Retour sur le « triomphe » de Macron le 7 mai 2017

Donnons les chiffres significatifs de ce deuxième tour. Ils sont à ajouter à notre dernière chronique sur les enseignements du premier tour. Plus de 12 millions d’abstentions, plus que d’habitude pour une élection présidentielle ;  4,2 millions de blancs ou nuls (9 % des inscrits) ce qui a une signification politique importante. Sur les votants, 20 millions pour Macron, 11 millions pour Le Pen. Il est à noter que cette dernière engrange 3,3 millions de votants supplémentaires par rapport au premier tour, provenant principalement de Dupont-Aignan et de l’extrême droite catholique (du type Sens Commun, parti créé à partir de la Manif pour tous et qui avait permis à Fillon de gagner la primaire de la droite). Bien que plus de 30 % des ouvriers n’aient voté pour aucun de ces deux candidats,  il est à noter que même IPSOS a omis de comptabiliser la sociologie de ces blancs ou nuls, qui représentent malgré tout 9 % des inscrits, ce qui montre le peu de professionnalisme des instituts de sondage. Tout en sachant qu’il y a beaucoup d’ouvriers et d’employés dans ces blancs et nuls, nous ne sommes pas en mesure de les quantifier. Quant à ceux qui ont fait un choix entre Macron et Le Pen, Le Pen est légèrement majoritaire chez les ouvriers avec 56 % et obtient 46 % chez les employés. Une courte majorité des électeurs de JLM a voté Macron, 24 % se sont abstenus et 17 % ont voté blanc ou nul.

Nous avions été, dès le lendemain du premier tour, sur la ligne « Pas une voix pour le FN ». Nous avions cependant développé l’idée que la montée du Front national était essentiellement due aux politiques néolibérales et patronales menées par Sarkozy, Fillon, Hollande, Ayrault, Valls,  Macron. S’il obtient une majorité parlementaire, Macron président développera les politiques d’austérité bien au-delà de ses prédécesseurs et donc fera encore augmenter le score du FN. Jusqu’à quand ? On le voit, le simple barrage électoral ne suffira pas dans la diachronie historique. Les 3,3 millions de votes supplémentaires pour Le Pen constituent un danger sans nom. Nous comprenions donc ceux qui ont voté blanc ou nul sur la base de cette analyse. Nous avions dit aussi que nous comprenions aussi ceux qui « pour gagner du temps » voteraient  Macron à condition que, dès le lendemain du deuxième tour de la présidentielle, ils se décident enfin à combattre les politiques néolibérales, en empêchant le nouveau président de la République d’avoir une majorité néolibérale en votant non seulement contre le FN et ses alliés mais aussi contre Macron et ses alliés socialistes et LR. (1) Nous remercions les nombreux lecteurs qui ont écrit au journal à la suite du dernier éditorial, soit pour soutenir son analyse ou la développer, soit pour la récuser. Nous avons préféré ne pas alimenter entre les deux tours un débat qui est vite devenu manichéen et parfois outrancier. Parmi les textes publiés pour dénoncer le chantage du vote « anti-fasciste » et rappeler que ce sont les gouvernements de gauche et de droite qui ont trahi les classes populaires et fait monter le FN, nous signalons a posteriori deux tribunes :
Henri Pena-Ruiz « Ne nous soumettons pas ! »
Frédéric Lordon « De la prise d’otages ».

C’est donc maintenant, au pied du mur, que l’on verra les « donneurs de leçons médiatiques et électroniques ». Et que l’on séparera  dans les votes Macron le bon grain de l’ivraie. Il n’y a pas d’autre solution que de partir au contact des couches populaires et nous invitons alors tous les « barreurs contre le FN » à nous rejoindre dans cette bataille sans attendre le prochain barrage électoral qui cette fois-là risque de ne pas suffire. S’attaquer aux causes de la montée du FN sans attendre de nouvelles élections, c’est d’ailleurs ce que plusieurs commentateurs ont déjà déclaré dans les télévisions des pays européens !

Que de discours  dans la campagne du deuxième tour pour détourner la France des malheurs publics, émanant  de ceux qui ne s’opposent pas à la politique  qui est la source de ces mêmes malheurs. Que dis-je? Qui l’approuvent, qui y souscrivent ! (2) D’après une citation de Bossuet : « Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait, pour les attirer. Que dis-je ? qu’on l’approuve et qu’on y souscrit… »

N’a-t-on donc pas tiré les enseignements des années 30 lorsque le SPD, pour faire barrage à Hitler à la présidentielle de 1932, fit le choix d’Hindenburg, pactisant ainsi avec le candidat du patronat ? Déplorer les effets d’une politique que l’on n’ose plus combattre, voilà contre quoi nous devons nous élever pour mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle.

Car comme dans les années 30, il ne suffira pas d’attendre la prochaine élection pour faire barrage car cette fois-là ce sera peut-être trop tard. C’est maintenant qu’il faut combattre les causes de la montée du FN et du populisme de droite qui finira pas s’associer au FN. Qu’on ne s’y trompe pas, les néolibéraux Sarkozy, Ayrault, Hollande, Valls, Fillon ont vu leur base sociale se restreindre ; il en sera de même pour Macron qui n’est que leur continuateur en pire.

