L’École de la République n’est pas la garderie du Medef !

Le 13 avril dernier le Président de la République a annoncé, lors de son discours, la réouverture des crèches, des écoles, des collèges et des lycées, le 11 mai.

Avec des trémolos dans la voix, Macron nous a expliqué que sa décision n’était guidée que par sa volonté acharnée de lutter contre les inégalités sociales et d’empêcher les violences intrafamiliales.

Quelle belle âme, il a failli nous arracher des larmes, dis donc !

Mais évidemment, mauvais esprit que nous sommes, il nous est revenu immédiatement en mémoire la litanie des suppressions de postes à l’Éducation nationale, les coupes budgétaires incessantes dans les services sociaux (ASE, PMI, etc) sans oublier la réduction comme peau de chagrin des dotations globales de fonctionnement des communes, responsables de l’organisation des écoles. Eh oui, c’est là, la racine des maux de l’École et des difficultés à prendre en charge les élèves décrocheurs bien plus que la suppression de deux mois de cours.

Macron et sa team, pardon son gouvernement, nous avaient pourtant juré la main sur le cœur que seules des considérations scientifiques guideraient sa politique durant la crise sanitaire. C’était, nous avait-on dit, le gouvernement en blouse blanche !

Mais voilà, le Medef, les Pinault, Arnault, Lagardère, Peugeot, Mulliez, les deux cents familles, ceux qui dressent le mur de l’argent face aux aspirations populaires avaient tapé du poing sur la table. Faute de production, les milliards s’envolaient, une crise boursière menaçait, Macron, le petit télégraphiste du patronat, avait reçu l’ordre de renvoyer immédiatement tout le monde au boulot et les blouses blanches devaient se couvrir du cambouis des ateliers. On n’allait pas laisser 12 millions de gamins gardés par leurs parents, empêcher le patronat de poursuivre sa course aux profits, fut-ce au mépris de la santé des salariés.

Envolés les avis du Conseil scientifique, envolé le rapport de l’Institut Santé, envolées les comparaisons internationales avec des pays comme l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, certains états des USA ou la Chine qui vivaient la même détresse sanitaire que nous alors que tout nous indiquait que la première mesure à prendre lors d’un confinement, c’était la fermeture des écoles et la dernière à prendre lors d’un déconfinement, c’est leur réouverture. Partout, il avait été conseillé ou décidé de ne rouvrir les écoles qu’en septembre et ce même en Chine qui avait pourtant déconfiné dés le début du mois de mars.

Mais le Medef et Macron s’en cognent ! Leur seule boussole, c’est leurs comptes en banque et nos vies ou les règles sanitaires ne pèsent pas bien lourds face à cela. Il suffit d’écouter l’interview sur Europe 1 de Philippe Klein, médecin à Wuhan pendant toute la crise, où celui-ci nous fait part de son incompréhension face aux décisions de Macron.

Chez les enseignants, ce sont plutôt de la stupeur et de l’écœurement que ces choix ont fait naître car il s’agit bien d’une insulte au métier d’enseignant, réduit à un rôle de gardiennage et d’une insulte aux efforts d’apprentissage de nos élèves !

Feliphe Schiarolli

Pour en revenir au plan sanitaire, certes les enfants sont très peu malades mais chacun sait qu’ils peuvent se contaminer à l’école et transmettre le virus aux professeurs, à l’ensemble des personnels travaillant dans les écoles, comme l’a d’ailleurs prouvé l’étude des transmissions du lycée de Crépy-en-Valois, ainsi qu’à leur entourage, parents et grand-parents. Nous n’oublierons jamais que le premier décès en France fut celui d’un enseignant de 60 ans. Quant aux professeurs des écoles, leur moyenne âge est de 45 ans en faisant une cible de choix pour le Covid.

Si on ne s’intéresse qu’aux conditions d’accueil, force est de constater qu’il est évidemment très difficile de faire respecter les gestes barrières à de jeunes enfants. Par ailleurs, la communauté éducative, pour travailler en toute sécurité, doit également pouvoir bénéficier du matériel indispensable, à savoir le triptyque masques, gants, gels sans oublier d’être testée régulièrement. On pourrait y ajouter également des toilettes propres et nombreuses ayant toutes des points d’eau et du savon, des classes désinfectées très fréquemment ainsi que des charlottes, surblouses, surchaussures, etc. Mais il est inutile de créer une liste à la Prévert puisque la réponse de l’administration est simple : « Vous n’aurez rien parce que nous n’avons rien ! »

Au mieux, on nous renvoie vers les collectivités territoriales, au gré de leur richesse, au pire l’administration fait état de son incapacité.

Le recteur de l’académie de Créteil a reconnu qu’il ne disposait que de 30000 masques pour 60000 enseignants et que le stock ne serait pas renouvelé. Un masque pour 2 enseignants à utiliser pendant 8 semaines ! Autant inoculer le virus immédiatement, ça ira plus vite.

Le ministre, quant à lui, navigue à vue. Il préconise des groupes de 15 élèves et une rentrée sur 3 semaines. On pourra donc regrouper dans certains établissements plusieurs centaines d’élèves dans la cour, dans les couloirs et dans les cantines même s’ils ne représentent que la moitié de l’effectif alors que l’on interdit toujours la réouverture des cafés et des restaurants par mesure de précaution. Mais rassurez-vous braves gens, nous sommes en période d’expérimentation nous dit-on à longueur de plateaux télés.

