Organisation de l’État : une nouvelle étape vers l’autoritarisme et le démantèlement.

Dans une discrétion totale, le gouvernement modifie l’organisation des services déconcentrés de l’État dans les départements. Par un décret du 14 août 2020, les Directions départementales interministérielles (DDI) sous la responsabilité du Premier ministre depuis leur création en décembre 2009 deviennent « des services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Elles sont placées sous l’autorité du préfet de département. » Il s’agit :

a) des directions départementales des territoires (DDT), et dans les départements du littoral directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), dont les missions recouvrent les domaines suivants :

  • habitat et renouvellement urbain, dans son volet construction : agréments des programmes de logements sociaux, suivi de l’application de l’Article 55 de la loi SRU…
  • urbanisme : coordination de l’association de l’État lors de l’élaboration des documents de planification des collectivités, avis réglementaire de l’État sur ces documents, instruction des permis de construire et d’aménager relevant de la compétence du Préfet,
  • environnement (risques, forêt, chasse, biodiversité, publicité) : élaboration et mise en œuvre des plans de prévention des risques naturels, instruction des dossiers « loi sur l’Eau » et mise en œuvre des contrôles associés,
  • agriculture : appui et conseil aux agriculteurs pour l’instruction de la politique agricole commune (PAC) ,
  • éducation et sécurité routières.

Dans les départements d’outre-mer, il n’existe pas de DDTM.

b) les directions départementales de la Cohésion sociale (DDCS) ou directions départementales de la Cohésion sociale et de la Protection des populations (DDCSPP) suivant l’importance démographique du département, dont les missions recouvrent :

      • la politique sociale, du logement, de la politique de la ville,

      • de la jeunesse (accueil collectif des mineurs, politiques éducatives territoriales…),

      • des sports (comités départementaux des différents sports…),

      • de la vie associative,

      • et, le cas échéant, de la protection des populations.

Dans les départements les plus peuplés, ces fonctions sont partagées entre trois directions eu lieu de deux, les missions réparties entre ces trois directions sont les mêmes.

Ces directions nées de la réforme de l’État en 2009, ont été composées à partir de plusieurs services déconcentrés de ministères différents. Elles avaient donc naturellement été rattachées au niveau national au Premier ministre et placées au niveau départemental sous l’autorité du préfet, comme représentant de l’État, mais pas comme agent du ministère de l’intérieur.

Bien que subordonnées au préfet du département, ces directions dépendaient pour leurs moyens des directeurs régionaux chargés des BOP (Budget Opérationnel de Programme) et donc indirectement des ministères.

Au plan départemental, une analyse trop rapide pourrait laisser penser que ce nouveau rattachement ne modifie pas la position des DDI, puisqu’elles sont déjà sous l’autorité du préfet représentant de l’État dans le département et qu’il dispose pour ses fonctions des services déconcentrés de l’État. Mais c’est très différent pour un service, d’être au plan local sous la responsabilité du représentant de l’État et en liaison avec le ministère chargé du domaine d’intervention du service,et d’être sous les ordres du préfet, intégré au ministère de l’Intérieur. Le préfet, bien que représentant de l’État (formellement de tous les ministres), est hiérarchiquement rattaché au ministère de l’Intérieur dont dépend sa carrière et pas au Premier ministre comme le voudrait la logique interministériel. Ce qui domine dans ses fonctions et donc dans son travail, ce sont les prérogatives fondamentales du ministère de l’Intérieur : police, ordre public sous toutes ses formes, tutelle des collectivités locales, contrôles de toutes natures. Les DDI seront donc intégrées dans ce type de missions avec un rôle de police dominant (installations classées, police de l’eau etc.)

Cependant, si les implications de ce changement de tutelle ministérielle ne sont déjà pas négligeables, leurs significations politiques et administratives sont lourdes.

