Nouveau paysage du syndicalisme : on subit ou on agit ?

Les élections de décembre 2018 ont bouleversé les rapports des forces. Résultat concret : l’accord sur l’égalité hommes-femmes non signé par les syndicats revendicatifs (qui avant ces élections étaient majoritaires) devient un accord légal puisque les syndicats revendicatifs deviennent minoritaires après ces élections !
Premier enseignement : pour la première fois de l’Histoire de France, le nombre des votants dans des élections professionnelles de la fonction publique est passé en dessous de la barre des 50 %. Avec un temps de retard, les élections professionnelles connaissent un accroissement de l’abstention comme dans les élections politiques. Nous espérons que le mouvement syndical revendicatif, comme les organisations politiques de transformation sociale et politique, étudieront sans langue de bois les causes à la fois du recul des votants et de leur recul dans les votes exprimés.
Deuxième enseignement : la CFDT devient le premier syndicat français aussi bien dans le privé que dans tout le salariat (secteurs privé et public confondus).

Nos pistes d’explications

Plus les travailleurs en colère se détournent du mouvement syndical, plus les syndicats de complaisance avec le mouvement réformateur néolibéral progressent dans le corps des votants. Plus les citoyens qui ont intérêt à la transformation sociale et politique se détournent des organisations politique de gauche, plus l’union des droites progresse dans les suffrages exprimés (aujourd’hui LREM+LR+ extrême droite est supérieur à 70 % des votants) !
Là encore, le mouvement syndical revendicatif en recul doit se poser la question des causes de ce recul. Notre piste pour y répondre provient de la constatation que la moitié des ouvriers et des employés qui ne votent plus, les couches moyennes déclassées et de plus en plus de travailleurs de la France des zones périphériques et urbaines, ceux-là même qui forment la base du mouvement des « gilets jaunes », se sont détournés du mouvement syndical revendicatif et donc le syndicalisme de complaisance devient l’interlocuteur du gouvernement néolibéral. Si le mouvement syndical revendicatif ne rompt pas avec le « syndicalisme rassemblé sur les bases de la CFDT » qui a fourni les plus petites mobilisations de l’histoire de France en 2018 (les « randonnées pédestres » du 22 mai, du 9 octobre et du 1er décembre), les mêmes causes produisant les mêmes effets, la « descente aux enfers » continuera ! À noter que le syndicalisme rassemblé des 9 organisations de retraités n’a rien obtenu alors que les gilets jaunes ont obtenu un recul de la ponction de 1,7 point de la CSG entre 1200 et 2000 euros de retraite ! La présence de nombreux retraités chez les gilets jaunes montre que cette intersyndicale des retraités peut passer de la campagne d’opinion à la campagne d’actions.
Nous sommes des militants de ces organisations syndicales revendicatives qui interviennent régulièrement à l’intérieur de nos organisations pour un syndicalisme plus offensif et surtout qui doit s’élargir aux travailleurs ouvriers et employés qui ne votent plus de la France périphérique et qui souffrent du phénomène de gentrification, aux couches moyennes en voie de déclassement, etc. Oui, nous travaillons en réseau pour la convergence des luttes entre le mouvement syndical revendicatif et les gilets jaunes malgré toutes les difficultés que cela entraîne.