Tout le monde l’aura bien compris, cette mesure ne rime à rien, ne repose sur rien hormis la loi du fric. Elle fait craindre surtout une reprise de la transmission du virus et l’arrivée d’une seconde vague de l’épidémie.

Les parents d’élèves l’ont bien compris puisque dans un récent sondage, les deux-tiers d’entre eux déclarent qu’ils ne mettront pas leurs enfants à l’école le 11 mai. Ce taux étant encore plus élevé dans les milieux populaires. Effectivement, les enfants des premiers de corvée, ceux des caissières, des éboueurs, ne sont pas des souris de laboratoires. Mais ces craintes sont également largement partagées dans la communauté scientifique. L’Ordre nationale des médecins, la Fédération des Médecins de France, l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de Santé Publique, l’Institut Santé et l’OMS, ont tous fait souligné les risques d’un déconfinement ou d’une réouverture des écoles trop précoces.

À la suite du discours de Macron, des protestations sont très vite apparues. Tout d’abord, de nombreuses pétitions ont vu le jour sur le site « change.org » pour demander l’abandon de la réouverture le 11 mai et son report en septembre. La première a plus de 130 000 signatures, deux en ont plus de 100 000, une autre, près de 80 000, le reste étant plus anecdotique. Ensuite, ce sont des initiatives syndicales isolées qui sont apparues. La première, c’est l’assemblée générale du Lycée Le Castel à Dijon qui a annoncé son refus de la reprise le 11 mai ; dans l’académie de Rouen, l’intersyndicale FSU-FO-CGT-Sud et la FCPE ont lancé une pétition « Pas de tests, pas de masques, pas de reprise ! » ; la Fnec-FP-FO a, elle aussi, lancé une pétition nationale. Plus près de nous, dans l’académie de Créteil, la FSU, FO, la CGT et Sud ont émis un vœu commun pour protester, en Seine-et-Marne, un texte très large de toutes les organisations syndicales avec la FCPE et la PEEP s’opposent également à la réouverture. À Créteil, ce sont 37 professeurs des écoles réunis en assemblée générale qui indiquent refuser « la réouverture le 11 mai alors que les conditions sanitaires ne sont pas réunies ». À Champigny-sur-Marne, le Comité de grève local s’adresse à la population et aux élus pour les prévenir du danger tandis que dans un même appel, la Coordination Lycéenne Nationale, Les Stylos Rouges, le Collectif Bloquons Blanquer, la Coordination Nationale de l’Éducation et le Collectif Parents Pas Confiants « demandent l’abandon de la réouverture des écoles et des établissements le 11 mai »

Des élus locaux de l’Hérault, de Corrèze, du Nord ou bien encore de Guadeloupe alertent également le gouvernement. En Martinique, ce sont toutes les instances, région, communes qui indiquent qu’elles sont dans l’impossibilité d’organiser cette rentrée.

Partout dans le pays, les prises de position et les initiatives se multiplient malgré le confinement.

Ceci pourrait nous rendre confiant puisque dans la même situation, au Québec, il y a quelques semaines, le front uni des organisations syndicales et des parents d’élèves ont obligé le gouvernement à renoncer à sa tentative de réouverture des écoles jugée beaucoup trop précoce.

Malheureusement en France, la situation syndicale n’est pas aussi simple.

Les syndicats minoritaires de l’enseignement, FO, CGT, SUD sont sur des positions relativement correctes.

Chez les « gros », les choses sont claires pour l’Unsa qui comme d’habitude se trouve du côté du manche et considère la reprise comme nécessaire.

La FSU, comme à son habitude, navigue à la godille. En tant que syndicat « responsable », elle donne un coup à droite pour négocier avec le ministre alors qu’elle devrait refuser ces discussions inutiles. Francette Popineau, Secrétaire Nationale du Snuipp, a d’ailleurs reconnu sur RT France, qu’elle était déçue du discours de Macron puisqu’à ce moment-là, elle était en train de négocier la réouverture des écoles pour le mois de juin !

Il faut le dire très clairement, tout comme au Québec, une pétition unitaire portée par une intersyndicale FSU-FO-CGT-SUD et pourquoi pas au besoin avec la FCPE aurait de grande chance de faire plier le gouvernement.

C’est donc bien un coup de barre à gauche que devrait donner la direction de la FSU pour satisfaire sa base et surtout protéger une profession angoissée et écœurée.

Il est donc nécessaire de mener la bataille au sein de la FSU, du Snes, du Snuipp, pour l’amener à dire clairement et fermement NON à cette reprise tant que les conditions sanitaires et matérielles ne seront pas réunies. Il faut pour cela multiplier les assemblées générales de villes, pour le premier degré, et d’établissements, pour le second degré, où devront être voter des motions appelant les directions syndicales, notamment celles du Snes et du Snuipp, à se placer résolument du côté des travailleurs de l’enseignement et de leur santé pour les amener à appeler fermement à la grève dès le 11 mai si le gouvernement persistait dans son choix criminel.

Rappelons à ce propos que Respublica a aussi vocation à être un lieu de rencontre des militants syndicaux de lutte attachés à la défense de la laïcité pour leur permettre de confronter leur point de vue, voire de coordonner leurs luttes quelque soit leurs organisations syndicales.