À moins de deux mois du scrutin, une campagne présidentielle très décevante

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Photo by julien Tromeur on Unsplash

Tentons d’analyser les causes d’un tel sentiment. Est-ce, d’ailleurs, un sentiment ou plutôt une constatation ?

Influence des médias « mainstream »

Parmi les causes possibles, il y a le rôle des médias qui préfèrent trop souvent surfer sur des propos hors de leurs contextes pour faire du bruit et augmenter l’audimat. On va s’attacher, ainsi, sur la forme plus que sur le fond. Les propositions des candidats ne sont pas reprises ou sorties de leur contexte. L’effet pervers est que les candidats vont chercher l’expression ou le bon mot qui sera repris en boucle sur les chaînes d’information. Ce fonctionnement les pousse aussi à rechercher le clivage pour se faire entendre et exister dans l’arène médiatique (la formule de Fabien Roussel sur la gastronomie française en est un bon exemple). Bien malin l’auditeur qui parviendra à en sortir des idées. Le biais idéologique des médias est accentué par un manque cruel de pluralité ainsi que le montre une infographie parue dans le Monde indiquant clairement que 80 % des titres appartiennent à des milliardaires ou des entreprises multinationales dont on peut douter légitimement de l’impartialité malgré leurs déclarations(1)Vincent Bolloré : Canal +, C News, Direct 8, Direct Matin – Patrick Drahi : Libération, L’Express, BFM TV, RMC, i24 – Dassault : Le Figaro – Bernard Arnault : Les Echos, Le Parisien – Martin Bouygues : TF1, LCI, NTV, TMC – Arnaud Lagardère : Le Point, Europe 1, RFM, MCM, Paris Match – Xavier Niel : Le Nouvel Observateur, Le Monde, Les Décodeurs….

Peu de débats publics contradictoires ou non

S’y ajoute l’absence de débats et de réunions publics. Pour l’instant, nombre de candidats se contentent d’organiser des meetings qui attirent plus ou moins de monde. Ces grands rassemblements ont certes leur intérêt pour diffuser et promouvoir les projets politiques. Ils ont cependant l’inconvénient de ne pas favoriser les échanges et surtout de pratiquer l’« entre-soi » entre gens convaincus d’avance. Sans doute, la pandémie et les mesures restrictives prises pour tenter de l’endiguer limitent les initiatives que pourraient prendre les militants localement. La difficulté à trouver des militants pour mettre sur pied des débats publics représentent un autre frein. Ce dernier obstacle provient en grande partie de la faiblesse des organisations politiques. Or, alors que l’abstention est devenue très élevée lors des derniers scrutins – et qu’il n’est pas sûr que l’élection présidentielle, scrutin où d’ordinaire la participation est plus importante, soit épargnée par cette montée de l’abstention – il devient urgent d’informer et de convaincre les citoyens pour les mobiliser et leur présenter les choix qui s’offrent à eux.

Le parrainage : un suffrage censitaire de fait

La question du système de parrainage qui permet à des élus (députés nationaux, sénateurs, députés européens français, maires…), soit quelque 40 000 personnes (en 2017, seuls 16 000 élus avaient donné leurs signatures), de présenter des candidats selon la loi pose un grave problème de démocratie. Ainsi, même les candidats qui dépassent les 5 % d’intention de vote en leur faveur voire les 10 % éprouvent des difficultés à obtenir les 500 signatures requises. Dans ces conditions, c’est un pari sur l’avenir que d’engager les dépenses pour entrer vraiment dans la campagne et mobiliser les soutiens. Une avancée démocratique serait de fixer un seuil de citoyens et de citoyennes au-delà duquel la candidature d’une personne pourrait être validée, par exemple 150 000, voire 200 000. L’incertitude quant à l’obtention des 500 signatures, le risque de ne pas être remboursé des frais de campagne conduisent à limiter les dépenses.

Les jeux sont-ils faits ?

Les sondages qui prolifèrent ont tendance à indiquer que les jeux seraient faits, que tout est joué d’avance, à tort ou à raison. Au second tour, il n’y aurait que le président sortant et un candidat de droite ou d’extrême droite qui auraient leur « chance ». Certes la « gauche » part en ordre dispersé et ne favorise pas les pronostics favorables. Encore faudrait-il définir ce qu’est une candidature de gauche. Est-ce une candidature qui propose de sortir d’un ordre commercial, économique international foncièrement antisocial, de renégocier les traités de libre-échange européens voire d’en sortir, de prendre les mesures idoines pour la justice sociale(2)Depuis 20 ans, les réformes successives ont transféré le poids de la fiscalité des entreprises et des plus riches vers les classes moyennes et populaires. Sur les deux ans de Covid, grâce à un afflux de fonds publics et à l’assistanat de l’État, la Bourse a connu une envolée spectaculaire, les cinq premières fortunes ont doublé leur patrimoine et possèdent autant que les 40 % de Français les plus précaires. Les études sur l’héritage montrent que la transmission du patrimoine influent de plus en plus sur la hausse des inégalités. L’impôt ne corrige pas cette distorsion. Le patrimoine hérité joue un rôle fondamental dans la constitution de profondes inégalités « dynastiques » de patrimoine., pour limiter le réchauffement climatique et préserver les grands équilibres écologiques planétaires… ou est-ce une candidature qui se contente dans le cadre du capitalisme d’essayer de réduire la fracture sociale sachant que les marges de manœuvre se sont réduites comme peau de chagrin ? La mascarade de la primaire « populaire » (qui avait pourtant un objet noble de départ : mobiliser les citoyens à la base pour faire émerger une candidature sur des bases plus démocratiques) est venue trop tard et est apparue pour ce qu’elle est : une opération-manipulation pour adouber Christiane Taubira qui lors de la campagne de 2002 n’avait pas un projet, c’est un euphémisme, très progressiste au sens de la défense des intérêts des classes moyennes et populaires.

