Pourquoi la gauche radicale n’émerge-t-elle pas en France ?

Depuis plus d’un an, Respublica propose une analyse sur les conditions de la transformation sociale et politique en France. Nous avons analysé les causes objectives de la réalité matérielle française et les causes subjectives qui font que la ligne stratégique de l’Autre gauche française n’est pas à la hauteur des enjeux. Après la victoire électorale de Syriza en Grèce fin janvier 2015, voici la forte percée électorale de Podemos ce mois de mai 2015 (voir l’article d’Alberto Arricruz, militant de Podemos Paris, dans ce numéro). Enfin, la presse et un universitaire (1)http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20150525.OBS9542/pourquoi-la-gauche-radicale-ne-perce-pas-en-france.html commentent les causes objectives montrant que les situations matérielles de la Grèce et de l’Espagne sont différentes de la France (notamment le chômage, le mode de scrutin, etc.).
Reste que l’on peut se poser la question – pourquoi les bases subjectives du « Que faire ? » ne sont-elles toujours pas mises en débat ? Parce que cela dépasse les bureaucraties des organisations françaises ?
Syriza et Podemos sont des organisations unifiées, depuis le début en Espagne et depuis 2013 en Grèce. Mais en France on en est encore à la pratique désuète des cartels insidieusement appelés « collectifs », qui transfèrent le pouvoir du peuple au pouvoir des dirigeants de chaque organisation du collectif, et donc pour le Front de gauche installent la pratique du conciliabule secret entre la direction du PCF et la direction du PG sans que la démocratie soit présente. On ne dira jamais assez que si une organisation peut ne pas être démocratique, un cartel même affublé du nom de « collectif » ne l’est jamais.
Un collectif pourra être un palliatif dans une période où l’on devra faire avec une dispersion maladive du corps politique ou du corps syndical, mais il n’est pas une structure propulsive jusqu’à la victoire. À un moment, l’unification est indispensable. Syriza l’a faite en 2013. Podemos dès le début, c’est même le projet de créer une force efficace pour porter au pouvoir le mouvement social qui lui a donné naissance en 2014.
Il faut mettre en exergue le fait que Syriza et Podemos partent du vécu des citoyens et de leurs familles. Exemple pour Syriza :dispensaires gratuits et aides alimentaires, lutte contre l’austérité sur le pouvoir d’achat, sur la précarité, le chômage. Exemple pour Podemos :« Marche blanche » (qui a empêché des privatisations d’hôpitaux publics à Madrid), résistance aux expulsions engagées massivement, résistance de la population de Barcelone et d’un quartier de Burgos (Gamonal) contre les projets de restructuration et ségrégation urbaine des maires de droite, « Marches de la dignité », etc. Syriza et Podemos partent de la situation du peuple et rassemblent pour organiser la résistance, pour ensuite remonter jusqu’aux causes : le système voire le capitalisme lui-même (ça c’est de l’éducation populaire). L’Autre gauche française ne parvient aujourd’hui qu’à parler aux couches moyennes supérieures (les possesseurs de l’Assurance-vie !) radicalisées en ne parlant que des causes et en geignant que les couches populaires ne se déplacent pas ! Triste période quand l’Autre gauche organise des réunions « Stop Tafta », « stop Tisa », « stop Ceta », non à l’acte III de la décentralisation, etc, avec un langage pour technocrates.
Le problème du Front de gauche n’est pas que le vote populaire irait au FN. Le vote populaire FN est majoritairement une radicalisation du vieux vote populaire de droite, tandis que le vieux vote populaire de gauche s’abstient désormais massivement : c’est ce qui explique le recul de toutes les gauches, et rend vain la recherche opportuniste par l’Autre gauche d’un peuple de substitution en fricotant avec les communautarismes.
C’est un débat vieux de nombreuses décennies, mais qui ressurgit depuis que les couches moyennes supérieures radicalisées ont pris l’entier contrôle des postes de cadres dans les partis politiques de l’Autre gauche. Si l’on y parle bien de parité homme-femme (jusqu’à la réforme surréaliste du scrutin départemental où l’on vote pour un couple – parfois le mari y a même placé sa femme !) ou bien de parité avec des « minorités visibles », jamais la « parité sociale » n’est à l’ordre du jour. L’exclusion de 53 % de la population de la représentation politique, y compris par la transformation sociologique des partis et organisations qui amenaient les catégories populaires à la représentation sociale et politique, n’est-ce pas le plus grand problème de l’Autre gauche ?
Il y a 80 ans, un vieux dirigeant, fort critiquable par ailleurs, donnait les deux façons de former un cadre politique :
« La première : on prépare les gens d’une façon théorique abstraite. On s’efforce de leur donner la plus grande somme possible de connaissances arides ; on les entraîne à écrire de façon littéraire thèses et résolutions, et l’on ne touche qu’en passant aux problèmes du pays donné, de son mouvement ouvrier, de son histoire, de ses traditions… On ne fait cela qu’en passant.»
« La deuxième : un cours théorique où l’assimilation des principes essentiels (…) est basée sur l’étude pratique (…) des questions fondamentales de la lutte du prolétariat dans son propre pays, de telle sorte que, revenu au travail pratique, il puisse s’orienter tout seul, devenir un organisateur pratique indépendant, un dirigeant capable de mener les masses à la bataille…»
Les directions de l’Autre gauche font mine de regarder ailleurs (l’élection présidentielle ?) lorsque ces points, et quelques autres, sont soumis au débat. Seule l’éducation populaire permettra de forcer ce débat sur les conditions stratégiques et tactiques de la transformation sociale et politique.

Si, ¡Se puede ! (Oui, nous pouvons !)