Police et racisme : aux États-Unis comme en France, en finir avec les politiques d’intimidation des mouvements populaires

NDLR – La mort de George Floyd, tout comme celle de Adama Traoré en 2016, montre que le chemin qui conduit à ce que chacun et chacune se considère comme frère (et sœur) en humanité, au-delà des origines sociales, culturelles ou géographiques, est encore long, semé d’embûches et nécessite une vigilance permanente et une lutte sans cesse recommencée.
Il est donc indispensable de défendre et illustrer le contenu universaliste de l’antiracisme et du féminisme et de ne pas tomber dans le piège des assignations à résidence ethnique et/ou spirituelle, qui ne favorisent que les entreprises d’oppression et de domination en empêchant la construction d’une communauté de destin entre les citoyens.
Les  causes du racisme ambiant ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis (esclavage, ségrégation … ) et en France (Empire coloniale, travail forcé, indigénat des colonies) mais le quotidien vécu des deux côtés de l’Atlantique se ressemble de par le contrôle au faciès, les discriminations à l’embauche, les difficultés à se loger…
En France, en évitant de jeter l’opprobre sur toute une profession tout en condamnant avec la plus grande vigueur les actes indignes voire meurtriers de certains éléments de la Police, la recherche de la justice et de la vérité s’impose plus que jamais. (Ph. D.)

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Depuis fin mai, les États-Unis d’Amérique connaissent une contestation populaire d’une ampleur inédite dans leur histoire récente. La revendication centrale de ce mouvement est la fin de l’ordre sécuritaire, politique et économique raciste qui perdure encore, 52 ans après l’assassinat de Martin Luther King. La mort de George Floyd, étouffé pendant plusieurs minutes par un policier pendant que trois autres agents restaient passivement regarder ce meurtre, a agi comme un détonateur. Par sa réaction outrancière et autoritaire, Donald Trump, fidèle à son racisme et à sa xénophobie, a fait une fois de plus la preuve de son insensibilité complète à l’intérêt majoritaire du peuple qu’il prétend présider. Mais ce véritable soulèvement populaire est aussi marqué par une solidarité complète avec le mouvement féministe, et par des participations directes de policiers aux manifestations, très au-delà des images de policiers agenouillés qui ont retenu l’attention. À Houston (Texas) et surtout à Flint (Michigan), ville symbole et martyre de la classe ouvrière américaine, les shérifs locaux ont défilé en uniforme au milieu des manifestants.
Cet élargissement populaire de la contestation du racisme est un événement politique majeur. Il faut sans doute voir dans ce bouleversement en cours une réponse au verrouillage de la voie électorale vers la révolution citoyenne après la défaite de Bernie Sanders face à l’establishment centriste et libéral du Parti Démocrate. Il est encore trop tôt pour dire si c’est un processus de révolution citoyenne qui s’est enclenché aux USA sur une base antiraciste, mais à ce stade il s’agit certainement d’une accélération du mouvement destituant amorcé lors des primaires démocrates et républicaines de 2016, et il faut se féliciter de voir cette accélération se faire dans le sens de l’émancipation collective.

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Ce mouvement américain est porteur d’une colère et d’une espérance qui rencontrent un écho non négligeable en Europe. On ne compte plus les manifestations de solidarité impressionnantes par leur nombre, par leur détermination, mais aussi par leur pacifisme et leur dignité, notamment au Royaume-Uni et en France.
Les désaccords politiques entre ReSPUBLICA et une partie des organisateurs de ces manifestations en France sont connus et portent essentiellement sur la pertinence du modèle républicain universaliste hérité de 1792. Mais c’est précisément en tant que républicains que nous nous sommes fait l’écho de l’appel d’anciens hauts syndicalistes de la police à reconstruire une police républicaine, aux antipodes d’un syndicalisme policier de gamelle dont la complaisance pour l’autoritarisme gouvernemental et l’intimidation des mouvements sociaux ne semble connaître aucune limite.
C’est en républicains également que nous nous sommes inquiétés des données relatives aux contrôles de police durant le confinement, qui suggèrent fortement que le dispositif policier était sujet à des biais sociaux et géographiques ressemblant lourdement à du délit de sale gueule. C’est aussi en républicains que nous devons nous indigner de l’existence de groupes de policiers racistes, sexistes, antisémites sur la toile, récemment confirmée par la presse.
C’est en républicains, enfin, que nous devons acter l’existence d’un problème majeur lorsqu’un sondage révèle qu’un tiers des Français ont peur de la police. Enfin, que dire de l’attitude du préfet de police de Paris, celui-là même qui se revendiquait il y a peu d’un « camp » qui n’est « pas le même » que celui de manifestants dont on se demande s’il les considère vraiment comme des citoyens ? En décidant de donner l’interprétation la plus restrictive possible des consignes sanitaires et en faisant expressément interdire les rassemblements pacifiques, le préfet de police s’est comporté en pompier pyromane et a objectivement concouru à tendre la situation vis-à-vis de manifestants pacifiques. Ses avis ont fort heureusement été ignorés, réduisant au passage en charpie l’autorité de l’État.
Mais il est vrai qu’être républicain, c’est aussi savoir que l’autoritarisme est le contraire de l’autorité. Sur ce point, il est permis de douter de la lucidité républicaine d’un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Les pitreries du pauvre Christophe Castaner n’y changeront rien : la doctrine de maintien de l’ordre qu’il poursuit et aggrave, s’inscrivant dans le sillage de tous ses prédécesseurs depuis plus de quinze ans, est un désastre politique et suscite aujourd’hui un rejet inouï de la part du mouvement social et de très larges secteurs des classes populaires. Il faut, aujourd’hui, républicaniser les forces de l’ordre pour en faire de nouveau ce que les gouvernements successifs ont voulu qu’elles ne soient plus : des gardiens de la paix. Faute de quoi le gouvernement devra s’habituer à entendre crier « Police partout, Justice nulle part », avec cette certitude : s’il faut vraiment choisir, le peuple français choisira toujours la justice.

Lire dans un précédent numéro (11 mai)  : https://www.gaucherepublicaine.org/service-public/enfin-un-appel-pour-une-police-republicaine-au-cote-du-peuple-travailleur/7412887