La défiance des Français à l’égard des institutions de la Ve République

Comme d’autres pays européens, la France affiche de faibles niveaux de satisfactions quant à la démocratie et les institutions(3)Enquête European Social Survey. La défiance des Français, notamment à l’égard de l’exécutif, repose en grande partie sur l’écart, voire le fossé, entre la promesse d’égalité des chances consubstantielle, au sens profane du terme, au cœur de notre modèle républicain, de ses valeurs et principes d’une part et, d’autre part, une hausse des inégalités, des discriminations diverses, un certain mépris de classe. En sont révélateurs de ce phénomène, un déclin éducatif dû à la concurrence privé/public, à la constitution de « ghettos » scolaires et au manque de moyens, à la désindustrialisation organisée et à la montée en puissance des métiers du soin dévalorisés faiblement syndicalisés…

Nécessité d’un débat présidentiel axé sur les enjeux sociaux, économiques et écologiques

Ce débat, indispensable, afin qu’il sorte de sa médiocrité malgré la bonne volonté de certains candidats, devra être axé sur :

  • la refondation de l’école républicaine dont l’une des missions est la formation de citoyens et citoyennes en s’appuyant sur ses acteurs principaux que sont les enseignants,
  • la reconnaissance de la diversité des mérites et des excellences en redonnant ou donnant sa place à une formation professionnelle de qualité en lycée ou en alternance entreprise-école, en formant des ingénieurs qui font défaut grâce à une place retrouvée en science et mathématique,
  • la reconstitution d’un tissu industriel s’appuyant sur les énergies renouvelables et la sobriété tout en assurant la justice sociale,
  • le renouvellement des institutions pour que la souveraineté du peuple ne soit pas qu’un slogan,
  • les conditions de la transition de la France vers une économie plus sobre et vers des structures plus adaptées aux futurs bouleversements climatiques

Sur tous ces axes importants et d’autres, nous nous attacherons, dans les prochains numéros, à décortiquer les projets des différents candidats afin de ne pas s’arrêter à la surface des choses, souvent insignifiantes et non pertinentes, et de distinguer les propositions entre celles qui visent vraiment l’intérêt général et celles qui, malgré un vernis social et écologique, ne veulent rien changer concernant l’ordre social et économique dominant.

Il s’agira, au travers de ces prochains articles, de départager, notamment parmi les candidatures qui se définissent de gauche, les projets qui renoncent à affronter les puissances économiques et les dérèglements du marché qui avec le libre-échange en sont le pendant et ceux qui sont porteurs d’un nouveau modèle économique, social et écologique en phase concrètement avec la belle devise de notre République « Liberté, Égalité, Fraternité ». C’est, sans doute, la seule façon de sortir le débat électoral des ornières de la haine et du racisme.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Vincent Bolloré : Canal +, C News, Direct 8, Direct Matin – Patrick Drahi : Libération, L’Express, BFM TV, RMC, i24 – Dassault : Le Figaro – Bernard Arnault : Les Echos, Le Parisien – Martin Bouygues : TF1, LCI, NTV, TMC – Arnaud Lagardère : Le Point, Europe 1, RFM, MCM, Paris Match – Xavier Niel : Le Nouvel Observateur, Le Monde, Les Décodeurs…
2 Depuis 20 ans, les réformes successives ont transféré le poids de la fiscalité des entreprises et des plus riches vers les classes moyennes et populaires. Sur les deux ans de Covid, grâce à un afflux de fonds publics et à l’assistanat de l’État, la Bourse a connu une envolée spectaculaire, les cinq premières fortunes ont doublé leur patrimoine et possèdent autant que les 40 % de Français les plus précaires. Les études sur l’héritage montrent que la transmission du patrimoine influent de plus en plus sur la hausse des inégalités. L’impôt ne corrige pas cette distorsion. Le patrimoine hérité joue un rôle fondamental dans la constitution de profondes inégalités « dynastiques » de patrimoine.
3 Enquête European Social Survey