Le niveau de mobilisation se situe selon la CGT à plus de 300 000 manifestants à travers toute la France et 157 000 selon le ministère de l’Intérieur. Notre décompte, qui s’appuie sur un certain nombre de remontées de province, sur un décompte parisien et sur les avis de quelques hauts responsables syndicaux, serait plutôt d’environ 250 000 pour plus de 250 rassemblements, ce qui est néanmoins supérieur à l’année dernière. Mais, quel que soit le chiffre retenu, ce n’est pas à la hauteur des motifs sur lesquels reposent les appels syndicaux. Le front syndical s’étiole. En 2023, les huit principaux syndicats (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU) avaient défilé ensemble. En 2025, la CFDT et l’Unsa ont préféré se retrouver dans la matinée dans le centre de Paris pour un rassemblement et une table ronde sur le travail.
Revendications sociales
Elles s’articulent légitimement autour de la revalorisation salariale et l’abrogation de la réforme inique des retraites, ainsi que contre les fermetures d’usine comme ArcelorMittal ou Vencorex qui passe sous pavillon chinois avec des licenciements à la clé, contre la « trumpisation du monde et l’Internationale réactionnaire qui se développe partout » dans le monde, contre le racisme et la montée de l’extrême-droite comme dans l’Aude. Après Sophie Binet de la CGT, Jean-Luc Mélenchon a appelé à la nationalisation d’ArcelorMittal. De leurs côtés, Olivier Faure pour le PS, Marine Tondelier pour les écologistes et François Ruffin exigent « une intervention immédiate de l’État » au travers d’une « nationalisation temporaire ou durable » et une entrée de l’État au capital. En ce qui concerne la réforme antisociale des retraites, LFI exige le retour à 60 ans et d’autres le retour à 62 ans.
Comme à l’accoutumée, la composition des cortèges est diversifiée. Majoritairement s’y retrouvent des manifestants motivés par la défense des droits des travailleurs actifs et des retraités. S’y adjoignent, comme à Mulhouse et Nantes, des militants kurdes du PKK autour du portrait d’Abdullah Öcalan, qui a appelé dernièrement à la dissolution du parti et à déposer les armes, de même que quelques « gilets jaunes » arborant le slogan du RIC (Référendum d’initiative populaire).
Des cortèges perturbés par les « blacks blocs »
Les médias dominants insistent comme à leur habitude sur les violences perpétrées par les « blacks blocs », ces idiots utiles des partisans de la pensée unique néolibérale. Plus de 50 interpellations ont eu lieu à Paris. Pourtant, il y a lieu de faire la différence entre la présence de ces groupuscules violents et minoritaires (quelques centaines sur Paris) et les centaines de milliers de manifestants en France (dont 70 000 à Paris). Sur Paris, des élus et un stand du PS ont été pris à partie et agressés avec des propos aux relents racistes. C’est inadmissible. Quoi que l’on pense du soutien objectif du PS au gouvernement Bayrou pour lui éviter la censure, c’est Jean-Pierre Mercier (Lutte ouvrière et responsable de Sud Industrie) qui a eu raison lorsqu’il a dit sur BFM qu’« on ne règle pas des désaccords politiques à coups de poing ». À Angoulême, la manifestation qui rassemblait plus de 500 personnes a été scindée en trois parties, un cortège dit « antifas » s’étant installé au milieu de la manifestation.
Narbonne : une mobilisation d’extrême-droite non négligeable
De son côté, le RN a mobilisé dans l’Aude et a annoncé 8 000 participants (notre remontée parle de 4 000 personnes venant de tout le sud-est de la France). Il s’agit de faire oublier l’échec de la manifestation du 5 avril à la suite de la condamnation de Marine Le Pen. Dans l’Aude, département qui est passé de la gauche à la droite, puis à l’extrême-droite, tous les députés sont membres du RN. Les dirigeants du RN s’adressent aux manifestants en les qualifiant de patriotes. C’est un abus de langage, car, comme l’affirmait Jean Jaurès, un patriotisme faible qui dégénère en nationalisme xénophobe éloigne de l’esprit internationaliste et un patriotisme réel non xénophobe rapproche de la solidarité internationale. Plus on est patriote, plus on est internationaliste, et vice versa.
En face, ils ne furent que quelques centaines à se mobiliser pour marquer leur réprobation à la présence du RN dans la ville.
A Nantes, plus de 8 000 manifestants
Quelques jeunes encagoulés de type Black Block en tête de cortège avec tout l’attirail anti-CRS, puis la CNT (assez nombreux), puis gros cortège de la CGT (les plus nombreux), puis FSU, puis Solidaires, puis FO en nombre décroissant… Puis les associations Urgence Palestine (nombreuses femmes maghrébines) et l’AFPS (gros cortège), enfin les partis politiques avec LO (quelques dizaines de personnes), le PC (assez nombreux), les Kurdes du PKK avec des portraits d’Öcalan, LFI (assez gros cortège) avec à l’animation un insoumis portant une chasuble LFI-Fécamp. Avec un joyeux mélange et des gens multi-casquettes. Côté musique : excellente ambiance avec une troupe de cuivres, une troupe de percussions et une chorale de femmes en bordure de manifestation.
Puis, les groupuscules classiques : L’APRES (nouveau parti du NFP en petit comité), quelques EELV, un drapeau PS et les classiques groupuscules communistes et/ou libertaires. Absence de la CFDT et de l’UNSA. À noter, sur le cours Saint-André, quelques familles de Roms, en bordure de manif, qui appellent, à l’aide d’une banderole bien visible, à une manif de soutien le 17 mai contre l’expulsion de leur lieu de vie.
Comme s’est exprimé un manifestant « c’était la fraternité en marche et en ces temps maussades, ça faisait du bien de voir tous ces sourires d’une universelle humanité ».
Des raisons de l’atonie dans les luttes sociales
Bien malin celui qui est capable de donner les causes d’un tel désengagement dans la mobilisation. Le beau temps, quelques jours de congés grâce au pont, n’expliquent pas de façon satisfaisante cette situation. Le renoncement face à la surdité des gouvernements successifs qui persistent au maintien de la réforme des retraites malgré la colère du pays profond peut être une autre explication. La guerre en Ukraine à la suite de l’invasion russe est un autre indice. Le manque de perspective politique, la bureaucratisation, la verticalisation et la scissiparité excessives des organisations et les lignes stratégiques des organisations ne reflétant pas les désirs du peuple, sont des causes plus pertinentes, sans doute.
La répétition sans cesse réitérée dans les médias que la France ne travaille pas assez, qu’elle vit au-dessus de ses moyens, infuse les esprits. D’autres analyses ne bénéficient pas du même traitement médiatique. Ainsi, les comptes publics sont dans le rouge avec un différentiel de 5,8 % entre les dépenses et les recettes. Dans le même temps, les ménages dépensent moins qu’ils ne gagnent, soit 5,9 % du PIB. Globalement, même en adjoignant le léger déficit des entreprises, la balance totale des paiements approche l’équilibre, loin du catastrophisme ambiant.
Les informations économiques biaisées associées à une gauche qui a perdu sa boussole sociale sont des stérilisateurs de l’action militante par défaut des informations pertinentes et par effacement des pensées critiques qui permettent de penser le monde, d’analyser les conditions de vie et leurs causes réelles. Développons l’esprit de résistance !