Face à la montée de la contestation, la solution est de s’en prendre aux corps des individus

Jeudi 14 mai, 74 gaziers et électriciens sont placés en garde à vue après s’être rendus au siège de l’Union Nationale des Employeurs des Industries Gazières (UNEMIG) pour demander l’ouverture de négociations salariales. Ils seront relâchés quelques heures plus tard. Cet événement n’est pas anodin, il stigmatise un tournant dans la gestion de la crise et de ses conséquences. Face à la situation sociale qui ne cesse de se dégrader, la tension monte. Dans la lignée de ses maitres à penser (Thatcher, Reagan et les néoconservateurs néolibéraux), le gouvernement de Nicolas Sarkozy tente le déni pur et simple de la crise. « Il n’y a pas de crise sociale » peut-on entendre ! tout juste financière… et un peu économique…. (même si le pays est en récession depuis l’automne dernier).
Manque de chance, l’effet placébo ne suffit pas pour améliorer le quotidien des 3000 nouveaux chômeurs qui pointent chaque jour en plus, et des millions d’employés du libéralisme que l’on presse et l’on serre quotidiennement dans d’un système capitaliste qu’ils n’ont pas choisi et qui fait d’eux ses esclaves, qu’ils soient cadres ou non. Notons que l’Allemagne a tiré ses derniers jours le premier prix du « déni de crise » : à savoir la suspension des dettes jusqu’en 2015 ! Formidable ! Elles n’existent tout simplement plus ! Et la bourse Allemande a salué la nouvelle par une très belle remontée…

Comprenons que ce réflexe de déni est symptomatique. Il n’est pas un élément isolé, unique. Il est un indice montrant la fin d’un système. Mais face au mécontentement, le gouvernement escalade d’un cran ses méthodes et emploie désormais la pression physique. Comme la mobilisation monte et ne faiblit pas (pire ! elle se généralise), il s’agit donc d’attaquer l’individualité, l’intimité de la personne isolée : c’est à dire son corps. C’est sur ce terrain qu’il y a possibilité de briser un individu et de criminaliser les actes de résistance. De fait, les gardes à vue vont se multiplier. Notons que parallèlement, depuis le début de la crise, nombre de cadres paient le prix de leur servilité au système, et se font retenir dans les locaux de leurs entreprises par des employés moins bien lotis qu’eux. Là encore… symptôme…

L’escalade est symptomatique d’une crise structurelle généralisée

Que constater ? Que la situation a franchi une étape, et que face à une crise économique, sociale, individuelle et écologique (qui elle aussi n’existe pas pour la ministre déléguée à l’écologie…), le corps, longtemps un tabou même s’il était parfois une cible, devient agressé, et que cette agression est en passe de devenir «  usuelle », «  normale », c’est à dire… «  légitimité ». Ce pas supplémentaire dans la gestion de la crise prouve deux choses : d’abord que l’état de souffrance est supérieur à ce qu’il a pu être par le passé ; mais également – et ce point est fondamental ! – que la gravité et la généralisation de la situation de crise, dans laquelle le système capitaliste s’enfonce, signe une crise structurelle, qui n’aura pas de retour et il rentre dans une crise dont la violence n’aura d’égal que l’importance du déni accumulé, donc de la dette contractée.
Cette crise est un tournant parce que le paradigme bourgeois, qui orchestre l’ère industrielle depuis 200 ans, est une névrose pure et simple : son système (le capitalisme) vit à crédit ! Il fabrique de l’argent sur de la dette. Pour se perpétuer et combler ses dettes, il en fait contracter davantage aux individus (c’est tout le principe des fameux «  subprimes »). Pour cela, le système doit produire toujours et encore davantage, mais non ce qui est nécessaire (des logements, des médicaments, etc.), mais du superflu, de la mode, de l’instantané jetable (qui oblige donc à racheter…). D’où le culte du productivisme.
Nous avons donc une situation hallucinante où jamais les taux de productivité n’ont été aussi élevés, et où jamais nous n’avons produit autant de superflu, privant des millions d’individus du nécessaire afin d’entretenir un système qui s’auto-dévore ; mais qui, avant de sombrer, tente de faire payer ses dettes au prix des vies des millions d’individus qui le subissent. Ce système ne nous offre aucune possibilité de vivre heureux.

Union dans le mouvement social : l’enjeu doit être une source d’audace et non un frein !

