Partira, partira pas ? De la pensée magique en politique

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L’actualité politique française semble être des plus agitées et de cette agitation naissent de fols espoirs ou craintes. Et si Emmanuel Macron, devant sa marginalisation et son impuissance, décidait de lâcher les commandes ? Resterait-il un pilote dans l’avion et, dans l’affirmative, qui prendrait lesdites commandes ? Certains rêvent d’une politique enfin de gauche radicale, après des décennies d’alternances sans alternatives, d’autres caressent l’espoir – le cauchemar des autres – de l’arrivée du RN au pouvoir. Bref, les turbulences que traversent les institutions de la Ve République semblent rouvrir l’espace des possibles. C’est précisément l’hypothèse inverse que nous soutenons dans ce billet informé par la science politique.

Et si l’impensable devenait possible ?

Démissionnera, démissionnera pas ? La question anime le Landerneau politique et particulièrement les chaînes d’information en continu, mais aussi les conversations politiques ordinaires. Les prises de position de ténors de la politique se multiplient, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, en passant par Dominique de Villepin ou même un homme réputé pour sa modération et sa pondération, Charles de Courson. Les raisons invoquées, dans un sens comme dans un autre, sont des plus disparates. Certains avancent « l’esprit gaullien des institutions » : il est inimaginable, si l’on fait de l’histoire contrefactuelle, qu’un Général de Gaulle ne démissionne pas après trois revers électoraux cinglants, lui qui fit le choix de partir après un « modeste » référendum sur la régionalisation. D’autres évoquent le capital politique épuisé du chef de l’État : de fait, on n’a jamais vu de gouvernements aussi minoritaires sous la Cinquième République. Après des rounds interminables de concertation, parfois de négociation, d’abord à l’Élysée, puis à Matignon, on se récrie : « chérie, j’ai encore rétréci mon socle ! ».

Force est de constater que les scansions de l’actualité politique tournent au burlesque. Les « verrous » sautent les uns après les autres tant le monde ne se bouscule pas au portillon pour se perdre dans le crépuscule macroniste : des candidats à la députation perdants sont nommés ministres, un nouveau Premier ministre – le quatrième en un an avec une durée de vie qui tend asymptotiquement vers zéro – ne trouve rien de mieux que de relancer le débat sur le cumul des mandats, des troisièmes couteaux sortis d’on ne sait où deviennent ministres et même, cerise sur le gâteau, on voit revenir des zombies comme Manuel Valls qui, la main sur le cœur, avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus. Misère de la professionnalisation de la politique à outrance qui fait, elle, très Cinquième République.

Les sondeurs ont, quant à eux, beau jeu de montrer, chiffres à l’appui, l’abîme de la popularité d’Emmanuel Macron et la dureté du jugement des Français sur son « bilan » qui ressemble à un énorme passif. On serait bien en peine de mettre quelque chose à l’actif tant le pays vole de crise en crise depuis son avènement en 2017 (rappelons qu’il est au pouvoir, avec des postes divers, mais toujours éminents, depuis 2012). D’autres encore évoquent bien évidemment l’empêchement – au sens de l’impeachement nord-américain – du chef de l’exécutif au regard de la fragmentation de l’Assemblée nationale où, désormais, on chante « tu me tiens par le 49.2 et les motions de censure, je te tiens par le 49.3 ». On le presse de se « mettre en retrait » au profit d’un parlementarisme enfin retrouvé. Rappelons que, contrairement à une idée reçue, il n’existe aucun pré carré de la présidence de la République, mais seulement une coutume qui veut que ce soit le Président qui mène la politique étrangère de la France. C’est bien le gouvernement qui « détermine et conduit et la politique de la Nation ».

Les chiens de garde se déchaînent

Dans le camp adverse, les raisons pour appeler au maintien en place de Macron ne sont pas moins éclectiques et vont de la psychologie à la hussarde à des opinions politiques de droite grimées en « impératif de stabilité des institutions ». Le camp de l’ordre contre la chienlit gauchiste. Disons-le de suite, nous ne sommes guère friands du psychologisme, même si le récent livre de Marc Joly offre des éclairages intéressants mêlant considérations psychologiques (la perversité narcissique d’un Macron) et éclairages sociologiques(1)Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024.. Dans cette optique, Emmanuel Macron ne partira pas, car il serait foncièrement « pervers », enclin au déni de réalité et au rejet de la responsabilité de ses propres choix sur les autres, à commencer par le peuple français qui n’aurait pas bien compris le sens de la dissolution. Il est bien connu que, lorsque l’on n’obtient pas le résultat souhaité par les urnes, il convient de dissoudre le peuple.

Au reste, les récentes déclarations du chef de l’État semblent conforter cette lecture : il faudra encore le supporter dans les trente mois qui viennent et il n’y aura pas de nouvelle dissolution en juillet, seulement un ou deux référendums si l’on a bien compris l’oracle lors de ses vœux. Non qu’Emmanuel Macron ait enfin compris la différence entre monarque (dont les pouvoirs n’étaient, au passage, pas si absolus que cela) et Président de la République, mais tout simplement parce que de nouvelles législatives amèneraient une majorité écrasante pour le RN.

Mais peut-être est-il assez pervers pour souhaiter une cohabitation avec Jordan Bardella, dont les idées ne sont finalement pas si éloignées des siennes. L’aporie de ce type de lecture de l’actualité politique est qu’elle est infalsifiable, en plus, nous allons y revenir, de résumer la vie politique à un théâtre où s’agitent des acteurs dotés de caractères singuliers. Non, s’il y a perversité, elle est toute politique et concerne les responsables (?) politiques de droite qui cherchent, en invoquant la nécessaire « stabilité des institutions », à justifier la continuité, pour ne pas dire l’accélération, de l’orientation néolibérale des politiques publiques. Après tout, que pèse le Parlement où s’affrontent trois blocs, face à un Président élu au suffrage universel direct en 2022 ?