Comme dans les années 30 avec leurs prédécesseurs, LR et le PS sont en crise majeure dont ils ne se redresseront pas de sitôt. La bataille deviendra donc une bataille entre le FN et ses alliés d’une part et, de l’autre, ce qui pourrait devenir son antidote radical, un mouvement issu de la France insoumise et de ses alliés.

Nous voyons ici et là poindre la critique que la France insoumise serait un populisme de gauche. Nous disons soit ! mais au moins cela a permis au peuple de conserver un espoir face à l’oligarchie capitaliste, alors que toutes les autres formations se coupaient petit à petit du peuple. Et l’on ne peut pas avoir raison contre le peuple. Quiconque veut connaître un phénomène ne peut y parvenir en se battant avec la peau des autres mais bien en se mettant en contact avec lui. Pour acquérir des connaissances politiques, il faut prendre part à une pratique qui transforme la réalité. Si l’on veut connaître le goût d’un fruit, il faut le goûter. Comme toutes les connaissances authentiques sont issues de l’expérience immédiate, si l’on veut connaître la théorie, les méthodes et les conditions de la révolution, il faut prendre part aux luttes sociales et politiques. Donc, oeuvrer dans le peuple et non pas seulement à côté de lui en se retirant sur son Aventin.

Concernant l’imputation de « populisme de gauche », il faut d’abord comprendre pourquoi il y a ici et là des émergences qui ne sont pas des émergences en provenance des partis traditionnels. C’est en fait assez simple. Les politiques néolibérales ont accru à un niveau phénoménal la désintégration économique des couches populaires, mais également des couches moyennes intermédiaires qui se sentent de plus en plus déclassées. La non-intégration économique de ces catégories et la désindustrialisation massive de la France induisent directement la désaffiliation  des partis politiques traditionnels, surtout si ceux-ci recrutent de plus en plus chez les CSP+ de la fonction publique. De plus, aujourd’hui contrairement à la période d’après-guerre, les couches populaires vivent de moins en moins là où se crée la richesse, la ségrégation sociale se double d’une ségrégation spatiale.

Dans ce contexte, attention à ne pas donner crédit aux médias néolibéraux qui ne sont là que pour gagner du temps pour le compte du patronat avant la crise paroxystique qui s’annonce sans que l’on sache quand elle arrivera.

Par contre, dans la course de vitesse qui se crée entre le FN et ses alliés et la France insoumise et ses alliés, constatons que malheureusement c’est le FN qui a une longueur d’avance dans la pénétration dans les couches populaires. Et les alliés de la France insoumise (comme le PCF par exemple) sont bien plus éloignés des couches populaires que la France insoumise, sauf chez les retraités. Là est la limite  des partis traditionnels de gauche (comme le PCF par exemple mais pas seulement) mais aussi de la France insoumise. Non, une réflexion en termes de lutte de classe n’est pas obsolète et c’est même la clé du succès à moyen terme. À condition de ne pas la mener avec des catégories analytiques non conformes au monde d’aujourd’hui.

Alors, que faire?

A très court terme, assurer au maximum la campagne des législatives autour de la France insoumise et de ses alliés et assurer le double front contre les néolibéraux du PS, de LR et de Macron d’une part et contre les néolibéraux du Front national et de ses alliés de l’autre. Il n’y a pas d’autre alternative mobilisatrice.

Après cette séquence politique qui se terminera au soir du 18 juin, c’est bien le front social qui sera au premier rang de la bataille. Et là, le mouvement syndical revendicatif et ses alliés dont nous sommes, devra être renforcé.

A moyen terme, il appartiendra aux partisans de la République sociale que nous promouvons de pousser à un diagnostic social et politique partagé dans le peuple, car dans un pays développé, on ne peut pas être majoritaire dans le peuple sans être très majoritaire dans les couches populaires qui représentent la majorité du peuple objectivement et malheureusement pas encore subjectivement. L’éducation populaire refondée au sein du peuple sera notre arme. Et les questions sur les conditions de la Révolution citoyenne et sociale devront alors prendre force et vigueur. Les intervenants du Réseau Education Populaire, les films de Marie Pialat Peuple et pouvoir, Peuple et profit, Combat laïque, combat social, etc., les livres de la librairie militante de ReSPUBLICA (sur la colonne de droite du site), les actions des comités “La Sociale” créés à la suite des débats sur le film de Gilles Perret, les actions de la Convergence nationale Services publics et du Collectif national Poste organisé autour des syndicats CGT, FSU et Solidaires, sont là pour développer cette éducation populaire refondée.

A bientôt si vous le voulez bien ! Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale) !

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Nous remercions les nombreux lecteurs qui ont écrit au journal à la suite du dernier éditorial, soit pour soutenir son analyse ou la développer, soit pour la récuser. Nous avons préféré ne pas alimenter entre les deux tours un débat qui est vite devenu manichéen et parfois outrancier. Parmi les textes publiés pour dénoncer le chantage du vote « anti-fasciste » et rappeler que ce sont les gouvernements de gauche et de droite qui ont trahi les classes populaires et fait monter le FN, nous signalons a posteriori deux tribunes :
Henri Pena-Ruiz « Ne nous soumettons pas ! »
Frédéric Lordon « De la prise d’otages ».
2 D’après une citation de Bossuet : « Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait, pour les attirer. Que dis-je ? qu’on l’approuve et qu’on y souscrit… »