Territorialiser tout en faisant face aux méfaits de la mondialisation

Une troisième grande loi de décentralisation doit voir le jour, en prolongement de celles de 1981 et de 2003. Elle doit confirmer le rôle primordial de la région au plan économique , mais aussi, à la base,  ce qu’est le « territoire » (terme souvent évoqué, sans autre précision). D’un autre côté,, il faudra tenir compte de la mondialisation pour en réduire les effets néfastes par la mutation profonde de certaines institutions . Plusieurs rencontres ont  abordé ces sujets. (1)Cf. TEDIS (16/06/12), NOTRE EUROPE (25/06/12), 4 D (26/06/12), Rencontres Parlementaires (10/07/12),
ADAPES (11/07/12), Colloque des Grande villes de France (19/09/12)

TERRITORIALISER LES DÉCISIONS :

Le territoire n’est pas défini administrativement (ce peut être la région, le département, l’agglomération  urbaine ou une zone d’activité quelconque), car  il s’inscrit sur le terrain, en fonction des diverses activités et des flux, constituant son bassin d’emploi,  au lieu que ce soit le pouvoir central qui décide de sa configuration  et qui en détermine les compétences.  Ses laudateurs[2] vantent ses avantages, dus à la proximité : les populations et les entreprises  se connaissent, ont les mêmes besoins réels ; ils savent concrètement la situation de l’emploi; elles ont davantage de facilités pour se parler de tous les problèmes, ceux des entrepreneurs et des salariés: ainsi c’est là que le dialogue social a le plus de chances d’avancer, surtout avec  les PME. A cet effet, on renforcera la présence syndicale locale[3]  On y évoquera les conditions de travail dont on parle insuffisamment dans les négociations de branche ; on traitera de la formation des patrons (en particulier, ceux des PME) et de leurs employés ; l’information circulera plus vite ; spontanément la médiation des conflits s’opérera mieux quand on découvrira l’intérêt  commun du territoire et l’utilité d’en équilibrer les activités.. C’est là aussi où pourront s’épanouir la démocratie participative et «les pactes citoyens» Les élus locaux, en particulier ceux des grandes villes, sont là pour renforcer tous ces liens.. Ils sont les plus aptes à défendre le patrimoine et les services publics locaux ( transports, enseignement, santé) qui rendent le pays attractif: c’est eux qui lutteront avec âpreté contre les délocalisations ou pour  les reconversions de sites et sentiront comment il faut transformer l’appareil  productif local; c’est par leur intermédiaire que la mutualisation  des risques a le plus de chances de se réaliser, entre habitants et banques locales[4]:; ainsi surmontera t on  mieux les crises, comme le montre l’exemple allemand ou celui, français, de Bosch Vénissieux . On réglera des problèmes, comme la mobilité; on agira par expérimentation  et l’on en évaluera le résultat : on sera loin des joutes doctrinales encombrant certaines rencontres. On y trouvera la solution de problèmes graves: – financement des investissements locaux[5] (grâce à une nouvelle banque qui leur est dédiée ,sous l’égide de la CDD et de la Banque Postale); – «smart grids» mettant à disposition de nouveaux  réseaux numériques facilitant les services publics de santé, d’éducation, de mobilité, d’assainissement, d’énergie;

– participation active à l’industrialisation pour laquelle des partenariats se créent entre entreprises ( surtout les PME),  universités, unités de recherche; – animation des quartiers «sensibles» , qui bénéficient de la diversité culturelle et de la jeunesse .  En ce qui concerne le logement  (qui constitue désormais le principal poste de dépenses des ménages), la territorialisation est aussi nécessaire: c’est sur place qu’on évalue le mieux les besoins, très différents d’un lieu à l’autre[6] . Certes il faut des orientations politiques nationales, ne serait ce que pour des raisons financières. Mais les élus locaux sont les plus capables pour évaluer non seulement les besoins globaux, mais aussi la situation du foncier local, la composition des familles et leur niveau social, le degré de vétusté du parc de logements et l’application des règles d’urbanisme. Rennes est un des exemples, où la mairie élabore un plan local tenant compte de ces facteurs et des capacités des partenaires locaux, dans une optique de solidarité.