Ils oublient de mentionner, ce faisant, quelques menus détails : malgré le « barrage républicain », Marine Le Pen a fait au second tour 42 % des votes. Il avait d’ailleurs déclaré le soir de son élection que ce résultat l’engageait, comme il engageait Jacques Chirac un soir de mai 1995… Dans les deux cas, on a vu ce qu’il est advenu : le barrage républicain a été piétiné. Jacques Chirac, une fois élu, a nommé Alain Juppé Premier ministre, qui s’est empressé d’adopter une politique austéritaire qui devait déclencher le plus grand mouvement social de l’après-guerre jusqu’à celui contre la réforme des retraites (encore une fois !) remise sur le travail une fois la crise du Covid passée. Dans les deux cas, c’est une note de la direction du Trésor qui a poussé à la dissolution.

Le Prince se pousse du col

En effet, nous donnons trop de crédit au bon vouloir du Prince qui, il faut le dire, aime se pousser du col en revendiquant, tel un garnement, qu’il a jeté une « grenade dégoupillée dans les jambes » de ses adversaires politiques en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale le soir de sa défaite aux législatives. C’est en partie la rationalisation ex post, comme aiment à dire les économistes, d’une décision qui, on le sait depuis longtemps en science politique, une coproduction.

Dans les coulisses, Bercy, qui fait partie du complexe budgétaro-financier européen (BCE, Commission, Cours des comptes européennes et françaises, organismes nationaux divers préoccupés par les finances publiques des États membres) s’est agité pour que son homme lige d’inspecteur des finances s’emploie à trouver une solution politique à la potion amère des soixante milliards d’économies à réaliser dans les PLFSS et PLF 2025. Emmanuel Macron a donc fait le pari suivant : en dissolvant, il aurait profité des bisbilles de l’ex-NUPES pour en décrocher une partie, en particulier le PS, et l’arrimer nolens volens au « bloc central ». De là, l’invention ad hoc du fameux « arc républicain » à géométrie très variable visant à marginaliser LFI et le RN. Pari perdu, car la direction du PS sait que, si elle agit de la sorte, le parti sera rayé de la carte en 2027, d’autant plus qu’il compte ce qu’il reste des partisans de François Hollande qui doivent penser à la vengeance et pas seulement en se rasant.

L’ex-NUPES a donc accouché, contre les attentes de Macron, du NFP ruinant de ce fait l’ambition d’élargir la majorité parlementaire afin de faire passer la potion austéritaire. De ce point de vue, Macron est plus agi qu’il n’est acteur : il est l’un des protagonistes, certes central, d’un système d’acteurs qui, on va le voir, n’est pas uniquement national. En 2024, comme en 1997, la rationalité de l’élite stato-financière, pour reprendre l’expression forte d’Emmanuel Todd, s’est heurtée à la volonté populaire qui, quoi qu’en disent les commentateurs, est majoritairement opposée à l’austérité sociale, les préoccupations des électeurs de gauche n’étant pas si éloignées sous ce rapport de celles de la composante populaire du RN, comme l’a bien montré le sociologue Félicien Faury(2)Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Paris, Seuil, 2024. Il faudrait mener néanmoins une discussion serrée de ce livre, en particulier de la juxtaposition qu’il opère entre préoccupations sociales et racisme (« ethnique », le seul qui semble préoccuper la nouvelle génération de chercheurs, bien moins sensibles au racisme social et de l’intelligence qui a cours dans la petite bourgeoisie intellectuelle).. Le bloc bourgeois a, en effet, tout intérêt à attiser, avec ses inventions sémantiques, l’opposition entre classes moyennes, dont une fraction importante, connaît un déclassement notable, et les catégories populaires afin de dérouler son agenda néolibéral. Ayant perdu la première manche, Emmanuel Macron a persévéré dans sa stratégie en organisant des rounds de concertation, espérant toujours décrocher une partie du PS et briser les reins du NFP, là encore sans succès. La chute du gouvernement Barnier a sanctionné l’échec de cette stratégie du chaos : le NFP et le RN ont voté de concert la motion de censure. Nous sommes donc repartis pour un tour, ou plutôt des tours de table, d’abord à l’Élysée, puis à Matignon sous la houlette de François Bayrou afin de parvenir au succès éclatant d’un gouvernement à l’assise encore plus restreinte et à l’avenir encore plus incertain.

Nous verrons la semaine prochaine que ces gesticulations politiciennes semblent vaines, pour ne pas dire pathétiques, lorsque l’on replace la décision politique dans le faisceau de contraintes qui s’exercent sur le niveau national. Au fond, l’on pourrait résumer le propos en disant que nous élisons moins un Président de la République que le Gouverneur d’une Province intégrée à un empire, ce qui ne manque pas de relativiser l’importance du départ ou du maintien d’Emmanuel Macron à la tête de l’exécutif. À suivre donc.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024.
2 Félicien Faury, Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite, Paris, Seuil, 2024. Il faudrait mener néanmoins une discussion serrée de ce livre, en particulier de la juxtaposition qu’il opère entre préoccupations sociales et racisme (« ethnique », le seul qui semble préoccuper la nouvelle génération de chercheurs, bien moins sensibles au racisme social et de l’intelligence qui a cours dans la petite bourgeoisie intellectuelle).