Quelle agriculture pour aujourd’hui et demain ?

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Le Salon International de l’Agriculture s’est tenu du 22 février au 2 mars 2025. À présent que la frénésie médiatique s’est assagie, il convient de revenir sur le fond : la situation de notre agriculture, des paysans qui la font vivre, voire survivre, et la pérennité de l’approvisionnement alimentaire de notre pays et de sa souveraineté.

Un contexte ultralibéral mortifère

La pensée ultralibérale considère la production alimentaire comme n’importe quel produit qui doit dégager une rentabilité importante pour les géants de l’agro-industrie. Pour cela, la spéculation mortifère pour ses acteurs règne en maître pour faire monter ou baisser les prix payés aux paysans ou les salaires versés aux ouvriers agricoles. Du moment que la rente est assurée, ceux qui organisent la bourse alimentaire ne se préoccupent guère d’assurer la sécurité alimentaire des peuples. N’en déplaise aux tenants du libre-échange dérégulé, la nourriture n’est pas un bien comme un autre, c’est un bien de première nécessité auquel tout un chacun doit pouvoir accéder, quelle que soit sa situation de fortune.

L’agroécologie meurtrie

Après une courte période au cours de laquelle, sous l’impulsion du ministre de l’Agriculture de 2012 à 2017, la trajectoire productiviste et mortifère était corrigée dans le bon sens, la loi EGalim 1(1)La Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, définitivement votée le 2 octobre 2018 à l’Assemblée nationale, a été promulguée le 1er novembre 2018. Cette loi est issue des États généraux de l’alimentation (EGalim), engagement du Président de la République, qui se sont déroulés du 20 juillet au 21 décembre 2017. Lien : https://agriculture.gouv.fr/egalim-1 /. représentait une avancée pour concilier l’écologie et l’économie, pour concilier la préservation de la biodiversité sans laquelle la fertilité des sols est compromise et l’équilibre financier des activités agricoles. Cet équilibre financier doit assurer à nos paysans de pouvoir vivre dignement de leur travail et surtout d’être protégés des concurrences déloyales.

L’orientation gouvernementale actuelle s’engouffre dans la suppression des normes pour satisfaire certains agriculteurs, les lobbies de l’agro-industrie et la FNSEA. Ce faisant, les chantres de la mise à l’écart de toute réglementation jouent, si nous pouvons qualifier une telle attitude de jeu, contre les intérêts à long terme du monde agricole en particulier et, ce faisant, de l’humanité en général dans sa capacité à vivre en harmonie avec la nature.

Au prétexte de répondre à la détresse paysanne bien réelle, aux multiples drames que vivent nos paysans, la loi d’orientation agricole envisage une aide à la reprise d’exploitation et pour faire face au surendettement. Cela va dans le bon sens. Cependant, dans la foulée, la sanction des pollueurs et empoisonneurs par les tribunaux devra reposer sur la preuve de l’intentionnalité de l’infraction. Autant dire que c’est un recul dans la capacité à sanctionner et dans la prise en compte de l’intérêt général humain dont fait partie celui des travailleurs de la terre.

L’affirmation gouvernementale selon laquelle « les politiques publiques concourent à la souveraineté alimentaire » relève de la tartufferie.

Haro sur les normes et miroir aux alouettes

Sous la houlette du syndicat dominant FNSEA et d’autres courants conservateurs, les agriculteurs condamnent les normes écologiques et les diverses régulations mises en œuvre pour préserver les haies existantes et en créer d’autres, pour limiter l’usage de pesticides de synthèse et l’emploi d’engrais chimiques. Toutes ces mesures visent à préserver la biodiversité, la santé des paysans et celle des consommateurs.

Certes, ces normes mettent en porte-à-faux le monde agricole au regard de l’agriculture mondiale, qui se moque des règles sanitaires ou d’autres pays européens moins rigoureux en la matière. C’est là toute l’hypocrisie des pouvoirs publics français qui imposent, à juste titre, une agriculture plus vertueuse et, dans le même temps, acceptent l’entrée dans notre pays de produits issus de pratiques non respectueuses de l’environnement, des animaux et des êtres humains.

Remettre en cause les normes relève du miroir aux alouettes. Cela paraît séduisant pour assurer une production au moindre coût afin de faire face à la concurrence déloyale, mais s’avère une illusion, une tromperie. C’est l’agriculture durable qui est remise en cause, car l’agro-industrie rend les terres moins fertiles à terme et compromet à longue échéance la capacité à nourrir l’humanité.

La question des normes et le principe « miroir »

Le monde agricole rechigne donc aux normes, à l’inflation de normes, souvent à juste titre. La régulation, voire la réglementation, est légitime. Cependant, il faut distinguer ce qui paraît relever des tracasseries administratives, qui limitent l’autonomie du paysan dans sa pratique et qui peuvent même empêcher toute innovation, et ce qui concourt à préserver la fertilité des sols, la biodiversité des sols, l’équilibre en microorganismes, en bactéries indispensables à la bonne santé des plantes et à leur bonne croissance. Il faut aider le monde agricole à sortir de l’addiction aux engrais chimiques, aux pesticides, aux insecticides, aux herbicides. Ils sont déjà un certain nombre à s’être engagés dans cette voie.