Cependant certains obstacles se présentent quand des habitants craignent pour leur environnement. Non  seulement ils sont souvent  réticents quand il est question d’installer une centrale électrique ou un réservoir souterrain de gaz aux environ de chez eux, mais ils sont également méfiants quand il est question d’y faire passer une ligne électrique. Or  le recours à l’énergie renouvelable, de par son intermittence, exige une multiplication des réseaux et des interconnexions[7] (puisque, pour  mettre en activité massivement de telles puissances,  les petites installations  auto productrices  locales sont globalement insuffisantes, et d’ailleurs une tendance naturelle incite aussi les énergies nouvelles à la concentration géographique:cf. éolien, solaire). . Donc pour persuader les habitants que ces réseaux sont indispensables, il faut  multiplier des débats publics contradictoires, pour expliquer que «sans réseaux, la transition énergétique par renouvelables ne peut exister». Ces réunions retardent  les décisions qui visent de plus en plus des «réseaux intelligents»[8], permettent aux abonnés de suivre leur consommation et dialoguer avec leur distributeur, ce qui est aussi  pratique décentralisatrice

FAIRE FACE A LA MONDIALISATION :

L’importance accordée au territoire ne doit pas faire oublier  que ce ne peut pas être l’unique niveau de décision. L’Etat, qui fut longtemps en France l’échelon dominant, doit rester actif, puisque c’est là que sont les élus directs du peuple, et d’ailleurs la plupart des gens ne le conteste pas, estimant  que l’Etat doit jouer un rôle d’ «arbitre », de « protecteur » ou  d’«organisateur». Mais la mondialisation existe aussi, dont il faut réduire les  dégâts causés par elle, en adoptant les niveaux  adéquats. L’Europe devrait  être un de ces niveaux,  pour défendre  efficacement les nations la composant,  face aux autres ensembles continentaux qui se sont constitués.  Mais, au lieu de cela, l’Union Européenne a ouvert ses frontières (d’ailleurs trop mobiles) à tous ses concurrents extérieurs, sans réciprocité, au nom du libre échange; elle a organisé le Marché Commun sur la base du moins disant social et fiscal, au lieu de mettre en valeur la coopération et la solidarité entre ses membres. Ce système a montré ses immenses faiblesses dès que la crise mondiale est arrivée, ses plus fervents partisans ne pouvant que constater «le désarroi» des populations. Pour remédier à cette crise, causée par les excès financiers que la dérèglementation avait autorisés, les Etats ont mobilisé des crédits publics énormes, pour sauver les financiers qui en étaient la cause, sans contre parties (grandes réformes bancaires à engager). Ils se sont donc endettés d’une façon insoutenable, et depuis lors, on ne s’est penché que sur la nécessité de les faire s‘acquitter de leurs dettes au plus vite, au lieu d’en échelonner le remboursement sur des délais plus longs : à cet effet, on a exigé  des Etats de faire des économies drastiques au détriment de leurs salariés (en particulier les fonctionnaires) en baissant leur rétribution, en privatisant, en ordonnant des « réformes structurelles » qui les pénalisent, et en alourdissant leurs impôts les plus injustes (surtout la Tva): ce sont les « remèdes » appliqués par le FMI, depuis 3O ans aux pays du Tiers Monde,… avec les succès que l’on connaît( !), sans se rendre compte que ces réformes aboutissent inexorablement à un appauvrissement, générateur  de récession [9], et sans prévoir  que ces peuples européens se révoltent, comme le font Grecs, Espagnols, Portugais, ou votent contre les pouvoirs en place, comme l’ont fait  Italiens et Français.

On estime de plus en plus qu’il faudrait abandonner ces idéologies libérales et revigorer les pays les plus fragiles en les subventionnant [10], plutôt que de les punir pour s’être endettés et de  diminuer les fonds structurels (comme on le prévoit),  dont ils ont un profond besoin.[11] Dans ces conditions, comment pourrait- on leur demander de s’intéresser  à une fédéralisation, dont ils ne perçoivent pas l’intérêt? L’UE stagne de par ses erreurs de parcours persistantes

