Condamnation de Marine Le Pen : mansuétude ou sévérité extrême ?

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Le RN, avec la condamnation de Marine Le Pen, remet en cause, non pas sur le fond, la possibilité d’une victoire aux présidentielles de 2027. Sans préjuger des résultats d’éventuels recours, cette décision de justice rebat les cartes sur tout l’éventail politique et au sein du mouvement d’extrême-droite. Les ondes de cette décision se propagent jusqu’au niveau international, avec un Poutine qui se paie le luxe de donner des leçons de démocratie, le comble de la mauvaise foi. Plusieurs articles seront publiés sur ce sujet, dont les implications sont diverses et multiples. ReSPUBLICA précisera l’orientation politique, y compris sur une éventuelle dissolution.

Fondements de la condamnation

Douze ans après les premières révélations de la presse, dont Mediapart, neuf députés européens ont été condamnés en même temps que Marine Le Pen pour détournements de fonds publics et douze assistants pour recel. Plus précisément, Marine Le Pen est condamnée à quatre ans de prison, dont deux sous bracelets et deux en sursis, ainsi qu’à cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Cela implique que, si les recours n’invalident pas ce 1er jugement, notamment concernant l’inéligibilité, Marine Le Pen devra laisser la place. À qui ?

Évidemment, il n’est pas question de remettre en cause une décision de justice, même si certains attendus semblent excessifs pour justifier l’exécution provisoire avant le résultat des recours.

De fait, les magistrats dans leurs conclusions s’appuient sur la loi Sapin 2. Cette loi, votée en 2016 pour assurer un processus électoral transparent exempt de toute corruption, oblige les juges à se prononcer sur les peines d’inéligibilité en cas d’infractions. Pour autant, celle-ci n’enlève en rien le pouvoir d’appréciation du parquet.

Exécution provisoire dans un cas pas dans l’autre

L’étonnant dans cette décision de justice est l’exécution provisoire, alors que, pour les mêmes faits, Louis Aliot, maire de Perpignan, y échappe en raison de son statut d’élu local(1)La loi prévoit que l’exécution provisoire de l’inéligibilité entraîne la démission immédiate de l’élu, ce qui n’est pas le cas pour les parlementaires, par exemple. C’est donc pour « respecter » le vote des électeurs aux précédentes municipales que l’exécution provisoire n’a pas été retenue dans ce cas.. L’exécution provisoire se justifie soit en raison de l’extrême gravité sociale, soit pour éviter la récidive. Dans le cas de Marine Le Pen, la première raison n’est pas retenue et la deuxième raison, la récidive, semble improbable, de même que le risque de trouble à l’ordre public. En effet, elle n’est plus parlementaire européen et, de plus, les récents résultats électoraux assurent un financement conséquent du RN.

Les magistrats se justifient, en outre, par une appréciation morale très subjective « au regard du système de défense. Tous les prévenus contestent les faits, c’est leur droit, mais donc il n’y a aucune prise de conscience de leur part ». Il y aurait donc un risque de perpétuer un tel détournement de l’argent public. 

Il est étrange que la décision nie la présomption d’innocence et préjuge de la procédure d’appel qui pourrait invalider cette première décision de justice. C’est comme si l’exécution de la peine se réalisait avant même que les recours n’aient abouti. De plus, cette procédure ne se justifie que s’il y a risque de fuite. Ce n’est pas le cas.

Pouvoir de la justice et souveraineté du peuple

Cette décision de justice relance le débat sur le pouvoir de la justice et le respect de la souveraineté du peuple au travers du processus électoral. Pour les uns, la justice doit appliquer la loi et condamner un élu qui est un justiciable comme un autre. En effet, si le législateur ne respecte pas les règles qu’il a mises en place, considère qu’il n’a pas à appliquer les contraintes qu’il a lui-même définies, il y a un fort risque de dérive vers une sorte de pouvoir absolu comme du temps de l’ancienne monarchie. Pour d’autres, il est impensable d’empêcher un potentiel candidat qui a obtenu plus de 10 millions de voix de se présenter devant les électeurs. Ce serait aux citoyens et à eux seuls de voter ou non pour lui.

Le Conseil constitutionnel, quand il constate des irrégularités dans le processus électoral de la part d’un candidat élu, décide de l’annulation si cela a faussé la vérité électorale, mais ne prononce pas d’inéligibilité. Il renvoie devant les électeurs.

Pouvoir de la justice et gouvernement par les juges

Certains parlent de gouvernement par les juges, de démocratie des juges, de tyrannie de la justice, de « quarteron de procureurs et de juges [exerçant] la vendetta du système contre Marine Le Pen ». La justice qui applique le droit est fondée à contraindre le politique, voire à le condamner. Le danger survient lorsque la justice, dans sa pratique, se substitue à la politique et à un de ses aspects, l’élection. Est-ce le cas dans le cas présent ?

Il n’est pas concevable de mettre une cible sur le dos des magistrats, de les menacer au prétexte que leur décision ne nous convient pas. L’image dégradée de la justice, qui serait trop lente par manque de moyens, trop complaisante à l’égard de certains, trop dure, notamment à l’égard d’une partie de la population, de certains politiques… n’arrange pas les choses.

Les juges appliquent la loi et sont dans leur rôle.