Premièrement, dans la forme, comme dans le fonds, cette décision n’a rien d’isolée et d’arbitraire. Elle ne relève pas d’une simple volonté d’un ministre conjecturalement influent d’étendre le champ de son ministère, mais d’un mode de gouvernement réfléchi, faisant l’objet d’une stratégie mise en œuvre depuis des années et théorisée avec le gouvernement actuel dans le rapport CAP 20221. De plus en plus au niveau national le mode de gouvernement s’effectue autour du monarque Jupiter/Macron avec deux ministres, l’Intendant de la Ferme générale (le ministre des Finances) pour les questions de budget et le Lieutenant général de la Police (ministre de l’intérieur) pour le maintient de l’ordre public et les autres affaires intérieures de l’État ; les autres ministres étant là pour la décoration et la propagande, y compris le premier ministre pour « amuser la galerie ». Au niveau locale (régional et départemental) des préfets proconsuls traitant sans discrimination et sans compétences particulières de toutes les questions : il n’y a plus qu’un seul ministère présent sur le terrain, le ministère de l’Intérieur.

Deuxièmement, les Direction départementales Interministérielles – DDI – ne sont plus interministérielles, mais sont rattachées à un seul ministère. Elles vont donc travailler dans le cadre des compétences de ce ministère, les taches et missions pour les autres ministères (Travail, Écologie, Logement, Transports…) seront secondaires et aléatoires en fonction des priorités fixées par l’Intérieur.

Troisièmement, leurs missions qui relèvent de divers ministères (Écologie, Solidarité et travail, Éducation pour la jeunesse…) sont donc subordonnées au ministère de l’intérieur dont la mission première est le maintient de l’ordre public. Autrement dit , si nous prenons l’exemple des DDT et DDTM, dont les missions relèvent pour l’essentiel du ministère de l’Écologie, cela signifie que l’écologie est aujourd’hui subordonnée au maintient de l’ordre. Les actions envers les dérèglements climatiques, la transition énergétique, le biodiversité dont le gouvernement parle beaucoup n’est jamais que subsidiaire. En clair le message envoyé par cette décision est, l’écologie n’est ni une priorité, ni digne d’une politique publique en dehors de l’affichage et de la propagande. Si les manifestations pour la transition écologique, les mobilisations citoyennes, sont toujours possibles , ce qui compte c’est le maintient par la force de l’ordre capitaliste néolibérale.

Quatrièmement, comme toujours le transfert est décidé et le décret publié en plein mois d’août, juste avant la rentrée sociale. La crise sociale, économique, morale et le discrédit du gouvernement dans l’opinion public en raison notamment de sa gestion calamiteuse de la pandémie de la Covid-19, laissent entrevoir une rentrée difficile pour la population avec un fort mécontentement. Le chômage va augmenter vertigineusement, le pouvoir d’achat est en berne en raison des politiques salariales restrictives et des choix gouvernementaux en faveur du capital et des actionnaires. La contestation des politiques environnementales et écologiques sont de plus en plus fréquentes, et les résultats électoraux aux élections municipales ont montré une forte sensibilité pour les questions écologiques (même si souvent elle est accompagnée de beaucoup de confusion). Il est donc urgent et prudent d’anticiper les éventuelles mobilisations sociales et de « serrer les boulons » avant. Quoi de plus efficace que de confier la question sociale et la question environnementale et écologique au ministre de l’intérieur qui dispose en directe des forces de l’ordre (police et gendarmerie), sans arbitrage préalable éventuel. La répression en directe en fait. Notons également que le Président de la République nomme de plus en plus des préfets issus directement du secteur privé, sans qu’ils aient aucune connaissance ou pratique de l’administration, mais qui seront parfaitement capables de faire les choix politiques en faveur de leur secteur d’origine, l’intérêt général n’étant pas (plus) la priorité.

L’article 2 du décret met en place un Comité technique des DDI auprès du ministère de l’Intérieur, ce qui signifie que l’organisation des services comme la gestion des personnels (avancement et promotion, notation, rapports hiérarchiques etc) seront du ressort de ce ministère, les préfets n’auront plus à terme (en fait assez rapidement) à prendre l’avis des « ministères d’origines » des agents. Les DDI deviennent de fait des services internes à la préfecture et non plus des services interministériels déconcentrés.