L’Organisation des Nations Unies devrait avoir, elle aussi, une utilité certaine, étant donné que de multiples problèmes se discutent au niveau mondial, mais en fait cette organisation est totalement inefficace. Elle l’a encore prouvé lors du Rio+20 ( juillet 2012) où l’on traitait pourtant de l’avenir de la planète : aucun objectif chiffré, aucune obligation sanctionnée, de nombreux sujets, pourtant importants, non abordés (eau potable, océans, énergie, etc…), les questions de financement non traitées,  le but étant de parvenir à un texte final unanime, alors que chaque représentant officiel ne pensait qu’à défendre ses intérêts à court terme. Néanmoins les grands principes ont été confirmés, on a prévu la création d’un « fonds vert » (100 Milliards de dollars par an… à partir de 2020 ??), et les négociations  vont continuer sur un certain nombre de sujets (les 8 objectifs humanitaires du Millénaire, les objectifs universels du développement durable, l’efficacité énergétique).[12] Mais rien de concret n’en ressortira tant qu’on n’opérera pas les réformes institutionnelles indispensables, en particulier la loi de l’unanimité, la Convention Climat (gestionnaire du Protocole de Kyoto), le Comité du développement durable (issu du Sommet de Rio de 1992). Ces comités n’ont aucun pouvoir, en comparaison avec l’Organisation Mondiale du Commerce, disposant d’une vraie possibilité de sanction (l’Organe de Règlement des Différents)…..et pourtant même ce mécanisme très souvent se bloque : tant qu’il n’y aura pas un sentiment de solidarité entre les peuples et entre leurs représentants, les progrès ne seront que minimes,  quel qu’en soit  la nécessité, et ce n’est pas la règle dominante de la concurrence qui fera progresser la situation. Bien entendu, l’intervention des organisations syndicales, des Ong et les manifestations populaires  ont un effet bénéfique, surtout quand elles proposent des solutions réalistes ; on l’a constaté, entre autres, avec la participation au Rio+20 de certaines régions (Nord/Pas de Calais) qui ont prouvé la solidité de leur engagement: c’est ainsi que survit la décentralisation.

En définitive, cette question de décentralisation, très complexe, ne peut être résolue de  façon simpliste: on ne peut certes qu’avoir une préférence  en faveur d’un glissement des décisions sur  les territoires,  pour des motifs démocratiques et souvent aussi d’efficience. Mais le monde a rétréci et on doit s’y  adapter en transformant des niveaux éloignées de la base (grandes régions- continents, planète). Cela n’empêche pas les peuples de manifester légitimement leur hostilité  quand ils jugent qu’à ces niveaux, on a de néfastes  orientations, ce qui se fait déjà en Europe et à Rio+2 : c’est leur  façon de pratiquer la décentralisation

[2] Cf  M.Meunier, président du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD)

[3] Par exemple, en faisant élire  les délégués syndicaux à la proportionnelle, avec quota obligé de présence au vote

[4]Un réseau très développé de banques locales et coopératives, en liaison étroite avec les Pme, comme il y a en Allemagne, peut favoriser cette collaboration. Une lutte intense contre les paradis fiscaux doit être menée aussi au niveau des collectivités territoriales par le vote de délibérations locales, suivis d’enquêtes dénonçant ces collusions. Un vote unanime du Sénat français(24/07/12) vient de renforcer cette incitation à lutter contre ce fléau

[5]les investissements locaux représentent 70% de la masse de tous les investissements en France

[6] Cf l’erreur grossière commise à l’occasion de la loi Scellier (2009), où on calcula depuis Paris le loyer plafond  des futurs locataires, que ne devaient pas dépasser les acheteurs de logements neufs

[7] L’Allemagne est obligée d’installer un réseau électrique de 3800Km, en particulier pour relier les éoliennes du Nord aux installations solaire du sud

[8]Les smart grinds, dans les smart cities, expérimentés en France depuis un an, orientant les flux énergétiques

[9] Ce  que D.Cohen appelle « la course poursuite destructrice » : chaque fois que la réduction des déficits par ce genre de purge atteint 1% du Pib elle fait baisser le Pib d’une valeur supérieure (jusqu’à- 1,5%)

[10] Exemples :subventionner l économie des pays les moins productifs vers les activités d’avenir, la recherche développement, l’amélioration de leurs infrastructures, le perfectionnement de leur enseignement, harmoniser les politiques fiscales et sociales (comme on l’a fait pour la Tva en fixant un minimum et un maximum entre lesquels les Etats établiraient leur choix), percevoir des taxes sur les transactions financières et sur le carbone

[11] Le Conseil Européen de juin dernier, sous l’impulsion française, a semblé amorcer un virage en ce sens, en  fixant comme objectif  la croissance, en  instituant une taxe sur les transactions financières et en envisageant une super vision  des banques européennes par la BCE (dont il faudra enfin réviser le statut et  qui doit, au moins, donner sa garantie aux Etats et le rachat de leurs dettes, sous condition) Qu’en sera-t-il  à l’avenir ?

[12] cf , P. Radanne, de 4D

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Cf. TEDIS (16/06/12), NOTRE EUROPE (25/06/12), 4 D (26/06/12), Rencontres Parlementaires (10/07/12),
ADAPES (11/07/12), Colloque des Grande villes de France (19/09/12)