Au lendemain des grandes manifestations du 1er Mai, l’union syndicale s’est réunie le 4 Mai pour décider des suites à donner au mouvement, et au sortir, les propositions sont maigres : deux journées unitaires d’action, les 26 Mai et 13 Juin. Malgré la mobilisation record, «  rien de plus… ? ! » pourrait-on demander !
Mais comprendre cet attentisme nécessite un constat qui se place dans le contexte de la crise structurelle que nous vivons. Face à cette situation de crise, Nicolas Sarkozy, en néo-libéral forcené, ne garde qu’un seul objectif : continuer sa politique de contre-réformes, comme il l’a annoncé lors de son discours de Saint Quentin. Le président a réaffirmé que la crise permettait de faire des réformes « plus avancées » : c’est bien le pire qui se prépare. Cette culture du monde et de la vie est basée sur l’accumulation et le gain forcené, au prix de l’anéantissement du tissu social, la lutte et la méfiance généralisée, l’individu jetable, l’agressivité comme règle de base entre les citoyens. Tout cela pour la seule finalité du paradigme bourgeois : la rentabilité financière. La traduction de cette conception du monde ne fait aucune place à la santé publique, à la protection sociale, à l’école publique, l’université, la recherche, qui ne sont considérés qu’en tant que futurs marchés à rentabiliser ; le droit du travail, le statut de fonctionnaire ou les cotisations sociales, comme des archaïsmes à éliminer. Dans cette vision ultra-violente pour les individus, le capitalisme tentera de se maintenir au delà de la crise actuelle.
Il faut reconnaître aux directions syndicales d’avoir pleinement pressenti le cataclysme qui est en route. Et c’est pourquoi, depuis 1948, aucune union syndicale de cette ampleur n’a été menée sur une aussi longue période. Ceci est un élément clé qui montre à lui seul la prise de conscience quant à la gravité de la situation : sans union, c’est la fin.
Il y a donc un réel effort pour maintenir l’union. Mais l’union ne garantit pas la réussite ! puisque pour réussir, il faut revendiquer ; et pour revendiquer, il faut comprendre le monde actuel. Et c’est bien là où le bas blesse…

Le passéisme dans l’analyse globale

Malgré la force considérable dont ils disposent, les dirigeants syndicaux sont aphones, frigorifiés et timides dans leur initiatives (certains diront qu’ils ont hâte que les vacances d’été arrivent…). Ceci ne s’explique pas uniquement par la peur de briser l’union syndicale, car pour agir encore faut-il être en mesure de penser le réel, de le comprendre, de l’analyser, afin de produire des actions, des objectifs, des revendications, des sorties du système. Or, la quasi totalité de ces dirigeants a été formée à l’école des trente glorieuses. Mais ce monde n’existe plus et nous avons besoin d’outils adéquates pour répondre à la crise qui est la notre, celle qui se déroule en 2009 !

Construire l’unité passe par une vision globale

Si l’on ne peut que regretter la désunion politique de la gauche de gauche, un élément important à constater est que, même divisée, la gauche de gauche talonne le PS montrant bien là qu’il y a une réelle dynamique pour renverser l’équilibre des forces au sein de la gauche puisque jamais ces partis n’ont atteint une telle importance dans les sondages. Mieux ! Le Front de Gauche est en passe de dépasser le NPA dans les sondages, illustrant par là, qu’auprès des citoyens, la dynamique d’union est bien celle qui est soutenue.

Une crise est une opportunité de changer les modes de pensées, les repères, car elle presse les esprits à s’ouvrir à la nouveauté. Aucune unité politique majeure (c’est à dire propre à changer durablement la société) ne verra le jour sans une vision globalisante, embrassant la totalité du système, donc s’inscrivant dans son dépassement pur et simple. Une telle globalisation doit s’ancrer dans une analyse historique comprenant l’émergence et les fondements du paradigme du capitalisme pour mieux le combattre et mettre un terme à son hégémonie sur les vies humaines. Une telle vision globale doit permettre la sortie du capitalisme, car il n’y aura pas de renouveau dans cette volonté claire et affirmée de mettre fin à un système qui ne fonctionne que sur le principe d’une dette qui ne peut que s’accroître et qui ne se paie qu’aux prix des vies humaines et de la destruction de l’écosystème.

De fait, il faut cesser d’être timoré, donc de penser avec les outils que le capitalisme inculque. Il enseigne l’humilité, la retenu face à l’inconnu ? Il nous faut oser, comme la Guadeloupe l’a fait ! Il nous enseigne ses repères dans la lignée des trente glorieuses ? Nous devons les dépasser. Car l’ultime danger est dans le règne de l’immédiateté car la crise nous oblige à voir loin au moment où nous sommes les plus contraints. Plus nous nous limiterons au terrain de la seule revendication immédiate, plus nous serons vulnérable pour l’avenir. La crise nous oblige non seulement à revendiquer pour le quotidien, mais dans le même temps, elle nous oblige à nous projeter pour imposer notre refus de poursuivre plus avant ce système. Sans cette projection, le capitalisme, en dernier ressort, s’imposera par la force. Et Nicolas Sarkozy en sera le pion zélé…
Les trente glorieuses nous ont appris la séparation entre syndicat et politique ; le courage est de pousser partout où cela est possible en faisant fi des séparations héritées. Le capitalisme se dit incontournable ! Le courage est de s’auto-organiser partout où il est possible de créer la résistance au système. Pour le logement, pour la nourriture, pour les soins, notre valeur est dans notre capacité à créer une contre culture, donc à sortir concrètement de ce système. Sur tous les plans, en tant qu’individu et citoyen, la crise nous rappelle que l’audace doit être le fondement notre fierté.