Un gouvernement réellement soucieux de ses paysans et de la souveraineté alimentaire doit élever des barrières pour préserver la qualité environnementale de la production de la nourriture.

Le ministère de l’Agriculture n’est pas le ministère des agriculteurs, il est celui de la souveraineté alimentaire ou devrait l’être. Dans cette optique, toute orientation doit se penser sans être soumise aux lobbies de l‘agro-industrie, des grands distributeurs qui agissent en prédateurs pour préserver des rentes de situation afin de générer des rentabilités financières exorbitantes. Toute orientation cohérente doit associer à la réflexion les paysans eux-mêmes et ne pas aller contre l’intérêt général. Un gouvernement réellement soucieux de ses paysans et de la souveraineté alimentaire doit élever des barrières pour préserver la qualité environnementale de la production de la nourriture. C’est tout l’objet du principe miroir : interdire l’entrée de produits non respectueux des règles environnementales et sociales appliquées par nos paysans.

Le localisme, une solution envisageable ?

À rebours des ultralibéraux, pour qui le mot souverainisme et la version « localiste » pour l’agriculture seraient un repli sur soi, l’autarcie, la fermeture, le localisme est une volonté de favoriser les capacités d’action locale. Le localisme vise à libérer la production agricole de la soumission à une logique de profit délétère pour les êtres humains et la nature au travers de la consommation sans conscience, des échanges internationaux sans limites, des transports de marchandises générant des gaz à effet de serre, des délocalisations. Entre travailleurs des industries et travailleurs des champs, entre campagnes et villes, c’est un même combat. Le localisme apparaît comme un moyen pertinent pour privilégier l’achat et la consommation de denrées produites à proximité et court-circuiter les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs. Cela permet une rémunération plus juste des paysans, un prix allégé à la vente.

Localisme et création d’emplois

Il est souvent affirmé que l’intelligence artificielle, la robotisation supprime des emplois et en supprimera massivement. C’est certain. L’agriculture paysanne, l’agroécologie est potentiellement un secteur de création d’emplois par millier. Elle exige de la main-d’œuvre formée et en nombre. Construisons un modèle social qui permette de vivre dignement dans les campagnes, dans les champs. Nous assisterons peut-être au phénomène inverse de l’exode rurale issu de la mécanisation vers les usines en manque de main-d’œuvre.

Nous vivons une période qui va manquer de bras dans les champs. Ces dernières décennies ont vu la prééminence d’une agriculture intensive peu exigeante en main-d’œuvre comme le blé, l’élevage intensif, le maïs… Le maraîchage, l’arboriculture ont été délaissés. Il faut absolument créer les conditions de vie, de travail qui attirent vers ces secteurs. Il faut préserver ce patrimoine que sont nos produits AOC et AOP, fleurons d’un savoir faire et d’un savoir-être emblématique de ce qu’est la France dans ce qu’elle a de meilleur et exemplaire pour le monde entier. Donald Trump entend priver les Étatsuniens de nos produits d’excellence en taxant les fromages, les vins… Par réciprocité, taxons ce que les USA exportent, et ce d’autant plus que c’est souvent l’incarnation de la malbouffe absolue et d’un mode de vie mauvais pour la santé. Notre Sécurité sociale ne s’en portera que mieux.

Combat laïque, combat agroécologique, fédérer les campagnes et les villes

Nos lecteurs savent combien nous sommes attachés à l’appel « Combat laïque, combat social, fédérer le Peuple »(2)Appel en cours d’actualisation : https://www.combatlaiquecombatsocial.net/appel-lier-combat-laique-combat-social-federer-peuple-2/.. Avec Perico Légasse(3)Marianne n° 1459 : Le gouvernement assassine l’agroécologie., nous pouvons convenir que « L’agroécologie est aux campagnes de France ce que la laïcité est à la République ». La République ne peut être fervente, pérenne et solide que si elle s’appuie sur la justice sociale, la souveraineté du peuple, la laïcité et la souveraineté alimentaire sur un mode écocompatible.

Le monde agricole doit nourrir l’humanité, pas les marchés spéculatifs, pas les marchés financiers.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, définitivement votée le 2 octobre 2018 à l’Assemblée nationale, a été promulguée le 1er novembre 2018. Cette loi est issue des États généraux de l’alimentation (EGalim), engagement du Président de la République, qui se sont déroulés du 20 juillet au 21 décembre 2017. Lien : https://agriculture.gouv.fr/egalim-1 /.
2 Appel en cours d’actualisation : https://www.combatlaiquecombatsocial.net/appel-lier-combat-laique-combat-social-federer-peuple-2/.
3 Marianne n° 1459 : Le gouvernement assassine l’agroécologie.