%. La réponse ne convient pas au Monde, on n’en saura rien ou presque. Pendant des jours, on va cacher le nombre de participants aux meetings du Front de Gauche, 6 000 à Nantes, 2 500 à Metz, 4 500 à Besançon, le plus grand quotidien français, Ouest France, n’en dira rien, de même pour les Dernières Nouvelles d’Alsace ou l’Est Républicain. Il faudra attendre qu’avec 10 000 personnes à Villeurbanne et 9 000 à Montpellier, la réalité des succès des assemblées du Front de Gauche ne puisse plus être occultée.
Si Sarkozy est battu, Hollande doit être élu comme l’ont été Zapatero et Papandréou. Quant à Hollande qui accepte qu’on dise qu’à son meeting du Bourget il y ait eu 25 000 personnes dans une salle de 10 000, qui donne des accents de gauche quand apparaît trop visiblement son engagement contre-productif électoralement au centre-droit, peu lui importe s’il connaît en quelques semaines le sort de Papandréou, qui n’est plus connu par la population grecque que comme « le traître » ou « l’américain », de Zapatero, qui, bien qu’il ait marché aux ordres, a démissionné avant d’être balayé comme son parti, et peu lui importe que l’oligarchie et tous les médiacrates l’aient indécemment porté : il aura été élu…, pour combien de temps ? Nul ne peut le dire, pour quoi ? Hélas oui !