Un peu de résultats électoraux dans la fonction publique

– La participation des salariés de la fonction publique (aujourd’hui 5 127 172 agents) est passée de 54,6 % pour les élections 2008-10-11 à 52,8 % en 2014 et 49,8 % en 2018.
Alors, on débat sur les causes ou pas ?
– La CFDT, malgré son recul de 0,3 % dans la fonction publique (19,3 % en 2014, 19 % en 2018) ravit la première place, secteur privé et secteur public confondus, à la CGT qui elle, malgré le fait qu’elle reste première organisation de la fonction publique, recule beaucoup plus (23,1 % en 2014, 21,8 % en 2018).
– FO est également en recul : elle obtient 18,1 % contre 18,6 % en 2014.
– L’UNSA et la FSU progressent légèrement grâce à leur déploiement en dehors de leur base de départ, malgré leur recul commun dans le monde enseignant qui est leur base principale, car ils se développent pour la FSU dans les fonctions publiques territoriales et dans certains ministères (agriculture, culture, jeunesse et sports, écologie, CDC, Pôle emploi, Institut de France et académies) et pour l’UNSA dans certains ministères (agriculture, armées, finances, intérieur et écologie), à la CDC, au Conseil d’État, à la Cour des comptes, la Poste, la Grande Chancellerie de la légion d’honneur et dans les fonctions publiques hospitalières et territoriales. Cela donne en tout : l’UNSA passe de 10,4 % en 2014 à 11,2 % en 2018 et la FSU de 7,9 % en 2014 à 8,7 % en 2018.
– Pour Solidaires, le recul n’est pas négligeable : ce syndicat obtient 6,3 % contre 6,8 % en 2014, avec une baisse dans certains de ses points forts comme dans la fonction publique de l’État (sauf aux finances où il y a une tradition plus corporatiste en continuation de l’ancien SNUI), à la Poste et chez Orange. Le maintien de positions communautaristes à la tête de l’Union syndicale Solidaires, l’incapacité à déborder le cadre du pseudo syndicalisme de rassemblement des organisations traditionnelles lors des conflits sociaux, la priorisation de nombreux permanents SUD dans des structures sociétales et non syndicales restent des pistes d’explication de ce recul.
– L’évolution sociologique est aussi à ne pas négliger – au même titre qu’il est plus difficile de se syndiquer et militer dans des organisations syndicales combatives. En effet, l’augmentation du nombre de cadres et la baisse du nombre d’agents de “premier et second collège” (catégories B et C), l’externalisation et la sous-traitance de nombreux métiers et services (nettoyage, blanchisserie, réseaux, etc.) sont davantage favorables à certaines organisations syndicales et sont aussi une explication.
À noter que nous voyons le résultat de l’éclatement de la FEN qui produit un recul régulier des deux fédérations de l’enseignement qui en sont issus (FSU 34,9 % et 21,6 % pour l’UNSA toujours en tête dans le ministère de l’Éducation nationale) au profit de syndicats de droite, de FO, de la CGT, de la CGC.
La CFTC continue de régresser et passe de 3,3 % en 2014 à 2,9 % en 2018. Cela va être de plus en plus dur pour les néolibéraux de maintenir cette organisation toujours considérée par elle comme représentative de l’ensemble du monde du travail !
La CGC avec sa spécificité progresse légèrement de 2,9 % en 2014 à 3,4 % en 2018.

Conclusion provisoire

Piste 1 : Il nous faut plus de débats où les idées critiques ne soient pas étouffées par l’extrême bureaucratisation du mouvement syndical.
Piste 2 : Revenir aux conditions de Condorcet de la démocratie qui demanderaient une refondation syndicale avec une dose plus importante de démocratie directe et de possibilité d’intervention des bases organisationnelles vis-à-vis des élus représentatifs.
Piste 3 : Fédérer le peuple demande de fédérer préalablement le salariat (voir notre piste d’explications ci-dessus).
Piste 4 : Le syndicalisme doit marcher sur ses deux jambes, à savoir intervenir plus auprès des salariés dans l’entreprise et au bureau (et donc ne pas aller à toutes les réunions facultatives dites de concertation et de dialogue social) mais renforcer aussi les structures interprofessionnelles locales pour revenir aux pratiques des anciennes bourses du travail.
Piste 5 : La défense et la promotion pour les salariés de leurs sphères de constitutions des libertés (école, services publics, Sécurité sociale) doivent être pris en charge par les structures syndicales interprofessionnelles et non pas par les fédérations professionnelles qui, elles, doivent défendre les intérêts matériels et moraux des salariés de leur branche avec une vision de l’intérêt des usagers et des biens communs.
Piste 6 : Formation des militants d’une part et éducation populaire refondée pour tous les usagers de la sphère de constitution des libertés doit être une des tâches centrales des structures interprofessionnelles syndicales.
Piste 7 : Les structures confédérales ou les unions syndicales du mouvement syndical revendicatif pourraient agir pour une refondation syndicale plus démocratique et moins éclatée. Ou dit autrement, moins de bureaucratie, plus de démocratie et enfin rassembler le mouvement syndical revendicatif.
Piste 8 : Moins de sectarisme mortifère et plus de rassemblement des forces revendicatives en structures plus démocratiques comme alternative au syndicalisme rassemblé en cartels (donc moins démocratique !) sur les bases de la CFDT.