Sécurité sociale : comment étatiser pour mieux privatiser

Depuis longtemps, les contributeurs de ReSPUBLICA et les conférenciers du Réseau Éducation Populaire (REP) expliquent inlassablement que le projet du modèle politique néolibéral a pour objectif prioritaire la privatisation des secteurs rentables de la sécurité sociale dont le budget est supérieur au budget de l’État. Ils expliquent aussi que pour les néolibéraux la phase de l’étatisation est un point de passage nécessaire.

Reprenons l’histoire. Les révolutionnaires du Conseil national de la Résistance (CNR) estiment que la Sécurité sociale est trop importante pour être gérée par le privé mais aussi par l’État. C’est pourquoi ils décident que la Sécurité sociale sera gérée par les représentants élus des assurés sociaux lors d’élections dont les dernières ont eu lieu en 1983 avant d’être abandonnées par Michel Rocard puis supprimées par la loi par Alain Juppé.
Mais pour privatiser ce qui appartient au peuple, il faut d’abord étatiser puis vendre « par appartements » au privé. Ainsi des ordonnances de 1967 à la sinistre loi Bachelot HPST en passant par la contre-réforme régressive Juppé de 1995 et les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) votés chaque fin d’année, tout a été fait pour étatiser ce qui appartenait au peuple. Enfin presque tout. Il fallait en même temps diminuer les pouvoirs des conseils de la Sécurité sociale et augmenter ceux des directeurs nommés par la monarchie élective de la Ve République.
La dernière péripétie sous l’État néolibéral sarkozyste a consisté à enlever à l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (Uncam, dont les membres ne sont plus élus mais nommés par des règles injustes) la possibilité de fixer le taux de la participation de l’assuré aux dépenses de santé (appelé de façon impropre le ticket « modérateur ») pour l’augmenter bien sûr et privatiser un peu plus le remboursement des soins. Après s’être fait retoquer par le Conseil d’État le 5 décembre 2011, le gouvernement fait publier un décret le 15 janvier 2012 en application de l’article 82 de la dernière LFSS, stipulant que l’Uncam doit se prononcer dans un délai de deux mois dès que le gouvernement fixe de nouvelles fourchettes de taux pour les les médicaments à service médical rendu (SMR) modéré, les médicaments homéopathiques et les dispositifs médicaux. Rendez-vous donc le 15 mars 2012 pour voir les nouveaux taux néolibéraux.

Pour privatiser le remboursement des soins, les néoliberaux baissent le remboursement Sécu et augmentent le remboursement par les complementaires santé… subventionnées par la Sécu !

Le rapport Chadelat l’a théorisé en 2003. Pour faire baisser les prélèvements obligatoires, il suffit entre autres de baisser les remboursements assurance-maladie (dont les cotisations sont obligatoires et proportionnelles aux salaires – sauf pour les cotisations retraites plafonnées) et d’augmenter très fortement les remboursements par les complémentaires santé (dont les cotisations sont facultatives et en général forfaitaires, donc antisociales car défavorisant les couches populaires, les catégories précarisées et les familles monoparentales). Tout cela a comme conséquence l’accroissement exponentiel des refus de soins pour causes financières (29 % dans la dernière étude) car plus de 7 % des assurés n’ont pas de complémentaire santé et plus du tiers des complémentaires santé ont des remboursements médiocres et scandaleux.
Or, pour ceux qui sont en refus de soins pour causes financières, le modèle politique néolibéral impose à l’assurance-maladie de subventionner les complémentaires santé en obligeant les caisses d’assurance maladie de financer l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) et en les incitant d’augmenter les ACS par un « coup de pouce ». Ainsi la boucle est bouclée. Le modèle néolibéral organise la baisse des remboursements de l’assurance-maladie, oblige donc les assurés sociaux à souscrire de plus en plus de complémentaires santé et, pire, demande à l’assurance-maladie de subventionner son concurrent à savoir les complémentaires santé (alors que les frais de gestion de la sécurité sociale sont de l’ordre du 6 % contre 15 à 28 % pour les complémentaires santé) !
Il va de soi que le modèle politique néolibéral vise en fait à privatiser les profits dans les complémentaires santé et à socialiser les pertes dans l’assurance-maladie dont le « trou » est construit et fabriqué par la déformation du partage de la valeur ajoutée (changement dans la répartition des richesses faisant passer tous les ans environ 9,3 points de PIB des salaires vers les profits, soit plus de 180 milliards par an, si on se réfère à la répartition des richesses de la période de la fin des années 70 et du début des années 80).
On ne sera pas surpris que parmi les trois types de complémentaires santé, en matière de parts de marché, ce sont les mutuelles qui reculent et les firmes multinationales de l’assurance qui progressent, les instituts de prévoyance soi-disant paritaires (le paritarisme est un procédé qui donne le pouvoir au patronat, car il peut s’associer avec un syndicat complaisant contre la majorité du peuple) ayant une part stagnante actuellement.
Si on se réfère au Fonds CMU dirigé par M. Jean-François Chadelat, nous pouvons connaître les chiffres des attestations délivrées pour l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS).
Sa lettre de janvier montre que le nombre d’attestations a augmenté de 19,5 % sur les dix premiers mois de l’année 2011 et que 734.620 personnes se sont vu délivrer, sur douze mois, cette attestation  : tel est le recul organisé du remboursement assurance-maladie dans notre modèle néolibéral. La détresse sociale est telle que les dirigeants néolibéraux de l’État ont augmenté le plafond des ressources permettant l’ACS de 20 à 26 % au-dessus du plafond de la CMU (LFSS 2011) puis à 35 % (LFSS 2012). Le nombre de bénéficiaires de la CMU complémentaire est aujourd’hui de 4,3 millions de personnes ! Le rapport d’évaluation de M. Jean-François Chadelat dit bien que « la population cible de l’ACS est aujourd’hui loin d’être atteinte » et qu’« un nombre non négligeable de personnes en situation de précarité n’est pas éligible à la CMU-C compte tenu de l’érosion de ce plafond ». Que c’est bien dit pour « noyer le poisson »… Pourquoi ne pas dire ouvertement que la politique menée par les néolibéraux dirigeant l’État (élus et hauts fonctionnaires) sous l’impulsion du MEDEF est d’augmenter la pauvreté, les inégalités sociales de santé, la privatisation des profits et la socialisation des pertes !
La solution existe : remboursement à 100  % des soins utiles et nécessaires partout et pour tous par l’Assurance-maladie financé par un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée (voir plus haut). On n’aurait alors plus besoin de la CMU et des complémentaires santé (dont les frais de gestion sont au moins 2 fois et demi à 4 fois plus importantes que ceux de l’Assurance-maladie) et ce serait la fin de ces indignes inégalités sociales de santé.