Enfin , le rapport aux collectivités locales et aux élus pour les missions des services concernés vont inévitablement se modifier. Certes leur interlocuteur étatique sera toujours le préfet, comme avant, mais celui-ci dispose des administrations techniques sans filtre, les personnels de ces administrations relèvent uniquement de lui au titre du ministre de l’Intérieur auquel leurs services sont rattachés et dont ils dépendent. Il peut donc hiérarchiquement leur fixer ses priorités pour leurs missions quotidiennes.

Si nous rapprochons cette décision de deux projets en cours de discussion au parlement, la loi dites trois D, « Décentralisation, Déconcentration, Différentiation », et la loi dite « D’accélération et de Simplification de l’Action Publique » (loi ASAP), c’est bien l’égalité et l’unité de la République qui sont remises en cause, avec un autoritarisme et une restriction des libertés encore accentués. Le gouvernement a fait adopter un amendement au code de l’environnement qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation préalable et qui est un monument hypocrisie dans la mesure où il commence par affirmer le droit à l’information et par la suite renforce les secrets des affaires et de fabrication afin que l’information soit la plus réduite possible : « 2° L’article L.125-2 est ainsi rédigé

« Art I L 125-2-1 Toute personne a un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels elle est soumise dans certaines zones de territoire et sur les mesures de sauvegarde qui la concernent.Ce droit s’applique aux risques technologiques et aux risques naturels prévisibles.

« Dans ce cadre ne peuvent être ni communiqués, ni mis à la disposition du public des éléments soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale ou nécessaires à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale ou de nature à faciliter des actes susceptibles de porter atteinte à la santé, la sécurité et la salubrité publique ou encore dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à des secrets de fabrication ou au secret des affaires.»

 

Annexe

Décret n° 2020-1050 du 14 août 2020 modifiant le décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles.

Publics concernés : administrations centrales et services déconcentrés de l’Etat dans les départements ; leurs agents et interlocuteurs.

Objet : modification de l’autorité ministérielle de rattachement des directions départementales interministérielles. Entrée en vigueur : le décret entre en vigueur le lendemain de sa publication .

Notice : le décret modifie l’autorité ministérielle dont relèvent les directions départementales interministérielles en indiquant qu’il s’agit de services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Le décret prévoit également que le comité technique compétent pour évoquer les questions intéressant ces directions est institué auprès du ministre de l’intérieur. Références : le décret et le texte qu’il modifie, dans sa version résultant de cette modification, peuvent être consultés sur le site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr).

Le Premier ministre, Sur le rapport du ministre de l’intérieur,

Vu le décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 modifié relatif aux directions départementales interministérielles ;

Vu le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 modifié relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l’État ;

Vu l’avis du comité technique des directions départementales interministérielles en date du 23 juillet 2020 ;

Le Conseil d’État (section de l’administration) entendu,

Décrète :

Article 1 L’article 1er du décret du 3 décembre 2009 susvisé est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. 1.-Les directions départementales interministérielles sont des services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Elles sont placées sous l’autorité du préfet de département. « Le ministre de l’intérieur assure la conduite et l’animation du réseau des directions départementales interministérielles, en y associant les ministres concernés et dans le respect de leurs attributions respectives. »

Article 2 L’article 11 du même décret est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. 11.-Un comité technique des directions départementales interministérielles est institué auprès du ministre de l’intérieur. Ce comité est compétent pour l’examen des questions intéressant ces directions, dans les conditions prévues au titre IV du décret n° 2011-184 du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l’Etat. « Un arrêté du ministre de l’intérieur établit la liste des organisations syndicales de fonctionnaires aptes à désigner des représentants et fixe le nombre de sièges de titulaires et de suppléants attribués à chacune d’elles, proportionnellement au nombre de voix qu’elles ont obtenues lors des consultations organisées en vue de la constitution des comités techniques des différentes directions départementales interministérielles. »

Article 3 Le ministre de l’intérieur et la ministre de la transformation et de la fonction publiques sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 14 août 2020.

Jean Castex Par le Premier ministre :

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. La ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin

 

1 Voir à ce sujet : « CAP 2022 : les multinationales à l’assaut de l’État » par Jean Claude Boual, éditions Collectif des associations citoyennes septembre 2018.