Le débat tourne autour de la prééminence de l’État de droit et de la souveraineté du peuple. Critiquer une décision de justice ne signifie pas menacer les magistrats. Certains estiment que dans un État de droit, on ne commente pas une décision de justice. D’autres vont plus loin et en appellent à sanctionner ceux qui émettent des critiques en s’appuyant sur le Code pénal. Cela reviendrait à condamner Emile Zola, qui défendait Alfred Dreyfus. Il aurait fallu réprimer la grande manifestation de 1919 organisée pour protester contre l’acquittement inique de l’assassin de Jean Jaurès, dont la veuve a été condamnée à payer les frais de justice et dont l’auteur du crime a été gratifié du qualificatif de patriote.

L’omnipotence des magistrats sous prétexte d’une supposée infaillibilité est-elle signe de bonne santé démocratique ? Les exemples de Roosevelt, qui a dû combattre la Cour suprême pour réaliser le New Deal, du Conseil constitutionnel en France qui, sous des prétextes fallacieux, a rejeté l’organisation d’un référendum sur la réforme des retraites, a censuré des aspects d’une loi visant à assécher les possibilités d’évasion fiscale sous prétexte de préserver la sacrosainte liberté d’entreprise, rendent pour le moins dubitatif.

Assortir l’amende et la peine de prison d’une peine d’inéligibilité fait débat. Estimer que c’est à la souveraineté populaire de sanctionner le manque de probité réelle de Marine Le Pen ne signifie pas remettre en cause l’indépendance de la justice. Si certains considèrent que la loi Sapin 2 bafoue la souveraineté du peuple et permet de contredire le verdict des élections, alors il faut la changer pour que le peuple décide en dernier recours si un candidat doit être élu ou non.

De la justice et de son fonctionnement

Il est un principe qui dispose qu’une démocratie se caractérise par l’indépendance de trois pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Force est de constater qu’avec la 5e République et en raison du mode de désignation des procureurs, l’indépendance du pouvoir judiciaire est fragile et malmenée soit par une extrême mansuétude(2)Comme avec Jacques Chirac et les emplois fictifs ou François Bayrou, pour les mêmes raisons que dans le cas de Marine Le Pen, avec un détournement de l’emploi des attachés. ou une grande sévérité, comme dans le cas de Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy. Comment ne pas voir, à tort ou à raison, et ce, quelles que soient nos convictions politiques, une justice à deux vitesses ? En revanche, le dossier sur lequel se fondent les magistrats apparaît très solide.

Conséquences éventuelles au sein du RN

L’empêchement pour Marine Le Pen entraînera au moins une conséquence : la prévalence d’une ligne plutôt ultralibérale incarnée par Jordan Bardella. Depuis plusieurs années, Marine Le Pen, au moins en apparence, s’est attachée à donner au RN une orientation opposée à la mondialisation dérégulée prônée par son père. Jordan Bardella donne des signes visibles d’un retour aux principes économiques ultralibéraux des débuts du FN. En coulisses, les ambitions se réveillent au sein du mouvement.

FN puis RN : l’arroseur arrosé

En 1993, le FN avait pour slogan « Main propre, tête haute ». En 2013, Marine Le Pen, comme le montrent les archives de l’audiovisuel, soutenait bravement la nécessité de rendre inéligibles à vie les personnes politiques condamnées pour détournement de fonds publics. Elle est rattrapée par la patrouille. Fièrement, lors de l’affaire Cahuzac, ancien ministre socialiste, elle affirmait dans la matinale de Public Sénat, « Quand je réclame éthique et morale, je me l’applique à moi-même ». Elle dénonçait alors le manque de probité des politiques condamnés. 

Rassemblement populaire majoritaire : et la Gauche ?

Au-delà des péripéties judiciaires, la seule question qui vaut d’être posée est celle de la construction d’un vaste mouvement populaire majoritaire.

Au-delà des péripéties judiciaires, la seule question qui vaut d’être posée est celle de la construction d’un vaste mouvement populaire majoritaire. La Gauche va droit dans le mur électoral. Elle a réussi, grâce au Nouveau Front Populaire proposé par François Ruffin, à sauver les meubles et même à devenir un ensemble majoritaire parlementaire à l’Assemblée nationale, bien que cet ensemble apparaisse de plus en plus hétéroclite. Ce fut une sorte de victoire à la Pyrrhus qui se paie cher du fait des divisions internes. La Gauche est-elle en mesure de jouer le rôle de ciment d’un mouvement populaire d’ampleur ? La situation actuelle pousse au pessimisme, tant les divisions sont grandes entre une tendance complaisante à l’égard des revendications identitaires et communautaristes, une tendance fédéraliste et atlantiste (moins depuis l’élection de Donald Trump) pour une Europe ultralibérale, une tendance contre les souverainetés des peuples qui considère qu’il n’y a pas de démocratie contre les traités européens, une tendance wokiste qui divise le peuple au lieu de le rassembler, une tendance qui abandonne les classes populaires des campagnes pour ne s’occuper que des classes populaires des villes et des banlieues.

Le Front de Gauche puis LFI en 2017, semblaient pouvoir représenter la colonne vertébrale d’un rassemblement populaire majoritaire. Las, les dérives de la direction LFI ont sabordé cette perspective enthousiasmante. Quel gâchis et surtout quelle trahison des intérêts des classes populaires, ouvriers, employés, paysans, classes moyennes inférieures pécuniairement parlant…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La loi prévoit que l’exécution provisoire de l’inéligibilité entraîne la démission immédiate de l’élu, ce qui n’est pas le cas pour les parlementaires, par exemple. C’est donc pour « respecter » le vote des électeurs aux précédentes municipales que l’exécution provisoire n’a pas été retenue dans ce cas.
2 Comme avec Jacques Chirac et les emplois fictifs ou François Bayrou, pour les mêmes raisons que dans le cas de Marine Le Pen, avec un détournement de l’emploi des attachés.